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Quand les staliniens français étaient mobilisés contre le trotskisme, proclamé ennemi numéro un et agent du fascisme

17 août 2021, 08:35, par Florent

« L’exécution de quatre trotskystes du maquis du Wodli en Haute-Loire[28], fin octobre 1943, est l’épisode à la fois le plus connu et le plus significatif. Il serait sans doute à rapprocher de situations similaires dans les territoires européens libérés. Ainsi, en septembre 1941, la constitution du territoire libéré de Yougoslavie dit » république d’Uzice « , dans l’Ouest Serbe, où Zivojin Pavlovic, exclu communiste, auteur de Bilan du Thermidor de Staline, fut torturé et tué par les dirigeants communistes yougoslaves. Les exécutions connues se situent en France autour de la Libération. Citons deux cas à peu près élucidés. Marcel Brocard, ouvrier menuisier puis agent de lycée à Auxerre, fut trouvé le 23 décembre 1944 dans un bois, le corps décomposé. Il avait été enlevé de son domicile par des résistants le 22 septembre 1944. Cet ancien membre du Comité central du Parti communiste internationaliste, arrêté en août 1941 en qualité de » militant et propagandiste de la 4e Internationale » et emprisonné au camp de Vaudeurs (Yonne), n’avait pas caché ses convictions aux co-détenus communistes. Une enquête menée auprès des témoins et dans les archives indique nettement que ce sont les haines accumulées pendant ce séjour à Vaudeurs qui provoquent sa mort, à l’initiative d’anciens détenus. Le silence se fit pendant un demi-siècle.
Mathieu Buchloz, d‘origine juive, militant trotskiste parisien, fréquente à la fin de la guerre les milieux communistes pour y gagner de nouveaux militants, qu’il formait à la lecture des classiques du marxisme. Il recrute aussi celui qui va devenir le dirigeant du courant Lutte ouvrière, Robert Barcia[29]. Arrêté par des militants communistes à la Libération, on retrouve son corps dans la Seine. Ces exécutions sont certes beaucoup moins nombreuses que les épurations internes qui touchent les militants communistes ayant » trahis « , soupçonnés de faiblesse ou même injustement accusés comme Georges Déziré exécuté le 17 mars 1942 à Château, puis jeté dans la Seine, avant d’être réhabilité par Jacques Duclos dans les années 1970. Son ami, Pierre Teruel-Mania se demanda si le fait d’avoir eu une sœur trotskyste, Jeanne Déziré, n’avait pas contribué à sa perte. A vrai dire, rien ne le prouve ; on ne peut que noter son insistance à se démarquer de celle-ci dans son autobiographie pour la commission des cadres, datée du 13 décembre 1937 :
« J’ai dû par exemple entre août 1937 et maintenant mener la lutte dans le Parti contre ma sœur liée par le travail et sans doute aussi sentimentalement avec un trotskyste notoire, Leblond de Rouen, du syndicat des techniciens. Après avoir fait le travail d’éclaircissement dans sa cellule et auprès d’elle, devant son attitude provocatrice et sa volonté de lutter contre le Parti, j’ai demandé qu’elle comparaisse devant une commission de contrôle qui a conclu à son exclusion. Je mène parallèlement la lutte contre les membres de ce même groupe dont nous découvrons uns à uns les éléments. »[30]
Dans ses » mémoires « , Annie Kriegel rappelle que la chasse aux trotskistes n’est pas ralentie par la mort du » chef « , la guerre ou la Libération. Dés le 19 septembre 1944, l’Humanité aurait parlé des » agents trotskistes de la Gestapo « . La conférence des responsables aux cadres de la Région Parisienne et de l’ex-zone nord du 7 octobre organisée à la Mutualité par la commission centrale des cadres traite des trotskistes et rappelle que » le trotskisme n’est pas un mouvement politique « . En décembre, la 8° conférence régionale de Paris-Est avait recommandé de déceler les trotskistes » partout où ils se trouvent « [31] . Si l’antitrotskisme est très puissant à la Libération au point de rendre difficile le retour à la légalité et la publication normale de la presse trotskiste, les succès, limités, sont réels dans les entreprises et les administrations — par exemple dans les PTT ou dans le Livre et la métallurgie, comme en témoignent Maurice Alline[32] ou Simonne Minguet[33], et comme l’indiquera le rôle déclencheur des trotskistes dans la grève Renault d’avril-mai 1947. En province, comme le décrit Marcel Thourel pour la région toulousaine, ce fut également la première percée électorale aux élections de juin 1946[34]. Elle inquiète la direction du PCF et sert d’argument à Etienne Fajon qui publie un article dans Les Cahiers du Communisme intitulé » Un instrument du fascisme et de la réaction : le trotskisme « , titré dans le sommaire, “ L’Hitléro-Trotskisme ” (1946)[35]. L’entrisme avait aussi donné quelques autres résultats : au sein du Mouvement uni des auberges de jeunesse (MUAJ) et à la direction des jeunesses socialistes. Les grèves de 1946-mai 1947 voient des trotskistes jouer un rôle non négligeable, en particulier chez Renault, conduisant le parti à décider d’ “ asphyxier ” l’audience trotskiste dans la classe ouvrière. Robert Mencherini, dans son étude sur les grèves de 1947-1948, fait état des appréhensions d’Alfred Costes dans son rapport au comité central face à cette “ menace ” trotskiste. Si ce dernier relate “ un passage à tabac des vendeurs de La Vérité ”, “ il fait part aussi des réticences de militants du parti pour y participer. Il y voit un manque de maturité politique ”. Si le PCF est parvenu à contenir l’influence trotskiste en milieu ouvrier, il n’en est pas de même dans le monde intellectuel[36]. Les “ trotskistes ” ou plutôt des trotskistes ont joué un rôle important durant la Guerre Froide, que ce soit David Rousset, ou bien des intellectuels comme Claude Lefort qui ont, très tôt, associé leur anti-totalitarisme au soutien et à la divulgation de témoignages sur le monde soviétique et les camps[37]. A ces entreprises de « révélation », le PCF oppose une politique de censure symbolique qui procède de la dénonciation des « dénonciateurs » comme traîtres. Avec plus ou moins de succès suivant les cas, la logique de guerre aidant, une vision conspiratoire de l’histoire sera alors sollicitée. L’un des livres le plus diffusé auprès des militants communistes fut La grande conspiration contre la Russie de Michel Sayers et Albert E. Kahn que publient les Editions d’Hier et Aujourd’hui en 1947. Les Cahiers du communisme d’octobre 1947 (n°10)[38] en font l’ éloge, invitant chaque communiste à le lire et à le méditer. Bien que la vision conspiratoire de l’histoire ne soit guère marxiste, elle est à la fois très populaire et partagée[39]. La grande conspiration contre la russie prend place dans la série des récits analogues aux succès publics sans précédent, comme Les protocoles des sages de Sion par exemple[40]. Effet mystifié de la distance au champ politique qui conduit à imputer à des acteurs des “intentions” dissimulées au principe de l’avènement des “évènements” (guerres, etc..), réélaboration pseudo-explicative de l’opposition entre « eux » et « nous » (Richard Hoggart), le schème de la vision conspiratoire de l’histoire vient se fondre, pour les lecteurs communistes, dans le schème de l’histoire comme lutte des classes, l’impérialisme américain « incarnant » alors le « mal absolu », insidieux, omniprésent, le trotskisme jouant quant à lui, pour partie, le rôle dévolu aux juifs[41] dans la propagande antisémite. Ces années de guerre froide, dans le sillage de la deuxième guerre mondiale, sont en effet, aussi bien avec les romans[42] que les films d’espionnage, particulièrement propices, dans les deux camps, à la vulgarisation d’une herméneutique cryptique[43]. Tout texte critique est donc redéfini dans la catégorie du faux[44], (au sens strict ou au sens large de texte faussé par son assujettissement à la propagande anticommuniste) laquelle ne ressortit pas de la logique du débat ou de la “conversation savante”…. »

https://www.contretemps.eu/pudal-pennetier-anti-trotskisme-pcf/

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