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La vraie vie de Gandhi et le mythe de la non-violence

23 octobre 2019, 04:06

Non-violence, un mythe...

LETTRE OUVERTE AUX MILITANTS ET MILITANTES D’EXTINCTION REBELLION

Ami-e-s, camarades,

Lorsqu’une branche indépendante de XR s’est formée en France, nous avions quelques doutes vis-à-vis de votre mouvement.

Bien évidemment, nous avons été impressionné-e-s par l’ampleur des actions de désobéissance civile au Royaume-Uni, notamment les blocages spectaculaires et joyeux de monts à Londres. Nous avons observé l’enthousiasme naissant parmi les jeunes et les moins jeunes, ayant pris la décision de reprendre leur avenir, et celui de toutes les espèces vivantes, en main, afin de recréer du lien social là où il n’y avait auparavant que l’aliénation du monde marchand.

Toutefois, l’appel à se faire arrêter en masse—alors que la détention n’implique pas les mêmes risques pour tou-te-s—et la hiérarchie rigide du mouvement au Royaume-Uni nous interpellaient à juste titre et mettaient à mal nos convictions, ainsi que notre croyance en une horizontalité, inclusivité et intransigeance nécessaires pour un mouvement de révolte.
Cela n’empêche qu’au cours des derniers mois, vous ayant vu-e-s garder votre calme même lorsque vous avez été aspergé-e-s de gaz lacrymogène au visage, en étant assis-e-s tranquillement sur le Pont de Sully ; vous ayant côtoyé-e-s sur les lieux de nombreuses actions (et au camp d’été de XR*) ; et ayant lutté à vos côtés lors de la « Dernière occupation avant la fin du monde » : nous étions heureux-ses de devenir vos camarades.
Ce n’est donc pas en tant qu’adversaires, ou critiques acerbes tirant un plaisir particulier du fait de dénigrer tout ce qui ne leur paraît pas être assez radical, que nous nous adressons à vous aujourd’hui.

C’est plutôt en tant que celles et ceux, qui ayant noué des liens avec vous, sommes préoccupé-e-s par la tournure que pourrait prendre votre mouvement et qui, nous le craignons fort, enterrerait toute convergence réelle entre les divers mouvements sociaux se battant pour un monde plus juste et le mouvement écolo en France. Pourquoi des paroles si alarmantes, demanderez-vous ?

Malgré l’atmosphère festive des premiers jours de la Rébellion Internationale d’Octobre, certaines des attitudes militantes et de leursmodes de fonctionnement nous interpellent, voire nous indignent. Nous considérons essentiel que ces questions précises puissent être réglées sincèrement et de bonne foi, pour nous permettre de continuer à nous allier de plein gré et sans sacrifier nos principes contre la morbidité omniprésente.

Les voici :

 Banalisation des violences policières -

Commençons par ce qui nous semble être le plus grave.
Le week-end dernier, Ibrahima, un jeune de Villiers-le-Bel a trouvé la mort en percutant un poteau près du site d’une interpellation policière. Tous les faits entourant cette tragédie ne sont pas encore connus, mais des témoins parlent d’un camion de police lui barrant la route, ce qui l’aurait mené à perdre le contrôle de son véhicule.

Les jeunes des quartiers populaires et des banlieues ont profondément intégré la peur des forces de l’ordre. En effet, l’État (capable d’humilier en forçant à s’agenouiller 200 collégiens de Mantes-la-Jolie ; effectuant régulièrement des contrôles au faciès ; brutalisant des personnes racisé-e-s ;menant des rafles contre les sans-papiers) voit dans les populations non-blanches une catégorie dispensable contre laquelle toute violence est légitime, car elles sont considérées a priori coupables. Si les témoignages des jeunes de banlieue et des quartiers populaires ne suffisent pas, l’enquête anthropologique de Didier Fassin (« La Force de l’ordre ») montre que la violence des forces de l’ordre contre les habitant-e-s des banlieues s’exerce quotidiennement.

La police est donc une institution intrinsèquement violente. On ne peut même pas imaginer un début de convergence avec nos camarades racisé-e-s (Gilets Noirs, Comité Adama, ou autres collectifs ripostant à la violence raciste et xénophobe de l’État français) sans mettre en avant cette problématique.

A la suite des quartiers populaires, depuis 2016, c’est tout le mouvement social qui subit systématiquement cette répression armée. Rappelez-vous la loi Travail ; rappelez-vous les Gilets Jaunes ; rappelez-vous la dernière marche Climat. Les images d’une police déchainée, lançant grenades et flashballs au hasard dans la foule, ont fait et continuent de faire le tour du monde.

Pourtant, quelques jours après le puissant discours d’Assa Traoré devant l’Italie 2 occupé samedi dernier, après avoir vécu 17 heures avec des GiletsJaunes dans le centre commercial, nous étions profondément choqué-e-s, mardi matin, en découvrant l’image d’une banderole « uni-e-s contre toutes les violences » ; un soi-disant compromis entre la condamnation des violences policières et le deuil des policiers tués à la Préfecture la semaine dernière.
Dès qu’un policier décède, toute la France est en deuil. Dès qu’un-e jeune meurt sous les coups de la police, dès qu’un-e manifestant-e perd un œil, l’État sort des communiqués expliquant qu’il n’est jamais responsable. Et de la part d’un mouvement écologiste qui a trop vite oublié Rémi Fraisse tué sur la ZAD de Sivens par la gendarmerie en 2014 (dont le procès se tient à Toulouse ce 10 octobre 2019, avec la présence d’une cinquantaine de militant-e-s), un mouvement se voulant socialement inclusif mais qui refuse de reconnaître la souffrance et la rage des quartiers populaires, ou de se souvenir que certain-e-s ont été mutilé-e-s et incarcéré-e-s pour s’être rebellé-e-s pendant les Gilets Jaunes : pas même un mot, pas une pancarte commémorant Ibrahima et les autres victimes des violences policières ?
Plus généralement, se revendiquer « uni-e-s contre toutes les violences » est indécent et profondément violent.

Parce que, en mettant toutes les violences sur le même plan, vous affirmez (sans même forcément le vouloir) un principe d’équivalence entre toutes les utilisations de la violence. Ainsi, la « violence » que vous imputez aux autres méthodes d’action militante peut être comparée, en droit, selon vos dires, à celle d’une personne par quatre fois meurtrière.
Vitrines brisées et couteaux tirés sont donc mis en fin de compte dans le même panier. Ce qui est fort dommageable, en plus d’être fallacieux, vous en conviendrez. D’autre part, vous refusez d’observer des différences entre les utilisateurs de la violence. Violences conjugales et une femme accablée qui tue son compagnon abusif ? Même chose selon cette logique. La BAC qui matraque ; les CRS qui gazent ; la police qui embarque ; les gendarmes qui contrôlent au faciès ; qui frappent au faciès ; qui tuent au faciès ; et les habitant-e-s des quartiers dits « populaires » ou les manifestant-e-s qui se défendent ; qui ripostent ; qui s’énervent ; qui frappent : toutes ces formes de violence sont à évaluer strictement de la même manière ?
 Violence invisible de la non-violence dogmatique -

Il y a, dans le dogmatisme non-violent, une violence insidieuse – parce qu’inaperçue – qui se loge. Il s’agit de la même violence que celle qu’on oppose quotidiennement à tou-te-s les opprimé-e-s, celle qui se pense légitime. S’il semble aller de soi maintenant que l’État et ses structures de contrôle ont le « monopole de la violence légitime », il faudrait compléter ainsi ce lieu commun : les privilégiés et les dominants étendent sans cesse ce monopole en désignant – c’est-à-dire en dénonçant – ce qu’est la violence, à leurs yeux. Elle est le propre des « casseurs », des « agitateurs professionnels », de toutes ces personnes qui font tout sauf ce qu’on exige d’elles. Fondamentalement, est jugé « violent » tout ce qui échappe aux structures de contrôle.

C’est pourquoi la non-violence jusqu’au-boutiste et intolérante peut être dangereuse. Comme ce qu’elle prétend combattre, elle est excluante, méprisante, produite dans un environnement privilégié qui n’a pas affaire directement à la menace policière et à la machine infernale du monde social ; bref : elle en devient violente. Elle ne se renverse pas dans son contraire ; elle est son contraire, par nature, et ce sans le vouloir ni s’en rendre compte.

Et n’oublions pas que derrière chaque affirmation générale de ce genre,diluant les revendications de celles et ceux qui subissent des oppressions quotidiennes, se cache une invisibilisation des luttes : un faux compromis bâti sur la nécessité des opprimé-e-s de se taire à propos de leurs expériences vécues. Un « All Lives Matter » qui sert à taire « Black Lives Matter » ; qui oublie que pour nos institutions sociales certaines vies comptent déjà plus que d’autres.

Et comment expliquer l’effacement du tag « Castaner m’a éborgné », sinon comme un crachat à la figure des classes populaires sortant dans la rue, depuis des mois, en gilet jaune ?

Le manque d’inclusivité du cadre d’action envers les classes populaires

Bien que l’on sache que les militant-e-s XR sont nombreux-ses et divers-es, certaines pratiques militantes paradoxales desservent radicalement la lutte. D’une part, il y a l’interdiction d’apporter de l’alcool sur les lieux des occupations prévues pendant la RIO. De l’autre, comme on a pu l’observer à celle du Châtelet, certain-e-s membres de XR boivent des coups, pendant la journée ou la soirée, aux terrasses des bars entourant la place. Loin de nous la volonté de chercher la petite bête, de décrédibiliser l’occupation ou de crier au loup.
On entend la difficulté de la tâche consistant à apaiser et à prévenir les tensions pouvant naître de l’ébriété. Cependant, honnêtement, comment voir dans cette dissonance autre chose que du mépris de classe ? Le consensus incluait-il aussi la mention « faites ce qu’on dit, mais pas ce qu’on fait » ? Ce sont ces petits détails, pouvant paraître insignifiants, qui creusent les écarts entre les êtres vivants et discriminent. Il ne s’agit pas là, il est important de le redire, de condamner, mais d’alerter. Les gilets oranges (c’est-à-dire les « peacekeepers ») de l’occupation, assurément, s’occupent plus souvent des propriétaires de canettes de bière que des autres consommateur-rice-s. À nouveau, c’est sourdement que la violence s’immisce.
De plus, un mouvement opposé à la marchandisation du vivant semble exercer dans ce cas précis une forme de privatisation symbolique d’une place auparavant publique : on nous interdit désormais d’amener ne serait-ce qu’une canette de bière sur la place du Châtelet, de la même manière qu’on nous y interdit de faire des tags.

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