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Quelle était la raison du génocide rwandais ? Pour les classes dirigeantes rwandaises ? Et pour l’impérialisme français ?

17 mai 2015, 06:31, par Robert

Des documents inédits démontrent que Paul Barril a apporté un concours actif aux extrémistes hutus responsables de l’assassinat de 800.000 Tutsis. Nom de code de sa mission : "Insecticide".

Curieux hommes d’affaires. Ils ont affrété un jet privé, un Falcon 50, au départ du Bourget, pour la somme de 650.000 francs hors taxes. Sur le télex en date du 6 mai 1994, adressé à la compagnie Europe Falcon Service, une filiale de Dassault, ils prétendent exercer la profession d’"agent commercial". A quel étrange négoce se livrent-ils ? Ils voyagent en tenue de sport. Dans leurs havre-sacs, ils transportent des uniformes noirs, dépourvus d’insigne. Entre eux, ils ne se connaissent que sous des noms de code. Presque tous ont quitté l’armée ou en ont été limogés. Des anciens des forces spéciales, plus particulièrement. Eux, des représentants ? Des barbouzes, plutôt.
Le passager qui, sur le fax, se présente comme le "directeur" s’appelle Paul Barril. Avec ses gros bras, l’ancien gendarme de l’Elysée reconverti dans la "sécurité privée" doit rallier Bangui, en Centrafrique, puis Goma, dans l’est du Zaïre. Mais sa destination finale, c’est le Rwanda. Que va-t-il faire dans un pays plongé alors dans une immense tuerie ? Quel appui vient-il apporter à un gouvernement extrémiste qui, depuis le meurtre, un mois plus tôt, du président hutu, Juvénal Habyarimana, a entrepris d’exterminer toute la population tutsie ? Une question au cœur de l’information judiciaire ouverte, le 15 juillet dernier, à son encontre par le tribunal de Paris.

20 ans après la tragédie rwandaise, des documents inédits éclairent le rôle joué par l’énigmatique capitaine, incarnation de la face obscure de l’ère Mitterrand, des Irlandais de Vincennes aux écoutes de l’Elysée. La justice française s’intéresse plus que jamais à lui. D’abord, dans le cadre de l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion de Habyarimana. Longtemps ménagé par Jean-Louis Bruguière, le premier magistrat chargé d’élucider l’affaire, Paul Barril a été sommé de s’expliquer par le juge Marc Trévidic sur ses faits et gestes lors de l’attaque et ses manœuvres durant la procédure. Ses locaux ont été perquisitionnés, ses disques durs saisis, son entourage entendu. Des pièces transmises au juge Claude Choquet, du nouveau pôle "crimes contre l’humanité". Car depuis la plainte déposée par la Fédération internationale des Droits de l’Homme, la Ligue des Droits de l’Homme et l’association Survie, il est cette fois suspecté de "complicité de génocide".

Dans cette histoire, Paul Barril n’a cessé de dire tout et son contraire, y compris sur procès-verbal. Son nouveau livre, intitulé "Rwanda : vérités sur un massacre", qu’il devait publier en mars aux Editions du Moment, a été déprogrammé sur le conseil de ses avocats. Les lecteurs n’auraient sans doute pas été davantage éclairés. "Il s’agit d’un roman-enquête. Il y a une partie enquête et une partie romancée", expliquait-il, l’an dernier, à l’officier de la SDAT, la sous-direction anti-terroriste, qui l’interrogeait sur les allégations contenues dans un précédent ouvrage, "Guerres secrètes à l’Elysée". "Toute sa vie, il a mené double jeu. Avec lui, vous ne saurez jamais la vérité", prévient un ancien de la cellule élyséenne.

Jusqu’ici, le personnage reste insaisissable. Il serait aujourd’hui "richissime", mais malade, disent ses anciens compagnons. Inconnu des fichiers de police, Agrippa et autres Judex, il n’est pas titulaire, officiellement, d’une ligne de téléphone. Son portable français est enregistré au nom de l’ex-émir du Qatar, Khalifa al-Thani, son principal employeur depuis plus de 20 ans. Pour les besoins de la justice, il se fait domicilier dans un appartement londonien du souverain déchu, à Knightsbridge. Mais son épouse Angelika, avec qui il est séparé de corps, dit ignorer où il demeure. "Je ne lui connais aucune autre adresse", a-t-elle confié aux enquêteurs.

"Dans le groupe, quand on se fichait de lui, on l’imitait en train de dire, avec son cheveu sur la langue : ’Fé Fecret !’", s’amuse son ancien chef, le colonel Christian Prouteau. Celui qui, sous Mitterrand, dirigea la cellule antiterroriste décrit Barril comme un "super second, un peu fêlé, capable de dire : ’Couvrez-moi, j’y vais’", mais aussi, un "mythomane gagné par le côté obscur" qui, déjà au GIGN, vouait une "fascination à Bob Denard", le mercenaire français, auteur de multiples coups tordus en Afrique. "Il m’avait dit après un putsch de Denard aux Comores : ’On pourrait faire comme lui et, après, on serait responsables d’un pays’..."

Lorsqu’il est mis en disponibilité, fin 1983, à la suite d’une série de scandales, il possède déjà sa boîte de sécurité, baptisée Secrets, comme il se doit. Il recrute ses collaborateurs de préférence parmi d’anciens militaires. "Pour aller en Afrique, il faisait appel à des gens qui avaient une expérience du terrain", raconte un de ses ex-employés. Tous sont dotés d’alias. "C’était pour garder un certain anonymat,continue ce garde du corps, surnommé ’Luc’. On parle par radio, on est écoutés par les services. Avec des pseudos, on sait qu’ils ne tomberont sur rien." Dans ce règne de l’omerta, même la comptable hérite

Paul Barril ne se limite pas à assurer la protection de ses clients. Il renseigne, entraîne, recrute, livre du matériel en tout genre. Influe, intrigue, surtout, comme le prouve son abondante littérature, retrouvée au siège de sa société. "Les opposants seront en permanence contrôlés, manipulés", lit-on sur une offre adressée à différents dictateurs africains. Au maréchal Mobutu, président du Zaïre, il propose de "participer et de diriger la campagne présidentielle afin d’obtenir un score égal à 60%." A son homologue burkinabé, Blaise Compaoré, de "surveiller et infiltrer tous les journaux". A tous, il promet de "déterminer et de neutraliser" le moindre "complot".

Et au régime hutu, quel service est-il prêt à rendre ? Son entente secrète avec Kigali débute très tôt. "J’ai l’honneur de vous confirmer la collaboration entre nos services de sécurité et les vôtres", lui écrit, le 23 août 1991, Fabien Singaye, deuxième secrétaire à l’ambassade du Rwanda à Berne, en réalité, un agent chargé de surveiller les activités à l’étranger des rebelles tutsis du FPR, le Front patriotique rwandais. Un mois plus tard, l’espion se félicite des "connaissances" de Barril au sein du monde politique et des médias français, "entre autres à La Cinq et à RFI, précise-t-il dans un télégramme. Il peut plaider pour notre pays afin de déstabiliser le FPR". En 1993, Elie Sagatwa, chef d’état-major particulier du président Habyarimana, remercie par écrit le "capitaine Barril" pour "tous les services rendus".

L’ex-gendarme affirmera plus tard agir sur les ordres de François de Grossouvre, le conseiller occulte de Mitterrand. Le préposé aux chasses présidentielles "coordonnait un peu les services secrets", dira Barril au juge Trévidic, sans crainte d’être contredit par l’intéressé, suicidé, par une coïncidence troublante, le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat de Kigali : "C’est Grossouvre qui m’a présenté le président Habyarimana. Je devais infiltrer le FPR en Europe." Une certitude : Barril visite régulièrement son mentor à l’Elysée, où il est pourtant devenu persona non grata depuis ses éclats publics. "Il venait souvent, confirme Pierre d’Alençon, ancien collaborateur de François de Grossouvre. Pour éviter qu’il s’enregistre à l’accueil, je le faisais entrer discrètement par l’avenue de Marigny."

Paul Barril a même fourni à l’homme de l’ombre de la mitterrandie une R25, toute noire, vitres comprises, et un chauffeur, Patrice Jaran. "Quand il m’a embauché en 1991, il m’a dit d’être très, très discret,rapporte ce dernier. Lorsque des personnalités africaines venaient voir M. de Grossouvre, plusieurs fois, il était là." Le mercenaire et le conseiller mènent-ils une action clandestine dans un pays que la France appuie alors militairement ? Pour Gilles Ménage, ancien directeur de cabinet du président, aujourd’hui secrétaire général de l’Institut François-Mitterrand, il ne s’agit que de deux marginaux. "Nous avions coupé les ponts avec Barril et Grossouvre était alors écarté", insiste Ménage.

"J’ai fait plusieurs missions au Rwanda, a raconté l’ex-gendarme au réalisateur Raphaël Glucksmann, lors du tournage du film ’Tuez les tous !’. Des missions d’évaluation, d’infiltration [...] j’ai combattu avec les Hutus jusqu’aux derniers. J’ai vécu des choses extraordinaires." Durant le génocide, il prétend avoir organisé la défense de Kigali face aux rebelles du FPR. Dans d’autres interviews, il raconte avoir "pris des initiatives folles", "fait des cartons à l’extérieur". Nom de l’opération ? "Insecticide". Comme en écho aux médias hutus qui appellent à anéantir tous les "cafards" tutsis. Depuis qu’il doit rendre des comptes à la justice, il affirme que ses séjours au pays des Mille Collines n’ont jamais excédé "deux-trois jours". Dans ses dénégations et ses rodomontades, impossible de démêler le vrai du faux.

Restent les preuves, les témoins. Richard Mugenzi, ex-opérateur radio des FAR, les Forces armées rwandaises, le voit passer au camp de Gisenyi, à deux pas du Zaïre, après le départ des troupes françaises, en décembre 1993 : "Je vois ce militaire pas comme les autres. J’ai posé des questions et on m’a dit [...] qu’il s’appelait Barril. Il était avec d’autres, habillés comme lui", dit-il au journaliste Jean-François Dupaquier, dans un livre d’entretiens (1). Le Français Jacky Héraud, qui pilote l’avion d’Habyarimana, le remarque, lui aussi, sur le tarmac de l’aéroport de Kigali, fin mars 1994, quelques jours avant de mourir en plein ciel. De retour chez lui, il s’en étonne devant son épouse.

Le 6 mai 1994, Paul Barril regagne le Rwanda. Avec ses acolytes. Toujours les mêmes, à chaque fois qu’il se rend dans cette partie du monde. Marc Poussard, dit "Maurice", son bras droit, Luc Dupriez, ex-nageur de combat, Christophe Meynard, alias "Christian", un ancien de la Légion, Jean-Marc Souren, un Canadien appelé "John", lui aussi vétéran de l’armée française, un temps casque bleu à Sarajevo, et enfin, Franck Appietto, alias "François", qui a été chassé du 11e Choc, le vivier du Service Action. Ils viennent chercher le corps de Juvénal Habyarimana, déposé à Gisenyi. Les fils du président défunt, Léon et Jean-Pierre, font d’ailleurs partie du voyage.

Mais leur mission est avant tout militaire. Devant l’offensive ennemie, le ministre rwandais de la Défense, Augustin Bizimana, a appelé au secours le capitaine dans une lettre datée du 27 avril : "Situation de plus en plus critique. Je vous confirme mon accord pour recruter [...] 1.000 hommes devant combattre aux côtés des FAR." Son gouvernement a financé la location du Falcon 50 par un virement de 130.000 dollars, le 7 mai. Un premier acompte avant la signature, le 28 mai, d’un "contrat d’assistance", en bonne et due forme. En échange de la somme de 3,13 millions de dollars, Paul Barril s’engage à fournir 20 mercenaires, avec "pour tâches de former et d’encadrer sur le terrain les hommes mis à leur disposition", ainsi que 2 millions de cartouches de 5,56 et 7,62, pour des fusils d’assaut, 5.000 grenades à main, 6.000 grenades à fusil et 11.000 obus et mortiers.

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