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Révolutions dans l’Inde antique

19 juillet 2010, 20:42, par Jacques Nepote

Vers 2500 av. J.-C. apparaît, dans la vallée de l’Indus, une civilisation urbaine comparable à celles de Mésopotamie et d’Égypte. Mais, au regard de la soudaineté de cette éclosion et de ses caractéristiques étonnantes, on peut se demander où elle est née et quels en ont été les acteurs. Jacques Népote fait ici le point des dernières connaissances sur cette civilisation brillante, mais qui reste encore bien mystérieuse.

Le Néolithique, qui représente pour l’homme la phase de sortie de la préhistoire depuis le changement climatique vers 10 000 av. J.-C., s’est particulièrement accéléré en quelques endroits de la planète pour conduire, à partir de la seconde moitié du IVe millénaire av. J.-C., à l’éclosion des premières sociétés historiques. Dans le Croissant fertile sont ainsi apparues nos civilisations antiques ; dans la moyenne vallée du fleuve Jaune, la civilisation chinoise ; et enfin, dans la région de l’Indus, la civilisation indienne. On suit cette accélération « indienne » à partir du VIIe millénaire av. J.-C. dans un petit secteur de collines du Baloutchistan, le site de Mergahr. De là les innovations se répandent en éventail jusqu’à conduire, à partir de 3500 av. J.-C., à la colonisation de la vallée de l’Indus par des sociétés de villages agraires, développant en parallèle artisanat et commerce.

Au terme d’un millénaire de transition éclot la civilisation de l’Indus. Pour l’heure, on ne dispose d’aucune information réelle sur ses origines puisque l’on n’a pas réussi à déchiffrer son écriture de quelque quatre cents pictogrammes, qui ne fut utilisée que pour de courtes inscriptions, sur des sceaux, des amulettes et autres petits objets. Elle n’a apparemment pas laissé de postérité.

Un urbanisme remarquable

Certes, cette civilisation apparaît dotée de techniques relativement performantes qui pourraient être le fruit d’une longue démarche empirique, par exemple, la protection des crues du fleuve par un important système de digues. Mais surtout, elle présente des éléments d’allure étonnamment « moderne » pour une société de ce temps : standardisation des poids et mesures, et de la taille des briques. Cela laisse supposer l’existence d’une forte autorité centrale et normative qui s’est exercée sur un très vaste espace englobant, lato sensu, le Pakistan actuel, le Pen-jab et le Gujarat indien.

Parmi les attributs de cette culture, on relèvera un urbanisme remarquablement coordonné. Ainsi, les deux plus vastes sites, Harappa et Mohenjodaro, ont un périmètre de cinq kilomètres, et couvrent chacun quelque soixante hectares. Ils constituent probablement, le premier une capitale de l’amont du fleuve tournée vers le Pendjab, l’autre, une capitale de l’aval du fleuve tournée vers l’administration des côtes. Ces villes fortifiées, dont le matériau est la brique crue revêtue de brique cuite, sont bâties sur le même modèle de planification urbaine. Elles sont disposées en damier et divisées en blocs de deux cents sur quatre cents mètres, séparés par de larges rues rectilignes. Surplombant les quartiers résidentiels, et protégeant de gigantesques silos, une acropole artificielle d’une quinzaine de mètres de haut regroupe les bâtiments à caractère religieux, cérémoniel et administratif. Mais il n’y a pas trace de palais, ce qui laisse supposer une organisation politique confiée à des collèges d’administrateurs ou à une élite sacerdotale. On connaît d’ailleurs peu de choses de l’organisation politique et sociale de la civilisation de l’Indus, et de ses croyances religieuses. Les pièces de statuaire susceptibles de représenter des souverains sont en petit nombre, et aucun édifice ne peut être considéré comme palais, même si le « Grand Bain » de Mohenjodaro et les bâtiments annexes ont pu être réservés à une élite sacerdotale.

On est en revanche beaucoup plus au fait d’une civilisation matérielle qui n’a pas été sans raffinement. Les plus grandes maisons de Mohenjodaro sont faites de pièces disposées autour d’une ou plusieurs cours ouvertes, avec des escaliers conduisant aux étages supérieurs, couverts d’un toit plat. Ces maisons comportaient de nombreuses pièces, des salles de bain et des toilettes, avec un système de distribution des eaux, d’évacuation dans un puisard de céramique, ou dans le caniveau de la rue adjacente. En effet, la plupart des rues ont des caniveaux couverts, en briques, avec des trappes de visite à intervalles réguliers.

Mohenjodaro fut un grand centre de commerce et d’artisanat, avec des ateliers de potiers, de teinturiers, de métallurgistes, d’ouvriers sur coquillages et sur perles. Ces peuples ont élaboré un art brillant, comme en témoignent les sceaux en stéatite, ornés de pictogrammes et de figures animales. Par ailleurs, une statuaire très élégante, des peintures ornementales, des parures de perles en stéatite et en verrerie attestent le haut degré de civilisation auquel ces sociétés anciennes avaient accédé. L’artisanat produit une très belle céramique, finement décorée, en particulier des jarres.

Des échanges avec les pays voisins

La civilisation de l’Indus présente des analogies avec certains aspects de la culture mésopotamienne. Plusieurs objets mis au jour révèlent en effet l’utilisation de matières d’importation. Les trouvailles de sceaux de l’Indus en Mésopotamie et de sceaux-cylindres mésopotamiens dans la vallée de l’Indus montrent les échanges entre ces deux civilisations, via le golfe Persique, et à travers le plateau iranien. Ainsi s’est constituée une sorte d’immense plage de civilisation, englobant l’Iran, la Mésopotamie irakienne, les cités de l’Indus et celles de Bactriane. Des routes terrestres unissaient par ailleurs la vallée de l’Indus à la Perse et à l’Afghanistan. Shortougaï fut peut-être un comptoir commercial de l’Indus sur l’Amou Daria, à plus de mille kilomètres au nord d’Harappa, relais possible pour l’étain de Perse et pour le lapis-lazuli du Badakhshan. Des maquettes de chars à bœufs nous documentent sur les moyens de transport terrestres. Les transports par eau sont illustrés par des représentations de bateaux sur les sceaux.

La phase urbaine est relativement brève (2500 – début du IIe millénaire av. J.-C.). Elle est cependant animée d’un réel dynamisme vers l’est qui la conduit le long des côtes du golfe d’Oman, et en amont sur le seuil indo-gangétique. Elle couvre des zones géographiques hétérogènes, ce que traduit l’existence de deux capitales, dont on ne sait si elles ont coexisté ou si elles se sont succédé : Harappa en amont, et Mohenjodaro en aval. Cette civilisation s’impose toutefois d’une manière relativement uniforme.

Un lent déclin aux causes multiples

Elle sombre au début du IIe millénaire av. J.-C. pour des raisons non encore élucidées. Aucune des explications avancées n’apparaît véritablement convaincante, même si elles paraissent toutes acceptables. On a évoqué des altérations climatiques. Par exemple, à Mohenjodaro, une modification du cours du fleuve peut avoir laissé les campagnes environnantes en proie à la sécheresse. Des épidémies ou des épizooties catastrophiques, des inondations chroniques, l’interruption du flux commercial, ou des incursions hostiles peuvent également en être cause. Ces phénomènes auraient rompu le délicat équilibre, d’une part entre les communautés urbaines des plaines et leurs voisins, d’autre part, les fondements agricoles de ces cités ainsi que leur réseau de communication.

On pourrait aussi avancer des raisons « internes ». Au rythme de son expansion, fruit de son succès même, cette civilisation se serait régionalement dissociée en sous-cultures. Ces dernières, de plus en plus diversifiées, auraient entraîné une désynchronisation des éléments culturels, conduisant à la constitution d’espaces sociaux et politiques aux projets plus segmentaires et aux ambitions plus modestes. L’urbanisation se serait affaiblie, ainsi que les fonctions qui lui sont liées. Ce phénomène aurait été structuré par l’arrivée des Indo-Européens aryens, lesquels auraient apporté un autre modèle culturel, hâtant la disparition de la civilisation urbaine, et imposant un retour à une société « éclatée » de communautés agricoles.

Au terme de cette phase de déclin d’un millénaire émerge vers l’an 1000 av. J.-C. une nouvelle civilisation aryenne. La civilisation indienne relèvera la tradition urbaine, mais beaucoup plus à l’est, dans la vallée du Gange. La civilisation de l’Indus n’en a pas pour autant été effacée puisque l’on estime qu’une partie de la face « obscure » de l’hindouisme est à repenser comme une résurgence des conceptions préaryennes et donc, pour une part, de cette civilisation de l’Indus.

Jacques Népote

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