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Qu’étaient les procès de Moscou de 1935 à 1938 ?

15 juillet 2014, 07:59, par R.P.

Staline n’avait pas prévu les conséquences du premier procès. Il espérait que l’affaire se bornerait à l’extermination de quelques-uns de ceux de ses ennemis qu’il haïssait le plus - avant tout Zinoviev et Kaménev, dont la suppression avait été machinée pendant dix années. Mais il avait mal calculé : la bureaucratie fut horrifiée et terrifiée. Pour la première fois, elle voyait en Staline non le premier parmi des égaux, mais un despote asiatique, un tyran, Gengis Khan, comme Boukharine l’avait un jour appelé. Staline commença à craindre de perdre sa condition spéciale d’autorité suprême auprès des anciens de la bureaucratie soviétique. Il ne pouvait effacer les souvenirs qu’ils avaient de lui, ne pouvait les soumettre à l’hypnose de son rôle de super-arbitre où il s’était hissé lui-même. La crainte et l’horreur grandissaient parallèlement avec le nombre de vies atteintes, l’étendue des intérêts menacés. Personne parmi ces anciens ne pouvait croire à l’accusation. L’effet produit n’était pas ce qu’il avait espéré. Il lui fallait aller au-delà de ses intentions premières.

C’est durant la préparation des épurations massives de 1936 que Staline proposa le projet d’une nouvelle Constitution, « la plus démocratique du monde ». Les Duranty et les Louis Fischer chantèrent bruyamment la louange de la nouvelle ère démocratique. Le but de ce tapage éhonté autour de la Constitution stalinienne était de gagner la faveur de l’opinion démocratique à travers le monde, et puis, sur ce fond propice, écraser toute opposition à Staline comme agence fasciste. Il est caractéristique que par myopie intellectuelle Staline se soit préoccupé davantage de sa vengeance personnelle que d’éloigner la menace que le fascisme faisait peser sur l’Union soviétique et sur les travailleurs du monde. Tandis qu’elle préparait « la constitution la plus démocratique », la bureaucratie s’affairait en une série de banquets où l’on bavardait interminablement « sur la vie nouvelle et joyeuse ». A ces banquets, Staline était photographié au milieu d’ouvriers et d’ouvrières, un enfant sur ses genoux. Son ego malade avait besoin de ce baume. « Il est clair, observai-je alors, que quelque chose d’effrayant se prépare. » D’autres hommes connaissant bien la mécanique du Kremlin étaient aussi inquiets que moi au sujet de cet accès de cordialité et de décence de Staline.

Un certain type de correspondant de Moscou répète que l’Union soviétique sortit des épurations plus monolithique que jamais. Ces messieurs célébraient la louange du monolithisme stalinien déjà avant les épurations. Néanmoins, il est difficile de comprendre comment une personne ayant toute sa raison peut croire qu’on ait pu prouver que les représentants les plus importants du gouvernement et du parti, du corps diplomatique et de l’armée, étaient des agents de l’étranger sans voir en cela les signes annonciateurs d’un mécontentement profond à l’égard du régime. Les épurations furent la manifestation d’une grave maladie. L’élimination des symptômes ne peut être considérée comme un traitement. Nous avons un précédent dans le régime autocratique du gouvernement tsariste qui arrêta, durant la guerre, le ministre de la guerre Soukhomlinov sous l’accusation de trahison. Les diplomates alliés firent alors observer à Sazonov : « Votre gouvernement est fort puisqu’il ose arrêter son propre ministre de la guerre en temps de guerre. » En fait, ce gouvernement fort était à la veille de l’effondrement. Le gouvernement soviétique, lui, non seulement arrêta et exécuta son ministre de la guerre Toukhatchevsky, mais il fit bien davantage : il extermina l’état­-major tout entier de l’armée, de la marine et de l’aviation. Aidée par des correspondants étrangers complaisants, la propagande stalinienne a pu tromper systématiquement l’opinion publique dans le monde entier sur la situation réelle dans l’Union soviétique.

Par ces monstrueux procès, Staline a prouvé bien plus qu’il ne le voulait ; ou, plus exactement, il a échoué à prouver ce qu’il avait résolu de prouver. Il ne réussit qu’à révéler son laboratoire secret ; il contraignit cent cinquante hommes à confesser des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Mais la totalité de ces confessions devint la propre confession de Staline.

Dans l’espace de deux années, Staline a fait exécuter tous les adjoints et associés de Vorochilov, ses collaborateurs les plus proches, ses hommes de confiance. Que faut-il en déduire ? Est-il possible que Vorochilov ait commencé à manifester des velléités d’indépendance dans son attitude à l’égard de Staline ? Il est plus vraisemblable que Vorochilov fut poussé par des hommes très proches de lui. La machine militaire est très exigeante et très vorace, et elle ne supporte pas aisément les limitations que veulent lui imposer des politiciens, des civils. Prévoyant la possibilité de conflits avec cette puissante machine dans l’avenir, Staline décida de prendre le pas sur Vorochilov avant que celui-ci ait commencé à échapper à son contrôle. Au moyen de la Guépéou, c’est-à-dire par léjov, Staline prépara l’extermination des collaborateurs intimes de VorochiIlov derrière son dos et sans qu’il s’en doutât, et cette préparation achevée, il le mit devant la nécessité de choisir. Pris ainsi au piège tendu par la crainte et la déloyauté de Staline, Vorochilov coopéra tacitement à l’extermination de l’élite du commandement. Il était voué désormais à l’impuissance, incapable de jamais se dresser contre Staline.

Staline est passé maître dans l’art de s’attacher un homme, non en gagnant son admiration, mais en l’obligeant à devenir son complice dans des crimes odieux et impardonnables. Telles sont les pierres de la pyramide dont Staline est le sommet.

Léon Trotsky

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