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Ce que Victor Hugo nous a dit…

16 septembre 2016, 06:54, par Robert Paris

Les lettres d’Engels montrent qu’en dépit de la sincère et profonde amitié qu’il avait pour Laura Marx et son mari, il considérait les activités marxistes de Lafargue avec un net agacement et s’efforçait de le décourager des plus ambitieuses d’entre elles, en lui disant franchement qu’il ne comprenait rien aux théories qu’il prétendait défendre. Il critiqua sévèrement plusieurs ouvrages dont Lafargue était particulièrement fier. Si l’on en juge par la vivacité avec laquelle Engels attaqua dans cette période des écrivains comme Loria, en Italie, ses critiques de Lafargue eussent été bien plus amères s’il n’avait été retenu par les liens de l’amitié (Engels n’entretint-il pas le ménage Lafargue de 1883 à sa mort ?). En outre, Engels commit l’erreur de penser que, puisque la majeure partie de l’œuvre de Lafargue n’avait rien à voir avec le marxisme, elle ne pouvait nuire sérieusement à la réputation de Marx. Finalement, il considéra que ce qui était dit en français sur le marxisme n’avait pas trop d’importance tant que la vraie doctrine était diffusée en Allemagne.

Engels a « censuré » préalablement nombre d’ouvrages de Lafargue. Il avait insisté pour en voir certains ; Lafargue lui en avait transmis d’autres pour approbation. S’il ne pouvait y remédier lorsqu’elles ne correspondaient pas à un exposé du marxisme, il pouvait insister pour la correction d’erreurs flagrantes d’interprétation. Ainsi, lorsque Lafargue lui soumit pour révision une étude apologétique de la théorie économique de Marx, Engels [43], en guise de réponse (la plus dure de cette longue correspondance) recommanda à son correspondant de lire d’abord soigneusement le Capital : Lafargue avait tout simplement omis d’assimiler ce que Marx en avait dit. Il critiqua son appréciation de la gauche française en des termes qui supposaient que Lafargue ne savait pas reconnaître un socialiste lorsqu’il en voyait un [44]. De 1887 à 1890, il se plaignit à diverses reprises du boulangisme de Lafargue (et de Guesde et de Deville) auquel ils étaient conduits par leur inaptitude à distinguer le marxisme du blanquisme (une partie des boulangistes était blanquiste). Les social-démocrates allemands déplorèrent cette faiblesse des marxistes français, qui, selon Engels, faisait un « grand tort » à la cause marxiste. La réponse de Lafargue était significative : il ne fallait pas essayer d’« aller contre le courant ». Bien entendu, Engels répliqua que si, au cours de cette période, le marxisme n’allait pas contre le courant du socialisme éclectique, il n’avait plus de raison d’être. En apprenant à Lafargue que « les Possibilistes étaient considérés ici (c’est-à-dire à Londres) comme les seuls socialistes français ; et vous (c’est-à-dire Lafargue et les guesdistes) comme une clique futile et simplette d’intrigants », Engels exprimait sans doute une opinion que seule la politesse l’empêchait de prendre à son compte ; dans tous les cas, il n’était pas loin de la vérité.

Toutefois, les nombreuses insuffisances de Lafargue en tant que politicien et tacticien marxiste nous intéressent moins ici (sauf pour relever que l’on ne saurait les taxer de réformisme et de centrisme) que son rôle d’interprète de la doctrine marxiste en France. Dans ce domaine, Lafargue était le fantaisiste du marxisme français de la première période. Ses relations avec Karl Marx pourraient suggérer une compréhension intime du sujet si le reste de ses activités intellectuelles, fortement dispersées, ne trahissait une incorrigible légèreté et une grande prétention.

Marx écrivait :

« Lafargue est en vérité le dernier disciple de Bakounine, en qui il avait entièrement confiance... Il mit longtemps pour saisir Bakounine, et encore ne l’a-t-il pas entièrement compris. Longuet, le dernier proudhonien, et Lafargue, le dernier bakouniniste ! Le diable emporte ces oracles patentés du socialisme scientifique ! »

En fait, ce sont les deux prétendus « marxistes français », Lafargue et Guesde, que Marx tenait à se démarquer, considérant qu’ils avaient plutôt tendance à discréditer ses idées qu’à les diffuser.

Lettre d’Engels à Bernstein du 25 octobre 1881 :

« La lettre de Lafargue a été encore un de ces coups de tête [en fr.] dont les Français, notamment ceux qui sont nés au sud de la ligne Bordeaux-Lyon, ne sauraient se passer de temps à autre. Il était si sûr de faire un coup de génie et en même temps une gaffe qu’il n’en a parlé qu’après coup à sa femme (qui en empêcha plus d’une de ce genre). À l’exception de Lafargue, qui est toujours pour que l’on « fasse quelque chose », n’importe quoi [en fr.], nous étions ici unanimes contre une Égalité n° 3. Avec leurs 5 000 francs (s’ils y étaient), je leur promettais une durée de 32 numéros. Si Guesde et Lafargue veulent à toute force se faire à Paris la réputation de tueurs de journaux [en fr.], nous ne pouvons pas les en empêcher, mais c’est tout ce que nous ferons. Si, contre toute attente, le journal réussit mieux et devient réellement bon, nous pourrons toujours, dans un moment difficile, voir ce que nous pouvons faire. Mais il est absolument nécessaire que ces messieurs apprennent enfin à bien gérer leurs propres ressources. Le fait est que nos amis français, voulant fonder le parti ouvrier, ont, depuis douze à quinze mois, fait gaffe sur gaffe, et tous sans exception. La première, c’est Guesde qui l’a faite, lorsque, par un purisme absurde, il a empêché Malon d’accepter la rédaction de la rubrique ouvrière qu’on lui offrait à l’Intransigeant, avec des appointements de 12 000 francs. Voilà le point de départ de tout ce tapage. Ensuite, vint l’impardonnable sottise de l’Émancipation : Malon s’est laissé duper par les fausses promesses des Lyonnais (les plus mauvais ouvriers de France), et Guesde brûlait d’avoir à tout prix [en fr.] un quotidien. Après cela, la dispute à propos de la candidature, où il est très possible que Guesde ait commis l’erreur de forme que vous lui reprochez, mais où il est évident pour moi que Malon cherchait l’occasion d’une querelle. Enfin, l’entrée au Citoyen français de M. Bourbeau, alias Secondigné, aventurier notoire, puis sa sortie pour simple défaut de paiement des honoraires, sans motif politique. Puis l’entrée de Guesde, avec dès gens de toutes sortes, au Citoyen, dernière version, et celle de Malon et Brousse à ce pitoyable Prolétaire, qu’ils avaient toujours, Malon du moins, combattu sous main comme une vulgaire feuille de chou. »

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