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Mille et une interprétations des inégalités d’Heisenberg de la physique quantique

2 septembre 2010, 08:39, par Robert Paris

Il s’agit de l’une des découvertes de la physique quantique qui rompt le plus radicalement avec la vision de la physique dite classique. Les paramètres n’y sont plus descriptibles par un seul nombre. Les mesures sur un même phénomène ne sont plus indépendantes et n’ont plus une précision illimitée. Certains auteurs y ont vu une limite de la précision des observations ou une remise en cause de l’objectivité de l’expérience ou de la science, pu encore une impossibilité de connaître la nature. D’autres ont affirmé que l’observation décidait de son résultat et même que la conscience de l’homme, l’observateur, transformait le résultat de l’expérience. On a parlé de « remise en cause du statut objectif de la mesure », d’ « incertitude de la mesure » d’ « indétermination » ou même d’ « indéterminisme ». Les interprétations des physiciens quantiques eux-mêmes ont mené au positivisme, au subjectivisme, à l’idéalisme, au mysticisme et autres interventions du psychisme dans les expériences…

La cause de tout ce maelström philosophique provient de l’étonnement suscité par la remise en cause de conceptions du monde reliées à notre vie de tous les jours, ce que l’on appelle notre échelle macroscopique, ou la vision du monde en termes mécanistes : des objets fixes en mouvement dans un espace-temps dont ces objets seraient indépendants.

Les inégalités d’Heisenberg, comme les autres résultats de la physique quantique, ont été bien vérifiées par l’expérience et elles pointent l’impossibilité de mesurer de manière infiniment précise et elles ont été interprétées comme un indéterminisme fondamental de la matière quand ce n’est pas dans un sens subjectiviste, la conscience humaine étant considérée alors comme créatrice du monde qu’elle observe. Certains auteurs ont été jusqu’à en déduire la vanité de la recherche scientifique sur le fonctionnement du monde. Nous développons un tout autre point de vue qui, même si elle transforme considérablement l’ancienne vision matérialiste et déterministe, ne renonce nullement à ces points de vue philosophiques.

Pour nous, les inégalités d’Heisenberg ne sont ni indéterministes, ni anti-réalistes, ni anti-matérialistes, ni positivistes (au sens où la réalité n’existerait pas et seule l’expérience existerait), ni une inexistence du monde matériel ni une marque des limites de la possibilité de la connaissance sur le monde.

L’inégalité de Heisenberg est quantique au sens où elle introduit fondamentalement la discontinuité, parce qu’elle signifie que l’on ne peut pas diminuer une quantité autant que l’on veut et que les infiniment petits ou les infiniment grands n’existent pas en physique. La petitesse de la constante de Planck permet de donner l’illusion du continu mais elle est non nulle. La grande valeur de la vitesse de la lumière donne l’illusion de l’action immédiate à distance mais ce n’est pas non plus le cas. L’illusion du continu n’est fondée sur aucune réalité. Aucune interaction n’est instantanée. Aucune n’agit en continu mais au contraire brutalement. L’observation, elle-même, est une discontinuité irréversible. Gilles Cohen-Tannoudji explique dans "Le temps et sa flèche" (ouvrage collectif dirigé par Etienne Klein et Michel Spiro :

"L’inégalité d’Heisenberg marque l’irruption du discontinu là où on ne l’attendait pas, dans les interactions. Alors que le discontinu était accepté dans la matière, puisque c’est essentiellement le fondement de l’hypothèse atomique, on pensait que les interactions relevaient complètement du continu.’

Heisenberg rapporte ce dialogue dans « La partie et le tout, Le monde de la physique atomique » : "Bohr : « Nous savons déjà depuis vingt-cinq ans ce que signifie la formule de Planck. Nous voyons les discontinuités, les bonds, dans les phénomènes atomiques de façon très directe, par exemple sur un écran à scintillation ou dans une chambre de Wilson. Nous voyons un éclair se manifestant brusquement sur l’écran, ou encore le passage brusque d’un électron à travers la chambre de Wilson. Vous ne pouvez pas tout simplement ignorer ces phénomènes discontinus et faire comme s’ils n’existaient pas. »

Les inégalités d’Heisenberg consacrent donc le triomphe du discontinu en physique, quitte à déranger la conception linéaire et continue du déterminisme et de la causalité...

Dans un chapitre intitulé « Discussion sur la relation entre biologie, physique et chimie » de son ouvrage « La partie et le tout, le monde de la physique atomique », il rapporte le point de vue du mathématicien Von Neuman débattant avec un biologiste partisan du darwinisme : « Le mathématicien amena le biologiste à la fenêtre de son bureau et dit : « Voyez-vous là-bas sur la colline, la jolie petite maison de campagne ? Elle est née par hasard. Au cours de millions d’années, la colline a été formée par des processus géologiques, les arbres on poussé, ont vieilli, se sont décomposés. (...) Une fois, au bout d’un temps très long, ils ont produit cette maison de campagne. » Cette facétie est plus profonde qu’il n’y paraît. C’est une véritable objection contre l’idée que les grandes innovations brutales du vivant auraient été produites par des accumulations très lentes de toutes petites modifications au hasard sélectionnées par la nature. Des petites transformation au hasard auraient produit un œil, un cerveau ? Heisenberg préférait l’idée que ces transformations s’étaient produites de manière déterministe et brutale. Il prenait partie même si la biologie, bien sûr, n’était pas son domaine de recherche.

Qu’en est-il du lien entre ces inégalités et l’indéterminisme ?

Max Planck expliquait, dans « Initiation à la physique », pourquoi il ne comptait pas céder à la pression de l’opinion courante selon laquelle la découverte du quanta entraînait un renoncement à la notion de causalité mais seulement à son changement de signification : « A l’heure actuelle, il y a des physiciens qui seraient très portés à retirer au principe de causalité strict son rôle dans le système physique de l’univers. (...) Mais, autant que je puis m’en rendre compte, il n’y a, pour le montent, aucune nécessité de se résigner à l’indéterminisme. (...) Il est toutefois certain que cette façon d’envisager le déterminisme diffère quelque peu de celle qui était habituelle en physique classique. »

Ces inégalités portent sur l’impossibilité de séparer diamétralement l’ordre et le désordre, la stabilité et l’instabilité, l’ordre de la matière/lumière et l’agitation du vide quantique, ce qui signifie que les instabilités sont irréductibles. Elles ne signifient pas que le monde réel n’existe pas mais qu’il existe aussi dans le vide. Elles ne signifient pas qu’on ne peut pas descendre en dessous des limites d’Heisenberg, mais qu’on change d’univers en descendant en dessous et qu’on entre du domaine des quanta réels dans le domaine des quanta virtuels. Elles confirment que la matière et la lumière (réels, c’est-à-dire obéissant aux inégalités d’Heisenberg) ne sont pas le fondement du monde, qu’il n’y a pas des « atomes », des insécables matériels, qui seraient porteurs fixes et stables des propriétés de la nature. Le fondement commun de la lumière, de la matière et du vide se trouve dans des particules et des antiparticules qui n’obéissent ni aux limites quantiques ni aux limites relativistes : les quanta virtuels se déplaçant plus vite que la lumière et capables dans des temps très courts d’être porteurs de bien plus d’énergie que les quanta dits réels. Les inégalités d’Heisenberg sont donc une frontière, sans cesse franchie, entre deux mondes, comme les quanta sont une frontière entre classique et quantique (souvent entre macroscopique et microscopique). Le déterminisme et le matérialisme ne sont pas supprimés et ils ne sont pas les seuls à être bouleversés. La vision des relation entre ordre et désordre l’est tout autant : le cycle du réel est une fondation d’un ordre sans cesse détruit et reconstruit, c’est-à-dire désordre-ordre-désordre. L’ordre n’est pas premier. C’est la symétrie (désordre) qui est première et c’est en son sein que se produit la rupture de symétrie (construction de la matière et de la lumière). L’atome n’est pas premier. Le photon n’est pas premier non plus. Ce qui donne son fondement, c’est l’émergence d’un ordre issu du désordre. La structure n’est pas première. La difficulté de la mesure que pointent les inégalités d’Heisenberg n’est pas une limite de l’observation, de l’interaction entre l’homme et la nature, mais elle révèle au contraire la nature du réel : ordre émergent sans cesse du désordre fondamental. Les inégalités mesurent une variation des paramètres parce que l’agitation ne fait pas que changer l’ordre, elle le fonde.

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