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La « civilisation » n’est pas un long fleuve tranquille…

12 octobre 2018, 06:15

Sylvain Lévi, L’Inde et le monde :

« Un préjugé puéril que la science historique a battu en brèche dans l’Occident sans arriver à l’en expulser, mais que l’Orient continue à entretenir avec une sorte de piété, veut que chaque peuple soit, à ses propres yeux comme aux yeux du monde entier, l’auteur exclusif de sa propre civilisation et qu’il ne doive rien à l’étranger. Des esprits surannés, restés au stage d’un passé lointain, croient encore trop souvent que la barbarie commence aux frontières du pays natal. C’est ainsi qu’on voit, sur les anciennes cartes géographiques, à l’entour de la contrée spécialement figurée, un espace blanc, nu, vide de noms et d’indications. Il semble que l’honneur national aurait à souffrir, s’il fallait reconnaître à des voisins la moindre part d’influence. L’amour de la patrie, comme l’amour de Dieu, peut dégénérer en fanatisme stupide ; il faudrait, pour satisfaire les maniaques du chauvinisme, que tous les arts, toutes les sciences, toutes les découvertes, toutes les inventions aient surgi du sol privilégié qui a eu l’honneur de les porter.

La réalité proteste contre cette conception puérile : la civilisation est une œuvre collective où chacun travaille pour l’avantage de tous. Sans remonter trop haut dans ces annales du passé que notre temps s’applique à déchiffrer, jetons les yeux sur la Grèce, bienfaitrice du monde, dispensatrice de beauté, de sagesse, et de vérité. Il n’est pas un peuple, sur toute l’étendue de la terre, qui ne soit aujourd’hui son débiteur. Mais à quoi n’avait-elle pas elle-même emprunté ? Elle avait, de son propre aveu, reçu l’écriture des Phéniciens, la philosophie des Égyptiens ; mieux instruits qu’elle de son propre passé, nous atteignons maintenant au-dessous de la Grèce classique une civilisation « égéenne » tout imprégnée d’influences orientales. La génération spontanée, chassée des sciences biologiques par les expériences de Pasteur, n’a point à espérer de refuge dans l’histoire. Qu’on ne vienne pas alléguer, en manière de réfutation, l’incertitude des périodes lointaines ; les temps plus rapprochés n’en laissent apparaître que plus clairement la même vérité. Il suffit de rappeler l’histoire de notre littérature ; au XVIe siècle c’est l’étude des modèles grecs et latins qui suscite les chefs-d’œuvre de la Renaissance ; bientôt après l’Italie impose son goût subtil et maniéré ; l’Espagne triomphe ensuite dans l’œuvre de Corneille ; Racine associe dans la même dévotion Euripide et la Bible. L’Angleterre, mère des libertés politiques, préside à notre XVIIIe siècle ; après la Révolution, l’Allemagne romantique lui succède. Et tout récemment encore le théâtre scandinave, le roman russe ont marqué leur empreinte sur l’esprit français. »

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