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D’où vient l’intelligence humaine ?

7 mars 2010, 19:29, par Robert Paris

J’ai parlé de contradictions dialectiques des processus de l’intelligence. D’abord quel sens donner à cette dialectique en sciences ?

Je voudrais citer un article intitulé « Le biologiste dialecticien » de Richard Levins et Richard Lewontin :

« Ce qui caractérise le monde dialectique sous tous ses aspects est qu’il est constamment en mouvement. Les constantes deviennent des variables, les causes deviennent des effets, et les systèmes se développent, détruisant les conditions qui leur ont donné naissance. Même les éléments qui apparaissent stables sont des forces en état d’équilibre dynamique qui peuvent soudain se déséquilibrer, comme lorsqu’un morceau de métal tristement gris d’une taille critique devient une boule de feu plus aveuglante qu’un millier de Soleils. (…) Le développement des systèmes à travers le temps apparaît comme la conséquence de forces et de mouvements en opposition les uns aux autres. Cette figuration de forces opposées a donné naissance à l’idée la plus discutée et la plus difficile, et cependant la plus centrale dans la pensée dialectique : le principe de contradiction. (…) Les contradictions entre forces sont partout dans la nature, et non seulement dans les institutions humaines. Cette tradition de la dialectique remonte à Engels (1880) qui écrivait dans « Dialectique de la nature » que les enchaînements dialectiques ne doivent en aucune manière « être introduits dans les faits par construction mais découverts en partant d’eux » et élaborés de même. (…) Des forces opposées se trouvent à la base du monde physique et biologique en évolution. Les choses changent à cause de l’action sur elle de forces opposées, et elles sont ce qu’elles sont à cause de l’équilibre temporaire de forces opposées. Dans les premiers âges de la biologie, prévalait une vision inerte des choses : les cellules nerveuses étaient au repos jusqu’à ce qu’elles soient stimulées par d’autres cellules nerveuses et en fin de compte par l’excitation sensorielle. Les gènes étaient actifs si les matières premières de leur activité étaient présentes ; sinon, ils restaient au repos. La fréquence des types de gènes dans une population demeurait stable en l’absence de sélection, de mutation, de mouvement aléatoire ou d’immigration. La nature était en équilibre à moins d’être perturbée. Plus tard, on a reconnu que les influx nerveux avaient pour effet aussi bien d’inhiber. »

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. » explique également François Jacob dans « La logique du vivant ».

« Le mécanisme de fonctionnement de l’esprit humain a besoin d’une dialectique : sans contradiction, il n’avance pas. Il ne sort de son inertie qu’en entrant dans une dynamique du contre. », voilà ce qu’écrit le physicien Etienne Klein dans « Conversation avec le sphinx ».

Quelle est la part de dialectique, c’est-à-dire de processus dans lesquels les contraires se combattent sans cesse et construisent un état nouveau, dans les processus de l’intelligence décrits par Naccache ?

Il y a plusieurs niveaux des processus dialectiques du cerveau. Tout d’abord le lien contradictoire entre processus subjectif et objectif. Ensuite, le lien entre diverses zones du cerveau. Encore, le lien entre les deux hémisphères dont les interprétations se combattent tout en collaborant à la décision finale.

Dans son dernier ouvrage, Naccache montre que la relation de l’homme et de la connaissance est loin d’être une relation linéaire fondée sur une accumulation de faits issus des observations de l’environnement. La connaissance est un processus psychologique bien plus perçu comme négatif que comme positif. Il développe son explication de l’intelligence que l’on pourrait résumer par un « j’interprète donc je suis ». Il explique ainsi que lorsque nous disons que la bataille de Marignan a eu lieu en 1515 ou que l’atome d’oxygène contient 8 protons et 8 neutrons, ce qui compte pour nous c’est toute la part de fiction toute personnelle et imaginaire que nous rajoutons à ces faits. Il explique que les maladies neurologiques ont permis de souligner cette capacité de l’intelligence car chez les personnes qui n’ont pas ces maladies, le réel vient rectifier les fables et les schémas fictifs. Il écrit : « Ces malades nous révèlent – à travers les pathologies qui perturbent dramatiquement leur capacité à produire des significations – vaut également pour chacun d’entre nous, sous une forme plus dissimulée, moins évidente à mettre au jour : chacun d’entre nous est un créateur de fictions. »

Naccache en conclue que l’acte de connaissance n’a rien à voir avec la mémorisation de faits établis, vus, perçus, sentis mais qu’il correspond à l’interaction contradictoire de l’interprétation et de la perception ou de la mémorisation. Il rappelle que l’intelligence n’est pas une simple capacité que l’on possède en fixe, mais un processus dynamique automatique du cerveau. La contradiction a lieu entre des circuits neuronaux ayant des fonctions différentes par exemple un circuit d’interprétation et un circuit de vérification du caractère vraisemblable de l’interprétation à l’aide du pré-acquis, ou encore un circuit de reconnaissance des visages et un circuit de reconnaissance de la familiarité de ceux-ci. La plupart des messages du cerveau sont donc rejetés par ces combats contradictoires.

Je voudrais rappeler que le processus de fabrication d’un cerveau est lui-même un processus dialectique.

En effet, le plus impressionnant dans le rôle de l’apoptose est la fabrication du cerveau lui-même. C’est en effet par suicide cellulaire que va se construire l’édifice extraordinairement complexe des ramifications du cerveau. Lors de sa fabrication, pendant le développement de l’embryon, les cellules du cerveau se multiplient, se déplacent, se ramifient et se diversifient de façon spontanée et désordonnée. Pour survivre, elles ont besoin de recevoir des messages des cellules voisines, des impulsions le long de leurs bras, et des neurotransmetteurs. Celles qui ne reçoivent pas suffisamment de signaux de survie vont se suicider. Le réseau qui va résulter de cette multiplication des connections suivie de destructions massives sera adapté au fonctionnement du corps mais sans avoir eu un plan de fabrication préétabli. Le réseau a été constitué par expérience et par tâtonnement, suivi d’une destruction constructrice. La plupart des neurones et de leurs connections vont en effet disparaître. Le processus peut paraître extrêmement coûteux mais le résultat est d’une souplesse et d’une efficacité si extraordinaires que personne n’est capable de fabriquer artificiellement l’équivalent d’un cerveau.

Dans l’embryon en train de se construire, à un certain moment de notre développement, les neurones ont en effet cessé de se dédoubler et ont alors émis des prolongements, les axones, qui se sont projetés en aveugle, guidés par des signaux chimiques qui les attirent vers certaines zones et d’autres signaux qui leur interdisent l’accès à certains territoires et vont se connecter à des cellules musculaires, des cellules de la peau, etc . Puis ces mêmes neurones envoient d’autres prolongements plus fins, les dendrites, vers des cellules voisines, constituant de proche en proche des réseaux de communications par lesquels circulent des signaux électriques et des signaux chimiques. Les neurones se diversifient en plusieurs dizaines de sous-familles spécialisées qui se multiplient dans des zones spécifiques du cerveau. Pour chaque neurone appartenant à une sous-famille donnée, seul le contact avec certains types de neurones est possible. Là encore, c’est l’apoptose qui, en l’absence de signaux de survie, va faire disparaître les neurones inadéquats.
Je cite ici Ameisen : « Ainsi la sculpture de la complexité de notre système nerveux résulte d’une forme d’apprentissage du soi fondée sur un dialogue obligatoire entre les cellules et sanctionnée par la mort ». Ce dialogue est fondé sur la négation et la négation de la négation qu’est le fait de retenir le suicide de la cellule qui doit rester vivante.

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