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L’émergence de l’homme, parmi les hominidés, une conséquence… du communisme des chasseurs-cueilleurs !

29 avril 2014, 18:45

« N’était que les tribus esquimaudes sont de grandes familles solidaires les unes des autres, n’était qu’elles poussent le communisme très loin, leurs petites républiques ne tarderaient pas à périr. Au fait, elles ne comprennent rien encore au glorieux principe du « Chacun pour soi », aux éternelles vérités de l’Offre et de la Demande. Elles n’ont pas prêté l’oreille aux suaves « Harmonies » de la Rente et du Capital, modulées sur la lyre de Bastiat...

Ces cabanes sont chaudes à la condition que les habitants y soient entassés et pressés les uns contre les autres ; il en est qui ont une largeur de 7 à 10 mètres, une longueur de 30, parfois même de 100, mais elles abritent alors une tribu, et jusqu’à plusieurs centaines de personnes. Ces grands terriers connus sous divers noms, et plus particulièrement sous celui de kachim, sont des maisons communes que possèdent la plupart des Hyperboréens, et que l’on retrouve un peu partout[76]. Nous les prenons pour des phalanstères primitifs, plus ou moins analogues aux ruches et guêpiers, aux castorières, fourmilières, termitières et « républiques » d’oiseaux. Les polypiers humains font pendant aux colonies animales ; partout on voit les bandes sauvages terrer ensemble comme des familles de rats, glomérer dans une caverne comme chauves-souris, percher sur les mêmes arbres comme corbeaux et corneilles.

À la grande question qui, en ethnologie, se pose aux détours de route : « L’individu est-il antérieur à la société, ou la société est-elle antérieure à l’individu ? » la réponse semblait naguère des plus faciles, et l’on répétait couramment la leçon officielle : le premier individu se dédoubla en mâle et femelle, et du premier couple, créé superbe et vigoureux, intelligent et beau, naquit la première famille, laquelle s’élargit en tribu, puis en peuples et nations. La doctrine s’imposait par son apparente simplicité, semblait inspirée par le bon sens. Mais la géologie et la paléontologie aidant, on s’aperçut qu’il fallait reléguer parmi les contes de fées la théorie d’un homme surgissant au milieu du monde, à la manière d’un Robinson abordant son île déserte. En dehors de ses semblables, l’homme est homme, autant qu’une fourmi est fourmi indépendamment de sa fourmilière, autant qu’une abeille reste abeille quand elle n’a plus de ruche. Ce qui advient de l’homme isolé, on le voit dans les prisons cellulaires inventées par nos philanthropes. Donc, jusqu’à preuve du contraire, nous supposerons que nos ancêtres débutèrent par la vie collective, qu’ils dépendaient de leur milieu autant et plus que nous. Contrairement à l’idée que l’individu est père de la société, nous supposons que la société a été mère de l’individu. La demeure commune nous paraît avoir été le support matériel de la vie collective et le grand moyen des premières civilisations. Commune était l’habitation, et communes les femmes avec leurs enfants ; les hommes chassaient même proie et la dévoraient ensemble à l’instar des loups ; tous sentaient, pensaient et agissaient de concert. Tout nous porte à croire qu’à l’origine le collectivisme était à son maximum et l’individualisme au minimum.

N’abandonnons pas le sujet sans mentionner une observation importante qui s’y rattache : chez nos Hyperboréens, comme chez nombre de primitifs, tels que les Tatars et la plupart des nègres, la construction des demeures est, en principe, l’affaire des femmes qui font toute la besogne, depuis les fondements jusqu’au faîte, les maris n’intervenant que pour apporter les matériaux à pied d’œuvre. Le fait avait été souvent signalé, comme prouvant l’indolence insigne de ces mâles incultes, qui rejettent les gros ouvrages sur leurs compagnes plus faibles. Nous préférons y voir un argument en faveur de l’hypothèse que le premier architecte a été la femme. À la femme, pensons-nous, l’espèce est redevable de tout ce qui nous fait hommes. Chargée des enfants et du bagage, elle établit un couvert permanent pour abriter la petite famille : le nid pour la couvée fut peut-être une fosse tapissée de mousse ; à côté, elle dressa une perche avec de larges feuilles, étagées par le travers ; et quand elle imagina d’attacher trois à quatre de ces perches par leurs sommets, la hutte fut inventée, la hutte, le premier « intérieur ». — Elle y déposa le brandon qu’elle ne quittait pas, et la hutte s’éclaira, la hutte se chauffa, la hutte abrita un foyer. — N’a-t-on pas dit Prométhée le « Père des hommes », pour faire entendre que l’humanité commence avec l’emploi du feu ? Or, quelle qu’ait été l’origine du feu, il est certain que la femme a toujours été la gardienne et la conservatrice de cette source de vie. — Voici qu’un jour, à côté d’une biche que l’homme avait tuée, la femme vit un faon qui la regardait avec des yeux suppliants. Elle en eut pitié, le porta à son sein… Que de fois on voit de nos sauvagesses en faire autant ! Le petit animal s’attacha à elle, la suivit partout. C’est ainsi qu’elle éleva et apprivoisa les animaux, devint la mère des peuples pasteurs. Ce n’est pas tout : à côté du mari qui vaquait à la grande chasse, la femme s’occupait de la petite, ramassait œufs, insectes, graines et racines. De ces graines elle fit provision dans sa hutte ; quelques-unes, qu’elle avait laissé tomber, germèrent tout auprès, crûrent et fructifièrent. Ce que voyant, elle en sema d’autres et devint la mère des peuples cultivateurs. En effet, chez tous les non-civilisés la culture revient aux ménagères. Nonobstant la doctrine qui fait loi présentement, nous tenons la femme pour la créatrice de la civilisation en ses éléments primordiaux. Sans doute, la femme, à ses débuts, ne fut qu’une femelle humaine, mais cette femelle nourrissait, élevait et protégeait plus faibles qu’elle, tandis que son mâle, fauve terrible, ne savait que poursuivre et tuer ; il égorgeait par nécessité, et non sans agrément. Lui, bête féroce par instinct, elle, mère par fonction. »

Élie Reclus, "Les Primitifs"

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