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Théâtre engagé, théâtre militant, théâtre et révolution

28 octobre 2010, 18:19, par Prévert

Jacques Prévert / Le groupe Octobre

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Un théâtre populaire et solidaire
Deux ans après sa rupture avec les surréalistes, Prévert s’intègre à un autre groupe qui lui permet à nouveau d’exprimer ses révoltes, mais cette fois en tant qu’auteur. Certains membres de la troupe Prémices, qui appartient à la Fédération du théâtre ouvrier de France (F.T.O.F.), ont trouvé que leur metteur en scène, Roger Legris, négligeait le combat politique, et ont décidé de suivre leur propre chemin. L’un de ces contestataires, Lazare Fuchsmann, a été en Allemagne, où il a découvert le théâtre d’Erwin Piscator. Dans la continuité du théâtre révolutionnaire russe, Piscator avait essayé d’intéresser un public populaire, par le biais du spectacle, aux questions sociales et politiques. Son Théâtre prolétarien, fondé en 1920, s’était donné pour tâche de propager l’idée de « lutte des classes » et d’aller chercher le public ouvrier sur ses lieux de loisirs et de travail. Quand les dissidents de Prémices, décidant de s’engager sur la même voie, partent en quête d’un auteur, Léon Moussinac, auquel ils demandent conseil, leur recommande Jacques Prévert, qui vient de publier dans des revues quelques textes à l’humour corrosif (notamment « Souvenirs de famille ou l’Ange garde-chiourme » dans Bifur, « Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France » dans Commerce). Prévert vient de voir la pièce d’un collaborateur de Piscator, nommé Bertolt Brecht, L’Opéra de quat’sous, dans sa mise en images par Pabst, et il est tout de suite séduit par ce projet d’un théâtre où l’individu s’efface au profit du groupe, où il faudra soutenir les ouvriers dans leurs grèves et leurs revendications, parler non seulement pour eux mais avec eux. La troupe prend le nom de groupe Octobre.

Inciter le peuple à faire son théâtre
De 1932 à 1936 Prévert écrit pour le groupe Octobre des pièces et des chœurs parlés (textes dits à plusieurs voix). Il met en scène les puissants de ce monde (politiciens, souverains, industriels) et il souligne leurs travers et leurs ridicules en les caricaturant à outrance, mettant en relief leur nocivité, éclairant le public sur leurs égoïsmes et leurs manigances, appelant à se révolter contre eux après en avoir ri. La Bataille de Fontenoy (1932) prend pour personnages des hommes politiques très connus à l’époque, auxquels l’auteur emprunte leurs propres discours, montrant qu’ils sont pernicieux ou vides. La Famille Tuyau de Poêle (1933) propose l’envers du décor, en présentant dans leur intimité des bourgeois, respectables en apparence, qui pratiquent adultère, inceste, homosexualité et amours ancillaires, alors qu’ils prônent hypocritement la vertu. Mais au-delà de la caricature qui permet de ne pas se laisser impressionner par ceux qui détiennent le pouvoir ou l’argent - souvent les mêmes -, Prévert appelle le peuple à faire son théâtre. Ce que veut le principal auteur du groupe Octobre, c’est en effet renvoyer à sa poussière l’art bourgeois. En s’adressant au public, Prévert l’incite à se servir des mots. Parce qu’il sait que réinventer l’art, c’est réinventer la vie, et inversement. Son adaptation du Tableau des merveilles de Cervantès (1935) introduit des personnages d’ouvriers et de paysans absents de la version originale : comme dans beaucoup de ses autres pièces il fait intervenir le peuple, celui-ci s’emparant de la scène et y faisant son spectacle, ou sa fête.

Du voyage à Moscou au procès de Moscou
Le nom que s’est donné le groupe Octobre est un signe politique fort. Il est clair que sa référence n’est pas seulement le théâtre mais aussi la révolution russe. Prévert, qui avait été tenté d’adhérer au parti communiste avec certains surréalistes, ne s’y est finalement pas inscrit. Mais c’est au moment où il écrit pour Octobre qu’il en est le plus proche. Il en partage l’internationalisme, la volonté de se battre contre les injustices sociales, le pacifisme. Un voyage en Russie en 1933 avec le groupe, choisi par référendum pour concourir à l’Olympiade du théâtre ouvrier à Moscou, ne le fait pas changer radicalement d’opinion. Mais il est agacé, à partir de 1935, par l’évolution des communistes, qui commencent à brandir le drapeau tricolore, à chanter La Marseillaise, à tendre la main aux catholiques, à parler de la nécessité d’une guerre. Parallèlement, le groupe Octobre se désagrège (raisons personnelles, financières, politiques). Enfin Prévert, en décembre 1936, signe l’« Appel aux hommes » de la revue Les Humbles, qui, après les procès de Moscou, exige une commission d’enquête internationale.

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