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Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

3 mai 2015, 08:19, par Robert

Rosa Luxemburg écrit en 1913 :

« La grève générale belge ne mérite pas seulement, en tant que manifestation remarquable des efforts et des résultats de la masse prolétarienne en lutte, la sympathie et l’admiration de la social-démocratie internationale, elle est aussi éminemment propre à devenir pour cette dernière un objet de sérieux examen critique et, par suite, une source d’enseignements. La grève d’avril, qui a duré dix jours, n’est pas seulement un épisode, un nouveau chapitre dans la longue série des luttes du prolétariat belge pour la conquête de l’égalité et de l’universalité du droit de vote, luttes qui durent depuis le commencement de la dernière décennie du XIX° siècle et qui, selon toute apparence, sont encore très éloignées de leur fin. Si donc nous ne voulons pas, à la manière officielle, applaudir toujours et à toute occasion tout ce que fait et ne fait pas le Parti social-démocrate, il nous faut, en face de ce nouvel assaut remarquable du Parti Ouvrier Belge, dans ses luttes pour le droit électoral, nous poser la question suivante : Cette grève générale signifie-t-elle un pas en avant sur la ligne générale de combat ? Signifie-t-elle en particulier une nouvelle forme de lutte, un nouveau changement tactique qui serait appelé à enrichir, à partir de maintenant, les méthodes de combat du prolétariat belge, et peut-être aussi du prolétariat international ?

Cette dernière question est d’autant plus justifiée que les chefs du Parti belge – quelle que soit leur position tactique – opposent, avec beaucoup de vigueur, la grève d’avril aux précédents grèves belges concernant le droit électoral, ainsi qu’aux grèves de masses qui se sont produites dans d’autres pays, et la louent comme une nouvelle arme dans l’arsenal du prolétariat en lutte. Dans la petite revue mensuelle de Herstal, La Lutte de Classe, de Brouckère écrivait en mars :

« C’est pour la troisième fois que nous ferons une grève pour l’égalité du droit de vote et, dans d’autres pays, on a déjà fait grève dans le même but. La grève du 19 avril n’en représente pas moins un événement nouveau aussi bien par sa durée probable que par l’esprit dans lequel elle a été préparée. Cette grève ne doit ressembler ni aux rafales de 1893 et 1902, ni aux courtes grèves politiques en Suède et en Autriche, pas plus qu’aux grèves révolutionnaires de Russie. Ce sera la première tentative pour guider une grève politique d’après les principes mêmes qui rendent si efficaces les mouvements syndicaux ou, si l’on veut, une tentative pour élargir l’action syndicale jusqu’à la conquête de l’égalité politique. »

Les chefs du Parti, au congrès du 24 avril qui a décidé la cessation de la grève générale, ont souligné également, à plusieurs reprises, son caractère particulier. Vandervelde, lui aussi, écrit dans son article du Vorwärts, le 28 avril :

« Contrairement aux précédents mouvements similaires en Belgique et ailleurs, il s’est agi, cette fois, non plus d’une grève improvisée et impétueuse, mais d’une grève longue, préparée patiemment et méthodiquement. »

Il s’agit donc avant tout de comparer l’efficacité de cette nouvelle tentative de caractère particulier aux tentatives précédentes du prolétariat belge. Si l’on considère uniquement le résultat immédiat et palpable, on ne pourra certes pas écarter la conclusion que la nouvelle expérience du Parti belge a infiniment moins rapporté que son premier assaut d’il y a vingt ans. En 1891, la première courte grève de masse, avec ses 125.000 ouvriers, a suffi pour imposer l’institution de la commission pour la réforme du droit de vote. En avril 1893, il a suffi d’une grève spontanée de 250.000 ouvriers pour que la Chambre se prononce, en une seule longue séance, sur la réforme du droit de vote qui croupissait depuis deux ans dans la commission. Cette fois, la grève de 400.000 ouvriers, après neuf moins de préparation, après des sacrifices et des efforts matériels exceptionnels de la part de la classe ouvrière, a été brisée au bout de huit jours, sans avoir obtenu autre chose que la promesse, sans engagement, qu’une commission sans mandat et sans droit à légiférer recherchera une « formule d’unité » concernant le droit électoral.

Nos camarades belges ne se font aucune illusion sur le caractère vague et confus du résultat ; ils comprennent que ce n’est pas là une brillante victoire et qu’en tout cas, elle ne répond pas du tout aux efforts, aux sacrifices et aux préparatifs formidables qui ont été faits. Aucun des chefs du Parti n’a essayé, au Congrès du 24 avril, de présenter la résolution du Parlement sur ladite commission comme une victoire politique notable. Au contraire, ils se sont tous efforcés de porter le centre de gravité du bilan de la lutte de ces dix jours non sur le résultat parlementaire, mais sur le cours de la grève générale elle-même et sur son importance morale. « Trois points de vue, a dit Vandervelde (d’après le compte rendu du Vorwärts), se sont fait jour dans l’appréciation de la grève générale. Le premier, le point de vue parlementaire, est le moins important. » Mais les deux autres sont : le résultat politique, qui consiste dans la conquête de l’opinion publique, et le point de vue social, qui réside dans le déploiement de forces du prolétariat et dans le caractère pacifique de la grève générale : « Maintenant – s’est écrié Vandervelde – nous connaissons le moyen que le prolétariat peut employer lorsque le pouvoir veut le priver de son droit. » Jules Destrée est allé jusqu’à traiter toute la question du résultat direct de la grève de « futilités parlementaires » :

« Pourquoi ne pas se hausser, au dessus des futilités parlementaires et des nuances des déclarations ministérielles, jusqu’au principal ? Considérons donc le principal, que tout le monde peut voir : l’enthousiasme magnifique, le courage, la discipline de notre mouvement. »

Or, l’attitude excellente de la masse ouvrière belge dans la dernière grève générale, fut loin d’être une surprise. L’enthousiasme, la cohésion, la ténacité de ce prolétariat, se sont affirmés si fréquemment dans les vingt dernières années, en particulier dans l’emploi de l’arme de la grève générale, que le déclenchement et le cours de la grève d’avril, loin d’être une nouvelle conquête, ne sont qu’une preuve de plus de cette ancienne combativité. Evidemment, l’importance de chaque grève de masse réside, en grande partie, dans son déclenchement même, dans l’action politique qui s’y exprime, dans la mesure où il s’agit de manifestations spontanées ou qui éclatent sur l’ordre du Parti, qui durent peu de temps et manifestent un esprit combatif. Lorsqu’au contraire, la grève a été préparée de longue main, de façon tout à fait méthodique et systématique, dans le but politique déterminé de mettre en mouvement la question du droit de vote immobilisé depuis vingt ans, il apparaît assez étrange de célébrer la grève, en quelque sorte, comme un but en soi et de traiter son objectif propre, le résultat parlementaire, comme une bagatelle.

Cette façon de déplacer l’appréciation de la situation s’explique aussi par l’état de gêne dans lequel s’est trouvé notre parti frère belge au bout d’une semaine et demie de grève générale. De toute la situation et de tous les discours du congrès de Bruxelles, il ressort clairement que la grève générale ne fut pas brisée au 24 avril parce qu’on s’imaginait avoir remporté une victoire notable. Au contraire, on s’empressa de saisir la première apparence de « concession » de la part du Parlement, pour désarmer la grève générale, parce qu’on avait, dans les milieux dirigeants, le sentiment net que la continuation de la grève générale amènerait à une situation sans issue et ne donnerait aucun résultat appréciable.

Faut-il en vouloir aux chefs du parti belge d’avoir saisi la première occasion pour arrêter la grève générale, alors que sa prolongation leur paraissait incertaine et sans chance de succès ? Ou faut-il leur faire grief de n’avoir pas cru à la force victorieuse de la grève méthodique, prolongée indéfiniment et « jusqu’à la victoire » ? C’est exactement le contraire qu’il faut dire : longtemps déjà avant le début de la grève d’avril, par la seule façon dont cette grève fut préparée, vu les épreuves et la tactique de la lutte pour le droit électoral en Belgique dans les dix dernières années, tout observateur attentif ne pouvait que douter fortement de l’efficacité de cette nouvelle expérience. Aujourd’hui, où la preuve par l’exemple a été faite et où nos camarades belges pensent avoir ajouter en tout cas, et pour longtemps, une nouvelle arme à leur arsenal, il est temps d’examiner cette arme elle-même. Il est nécessaire de se poser cette question : La grève d’avril, en raison de son organisation, ne portait-elle pas en elle-même les germes de sa stérilité, et l’expérience qui vient d’être tentée n’est-elle pas faite pour nous encourager à la révision de cette tactique plutôt qu’à l’imiter ? »

Leipziger Volkszeitung, 15 mai 1913

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