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La révolution russe de 1917 et la vague révolutionnaire en Europe

13 janvier 2018, 06:58

En 1919, la bourgeoisie européenne était en plein désarroi ; c’était pour elle une époque de terreur panique, réellement folle, devant le bolchevisme qu’elle s’imaginait sous une forme vague et d’autant plus menaçante, et que les affiches, à Paris, montraient sous les traits d’un homme au couteau entre les dents. En réalité, la bourgeoisie européenne personnifiait dans le fantôme bolchevik au couteau la peur du châtiment pour les crimes commis par elle pendant la guerre. Elle savait, en tout cas, à quel point les résultats de la guerre ne répondaient pas aux promesses qu’elle avait faites. Elle connaissait exactement l’étendue des sacrifices en hommes et en biens. Elle craignait le règlement des comptes. L’année 1919 fut, sans aucun doute, l’année la plus critique pour la bourgeoisie. En 1920 et 1921, on voit son assurance lui revenir de plus en plus, et en même temps son appareil gouvernemental qui, immédiatement après la guerre dans certains pays, en Italie par exemple, s’est trouvé en pleine décomposition, se renforce sans aucun doute. L’aplomb de la bourgeoisie a pris sa forme la plus frappante en Italie après la lâche trahison du parti socialiste, au mois de septembre. La bourgeoisie croyait rencontrer sur son chemin des brigands menaçants et des assassins ; et elle s’est aperçue qu’elle n’avait devant elle que des poltrons... Une maladie m’ayant empêché, ces temps derniers, de m’adonner à un travail actif, j’ai eu la possibilité de lire en grand nombre les feuilles étrangères et j’ai amassé tout un dossier de coupures qui caractérisent clairement le changement de sentiments de la bourgeoisie et son appréciation nouvelle de la situation politique mondiale. Tous les témoignages se réduisent à un seul : le moral de la bourgeoisie est en ce moment, sans aucun doute, beaucoup meilleur qu’en 1919 et même qu’en 1920. Ainsi, par exemple, les correspondances publiées dans une feuille suisse sérieuse et nettement capitaliste, la Neue Züricher Zeitung, sur la situation politique en France, en Italie et en Allemagne, sont très intéressantes sous ce rapport. La Suisse, dépendant de ces pays, s’intéresse beaucoup à leur situation intérieure. Voici, par exemple, ce qu’écrivait ce journal au sujet des événements de mars en Allemagne :

« L’Allemagne de 1921 ne ressemble plus à celle de 1918. La conscience gouvernementale s’est raffermie partout, à ce point que les méthodes communistes rencontrent actuellement une vive résistance dans toutes les couches de la population, bien que la force des communistes, qui n’étaient représentés pendant la révolution que par un petit groupement d’hommes résolus, ait augmenté depuis de plus de dix fois ».

En avril, le même journal, à l’occasion des élections au parlement italien, peint la situation intérieure de l’Italie de la façon suivante :

« Année 1919 : la bourgeoisie est en désarroi, le bolchevisme attaque en rangs serrés. Année 1921 : le bolchevisme est battu et dispersé, la bourgeoisie attaque en rangs serrés ».

Un journal influent français, Le Temps, a écrit à l’occasion du 1er. Mai de cette année que pas une trace n’est restée de cette menace d’un coup d’état révolutionnaire qui avait empoisonné l’atmosphère en France au mois de mai de l’année passée, etc.

Ainsi le fait que la classe bourgeoise ait repris courage n’est pas douteux, comme n’est pas non plus douteux le renforcement de l’appareil policier des Etats après la guerre. Mais ce fait, tout important qu’il soit, ne résout nullement le problème, et nos ennemis en tout cas se pressent un peu trop d’en tirer des conclusions au sujet de la faillite de notre programme. Assurément, nous avons espéré que la bourgeoisie serait par terre en 1919. Mais il est évident que nous n’en étions pas sûrs, et que certainement ce n’est pas en vue de cette échéance précise que nous avons fondé notre plan d’action. Quand les théoriciens des Internationales 2 et 2 1/2 disent que nous avons fait faillite en ce qui concerne nos prophéties, on peut croire qu’il s’est agi de prédire un phénomène astronomique : que nous nous sommes trompés dans notre calcul mathématique, suivant lequel une éclipse aurait lieu à une certaine date, et il est apparu ainsi que nous étions de mauvais astronomes. Cependant, en réalité, il ne s’agit nullement de cela : nous n’avons pas prédit une éclipse de soleil, c’est-à-dire un phénomène en dehors de notre volonté et du champ de notre action. Il s’agissait d’un événement historique qui devait s’accomplir et qui s’accomplira avec notre participation. Lorsque nous parlions de la révolution qui devait résulter de la guerre mondiale, cela signifiait que nous tentions et que nous tentons encore d’exploiter les suites de cette guerre, afin d’accélérer l’avènement d’une révolution universelle. Si la révolution n’a pas eu lieu jusqu’à ce jour dans le monde entier ou du moins en Europe, cela ne signifie nullement que « l’I.C. ait fait faillite », son programme n’étant pas basé sur des dates astronomiques. Ceci est clair pour tout communiste qui a analysé tant soit peu son point de vue. Mais la révolution n’étant pas venue sur les traces chaudes de la guerre, il est tout à fait évident que la bourgeoisie a profité d’un moment de répit sinon pour réparer, du moins pour masquer les conséquences les plus terribles et les plus menaçantes de la guerre. Y a-t-elle réussi ? Elle y a réussi en partie. Dans quelle mesure ? C’est le fond même de la question qui touche le rétablissement de l’équilibre capitaliste.

Léon Trotsky, Nouvelle étape

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