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Qu’étaient les procès de Moscou de 1935 à 1938 ?

12 avril 2014, 08:38

L’odieux procès de Moscou

Marcel Valière

Octobre 1917… La phalange bolchévique, forgée par vingt années d’activité légale et illégale, trempée au cours de deux révolutions sous la direction incontestée de Lénine et de Trotski, mène à la victoire la troisième révolution. Quarante-six ans après l’écrasement du prolétariat parisien, le prolétariat russe, s’appuyant sur la paysannerie, venge la Commune de Paris et nettoie les écuries d’Augias du tsarisme. De 1917 à 1921, les cadres bolchéviks accomplissent une tâche presque surhumaine, luttant contre le Russes blancs, les Alliés, la désorganisation consécutive à la guerre impérialiste et à la guerre civile, contre la famine. Zinoviev, Kamenev, Ivan Smirnov, Rakovski, Rykov, Boukharine, Tomski, Staline, Piatakov, Sokolnikov, Sverdlov, Evdokimov, Mratchkovski, - ce qu’on a appelé "la vieille garde" - sont les artisans infatigables du triomphe de la cause des Soviets.

Aujourd’hui, dix-neuf ans après les "dix jours qui ébranlèrent le monde", Lénine est mort depuis treize ans. Trotsky, privé de nationalité soviétique, est banni depuis de longues années. Zinoviev, Kamenev, Ivan Smirnov, Evdokimov, Mratchkovski ont été fusillés en août dernier. Tomski s’est suicidé. Piatakov, Mouralov, Sérébriakov, condamnés à mort au cours d’un second procès, viennent d’être exécutés. Sokolonikov, Radek, condamnés à dix ans de travaux forcés, ont provisoirement la vie sauve. Rykov, Boukharine et quelques autres prévus pour une troisième charretée. Des sept membres du bureau politique qui dirigea la Révolution d’octobre, un seul reste : Staline. Les autres ? Eliminés par la mort, l’exil, le suicide, l’exécution ou l’emprisonnement.

A qui fera-t-on croire que les condamnés ont commis les crimes dont ils étaient accusés ? Crimes monstrueux et invraisemblables ! Quel militant honnête, ayant conservé intact son esprit critique, au courant de l’évolution de l’U.R.S.S. depuis la mort de Lénine, ne cédant pas à la passion partisane, doutera un instant de l’innocence des fusillés de Moscou ou de leur immolation plus ou moins volontaire aux nécessités de la politique intérieure et extérieure de la bureaucratie stalinienne ?

Zinoviev, collaborateur inséparable de Lénine depuis 1907, président du Soviet de Leningrad pendant huit années, fondateur et premier président de l’Internationale Communiste, serait devenu un “terroriste” et aurait trempé dans l’assassinat de Kirov ? Allons donc !

Kamenev, président du Soviet de Moscou, du Conseil du Travail et de la Défense, légataire universel de Lénine, vice-président du Conseil des Commissaires du peuple, “terroriste”, lui aussi ? Pas davantage !

Et Ivan Smirnov, un des fondateurs du parti et de l’Armée rouge, celui qui, avec Trotsky, sauva à la bataille de Sviajsk la République naissante, le dirigeant de l’armée qui écrasa Koltchak, “le Lénine de la Sibérie”, comme il fut surnommé, par quelle aberration inimaginable aurait-il été complice dans l’assassinat de Kirov ? Et comment aurait-il pu l’être puisqu’il fut jeté en prison par Staline dès 1932 et que la mort de Kirov date de décembre 1934 ?

Si nous nous penchons sur le procès qui vient de se clore, comment croire que Piatakov, un des fondateurs de la République des Soviets d’Ukraine ; Sokolnikov, membre du Comité central bolchévik qui fit la Révolution d’Octobre, Radek, le compagnon de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg, ont pu, comme le déclare l’accusation, se livrer à des tentatives d’assassinat sur des dirigeants soviétiques, à des actes de sabotage et de destruction des usines, à l’espionnage au service de pays étrangers, tout cela en vue de rétablir le capitalisme en Russie et de céder à Hitler une portion du territoire soviétique ?

II y a, je sais, les aveux des accusés : leurs aveux stéréotypes, leur acharnement à se déshonorer et à se flétrir, leurs confessions frénétiques, leur surenchère macabre. Cette attitude étrange surprend et déconcerte les plus sceptiques.

Mais j’invite ceux que ces aveux “volontaires” ébranlent à se procurer les ouvrages suivants : Dossier des fusilleurs [1] : 16 fusillés [2], par Victor Serge ; Livre rouge sur le Procès de Moscou [3], par L. Sédov ; De Lénine à Staline [4], par Victor Serge.

Ils y trouveront démonté et dénoncé le mécanisme de ces aveux et comprendront la signification de ces bouffonneries sanglantes.

D’ailleurs, les preuves accompagnent-elles les aveux ? En aucune façon. Aucun document, aucun fait venant, de façon irréfutable, soutenir la thèse de l’accusation. Lorsque par hasard un accusé fournit une indication précise, elle est fabriquée de toute pièce. Deux, exemples seulement. Au procès d’août 1936, Goltzman affirme avoir rencontré le fils de Trotsky en 1932, à Copenhague, à l’hôtel Bristol. Il s’agissait de préparer un attentat terroriste. Malheureusement, l’hôtel Bristol de Copenhague n’existe plus depuis 1917 et l’édifice même a été détruit ! Au procès de janvier, Piatakov affirme être allé en décembre 1935 de Berlin à Oslo en avion pour rencontrer Trotsky, toujours pour des fins terroristes. Démenti officiel venant de Norvège : de décembre 1935, aucun avion venant de Berlin n’a atterri à Oslo. Alors ?

D’autre part, pourquoi cette précipitation ? Pourquoi ce refus d’accorder le visa à divers avocats français désireux d’assister aux débats, dont André Philip, qui : n’est pourtant pas “trotskyste” ? Pourquoi les garanties accordées aux socialistes révolutionnaires lors du procès de 1922, de véritables terroristes ceux-là, puisqu’ils avaient tué Ouritski, Volodarski et blessé Lénine, ont-elles été refusées en 1936 et 1937 aux meilleurs compagnons de Lénine ? Ce que la Révolution encore débile, encore mal assurée, avait accordé, le pays où a “définitivement ”triomphé“ le socialisme”, le pays qui jouit désormais de la constitution “la plus démocratique du monde” l’a refusé ! Rapprochement riche de signification.

Les ouvriers de la première heure, les meilleurs artisans d’Octobre disparaissent tour à tour assassinés par la justice stalinienne qui se révèle aussi barbare et plus hypocrite que la justice hitlérienne.

Et la classe ouvrière internationale, qui sut réagir énergiquement lors de l’exécution de Francisco Ferrer avant la guerre, lors de celle de Sacco et Vanzetti plus récemment, et après le triomphe d’Hitler lors du procès du Reichstag et l’emprisonnement de Thaelmann, se tait devant les assassinats perpétrés par Staline, devant l’extermination des cadres vieux-bolchéviks.

Aveugles ceux oui ne voient pas que la bureaucratie stalinienne tourne le dos au léninisme, liquide à grande allure l’héritage d’Octobre et se débarrasse dans ce but en premier lieu de tous ceux qui, en dépit de capitulations et d’abdications répétées, la mènent encore. Le thermidor russe est désormais consommé et Staline, fossoyeur de la Révolution soviétique et de la Révolution internationale, déshonore le socialisme en présentant comme tel un régime qui n’en est qu’une infâme caricature. Les véritables restaurateurs du capitalisme en U.R.S.S., ce ne sont pas Piatakov, Mouralov..., fusillés dans une cave de la Guépéou, mais Staline et ses amis qui trônent au Kremlin. Qui a rétabli l’héritage ? Qui a accru dans des proportions inconnues même du tsarisme les écarts entre les salaires ? Qui exige le conformisme le plus absolu ? Le stalinisme. Et qui, sur le plan international, après avoir mené la révolution chinoise à la défaite, le prolétariat allemand à la capitulation sans combat, tente de freiner le mouvement révolutionnaire espagnol et calomnie bassement les éléments ouvriers d’Espagne restés fidèles à la tradition léniniste ? Le stalinisme encore.

II est temps, grand temps que les yeux s’ouvrent et que l’action qui s’impose d’urgence pour faire la lumière, pour empêcher de nouvelles exécutions, pour stigmatiser Caïn, pour réhabiliter les fusillés de Moscou, soit entreprise par les organisations qui se réclament de l’émancipation du prolétariat, par les syndicats en premier lieu.

Il faut que tous ceux qui ont le souci de la vérité, le respect de la dignité humaine, tous ceux qui ne veulent pas que les crimes de Staline aboutissent à déshonorer la Révolution soviétique en déshonorant ceux qui en furent les meilleurs artisans se dressent, se concertent, s’unissent pour réclamer et imposer une Commission d’enquête ouvrière internationale.

Notes

[1] 8 fr. : Les Humbles, 229, rue de Tolbiac, Paris (XIII°).

[2] 2 fr. : Spartacus, 140, Boulevard Saint-Germain, Paris.

[3] 4 fr. : Editions populaires, 15, Passage Dubail, Paris (X°).

[4] 10 fr. : Le Crapouillot, 3, Place de la Sorbonne, Paris.

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