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Quelle était la raison du génocide rwandais ? Pour les classes dirigeantes rwandaises ? Et pour l’impérialisme français ?

10 avril 2014, 20:05

2 octobre 1990 : Jean-Christophe Mitterrand, responsable de la cellule africaine à l’Elysée, reçoit un coup de fil de Juvénal Habyarimana. Après avoir raccroché, il annonce à Gérard Prunier présent dans son bureau : « nous allons lui envoyer des bidasses, au petit père Habyarimana. Nous allons le tirer d’affaire. »11

4 octobre 1990 : arrivée des premiers militaires français. 300 militaires débarqueront au Rwanda12 en octobre. Ces troupes apportent, entre autres, des mortiers de 60, 81, et 120 mm. C’est l’opération Noroît, déployée par François Mitterrand. L’objectif avoué de Noroît est de protéger (voire évacuer) les citoyens français du Rwanda face à l’avancée du RPF. En fait, Noroît a surtout été utilisée pour stopper la progression des rebelles13,14. L’armée rwandaise recevant, en plus de l’aide française, l’aide du Zaïre de Mobutu (plusieurs centaines de troupes de la Division Spéciale Présidentielle). Le ministre de la Coopération, M. Jacques Pelletier, a ainsi déclaré15 (au cours de son audition du 16 juin 1998 par la mission d’information parlementaire sur le Rwanda) : « le gouvernement français avait eu deux objectifs dès le début du conflit : un objectif très visible, à savoir, aider un pays à assurer sa sécurité contre une agression extérieure, et un objectif dont on a moins parlé, mais qui était tout aussi important, faire évoluer le régime en place. » Robert Galley, ex-ministre de la coopération, témoignera que les parachutistes français, bien que relativement peu nombreux (125), ont bien servi à stopper le RPF (dont l’armée est à l’époque composée de 2000 à 3000 soldats)16. Deux compagnies françaises Noroît resteront au Rwanda jusqu’en 1993. Le nombre officiel de militaires engagés dans Noroît atteindra 688 personnes (rapport de la mission d’information parlementaire, page 167). A cela s’ajoute la présence non officielle de personnels de la DGSE (voir par exemple le témoignage du capitaine Barril cité plus bas). Autre indice de cette présence de la DGSE : en 1993, le Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine (RPIMa) est présent sur place ; ce régiment est connu pour fournir des commandos aux services secrets français17. La Belgique, ancienne puissance coloniale de la région des Grands Lacs, s’est rapidement désolidarisée du gouvernement rwandais en annulant, fin octobre 1990, toute coopération militaire avec le régime d’Habyarimana, estimant que le conflit en cours était une guerre civile. Le député français Pierre Brana fera également remarquer que l’offensive du RPF relève d’une guerre civile et non pas d’une invasion étrangère18. Le gouvernement français n’a pas eu ce genre de préoccupation : il ne voulait voir dans le RPF qu’une armée étrangère (et anglophone) attaquant un régime ami (et francophone). La légitimité des revendications du RPF et le fait qu’Habyarimana était corrompu et dictatorial ont été occultés.

4 octobre 1990 : le jour du déploiement français, le gouvernement rwandais monte une fausse attaque du RPF sur Kigali, afin de justifier l’arrestation de plusieurs milliers de Tutsi et d’opposants politiques Hutu19 qui ont le tort de demander plus de démocratie (la mission d’information parlementaire confirme l’attaque sur Kigali comme étant un coup monté en page 127 de son rapport). Certains accusent des militaires français d’avoir participé à cette opération bidon19.

Après le 8 octobre 199020 : alors que les compagnies parachutistes Noroît s’installent au Rwanda, les forces armées rwandaises ne perdent pas de temps : elles massacrent environ 1000 Bahima (considérés comme des Tutsi) à Mutara, 348 Tutsi dans la préfecture de Kibilira (à partir du 11 octobre). En janvier 1991, environ 1000 Bagogwe (également considérés Tutsi) sont tués dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. En mars 1992, au moins 300 Tutsi sont tués à Bugesera. Ces victimes n’ont aucun lien connu avec le RPF.

15 octobre 1990 : je recopie ici un passage du rapport de la mission d’information parlementaire (p 141) : « L’Ambassadeur de France à Kigali, Georges Martres, a également souligné les risques de violences ethniques. Il adresse, le 15 octobre 1990, au Quai d’Orsay et au Chef d’état-major particulier du Président de la République, l’amiral Jacques Lanxade, le télégramme suivant : “ la population rwandaise d’origine tutsie pense que le coup de main militaire a échoué dans ses prolongements psychologiques... Elle compte encore sur une victoire militaire, grâce à l’appui en hommes et en moyens venus de la diaspora. Cette victoire militaire, même partielle, lui permettrait d’échapper au génocide. ” ». Par conséquent, les autorités françaises ont assez tôt été informées du risque bien réel d’un génocide contre les Tutsi (malgré ce que nombre d’hommes politiques affirmeront par la suite). Cela ne les empêchera évidemment pas de poursuivre l’aide au régime d’Habyarimana...

10 décembre 1990 : le journal rwandais Kangura, journal raciste anti-Tutsi financé par des proches d’Habyarimana, publie une photo de François Mitterrand en 4ème de couverture avec la légende : « Les grands amis, on les rencontre dans les difficultés » . Dans ce même numéro on trouve les infames « Dix commandements du Hutu », texte raciste qui appelle clairement à la haine anti-tutsi21. Un des paragraphes (le 8ème) de ce texte est : « Les Bahutu doivent cesser d’avoir pitié des Batutsi »22. Le 4ème paragraphe explique « Tout Muhutu doit savoir que tout Mututsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie. », quant au 5ème : « Les postes stratégiques tant politiques, administratifs, économiques, militaires et de sécurité doivent êtres confiés aux Bahutu ». Le texte dénonce également les Hutu mariés à des Tutsi comme traîtres. Ce pamphlet a été très largement diffusé au Rwanda. Il semble très improbable que les représentants français n’en aient pas entendu parler. Pourquoi ne l’ont-ils pas dénoncé alors ?

1991 : pendant ce temps là, en dépit de l’ampleur des massacres commis par le régime d’Habyarimana au cours de l’année passée, la France verse 70 millions de francs au gouvernement rwandais au titre de l’aide à la balance des paiements23. L’augmentation des dépenses militaires de 2 à 7% du PIB par le Rwanda en 2 ans n’alarme pas les autorités françaises (on voit donc à quoi sert une partie de l’argent du contribuable français). L’armée rwandaise passe de 9335 à 27913 soldats entre 1990 et 1991. En 1993 la France devient, avec la Belgique, le 1er bailleur de fonds du Rwanda, avec des actions de coopération représentant 232 millions de francs24. Sur le plan de l’armement : entre 1987 et 1994, ce sont 591 millions de francs de livraison d’équipement militaire par la France au Rwanda qui sont agréés par la CIEEMG (commission interministérielle). Outre des armes à feu, des lance-roquettes, des mortiers, des mitrailleuses, et des munitions, 6 radars Rasura25 ont fait l’objet d’autorisation AEMG (autorisation d’exportation). Des mines anti-personnelles (20000) ont reçu l’accord CIEEMG, mais n’auraient pas été livrées26. Suite à l’assaut du RPF en 1990 le gouvernement d’Habyarimana se voit forcé de lâcher du lest et de faire des concessions, plus conséquentes que celles qui ont suivi le discours de La Baule, aux opposants politiques qui réclament des ouvertures démocratiques. Mais chaque concession du régime va s’accompagner de vagues d’attentats contre les Hutu modérés et les Tutsi, considérés comme traîtres et collaborateurs du RPF. La faction extrémiste du MRND va se radicaliser.

dès février 1991 : Janvier Africa, un milicien repenti, affirme avoir assisté à la formation de miliciens interahamwe (qui commettront l’essentiel des meurtres lors du génocide) par des soldats français27 : « Les militaires français nous ont appris à capturer nos victimes et à les attacher. Cela se passait dans une base au centre de Kigali. C’est là qu’on torturait et c’est là également que l’autorité militaire française avait ses quartiers. [...] Dans ce camp, j’ai vu les Français apprendre aux Interahamwe à lancer des couteaux et à assembler des fusils. Ce sont les Français qui nous ont formés ». Vénuste Kayimahe, Tutsi rwandais employé au centre culturel français, affirme également avoir vu des militaires français former des miliciens28. Les interahamwe sont des groupes de jeunes affiliés au parti présidentiel MRND et formés en 1991. Violents, ils vont d’abord être utilisés pour terroriser les opposants politiques à Habyarimana, puis pour tuer les civils Tutsi lors du génocide.

Septembre 1991 : Paul Kagamé déclare à Renaud Girard (cité dans Le Figaro du 22/11/1997) que le directeur des Affaires africaines et malgaches au ministère des affaires étrangères, Paul Dijoud, lui a dit en septembre 1991 : « Si vous n’arrêtez pas le combat, si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles parce que tous auront été massacrés ». Paul Dijoud affirmera ne pas se souvenir de cette rencontre avec Kagamé, pourtant confirmée par un télégramme diplomatique29.

27 octobre 1991 : Sixbert Musang(w)amfura écrit dans le journal rwandais Isibo : « Si nous n’exterminons pas les Tutsi, ce sont eux qui nous exterminerons ». Difficile de faire plus explicite. Décidément, les français en poste au Rwanda à l’époque ne doivent pas beaucoup lire les journaux...

22 janvier 1992 : le colonel Bernard Cussac envoie un télégramme mentionnant la création de « milices d’autodéfense » par le ministère de l’intérieur rwandais. Comme mentionné précédemment, ces milices seront les principales responsables du génocide30. A aucun moment la France n’utilise son influence auprès d’Habyarimana pour qu’il désarme ces milices. Elles comprennent principalement les interahamwe du MRND et les impuzamugambi du CDR (Coalition pour la Défense de la République, un parti Hutu extrémiste). Le 25 février 1994, un groupe rwandais appelé Association des Volontaires de la Paix dénoncera par voix de presse le génocide des Tutsi programmé par les extrémistes du MRND et du CDR31.

Mars 1992 : un contrat d’armement de 6 millions de dollars est passé entre l’Egypte et le Rwanda32. Il inclut des mortiers de 60 et 81 mm, 16000 obus de mortier, des mines antipersonnelles, des roquettes, des obusiers Howitzer D-30 de 122 mm, et plus de 3 millions de munitions d’armes légères. Le paiement rwandais a été garanti par une banque française32 : le Crédit Lyonnais33, banque nationalisée à l’époque.

26 août 1992 : deuxième modification de l’accord AMT entre la France et le Rwanda. La coopération militaire française, jusque là limitée à la gendarmerie rwandaise, est étendue à toutes les forces armées du Rwanda34. Cette modification s’avère nécessaire pour faire rentrer l’opération Noroît dans le cadre de l’accord militaire Paris-Kigali. La justification de Noroît n’est pas seulement l’évacuation des ressortissants français, mais la prévention de la destabilisation du Rwanda35. Dans une note adressée le 16 février 1992 à l’ambassade de France à Kigali, un conseiller militaire français, le lieutenant-colonel Gilles Chollet, est par ailleurs nommé conseiller militaire spécial du « président » Habyarimana36. Epinglé dans la presse belge, Chollet est obligé d’être « retiré »37.

1 septembre 1992 : une lettre officielle de remerciement du cabinet présidentiel de Mitterrand, signée par le nouveau responsable de la cellule africaine, Bruno Delaye, est envoyée au leader extrémiste du CDR Jean-Bosco Barayagwiza38 : celui-ci était responsable d’une lettre ouverte remerciant « l’armée française pour sa coopération avec l’armée rwandaise ». Barayagwiza a depuis été condamné pour génocide et crime contre l’humanité par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). Il était peu apprécié des soldats belges de la MINUAR qui, lassés de ses appels répétés au meurtre des casques bleus de l’ONU, ont finalement décidés début 1994 de le passer à tabac à son domicile devant sa famille39 avant de menacer de le tuer. Apparemment, tout le monde ne peut pas faire preuve du même calme débonnaire de la belle diplomatie française face aux criminels contre l’humanité.

Janvier 1993 : Jean Carbonare, ex-président de l’association SURVIE, déclarera au Nouvel Observateur du 4 août 1994 (et au journal télévisé de Bruno Masure) avoir assisté en janvier 1993 à la présence de militaires français dans les camps militaires rwandais de Bigogwe, alors que des civils y étaient torturés puis tués40. Il fera part à Bruno Delaye, conseiller du président Mitterrand, des témoignages qu’il a recueilli sur cette dérive meutrière du régime d’Habyarimana.

Du 22 au 31 janvier 1993 : 300 personnes (principalement Tutsi) sont assassinées par des miliciens (principalement du CDR) et soldats de l’armée rwandaise dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi41. Il semblerait que ces tueries étaient destinées à saboter les accords de paix d’Arusha. Depuis juillet 1992, des discussions sont en effet en cours entre le RPF et le gouvernement rwandais, qui se réunissent en Tanzanie à Arusha, afin de mettre en place un partage du pouvoir entre le RPF, Habyarimana, et les partis d’opposition.

8 février 1993 : le RPF lance un deuxième assaut sur le Rwanda depuis l’Ouganda. Officiellement, il s’agit de mettre un terme aux massacres de Tutsi opérés dans le nord fin janvier (en particulier contre les Bagogwe). Effectivement, les troupes du RPF seront accusées plus tard d’avoir tué des fonctionnaires impliqués dans ces massacres. Un cessez-le-feu sera signé fin février entre le RPF et l’armée rwandaise. Officieusement, certains pensent que le RPF aurait attaqué pour se retrouver en position de force aux négociations d’Arusha face à Habyarimana. Quoi qu’il en soit, Paris annonce l’envoi de 2 compagnies supplémentaires au Rwanda42,43 : sans soutien français, l’armée rwandaise ne peut pas résister à l’avancée du RPF. Le message envoyé par Paris est, encore une fois, un message clair de soutien à Habyarimana. L’avancée du RPF s’accompagne de déplacements massifs de civils : on estime à presque 1 million le nombre de réfugiés dus à la guerre civile.

Février 1993 : La livraison d’armes au Rwanda par la France se poursuit. Le colonel Philippe Tracqui, commandant des troupes de l’opération Noroît, rapporte que le vendredi 12 février 1993 un DC8 transportant 50 mitraillettes de 12.7 mm et 100000 munitions pour l’armée rwandaise s’est posé. Alors que le mercredi 17 février, il s’agit d’un Boeing 747 avec des obus de 105 mm et des roquettes de 68 mm44. L’opération « d’assistance opérationnelle » menée par des militaires français commandés par le lieutenant-colonel Didier Tauzin dès le 23 février permettra, une fois de plus, à l’armée rwandaise de stopper l’avancée du RPF44.

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