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Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

5 avril 2015, 10:20, par Robert Paris

Trois grandes vagues de grèves ont eu lieu au Japon : l’une qui s’est déroulée sur trois années, de 1896 à 1898, la deuxième sur les deux années 1906 et 1907 et la troisième en 1912.

Soutenue par le syndicat des cheminots, fondé en 1898, la lutte se termina sur une victoire : les grévistes demandaient une meilleure reconnaissance de leur travail et la fin des discriminations qu’ils estimaient subir dans leur entreprise ; la compagnie leur accorda une position équivalente à celle des employés de bureau et remplaça les anciennes dénominations de leurs grades, trop dévalorisantes, par d’autres plus positives. Par contre, les machinistes, qui se mirent à leur tour en grève en 1899 et au début 1900 pour obtenir les mêmes avantages, échouèrent.

Toute l’année 1906 fut ponctuée d’arrêts de travail dans les chantiers navals, civils mais surtout militaires à cause des licenciements consécutifs à la fin de la guerre, dont le motif principal était le relèvement des salaires : en janvier, tous les ouvriers arrêtent le travail dans le chantier de réparations navales d’Ôminato, à Aomori ; du 5 au 7 février, ce sont 750 ouvriers qui font grève dans le chantier naval d’Ishikawajima, près de Tôkyô ; en août, c’est l’arsenal de Kure, dans le sud-ouest du pays, qui est touché ; et en décembre, l’arsenal militaire d’Ôsaka. Ces mouvements se poursuivirent dans les premiers mois de 1907 : 500 menuisiers du chantier naval Mitsubishi de Nagasaki cessent, par exemple, le travail du 16 au 20 février.

Durant toute l’année 1907, les mineurs participèrent à plusieurs grèves quasi insurrectionnelles qui n’avaient pas simplement des revendications salariales pour objet, mais aussi la brutalité de leur exploitation : du 4 au 7 février, les mines de cuivre d’Ashio, situées à 100 kilomètres au nord de Tôkyô, dans la préfecture de Gunma, s’embrasent ; en avril, ce sont les mines de Horonai, dans l’île de Hokkaidô ; en juin, les mines de cuivre de Besshi, dans l’île de Shikoku ; puis les mines d’argent d’Ikuno, près de Kôbe. Seule l’armée réussit à contenir ces mouvements souvent très violents.
La grève à Ashio est celle qui a le plus impressionné les observateurs de l’époque. Tous se plaisent à souligner son importance pour le mouvement ouvrier japonais, quoiqu’on ne sache pas exactement les raisons qui l’ont déclenchée. Les mines d’Ashio avaient déjà défrayé la chronique au début du xxe siècle ; leur nom est lié à l’un des premiers exemples de pollution industrielle au Japon des terres et des rivières alentour. L’extraction de cuivre constituait alors un secteur vital pour le Japon, qui était en 1914 le deuxième exportateur mondial de cette matière première. Les mines d’Ashio appartenaient en outre à la puissante famille des Furukawa, et Hara Takashi (1856-1921), ministre de l’Intérieur en 1907, y possédait des intérêts. Toute interruption de la production dans ces mines constituait donc une menace pour l’Etat.
Le conflit fut d’une rare violence, comme l’a rapporté Félicien Challaye en 1921 : « (...) les ouvriers (...) rouent de coups de bâton l’un des directeurs des travaux, s’emparent des magasins, pillent les provisions, mettent le feu aux bureaux, détruisent les habitations des surveillants, chassent des mines la police. » Les mineurs firent même usage d’explosifs, ce qui était plus une habitude des nihilistes russes que des Japonais, indiquant par là l’influence à cette époque au Japon, malgré la guerre russo-japonaise, des idées et des pratiques venues de Russie.
L’intervention de l’Etat dans ces conflits du travail s’est exprimée, après la première période, de 1896 à 1898, par la Loi de police sur la sécurité publique (Chian keisatsu hô) de 1900, qui restreignait les droits de réunion publique, de grève et d’organisation ; complétée en 1925 par une Loi sur le maintien de l’ordre (Chian iji hô), elle réglera les réglera les relations du travail jusqu’en 1945. Cette loi, qui ne laissait à la classe ouvrière aucun moyen légal d’exprimer ses doléances en soumettant la formation des syndicats et la tenue de réunions publiques au pouvoir discrétionnaire de la police, aboutit à faire naître les grèves violentes qui ont marqué la deuxième période de luttes.

Après les grandes grèves de 1906-1907, l’Etat promulgua en 1911 une Loi sur les fabriques (Kôjôhô) qui accordait un adoucissement des conditions de travail aux ouvriers et une tolérance à créer des syndicats modérés. Cette loi et celle de 1900 ne sont contradictoires qu’en apparence. La Loi de police, on vient de le voir, fut en vigueur dès le moment de sa publication, et jusqu’en 1945. Celle sur les fabriques, par contre, plus une concession aux luttes de la classe ouvrière que l’expression de la position du gouvernement, dut attendre 1916 pour être effectivement appliquée et on n’en parlait déjà plus dans les années 1920, après que de nouvelles luttes eurent forcé les entrepreneurs à accorder plus que la Loi sur les fabriques avait jamais pu promettre. En fait, le seul effet immédiat de la Loi sur les fabriques fut la création du syndicat Yûaikai (Société fraternelle) en 1912.

Le mouvement syndical au Japon n’a commencé à véritablement intervenir dans les conflits du travail qu’après la première guerre mondiale. Ce paragraphe concerne donc, en fait, plus la préhistoire du syndicalisme japonais que son histoire proprement dite. Mais il n’est pas sans intérêt de tracer cette préhistoire parce qu’elle montre en germe le cours suivi par le syndicalisme au Japon depuis les origines, celui d’un syndicalisme de collaboration de classes, à l’image de ce que nous connaissons depuis la fin de la première guerre mondiale dans tous les pays industrialisés.
Il n’y a aucun indice de l’existence d’un syndicalisme révolutionnaire au Japon, sinon les revendications des IWW américains d’avoir des affiliés dans quelques ports japonais, principalement Yokohama. Or, il semble que ces affiliés furent pour la plupart des marins américains venus au Japon avec de la propagande écrite qu’ils distribuaient à un très petit nombre de contacts japonais.
Un aspect intéressant à noter pour l’histoire du syndicalisme au Japon, est que dès l’origine les syndicats ne limitaient pas leur action aux murs de l’usine mais étendaient leur contrôle à l’ensemble de la vie des ouvriers. Le nom du plus important des syndicats cités plus haut, celui des cheminots, la Nihon tetsudô kyôseikai, illustre bien ce propos : le terme kyôsei indique clairement que le but du syndicat était le redressement moral de ses troupes, et non comme on pourrait le croire de corriger les abus faits aux ouvriers par leurs patrons. La lutte quotidienne des militants de cette organisation se faisait surtout contre l’alcoolisme, les paris et les fréquentes bagarres entre travailleurs.
1898

Grèves des cheminots dans le nord-est du Japon.

1902

15-19 juillet : grève au chantier naval militaire de Kure contre un quartier-maître trop sévère.

1906

Août : grève aux chantiers navals militaires de Kure (Kure kaigun kôshô).
Décembre : grève à l’arsenal militaire d’Ôsaka (Ôsaka rikugun zôheishô).

1907
4-7 février : trois jours d’émeutes aux mines d’Ashio, dans la préfecture de Tochigi.

16-20 février : grève des menuisiers du chantier naval Mitsubishi de Nagasaki pour de meilleurs salaires et contre un projet d’allonger leurs heures de travail.

Avril : grève dans les mines de charbon de Horonai (Horonai tankô), Hokkaidô.

Juin : grève dans les mines de cuivre de Besshi, Shikoku.

Juillet : grève dans les mines d’argent d’Ikuno, près de Kôbe.

Une crise industrielle et boursière fait chuter le gouvernement Saionji.

1908

22 juin : « affaire du drapeau rouge » (akahata jiken) : ce jour-là, une manifestation pour célébrer la libération de Yamaguchi Koken (1883-1920), après quatorze mois de prison, dégénère ; une partie des participants à la réunion qui défilent dans la rue avec des drapeaux rouges portant les inscriptions « anarchisme » et « anarcho-communisme » sont sévèrement malmenés, puis condamnés à de lourdes peines de prison.

1912

31 décembre 1911-4 janvier 1912 : grève des chemins de fer municipaux de Tôkyô.

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