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Bergson ou le vide philosophique français

7 novembre 2016, 04:21, par Gilles St-Pierre

Je vous réponds rapidement. Une petite remarque.
Mon nom est St-Pierre et non Saint-Pierre.

Insultes et rengaines dans le texte "Bergson ou le vide philosophique français"

1-Difficile de discuter sa lecture des travaux de Lorentz et Einstein : il n’y a rien compris ! En ce qui concerne le vivant, il affirme que la science ne peut le comprendre et est partisan de l’ancienne "force vitale" !

Sur les questions de lamarckisme et de vitalisme, il faut reconnaître que Bergson n’est pas finaliste et que sa philosophie ne contient aucune "téléologie". Il ne fait nulle part référence à un quelconque dieu pour construire sa philosophie de la biologie. Si on peut dire que Bergson est lamarckiste et vitaliste, ce qui n’est pas si clair, il renouvelle ou réinvente ces termes. La mort fait partie de la vie (apoptose) et le vivant n’a pas de but sauf survivre et se reproduire. Rien n’est fixé à l’avance. Il croit au progrès en biologie, mais accepte et constate qu’il y a aussi des mouvements rétrogrades et des stases. L’un n’empêche pas l’autre.

2-En fait, l’originalité de Bergson sera de nier tout ce que la science a découvert : la réalité de la relativité de l’impossible simultanéité objective de deux instants, la réalité du vide, la réalité des possibles, etc…

La simultanéité existe et se manifeste dans l’intrication quantique. Le vide n’est pas vide comme on peut le lire sur le site "Matière et révolution" et Bergson ne nie pas la réalité des possibles mais suggère que la notion de "virtuel" est plus riche que celle de "possible".

3-Voilà le blabla de Bergson dont on ne peut même pas discuter car il ne contient RIEN :

Si cela n’est pas une insulte, dites-moi ce que c’est ?

4-Mais cette conviction se heurte au triomphe de la physique moderne, au fait que le plus fructueux et le plus rigoureux des dialogues que nous ayons mené avec nature aboutit à l’affirmation du déterminisme.

La physique quantique introduit bien un indéterminisme au niveau atomique et c’est pourquoi Einstein a déclaré : Dieu ne joue pas aux dés. Bohr a répondu : mais qui êtes-vous pour dire à Dieu quoi faire ?

5-Russell écrivait que Bergson “était inapte même à comprendre un concept mathématique aussi rudimentaire que les nombres.”

6-Reprécisons que tout ce que nous citons ensuite de Bergson nous semble anti-scientifique, fort peu brillant philosophiquement et même simplement ridicule…

Encore des insultes ! Bergson est trop révolutionnaire pour vous ! Avant d’écrire "Matière et Mémoire", Bergson épluche tous les documents scientifiques concernant l’aphasie et l’amnésie.
Cinq années de travail et d’études. Contrairement à Nietzsche et Heidegger, Bergson s’intéresse profondément à la science et c’est pourquoi il n’écrit que quatre grands ouvrages.

7-Et la position de Bergson dans la société ? Un plat suivisme social et politique !

La plupart de ces affirmations ne méritent même pas de commentaires. Ce sont bien des insultes. Elles ont servi à descendre Bergson de son vivant et expliquent qu’à son enterrement en 1941, comme le relate Paul Valéry, il n’y avait qu’une trentaine de personnes présentes. Bergson avait refusé l’exemption que les Nazis lui avaient accordé et avait renoncé à se convertir au catholicisme par solidarité avec les Juifs.
http://www.academie-francaise.fr/allocution-prononcee-loccasion-de-la-mort-de-m-henri-bergson

Bergson n’était ni de droite ni de gauche et peut être récupéré des deux côtés du spectre. Il a longtemps hésité avant de se prononcer sur les questions sociales et politiques, mais dans son dernier bouquin, il a proposé la distinction du clos et de l’ouvert qui s’applique autant à la religion, la politique, la philosophie qu’à la science. Mais surtout, il était l’ami des artistes. Il ne s’agit pas de dualités, mais de tendances. On peut être plus ou moins clos ou ouvert. Philosophe de la courbe et de la nuance.

8-Pas brillant en sciences physiques qu’il a pourtant étudiées avant de choisir la philosophie, Bergson l’est encore moins en sciences de la vie puisque, pour lui, elles ne peuvent pas exister.

J’ai déjà répondu à ceci et c’est bien encore une insulte. Alors M. Kletz, expliquez-moi comment vous faites pour ne voir aucune insulte dans ce texte ? Ça me dépasse. Peut-être est-ce parce qu’à force de répéter un mensonge, les gens finissent par y croire. Même les plus brillants. On a souvent reproché à la philosophie bergsonienne d’être trop optimiste.
Bergson ne présente pas seulement une nouvelle philosophie du vivant (la durée), mais aussi une nouvelle définition de la matière (matière-image), et en même temps une nouvelle théorie de la connaissance.
La conscience découpe le champ pratiquement infini de la réalité de façon toujours et naturellement intéressée. De l’insecte à l’homme, on ne voit ou ne perçoit que ce qui nous intéresse. Tenons-nous en aux hommes et parlons entre hommes. Il y a un aspect très sombre dans cette conception de la connaissance. Évidemment l’argent nous intéresse et quelqu’un qui par exemple gagnerait sa vie à fabriquer ou à vendre des poisons aurait tendance à ne pas voir que ce sont des poisons. Mais même celui qui n’a pas d’intérêt financier peut être aveuglé par l’intérêt. Par exemple, pour un enseignant qui a défendu pendant toute sa vie certaines conceptions, ou un intellectuel qui s’est engagé sincèrement pour une cause "nationale", ou religieuse, il sera très difficile sinon impossible d’admettre ou même de percevoir une nouvelle vérité qu’un changement de paradigme entraîne. Le dogmatisme résulte d’un profond désir de certitude (ou d’une crainte de l’incertitude) et peut se manifester autant en religion qu’en science.
C’est bien ce qui se produit en ce moment et je suis estomaqué de voir des gens brillants et cultivés incapables de voir ce qui est pourtant évident.

Avez-vous entendu parler de CRISPR, la nouvelle "biotechnologie" ? Il s’agit bien de la découverte de mutations "orientées" dans le génome des bactéries (40%) et des archées (90%). Elles ne sont pas orientées par Dieu, mais par les bactéries elles-mêmes. Quand elles sont envahies par un virus, ces bactéries très simples et très anciennes utilisent des ciseaux moléculaires très précis (caspases), découpent le génome du virus, en font des cassettes qui peuvent être lues dans les deux sens (palindrome). Une fois intégrées dans le génome, ces séquences constituent une défense contre l’invasion éventuelle du même virus. Elles enrichissent le génome, permettent de créer de nouvelles protéines, et peuvent être recrutées plus tard pour des fonctions nouvelles. Une domestication d’ADN ou d’ARN en quelque sorte.
C’est l’existence d’un système immunitaire acquis ou induit complètement inattendu chez des organismes très simples et très anciens qui rend compte du fait que les génomes des eucaryotes sont immensément plus grands et plus complexes que ceux des procaryotes.

Les virus, en retour et en coévolution ont trouvé des contre-défenses et comme dans l’hypothèse de la Reine rouge inspirée de Lewis Caroll, il y a bien une course aux armements qui crée de la nouveauté. Mais on oublie de dire que ces affrontements finissent en mariages heureux, fusionnels et permanents à travers les espèces, les siècles et les millions d’années.

Les symbioses, une sorte de sexualité avant la sexualité et les échanges de gènes dans le monde microbien sont la règle plutôt que l’exception.
Nous avons ici une création de nouveauté en même temps qu’une « domestication » d’altérité. Ceci rend l’idée que la nouveauté provient principalement des mutations au hasard dans le génome évoluant dépassée. C’est bien un phénomène lamarckien profondément enfoui au cœur de la génétique la plus fondamentale.
Voilà ce qui devrait être dit en premier à propos de CRISPR.
On l’utilise déjà dans les vaccins (gene-drive), Monsanto-Bayer s’en sert pour créer des aliments OGM qui ne seront pas identifiés comme OGM, sous prétexte qu’on utilise un mécanisme naturel.
On a déjà utilisé CRISPR pour combattre le sida, le fameux HIV, mais les résultats ont été décevants et les corrections génétiques beaucoup moins précises que prévu. Pourquoi ?
Il semble que le HIV connaît déjà CRISPR cas9 (la variété de CRISPR utilisée) et que le HIV l’a rapidement déjouée. Nous sommes devant des dialogues moléculaires qui se poursuivent depuis des millions d’années et nous ne comprenons pas ce langage. Ce n’est pas le code génétique. Il semble que cela ait beucoup plus à voir avec un mimétisme moléculaire entre ARN et ADN mais peut-être aussi entre structures moléculaires. Un langage d’images peut-être.
L’agencement structurel des chromosomes selon les types cellulaires est bien spécifique mais demeure un territoire presque complètement inexploré.

On nous dit que l’utilisation de CRISPR dans les cellules somatiques ne présente aucun danger de transmission entre les générations, la barrière de Weismann l’interdisant. Ce qui me terrifie, c’est qu’on nous raconte que le virus Zika se transmet sexuellement. Ce moustique pique-t-il directement dans les testicules ? Sinon, il ne respecte pas la barrière Weismann et est lamarckien. Je ne sais pas si vous me suivez, mais les éditeurs des plus influentes revues scientifiques comme The Lancet, The British Journal of Medicine, ou le New England Journal of Medicine ont averti qu’on ne peut plus se fier à leurs publications.
Nous avons besoin de sciences et de philosophies ouvertes et ce n’est pas ce qu’on nous sert.

Quand on lit un philosophe, il faut prendre le temps de lire et même de relire pour entrer dans sa philosophie. Il ne suffit pas de survoler ou de rechercher par exemple un terme comme "dualisme" dans un ouvrage. Bergson nous invite à adopter et même à créer des concepts souples, pas trop rigides. Il n’est pas question dans mon esprit de dire que Bergson est parfait et non critiquable. Et il est vrai de dire que dans "Matière et Mémoire" Bergson est dualiste. Mais j’ai souligné un passage où on voit déjà poindre chez Bergson un "monisme" qui se concrétisera dans "L’Évolution Créatrice".

Mais, suivant son exemple, restons polis et gardons l’esprit ouvert. D’apparence simple, sa philosophie est bien "difficultueuse" et nous invite à nous méfier des mots, étiquettes qu’on pose sur la réalité. Il ne faut pas prendre la carte pour le territoire.
Bergson s’est particulièrement intéressé à la biologie et il se trouve qu’une véritable révolution a lieu en biologie en ce moment même. Et qu’on tente de la cacher et de la retarder car il y a beaucoup d’intérêts en jeu.
La synthèse néo-darwinienne avait exclu l’embryologie et la microbiologie et n’était pas si synthétique qu’elle le prétendait. Canguilhem et Deleuze se sont courageusement déclarés vitalistes et il se tient en ce moment même à la Royal Society de Londres des discussions pour étendre, certains diraient même renverser la théorie néo-darwinienne. Même si aucun chercheur français n’est présent, la rébellion s’organise autour d’un retour du lamarckisme, si évident maintenant dans le monde microbien, végétal et même animal, vu que nous sommes nous mêmes des hybrides procaryotes-eucaryotes.

Le vitalisme et le lamarckisme sont-ils encore des péchés ?
Comment un médecin pourrait-il ne pas être vitaliste ? La science n’est-elle pas une enquête toujours prête à se réorienter selon les découvertes qu’elle fait elle-même ? Qu’on parle de « nouveau matérialisme », de panpsychisme, de vitalisme ou d’organicisme, c’est bien une nouvelle philosophie que la biologie moderne nous suggère, qui rejoint partiellement des philosophies anciennes (pas seulement occidentales), du Taoïsme à Aristote, d’Héraclite à Plotin, philosophies de la souplesse où le temps réel existe et où le tiers n’est pas automatiquement exclu, dépassant la simple dialectique, philosophie des symbioses et de la coévolution d’une unité multiple et complexifiante, créative. On n’avait vu dans l’évolution biologique que la divergence, mais c’est seulement la moitié de l’affaire. L’évolution est aussi convergence. La biologie réelle n’est même pas encore née. L’accouchement s’annonce difficile car les puissances de ce monde s’y opposent. Et pourtant…

La biologie concerne tout et ne devrait pas être un sous-ensemble de la physique. La biologie concerne l’agriculture, la médecine, la pharmacologie, la psychologie et toute les sciences humaines. Nous n’avons toujours pas de définition de la vie mais rien ne nous concerne plus que la vie. Intimement. Machinisme, mécanisme et machisme ont une racine commune et il semble bien qu’on a vu la vie et l’évolution sous un angle profondément sexiste, machiste et mécaniste.

La science et la philosophie s’incarnent dans l’histoire autour de rivalités et d’intérêts entre individus, nations et, au XXe siècle, entre les blocs capitaliste et communiste.
La France, demeurée néo-lamarckienne jusqu’aux années 70 s’est retrouvée un peu entre deux chaises pendant que l’Angleterre se rangeait avec l’Allemagne et les Américains derrière la théorie génétique. Ceci, je crois, ne peut être complètement étranger au schisme qui s’est produit entre philosophie analytique et continentale. Heureusement, il semble être en train de se résorber, mais on ne peut nier que cela s’est produit.

À cause de son histoire, de Lamarck à Claude Bernard (et ses différends avec Pasteur), de l’école de Montpellier à Bergson, de Canguilhem à la French Galaxy, je pense que la France a un rôle spécial à jouer. Des institutions comme le Collège de France et France-Culture n’ont pas leurs équivalents dans le monde anglo-saxon. Elles mettent à la disposition des citoyens les plus récentes découvertes scientifiques et j’ai pu constater que ces informations sont plus difficiles à trouver en anglais. Il faut payer et encore… Questions de brevets et d’exploitation commerciale, il semble bien que les Français sont moins doués pour les « affaires », ce qui n’a pas que des aspects positifs.
Il faut réhabiliter Lamarck, Bergson et descendre Pasteur de son piédestal. Son chien n’avait même pas la rage. Qu’on lui accorde le mérite d’avoir prouvé la non existence de la génération spontanée. Remarquons quand-même qu’il a bien fallu qu’elle se produise au moins une fois. Son contemporain, Claude Bernard défendait l’importance du « milieu intérieur » et, paraît-il que Pasteur sur son lit de mort aurait dit : Claude Bernard a raison, c’est le milieu qui compte. La Sorbonne, l’ancêtre des Universités offrait gratuitement son enseignement aux élèves doués, riches ou pauvres. Dès le départ, elle était transnationale. Partie avec quelques dizaines d’élèves au 12e siècle, elle accueillait 20,000 étudiants à la fin du Moyen-Âge et possédait la plus grande bibliothèque du monde après le Vatican. Il reste encore trace de cette histoire dans la France actuelle (éducation gratuite).

Il n’y a pas de vide philosophique français. À mon avis, c’est plutôt le contraire.
La modernité philosophique prétend qu’il n’y a pas de lien entre le Beau, le Vrai et le Bien, le monde est absurde et n’a pas de sens. Ça serait trop romantique, idéaliste, platonicien, dépassé et ringard. Pourtant, devant tant de corruption, de mensonges et de bassesse, on voit très bien combien et comment le laid, le faux et le mauvais sont profondément liés. Démonstration par son contraire.
Je ne suis pas révolutionnaire, mais je vois bien qu’une révolution profonde a cours en biologie et qu’on essaie depuis longtemps de la dissimuler. Les cadres craquent. Elle implique tant d’acteurs puissants dans tant de domaines, finance, médecine, pharmacologie, agriculture, agendas politiques à toutes les échelles dans une espèce de concordisme bio-matérialiste dawkinien et quand-même principalement anglo-saxon, qu’on a l’impression d’être devant notre monstueuse création, pieuvre géante, machine désirante qui dévore ses enfants, inarrêtable, implacable. Que faire ?
Interpréter autrement parce que c’est inévitable, parce que la science avance et la philosophie se nourrit de la science et inversement. On ne peut faire de science fondamentale sans faire de philosophie.

https://www.dailymotion.com/video/x4trl68_la-complexite-du-vivant_school

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