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Chronologie de la trahison de la révolution espagnole par les dirigeants de la CNT-FAI

23 mars 2018, 06:16

Le rôle des anarchistes.

Les anarchistes n’ont eu, dans la révolution espagnole, aucune position indépendante. Ils n’ont fait qu’osciller entre menchévisme et bolchévisme. Plus exactement, les ouvriers anarchistes tendaient instinctivement à trouver une issue dans la voie bolchévique (19 juillet 1936, journées de mai 1937), alors que les chefs, au contraire, repoussaient de toute leur force les masses dans le camp du Front populaire c’est-à-dire du régime bourgeois [23].

Les anarchistes ont fait preuve d’une incompréhension fatale des lois de la révolution et de ses tâches lorsqu’ils ont tenté de se limiter aux syndicats, c’est-à-dire à des organisations de temps de paix, imprégnées de routine et ignorant ce qui se passait en dehors d’eux, dans la masse, dans les partis politiques et dans l’appareil d’Etat. Si les anarchistes avaient été des révolutionnaires, ils auraient avant tout appelé à la création de soviets réunissant tous les représentants de la ville et du village, y compris ceux des millions d’hommes les plus exploités qui n’étaient jamais entrés dans les syndicats. Dans les soviets, les ouvriers révolutionnaires auraient naturellement occupé une position dominante. Les staliniens se seraient trouvés en minorité insignifiante. Le prolétariat se serait convaincu de sa force invincible. L’appareil de l’Etat bourgeois n’aurait plus été en prise sur rien. Il n’aurait pas fallu un coup bien fort pour que cet appareil tombât en poussière. La révolution socialiste aurait reçu une impulsion puissante. Le prolétariat français n’aurait pas permis longtemps à Léon Blum de bloquer la révolution prolétarienne au-delà des Pyrénées.

La bureaucratie de Moscou n’aurait pu se permettre un tel Iuxe. Les questions les plus difficiles se seraient résolues d’elles-mêmes.

Au lieu de cela, les anarcho-syndicalistes qui tentaient de se réfugier dans la politique des syndicats se sont retrouvés, au grand étonnement de tout le monde et d’eux-mêmes, la cinquième roue du carrosse de la démocratie bourgeoise [24]. Pas pour longtemps, car la cinquième roue ne sert à personne. Après que Garcia Oliver et Cie eurent bien aidé Staline et ses acolytes à enlever le pouvoir aux ouvriers, les anarchistes furent eux-mêmes chassés du gouvernement de Front populaire. Ils dissimulèrent la frayeur du petit bourgeois devant le grand bourgeois, du petit bureaucrate devant le grand bureaucrate, sous des discours pleurnichards sur la sainteté du front unique (des victimes avec les bourreaux) et sur l’impossibilité d’admettre toute dictature, y compris la leur propre. « Nous aurions pu prendre le pouvoir en juillet 1936... Nous aurions pu prendre le pouvoir en mai 1937... » C’est ainsi que les anarchistes imploraient Negrin et Staline de reconnaître et de récompenser leur trahison de la révolution. Tableau repoussant.

Cette seule autojustification : « Nous n’avons pas pris le pouvoir, non parce que nous n’avons pas pu, mais parce que nous n’avons pas voulu, parce que nous sommes contre toute dictature » [25], etc., renferme une condamnation de l’anarchisme en tant que doctrine complètement contre-révolutionnaire. Renoncer à la conquête du pouvoir, c’est le laisser volontairement à ceux qui l’ont, aux exploiteurs. Le fond de toute révolution a consisté et consiste à porter une nouvelle classe au pouvoir et à lui donner ainsi toutes possibilités de réaliser son programme. Impossible de faire la guerre sans désirer la victoire. Personne n’aurait pu empêcher les anarchistes d’établir, après la prise du pouvoir, le régime qui leur aurait semblé bon, en admettant évidemment qu’il fût réalisable. Mais les chefs anarchistes eux-mêmes avaient perdu foi en lui. Ils se sont éloignés du pouvoir, non pas parce qu’ils sont contre toute dictature - en fait, bon gré, mal gré... - mais parce qu’ils avaient complètement abandonné leurs principes et perdu leur courage, s’ils eurent jamais l’un et l’autre. Ils avaient peur. Ils avaient peur de tout, de l’isolement, de l’intervention, du fascisme, ils avaient peur de Staline, ils avaient peur de Negrin. Mais, ce dont ces phraseurs avaient peur avant tout, c’était des masses révolutionnaires.

Le refus de conquérir le pouvoir rejette inévitablement toute organisation ouvrière dans le marais du réformisme et en fait le jouet de la bourgeoisie ; il ne peut en être autrement, vu la structure de classe de la société [26].

Se dressant contre le but, la prise du pouvoir, les anarchistes ne pouvaient pas, en fin de compte, ne pas se dresser contre les moyens, la révolution. Les chefs de la C.N.T. et de la F.A.I. ont aidé la bourgeoisie, non seulement à se maintenir à l’ombre du pouvoir en juillet 1936, Mais encore à rétablir morceau par morceau ce qu’elle avait perdu d’un seul coup. En mai 1937, ils ont saboté l’insurrection des ouvriers et ont sauvé par là la dictature de la bourgeoisie. Ainsi l’anarchiste, qui ne voulait être qu’antipolitique, s’est trouvé en fait antirévolutionnaire et, dans les moments les plus critiques, contre-révolutionnaire.

Les théoriciens anarchistes qui, après le grand examen des années 1931 à 1937, répètent les vieilles sornettes réactionnaires sur Cronstadt et affirment : le stalinisme est le produit inévitable du marxisme et du bolchévisme, ne font que démontrer par là qu’ils sont à jamais morts pour la révolution.

Vous dites que le marxisme est violence en soi et que le stalinisme est sa descendance légitime. Alors pourquoi donc nous, marxistes révolutionnaires, nous trouvons-nous en lutte mortelle contre le stalinisme dans le monde entier ? Pourquoi donc la clique stalinienne voit-elle dans le trotskisme son ennemi principal ? Pourquoi toute proximité avec nos conceptions ou notre d’action (Durruti [27], Andrés Nin, Landau et autres [28]) force-t-elle les gangsters du stalinisme à recourir à une répression sanglante ? Pourquoi, d’autre part, les chefs de l’anarchisme espagnol, au moment des crimes du G.P.U. à Moscou et à Madrid, étaient-ils des ministres de Caballero-Negrin [29] », c’est-à-dire les serviteurs de la bourgeoisie et de Staline ? Pourquoi, même maintenant, sous le prétexte de lutter contre le fascisme, les anarchistes restent-ils prisonniers volontaires de Staline-Negrin, c’est-à-dire des bourreaux de la révolution, par leur incapacité à lutter contre le fascisme ?

Les avocats de l’anarchisme qui prêchent pour Cronstadt et pour Makhno ne trompent personne [30]. Dans l’épisode de Cronstadt et dans la lutte contre Makhno, nous avions défendu la révolution prolétarienne contre la contre-révolution paysanne. Les anarchistes espagnols ont défendu et défendent encore la contre-révolution bourgeoise contre la révolution prolétarienne. Aucun sophisme ne fera disparaître de l’histoire le fait que l’anarchisme et le stalinisme se sont trouvés du même côté de la barricade, les masses révolutionnaires et les marxistes de l’autre. Telle est la vérité qui entrera pour toujours dans la conscience du prolétariat.

[23] En juillet 1936 comme en mai 1937, non seulement la masse des ouvriers influencés par l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme, mais la majorité de leurs cadres organisateurs au sein de la classe ouvrière se lancèrent dans la lutte sur une ligne révolutionnaire qui tendait plus ou moins consciemment chez eux à la prise du pouvoir par les travailleurs. Ce sont les combats de Barcelone en juillet qui ont achevé de dessiner la légende de Durruti, intrépide lutteur. En revanche, pendant toute cette période, le rôle d’Horacio Prieto secrétaire du comité national de la C.N.T., fur décisif chaque fois qu’il s’est agi de la collaboration entre la C.N.T. et le gouvernement. juan Garcia Oliver, l’ancien chef de file de ceux que l’on appelait les « anarcho-bolcheviks », joua un rôle déterminant aussi bien en juillet 1936, en utilisant son autorité pour préserver les institutions de la Généralité de Catalogne, le président Companys en tête, qu’en arrêtant les combats au mois de mai 1937 à Barcelone. (P. Broué)

[24] Le ministre anarchiste Juan Peiro, membre du gouvernement de Largo Caballero, écrivait dans Politica du 23 février 1937 : « Notre victoire dépendait et dépend encore de l’Angleterre et de la France, mais à condition de faire la guerre et non la révolution. (...) La voie à suivre est celle-ci : faire la guerre et, tout en faisant la guerre, nous limiter à la préparation de la révolution. » (P. Broué)

[25] Dressant un bilan de cette époque, l’anarchiste Santillàn écrit après la défaite : « Nous pouvions être seuls, imposer notre volonté absolue, déclarer caduque la Généralité et imposer à sa place un véritable pouvoir du peuple ; mais nous ne croyions pas à la dictature quand elle s’exerçait contre nous et nous ne la désirions pas quand nous pouvions nous-mêmes l’exercer aux dépens des autres » (Santillàn, Por qué perdimos la guerra, p. 169). (P. Broué)

[26] Après avoir évoqué dans La Velada de Benicarlo le « soulèvement prolétarien » ripostant au coup des généraux, Azaòa écrit : « Une révolution a besoin de s’emparer du commandement, de s’installer au gouvernement, de diriger le pays selon ses vues. Elle ne l’a pas fait. (...) L’ancien ordre pouvait être remplacé par un autre, révolutionnaire. Il n’en a rien été, il n’en est sorti qu’impuissance et désordre » (op. cit. p. 96). (P. Broué)

[27] La mention de Durruti dans cette parenthèse semble suggérer que Durruti se rapprochait des conceptions marxistes, et qu’il fut assassiné par les staliniens, La version de son assassinat par le G.P.U. circula longtemps parmi les révolutionnaires, mais elle n’a jamais été prouvée. Ce point d’histoire est discuté avec soin dans la dernière partie de Durruti, Le peuple en armes par Abel Paz, qui conteste nos conclusions. La propagande stalinienne s’efforça de récupérer à son profit la popularité de Durruti, lui attribuant notamment la phrase suivant laquelle il fallait être prêt à renoncer « à tout, sauf à la victoire ». Les Izvetija du 23 novembre 1936 affirmaient qu’il s’était rapproché du P.C. et faisaient écho à une rumeur selon laquelle il y aurait adhéré en secret... Les nombreux témoignages recueillis par Abel Paz, l’interview donnée par Durruti à Pierre Van Paasen (Toronto Star, 18 août 1936), le texte de sa lettre aux travailleurs soviétiques (C.N.T., 2 novembre 1936 in extenso dans Paz, op. cit., pp. 403-404) tendraient à prouver le contraire : Durruti était très conscient de la nécessité de mener de front la guerre et la révolution : il avait refusé la « militarisation », tout en faisant régner dans sa colonne une réelle discipline. Ce furent certains de ses compagnons les plus proches comme l’instituteur Francisco Car qui devaient au printemps 1937 former le groupe des « Amis de Durruti », hostiles tant à l’anti-étatisme traditionnel et simpliste des anarchistes qu’au ministérialisme des dirigeants anarchistes espagnols. En mai 1937, les Amis de Durruti travaillèrent avec Moulin et le groupe bolchévique-léniniste. (P. Broué)

[28] La première traduction française porte : « Tout rapprochement vers nos conceptions » - au lieu de « proximité » - ce qui est insoutenable, car Trotsky ne pouvait supposer qu’à cette date Nin et moins encore Landau se « rapprochaient » de ses conceptions. En revanche, la remarque est intéressante au regard de la vive polémique entre lui et ces militants qu’il considérait bel et bien comme politiquement « proches » de ses conceptions. On sait que Nin fut assassiné par le G.P.U. Il ne fait aucun doute que Kurt Landau, arrêté deux mois plus tard, connut le même sort (voir Katia Landau, Le Stalinisme en Espagne). (P. Broué)

[29] Ou la formule « Caballero-Negrin » est volontairement ambiguë, ou Trotsky se trompe. Il y avait en effet dans le gouvernement Largo Caballero - où Negrin était ministre des finances - quatre ministres anarchistes au moment des deux premiers procès de Moscou, de la répression contre le P.O.U.M. de Madrid et lors des journées de mai de Barcelone : Juan Peiro, Juan Lopez, Federica Montseny, et Juan Garcià Oliver. En revanche, après la démission de Largo Caballero, à la fin de mai 1937, la C.N.T. refusa d’entrer dans le gouvernement formé par Negrin ; elle n’était donc pas représentée au gouvernement au moment où furent assassinés Andrés Nin, Kurt Landau, Erwin Wolf et les autres. C’est au mois de juin suivant qu’elle quitte également le gouvernement de la Généralité de Catalogne. Toutefois, ce départ ne correspond pas à un changement d’attitude de la part des dirigeants de la C.N.T. César M. Lorenzo - que l’on peut soupçonner d’hostilité à leur égard - résume leur politique à l’égard du gouvernement Negrin et Companys de cette période par une formule cruelle : « Les anarchistes supplient Negrin et Companys » (p. 302). Quinze jours après leur éviction du gouvernement, un plénum péninsulaire semble revendiquer leur retour. Au début de l’année suivante, la C.N.T. puis la F.A.I. adhèrent au Front populaire, et, le 2 avril 1938, la C.N.T. entre dans un gouvernement Negrin remanié. (P. Broué)

[30] Le rôle joué par Trotsky au cours de la guerre civile en Russie dans la répression de l’insurrection paysanne de Makhno, puis, en mars 1921, de celle de Cronstadt, deux mouvements revendiqués par les anarchistes, servait et sert toujours de base aux attaques des anarchistes contre Trotsky et le trotskisme, assimilé à une variante du stalinisme. (P. Broué)

Trotsky - Leçons d’Espagne : dernier avertissement.

17 décembre 1937

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