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Chronologie de la révolte des Indiens d’Amérique

5 avril 2018, 06:28

« Un chef de « pionniers indiens », ainsi que les dénomment les Californiens, m’entretint longuement un jour des coutumes de son peuple aux temps anciens. Il était chrétien et dirigeait dans sa tribu la plantation des pêches et des abricots sur des terres irriguées, mais quand il se mettait à parler des sorciers qui s’étaient devant ses yeux métamorphosés en ours pour exécuter la danse de l’ours, ses mains tremblaient et sa voix frémissait d’excitation. Quelle chose incomparable que la puissance possédée autrefois par son peuple ! Son sujet de conversation préféré c’était de m’énumérer et de me décrire tout ce qu’on avait mangé dans le désert. Il me parlait amoureusement des Plantes que l’on avait arrachées à la terre, avec un sens infaillible de leur importance. En ces jours anciens, son peuple avait mangé « la santé du désert », disait-il, et ne savait pas ce que c’était qu’une boîte de fer-blanc et ce que l’on expose pour la vente à l’étal des boucheries. C’étaient des innovations de ce genre qui avaient causé la décadence des siens à l’époque actuelle.

Certain jour, sans transition, Ramon, tout à coup, entreprit -de me décrire le broyage du mesquite et la confection de la soupe aux glands. « Au commencement, nie dit-il, Dieu a donné à chaque homme un bol d’argile et ce fut dans ce bol que les gens burent leur vie. »

J’ignore si cette métaphore figurait déjà dans un rituel traditionnel de la tribu, car je ne pus la découvrir nulle part, ou bien si elle était un produit de l’imagination de Ramon. Il est difficile de croire qu’il l’eût entendue dire par des Blancs qu’il avait connus à Banning ; ces gens-là n’ayant pas coutume d’étudier l’éthique des différentes peuplades.

En tout cas, dans l’esprit de ce modeste Indien, cette figure est claire et pleine de signification. « Ils l’ont tous plongé dans l’eau, poursuivit-il, mais leurs bols étaient différents. Notre bol à nous est cassé maintenant. Il n’existe plus. »

Notre bol est cassé. Les choses qui avaient donné un sens à la vie de son peuple, les rites alimentaires de la famille, les obligations de son système économique, la succession des cérémonies au village, la possession de la danse de l’ours, leurs notions du bien et du mal, toutes ces choses avaient disparu et, avec elles la forme et le sens de leur vie. Ce vieil homme-là était encore un homme vigoureux, c’était un chef qui entretenait des relations avec les Blancs. Il n’entendait pas dire qu’il fût le moins du monde question de l’extinction de son peuple. Mais il avait dans l’esprit la perte de quelque chose possédant une valeur égale à celle de la vie elle-même, à toute la création du mode d’existence et des croyances de sa tribu. Il subsistait encore d’autres bols de vie qui s’emplissaient peut-être de la même eau, mais la perte était irréparable. Il n’était pas question de raccommoder le bol en ajoutant ici ou en retranchant là. C’était le modelage qui était d’importance fondamentale, en quelque sorte d’une seule pièce. Il avait été leur propriété personnelle. »

Ruth Benedict (1950), Échantillons de civilisations

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