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Les exactions terroristes de Boko Haram au Nigeria : un excellent prétexte pour les attaques des classes dirigeantes nigérianes et impérialistes

5 juillet 2014, 15:24, par Robert Paris

Les classes dirigeantes nigérianes, de longue date divisées, le sont bien plus encore depuis que la crise a réduit leurs revenus et leur clientèle et fragilisé la faible couche moyenne, petite bourgeoise. En même temps que le tissus social s’est dégradé, les classes dirigeantes ont préféré investir l’essentiel de leurs revenus à l’extérieur du pays, se créer des fortunes dans des coffres à l’étranger, et contribuer ainsi à paupériser le Nigeria dont sortait en même temps de plus en plus de richesses minières, pétrolières et gazières. La division nord/sud, recouvrant celle entre musulmans et chrétiens, qui est surtout une division entre région sans ressources minières et région pétrolière, recouvre aussi la division entre région éloignée du pouvoir et région détenue par le pouvoir d’Etat. Le pétrole, étant dans le sud, dans le delta du Niger, il est aux mains des classes dirigeantes du sud depuis des décennies. Le pouvoir politique, depuis 1999, est censé être dirigé par une rotation du pouvoir entre classes dirigeantes nordistes et sudistes et la richesse nationale aussi est censée être partagée (le « partage du gâteau » est la thèse nationale ou plutôt le mensonge officiel). La réalité est tout autre. Dans les Etats du nord Nigeria, comme Borno, Adama ou Yobe, c’est la misère, le sous-développement, le chômage, et les niveaux de la santé et de l’éducation sont parmi les plus bas d’Afrique malgré cette grande richesse nationale. La quasi-totalité des programmes de développement du nord sont à l’arrêt. Rien d’étonnant : richesse et pouvoir sont au sud ! En fait, c’est depuis 1999 que la dictature militaire directe a été abandonnée et que les élections sont censées gérer l’alternance au pouvoir. Mais, depuis 1999, c’est essentiellement les classes dirigeantes sudistes qui ont monopolisé le pouvoir sur la fédération du Nigeria, avec seulement un court intermède d’un président nordiste, Umaru Yar’Adira, mort prématurément et remplacé par un président sudiste jusqu’à aujourd’hui. Le président actuel, Goodluck Jonathan, n’envisage nullement de céder le pouvoir à un nordiste et le soutien des classes dirigeantes sudistes à Boko Haram est l’un des moyens envisagés par les sudistes pour le déstabiliser en démontrant qu’il n’assure nullement la sécurité des chrétiens du nord.

Boko Haram mise sur l’affrontement interreligieux pout gagner les Etats du nord Nigeria et il peut aussi tenter de gagner ainsi un soutien dans le pays yoruba (sud-ouest du pays) à majorité musulmane. Il sert ainsi à la fois ses intérêts, sa démagogie et les intérêts des classes dirigeantes nordistes qui veulent trouver moyen de remettre en question la domination sudiste.

Le président sudiste Goodluck Jonathan a non seulement démontré son incapacité de combattre Boko Haram mais s’est gardé de paraître s’occuper de cette affaire. Il avait promis de se rendre sur place, à Chibok, le village de Borno où les jeunes filles de 12 à 17 ans avaient été enlevées en masse par la secte salafiste mais il ne l’a pas fait. Il lui avait déjà fallu plus d’un mois pour se décider à faire une déclaration publique sur ce thème. Il avait alors menacé de publier la liste des bourgeois qui financent Boko Haram mais ses calculs politiciens l’ont arrêté au niveau des intentions car il ne veut pas se mettre à dos des intérêts sudistes puissants.

Ce n’est pas un défaut de puissance de l’armée nigériane face à Boko Haram ni une incapacité de faire la guerre. Quand elle l’a voulu, l’armée nigériane a écrasé des mouvements populaires, avec une violence invraisemblable, allant jusqu’à raser des villages entiers, sous le prétexte que des insurgés y étaient réfugiés. C’est 800 morts que l’armée a fait ainsi le 26 juillet 2009 quand l’insurrection a soulevé les Etats du nord contre l’armée. Par contre, cette même armée s’est refusée à intervenir pour sauver la population de Jos, dans le centre du pays, attaquée violemment par Boko Haram. Elle n’a pas levé le petit doigt quand plus de 200 élèves du secondaire qui se rendaient aux examens dans l’Etat du Borno ont été exécutés par Boko Haram. Cette armée est l’une des plus puissantes du continent africain et elle a servi dans nombre de conflits comme, dans les années 1990, au Liberia et au Sierra Leone.

C’est sur l’inégalité entre nord et sud, sur les sentiments de frustration de la population du nord que se fonde Boko Haram qui, le 2 janvier 2012, proclame un ultimatum enjoignant aux Nigérians originaires du sud, aux Chrétiens, de quitter tous les Etats du Nord Nigeria, sinon ils seront exécutés et le mouvement a commencé à passer des menaces aux actes jour après jour…

Boko Haram s’est mise au service de ces classes dirigeantes nordistes en éliminant les leaders nordistes gênants comme le 29 décembre 2010 à Maiduguri la candidat au poste de gouverneur du parti au pouvoir dans l’Etat de Borno.

En soutenant ou en laissant agir Boko Haram, les dirigeants des Etats du nord mettent la pression sur les classes dirigeantes du sud pour qu’elles lâchent Goodluck Jonathan, qu’elles abandonnent le pouvoir pour revenir à l’alternance et qu’elles mettent en place un « partage du gâteau ».

Mais, plus fondamentalement, il s’agit d’une manière de terroriser aussi les travailleurs du sud car Boko Haram menace aussi les Etats du sud d’actions terroristes et d’affaiblir ainsi une classe ouvrière nombreuse et combative et les classes dirigeantes du sud ne sont pas fâchées de casser le moral des travailleurs dans une période où la crise économique mondiale nécessite d’avoir une classe ouvrière plus affaiblie, plus divisée, plus terrorisée.

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