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Karl Marx et la question nationale irlandaise

9 mars 2018, 08:47

Projet de résolution du Conseil général sur l’attitude du gouvernement britannique dans la question de l’amnistie irlandaise
Considérant
• Que, dans sa réponse à la demande faite par les Irlandais en vue de faire libérer les patriotes irlandais emprisonnés (réponse contenue dans ses lettres à Mr O’Shea, le 18 octobre 1869, à Mr Issac Butt, le 23 octobre, et aux anciens forestiers de Dublin), Mr Gladstone a insulté la nation irlandaise [6] ;
• Qu’il met à l’amnistie politique des conditions qui dégradent à la fois les victimes d’un mauvais gouvernement et le peuple gouverné ;
• Qu’ayant, malgré la responsabilité de sa position, publiquement et avec enthousiasme, applaudi à la rébellion des esclavagistes américains, il vient de prêcher au peuple irlandais la doctrine de l’obéissance passive ;
• Que l’ensemble de sa conduite dans la question de l’amnistie irlandaise est la continuation fidèle et naturelle de cette politique de conquête qui, fièrement dénoncée par Mr Gladstone, a chassé les conservateurs, ses rivaux, du ministère,
Le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs exprime son admiration pour la magnanimité avec laquelle le peuple irlandais a conduit son mouvement de l’amnistie.
Sur les relations entre les sections irlandaises et le Conseil général de l’A. I. T.
Le citoyen Engels dit que le sens véritable de cette motion [7], une fois dépouillée de tout son voile d’hypocrisie, est de placer les sections irlandaises sous la sujétion du conseil fédéral britannique, ce à quoi les sections irlandaises ne se résoudront jamais et ce que le Conseil général n’a ni le droit ni le pouvoir de leur imposer. Conformément aux statuts et aux règlements, ce Conseil n’a pas non plus le pouvoir de forcer une section ou une branche à reconnaître la suprématie d’un quelconque conseil fédéral. Certes, il a le devoir, avant d’admettre ou de rejeter toute nouvelle branche qui se trouve sous la juridiction d’un quelconque conseil fédéral, de consulter ce conseil, mais le citoyen Engels soutient avec force que les sections irlandaises en Angleterre ne se trouvent pas plus sous la juridiction du conseil fédéral britannique que les sections françaises, allemandes, italiennes ou polonaises. Les Irlandais forment à tous égards une nationalité propre, distincte de toutes les autres, et le fait qu’ils usent de la langue anglaise ne saurait en aucune façon les dépouiller de droits valables pour tous.
Le citoyen Hales a dépeint les rapports entre l’Angleterre et l’Irlande sous un jour tout à fait idyllique, comme si la plus grande harmonie régnait entre elles. Or, ce sont exactement les mêmes rapports qui ont existé entre la France et l’Angleterre au moment de la guerre de Crimée, lorsque les classes dominantes des deux pays ne trouvaient pas assez de mots pour se congratuler, et que tout respirait l’harmonie la plus parfaite. Mais le cas est tout différent. Il y a le fait de sept siècles de conquête et d’oppression de l’Irlande par l’Angleterre. Or, tant que durera cette oppression, c’est insulter les ouvriers irlandais que de leur demander de se soumettre à un conseil fédéral anglais. La position de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre n’est en rien celle de l’égalité, mais bien plutôt celle de la Pologne vis-à-vis de la Russie. Que dirait-on si le Conseil général exigeait des sections polonaises qu’elles reconnaissent la suprématie du conseil fédéral russe de Pétersbourg, ou s’il demandait aux sections de la Pologne prussienne, du Schleswig septentrional et de l’Alsace de se soumettre au conseil fédéral berlinois ? Or, c’est exactement ce que l’on demande aux sections irlandaises.
Lorsque les membres de l’Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à ceux appartenant à une nation opprimée, non seulement dans le passé, mais encore dans le présent, d’oublier leur situation et leur nationalité spécifiques, d’« effacer toutes les oppositions nationales », etc., ils ne font pas preuve d’internationalisme. Ils défendent tout simplement l’assujettissement des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du conquérant sous le voile de l’internationalisme. En l’occurrence, cela ne ferait que renforcer l’opinion, déjà trop largement répandue parmi les ouvriers anglais, selon laquelle, par rapport aux Irlandais, ils sont des êtres supérieurs et représentent une sorte d’aristocratie, comme les blancs des États esclavagistes américains se figuraient l’être par rapport aux noirs.
Dans un cas comme celui des Irlandais, le véritable internationalisme doit nécessairement se fonder sur une organisation nationale autonome : les Irlandais, tout comme les autres nationalités opprimées, ne peuvent entrer dans l’Association ouvrière internationale qu’à égalité avec les membres de la nation conquérante et en protestant contre cette oppression. En conséquence, les sections irlandaises n’ont pas seulement le droit mais encore le devoir de déclarer dans les préambules à leurs statuts que leur première et plus urgente tâche, en tant qu’Irlandais, est de conquérir leur propre indépendance nationale.
L’antagonisme entre les ouvriers anglais et irlandais a toujours été l’un des moyens les plus puissants pour maintenir la domination de classe en Angleterre. Que l’on se souvienne du temps où Feargus O’Connor et les chartistes anglais ont été expulsés par des Irlandais de la salle des Sciences à Manchester. À présent, il existe pour la première fois une bonne occasion de faire œuvrer de concert travailleurs anglais et irlandais en vue de leur émancipation commune, ce qui est un résultat qu’aucun autre mouvement n’a jamais atteint dans un quelconque pays. Or, avant même que l’on se soit assuré de ce résultat, on nous demande de dire et d’imposer aux Irlandais de ne pas prendre les choses eux-mêmes en main et de se soumettre à la direction d’un conseil anglais ! En fait, cela reviendrait à introduire dans l’Internationale l’assujettissement des Irlandais par les Anglais. Si les initiateurs de cette motion sont à ce point remplis d’un authentique esprit internationaliste, qu’ils en fassent donc la preuve, en transférant le siège du conseil fédéral britannique à Dublin et en le plaçant sous la direction d’Irlandais !
En ce qui concerne les prétendus heurts entre branches irlandaises et branches anglaises, ils ont été suscités uniquement par les membres du conseil fédéral anglais qui ont tenté de s’immiscer dans les affaires des sections irlandaises dans le but de les amener à renoncer à leur caractère national spécifique et à se soumettre à la direction du conseil anglais. Si elles se laissaient faire, les sections irlandaises d’Angleterre ne seraient plus reliées aux sections irlandaises d’Irlande. Il n’est pas possible de faire dépendre certains Irlandais d’un conseil fédéral de Londres, et d’autres d’un conseil fédéral de Dublin. Les sections irlandaises en Angleterre sont, en outre, notre base d’opération vis-à-vis des ouvriers irlandais en Irlande. Elles sont plus progressistes, parce qu’elles disposent de conditions plus favorables, et le mouvement ne peut être propagé et organisé en Irlande que par leur truchement. Or, faut-il délibérément anéantir soi-même cette base d’opération et renoncer au seul moyen grâce auquel l’Irlande peut être gagnée efficacement à l’Internationale ?
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas perdre de vue que les sections irlandaises n’accepteraient jamais et elles auraient parfaitement raison de renoncer à leur organisation nationale autonome pour se subordonner au conseil anglais.
Tout se ramène donc à l’alternative : doit-on permettre aux Irlandais d’être leurs propres maîtres, ou les chasser de l’Association ? Si la motion était acceptée, le Conseil général devrait informer les ouvriers irlandais qu’après la domination de l’aristocratie anglaise sur l’Irlande, qu’après la domination de la bourgeoisie anglaise sur l’Irlande ils doivent s’attendre maintenant à une domination de l’aristocratie ouvrière anglaise sur l’Irlande. »

« Le citoyen Hales y avait proposé : ‘Que, dans l’opinion du Conseil, la formation de branches irlandaises nationalistes, en Angleterre, est en opposition aux statuts généraux et aux principes de l’Association’. Et d’ajouter qu’il ne présente pas cette motion dans un esprit antagonique vis-à-vis des membres irlandais, mais estime que la politique qu’elle vise présenterait les plus graves périls pour l’Association, abstraction faite de ce quelle serait en opposition avec ses statuts et principes. En effet, le principe fondamental de l’Association est de détruire toute velléité de doctrine nationaliste, et de détruire toutes les barrières qui séparent un homme de l’autre : la formation de branches irlandaises ou anglaises quelconques ne pourrait que retarder le mouvement, au lieu de le servir. La formation de branches irlandaises en Angleterre ne pourrait qu’aviver cet antagonisme national qui a malencontreusement existé si longtemps entre les peuples de ces deux pays. » (Extrait du protocole de la même séance.)

Il est évident que, sous une phraséologie internationaliste de caractère humanitaire, Hales ne tolérait que des sections anglaises en Angleterre, bref refusait aux Irlandais le droit à une existence au même titre que les Anglais.

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