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Le rôle actif, militant et dirigeant de l’Eglise catholique dans le génocide rwandais

24 août 2019, 07:42

Le mémorial du génocide Gisozi, à Kigali, pointe sans hésiter l’archevêque suisse, Mgr. Perraudin, Père Blanc, originaire de Bagnes en Valais. Missionnaire en Afrique durant des années et consacré, le 25 mars 1956, évêque du Vicariat apostolique de Kabgayi. On continue à s’interroger sur son rôle précis dans le génocide rwandais et comment cet homme de foi, croyant, pratiquant dont le digne but était d’évangéliser les Africains se retrouve sur la liste des génocidaires, du moins fiché comme un des principaux idéologue ?
Avant de partir au Rwanda, j’avais visionné le film sur Hannah Arendt et le procès d’Eichmann, projeté aux Scala. En me retrouvant devant la photo de l’archevêque Perraudin, j’ai tenté d’imaginer comment la philosophe aurait analysé ce cas où la banalité du mal prend une autre forme , celle de la justification faite par André Perraudin que ce sont les victimes qui l’ont cherché, que ce qui est arrivé aux Tutsi était à prévoir, c’est ainsi que André Perraudin effacera toute responsabilité dans ce qui sera un des génocides les plus effroyables du XXème siècle et qui fera dire à Bertrand Russell dès 1964 : » « le massacre le plus systématique depuis l’extermination des Juifs par les nazis ».
L’histoire de Perraudin est surprenante car l’homme part d’un bon sentiment, du moins d’un sentiment religieux ; c’est au nom de la charité chrétienne et de la justice sociale qu’il prend une position ambiguë dans sa lettre pastorale « Super Omnia Caritas » (par-dessus tout la charité) , du 11 février 1959 et qui confortera l’intégrisme ethnique. Le religieux n’a pas compris que cette lettre ferait office d’appui de l’Eglise et tiendrait de justification morale des revendications hutues contre la minorité tutsie qui se déployeront dans une violence sans précédent. Dès le mois de novembre 1956, quelque mois à peine après sa lettre, on verra dans la région de Kabgayie, fief de son archevêché , apparaître les prémices du génocide de 1993.
La lettre apostolique du Père blanc sera lue dans toutes les paroisses et fera de lui un des principaux idéologue et inspirateur de la Révolution sociale qui lui fait écrire : « Dans notre Rwanda les différences et les inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences de race, en ce sens que les richesses d’une part et le pouvoir politique et même judiciaire d’autre part, sont en réalité entre les mains d’une même race ». C’est au nom de l’égalité entre les races et de la charité que Mgr Perraudin soutient de tout son poids cette « révolution sociale » d’où émergent les leaders du mouvement hutu alors que les Pères blancs avaient au préalable et pendant des années éduquée et soutenue l’élite tutsie.
Comment ce religieux nourri spirituellement du « Aimez-vous les uns, les autres « a pu être pareillement impliqué en qualité de théoricien du génocide rwandais dans une idéologie totalitaire qui entraînera l’extermination perpétré par les Hutus contre les Tutsis et Hutus opposés au génocide, comment ce mandement de Carême qui a marqué un tournant au Rwanda participera à le présenter comme une personne-clé au cœur d’un génocide ?
Par la suite, on le verra proche de Grégoire Kayibanda dont il sera le conseiller et l’ami, son implication et son influence sur les dirigeants du Rwanda ne fait aucun doute, il se défendra face aux accusateurs en lançant à la cantonade que "les Tutsi sont la cause de leur propre génocide. « 
Une question sans doute qui aurait passionné Hannah Arendt et « sa banalité du mal » revisitée par le rôle de l’archevêque suisse. Un mal banal et atroce qui prend des allures de bien- pensance, de morale, de vertu, par souci de devoir, la nécessité absolue d’en finir au nom du Bien et qui nous rappelle l’adage « les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions ». Au nom de cette compassion, le Père Blanc a alimenté l’intégrisme ethnique né et issu du colonialisme dont lui-même n’en était que le prolongement, dans cette posture de l’étranger qui érige des dogmes selon un point de vue entièrement post-colonial, avec une construction propre et vue par des Européens, loin de la réalité historique de ce peuple. C’est bien lui qui conseillait tous les jours le Président Kayibanda qui ne manquait jamais de faire un saut par l’archevêché de Kabgayie pour écouter les recommandations du religieux et surtout les appliquer à la lettre.
Quel a été le rôle précis de la Confédération qui enverra ses cinq conseillers personnels du Président dont les derniers Frei et Charles Jeanneret rappelé en 1993 et payés par la DDC ? Ni l’Eglise catholique ni le Vatican, ni la Suisse ne pouvaient ignorer l’escalade de violence et d’extermination systématique des Tutsi par les Hutu. La Suisse a bel et bien soutenu et encouragé la « démocratie ethnique « du régime Habyarimana.
Mais la Suisse comme pour le Tampon J se montre très discrète sur son rôle et son soutien dans son implication auprès des génocidaires. Dans le rapport Voyame, on la voit exécuter un exercice périlleux de contorsionniste, or, il ne fait aucun doute qu’ elle a bien collaboré étroitement avec le régime politique rwandais Habyarimana, qui s’est avéré criminel et responsable du génocide tout en s’excusant de n’avoir rien remarqué de particulier tout concentrés qu’étaient les fonctionnaires suisses à s’occuper de leurs affaires et qui lui fera dire : « les responsables de projets étaient presque exclusivement fixés sur leur tâche locale et qu’ils n’avaient guère, ou pas assez, perçu la dégradation de la situation sociale, l’inquiétude de la population et les abus de l’ethnicisation ». Un rapport Voyame qui banalise le mal et esquive les responsabilités.

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