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Editorial 7-12-2009 - La guerre, une solution face à la crise

16 mars 2010, 20:37, par Robert Paris

Etats-Unis – Chine : vers une nouvelle guerre froide ?

Plus d’un an après l’éclatement de la crise financière aux Etats-Unis, la récession mondiale qu’elle a provoquée n’a pas empêché la Chine et d’autres pays émergents de maintenir un rythme relativement élevé de croissance. En revanche, elle ne cesse de détruire les emplois et dégrader de manière alarmante l’endettement public en Amérique du Nord et en Europe. L’année 2009, marquée par la concertation pour la sauvegarde du système financier international et les relances étatiques de l’activité économique, a vu ainsi se distinguer deux blocs : 1) celui, piloté par les Etats-Unis, des pays développés mais surendettés, s’employant tant bien que mal à atténuer les impacts de la crise. 2) le bloc, mené par la Chine, des pays nouvellement industrialisés, faiblement endettés et disposant de ressources à même de stimuler leur croissance par une demande intérieure non encore suffisamment soutenue (Pékin prévoit une croissance économique de 8% pour 2010).

Ce nouveau contexte, chargé d’incertitude sur le retour de la croissance mondiale, ne manque pas de précipiter, en 2010, un début de dégradation des relations sino-américaines. Le temps du rapprochement entre ces deux pays et l’image de Barak Obama en novembre dernier cheminant sereinement sur la grande muraille de Chine, semblent déjà loin après les tensions récentes autour du Yémen, de Taiwan ou du Tibet et surtout l’opposition persistance de la Chine au projet occidental de sanctions énergétiques contre l’Iran.
Faut-il y voir de simples tensions conjoncturelles ou le retour du spectre d’une nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et, cette fois, la Chine, comme annoncé déjà au début de l’ère néo-conservatrice de l’ancienne administration américaine (1) ? Décryptage.
"Qui domine les autres est fort. Quise domine est puissant." Lao-Tseu.
"La présidence d’Obama est comme conduire un train plutôt qu’une automobile : un train ne peut pas choisir sa route, son conducteur peut au mieux ajuster sa vitesse, mais, au bout du compte, il doit rester sur les rails." pouvait-on lire, il y a quelques semaines, dans un article présentant les récentes tractations américaines avec le régime Yéménite comme une odyssée visant la Chine (2). Derrière la guerre contre Al Qaïda et la prévention du risque d’émergence d’un nouveau front de résistance chiite au Yemen, sur le modèle du Hezbollah, c’est la militarisation des voies navigables stratégiques dans l’océan indien qui intéresse les grandes puissances, précise un autre observateur (3).

Après les deux guerres engagées, suite aux attentats du 11 septembre 2001, par les néo-conservateurs états-uniens en Afghanistan et en Irak et l’autorisation des deux opérations essentiellement "civilticides" d’Israël au Liban et à Gaza, l’administration Obama semble passer à une nouvelle étape : serrer l’étau autour du géant émergent qu’est la Chine.

On peut être tenté de croire à de simples tensions conjoncturelles dues à l’approche du rendez-vous important pour l’administration Obama que sont les élections de mi-mandat de novembre prochain, dans une période de crise économique sans précédent, ou encore au dialogue de sourds, sur fond d’intérêts énergétiques et géopolitiques divergents, entre les Etats-Unis et l’Iran au sujet de son projet nucléaire. Mais il faut bien admettre que la Chine qui fait sienne une politique de long terme, pragmatique et très mesurée, ne peut laisser s’exercer indéfiniment la pression américaine sans veiller à faire respecter certaines "lignes rouges" ayant trait à ses intérêts géostratégiques (approvisionnement en ressources énergétiques et matières premières, sécurité du commerce maritime) ou d’unité nationale (cas de Taiwan et du Tibet, troubles ethniques comme ceux de juillet dernier dans la province de Xinjiang).

La réalité est que les tensions actuelles sino-américaines ne peuvent s’expliquer par les seuls facteurs conjoncturels. La Chine se présente, en effet, comme une puissance capitaliste rivale, dotée d’une économie de marché appelée à être de plus en plus performante. Si l’on ajoute le fait que l’empire du Milieu constitue désormais le premier exportateur mondial et le premier créancier des Etats-Unis, on comprend alors le dilemme dans lequel se trouve l’administration américaine et le caractère autrement plus dangereux de la confrontation sino-américaine, au cas où elle dégénérerait en tension permanente voire en conflits ouverts, par comparaison à la guerre froide occidentalo-soviétique qui fut, elle, d’ordre essentiellement idéologique (capitalisme vs communisme).

A l’évidence, l’objectif structurel majeur des Etats-Unis est de maintenir le plus longtemps possible leur leadership mondial en confinant la Chine, sans doute la seule nation capable à terme de disputer ce leadership aux américains, dans le rang d’une puissance intermédiaire à l’instar de l’Inde ou du Japon. Le récent changement d’attitude de l’administration Obama vis-à-vis de la Chine tient à d’autres enjeux liés à deux lignes de fracture stratégique fondamentales entre ces deux puissances.

La première fracture concerne le devenir des relations sino-américaines au terme de la montée en puissance de la Chine. Autrement dit, la Chine doit-elle être considérée par Washington comme un partenaire stratégique ou un concurrent stratégique ? C’est probablement la réponse par cette deuxième partie de la question qui semble avoir été déjà tranchée par Washington, alors que le but géostratégique de la Chine, selon un document interne au PC chinois de mars 2001, est de "contrer le développement de l’hégémonisme et de la loi du plus fort."
Concrètement (1), "[l’objectif de la Chine] est, dans un premier temps, non seulement de récupérer Taiwan, l’île rebelle, pour des raisons autant économiques que politiques, mais aussi, dans un deuxième temps, de distendre les liens protecteurs entre les USA et leurs deux principaux alliés asiatiques : la Corée du Sud et le Japon. Dans un troisième temps, la Chine entend reprendre la maîtrise du Pacifique, commerciale et militaire".

Par ailleurs, en soutenant à bout de bras le régime de Pyongyang, la Chine vise "la création d’une Corée réunifiée sous la houlette chinoise, avec un système « capitaliste autoritaire » comme à Hong-Kong. L’objectif américain est apparemment proche, mais totalement inverse : la création d’une Corée unique, puissance économique et militaire conséquente, sous hégémonie américaine. Le but des USA est clair : intimider la Chine et la contenir par trois « révolvers » et concurrents braqués contre elle, le Japon, la Corée et Taiwan. Pékin, vis-à-vis de ces Etats essaie de jouer de l’argument de la « solidarité ethnique » des Asiatiques face aux Occidentaux".

L’autre fracture stratégique, corollaire de la première, a trait à la domination des couloirs navigables de l’océan indien reliant le Moyen-Orient, l’Asie de l’Est et l’Afrique avec l’Europe et les Amériques. "[L’océan Indien] possède quatre voies d’accès cruciales facilitant le commerce maritime international, à savoir le canal de Suez en Égypte, Bab-el-Mandeb (longeant Djibouti et le Yémen), le détroit d’Ormuz (longeant l’Iran et Oman) et le détroit de Malacca (longeant l’Indonésie et la Malaisie). Ces « points d’étranglement » sont primordiaux pour le commerce mondial du pétrole puisque d’énormes quantités de pétrole passent par ceux-ci. » (4).

En obtenant de Sanaa la construction d’une base militaire sur l’île Socotra au large du Yémen, les Etats-Unis renforcent leur domination des couloirs de navigation de l’Océan Indien et envoient un message fort à la Chine qui se sent de plus en plus sous pression dans cette région, d’autant plus que l’Inde y est un allié stratégique des Etats-Unis. Quant au Pakistan, il se trouve pris dans le tourbillon de la guerre aux Talibans et l’impératif de se ranger derrière Washington, même si ses liens avec la Chine sont importants pour faire contrepoids à ce qu’Islamabad perçoit comme une hégémonie indienne. Du coup, la Chine ne peut non plus maîtriser le passage vers le golf persique via l’Asie centrale et le Pakistan.

Dés lors, on comprend les enjeux de l’opposition persistante de la Chine au projet de sanctions énergétiques contre l’Iran, seul pays pétrolier du Moyen-Orient à ne pas s’être encore rangé sous la houlette occidentale, malgré l’assurance des Etats-Unis et de leurs alliés arabes du Golf (principalement l’Arabie Saoudite) à garantir à l’empire du Milieu l’approvisionnement supplémentaire en pétrole en cas de sanctions.

Ces fractures stratégiques expliquent en grande partie la formidable croissance du budget militaire Chinois au cours des dix dernières années (plus que 10% par an), orienté essentiellement vers les forces balistiques, maritimes et nucléaires. Elle constituent aussi le soubassement stratégique du discret soutien par Pékin de la Corée du Nord et de l’Iran, les deux derniers états à faire partie de « l’Axe du Mal » aux yeux de l’Amérique.

Ben Khabou (15 mars 2010).

Sources :
(1) « Vers une nouvelle guerre froide Chine-USA »,
Gérald Fouchet (http://www.strategicsinternational.com/f3chineusa.htm - 2001)
(2) « L’odyssée d’Obama au Yémen vise la Chine », M K Bhadrakumar - Asia Times Online, 10 janvier 2010 (Traduction : JFG-QuestionsCritiques)
(3) « Le Yémen et la militarisation des voies navigables stratégiques - Sécuriser le contrôle étasunien de l’île de Socotra et du golfe d’Aden », Michel Chossudovsky (Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca, février 2010).
(4) Amjed Jaaved, A new hot-spot of rivalry, Pakistan Observer (1er juillet 2009).

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