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Le stalinisme et l’art

28 juillet 2015, 08:36

Avec une docilité remarquable, ce qu’on appelle l’art soviétique a fait de ce mythe un des sujets favoris de la représentation artistique. Sverdlov, Dzerjinsky, Ouritsky, et Boubnov, sont représentés en couleurs et en relief, assis ou debout, entourant Staline et manifestant une attention intense à ses paroles. Le local où se tient la réunion a un caractère intentionnellement mal défini, afin d’éviter toute question embarrassante sur l’adresse à laquelle il se trouve. Que peut on attendre d’artistes contraints de peindre la représentation grossière d’une falsification historique évidente pour eux mêmes ?

Le style actuel de la peinture officielle soviétique porte le nom de « réalisme socialiste ». Ce nom même a certainement été donné par quelque chef de bureau des affaires artistiques. Le réalisme consiste à imiter les daguerréotypes qu’on faisait dans les provinces pendant le dernier quart du XIX° siècle ; le caractère « socialiste », à coup sûr dans la manière de montrer les événements, avec les procédés des photographies guindées c’est à dire qu’on ne sait jamais où ils ont lieu. On ne peut s’empêcher d’éprouver un écœurement physique c’est à la fois comique et effrayant à la lecture des poèmes et des nouvelles, à la vue des photos de tableaux ou de sculptures dans lesquels des fonctionnaires armés de plumes, de pinceaux ou de burins, sous la surveillance d’autres fonctionnaires armés de Mausers, chantent les louanges de chefs « prestigieux » et « géniaux », qui n’ont en réalité pas la moindre étincelle de génie ou de grandeur. L’art de l’époque stalinienne restera comme l’expression la plus crue de la profonde décadence de la révolution prolétarienne.

Mais cela ne se limite pas aux frontières de l’U.R.S.S. Sous couvert de reconnaissance tardive de la Révolution d’Octobre, l’aile « gauche » de l’intelligentsia occidentale s’est mise à genoux devant la bureaucratie soviétique. Les artistes doués de caractère et de talent sont, en règle générale, marginalisés. Et c’est ainsi qu’avec le plus grand sans gêne, des ratés, des carriéristes, des gens dépourvus de dons se sont propulsés au premier rang. On a inauguré l’ère des centres et des bureaux de toutes sortes, des secrétaires des deux sexes, des inévitables lettres de Romain Rolland, des éditions subventionnées, des banquets et des congrès, où il est difficile de découvrir la ligne de démarcation entre l’art et le G.P.U. Malgré sa vaste extension, ce mouvement de militarisation n’a pas donné naissance à une seule oeuvre qui puisse immortaliser son auteur ou ceux qui, du Kremlin, l’ont inspirée.

Dans le domaine de la peinture, la Révolution d’Octobre a trouvé son meilleur interprète, non en U.R.S.S., mais dans le lointain Mexique, non au milieu des « amis » officiels, mais en la personne d’un « ennemi du peuple » notoire que la IV° Internationale est fière de compter dans ses rangs. Imprégné de la culture artistique de tous les peuples et de toutes les époques, Diego Rivera a su demeurer mexicain dans les fibres les plus profondes de son génie. Ce qui l’a inspiré dans ses fresques grandioses, ce qui l’a transporté au dessus de la tradition artistique, audessus de l’art contemporain et, d’une certaine façon, au dessus de lui-même, c’est le souffle puissant de la révolution prolétarienne. Sans Octobre, sa capacité créatrice à comprendre l’épopée du travail, son asservissement et sa révolte n’auraient jamais pu atteindre pareille puissance et pareille profondeur. Voulez vous voir de vos propres yeux les ressorts secrets de la révolution sociale ? Regardez les fresques de Rivera ! Vous voulez savoir ce que c’est qu’un art révolutionnaire ? Regardez les fresques de Rivera !

Approchez vous un peu de ces fresques et vous verrez sur certaines d’entre elles des éraflures et des taches faites par des vandales pleins de haine, des catholiques et autres réactionnaires parmi lesquels, évidemment, des staliniens. Ces coups et ces blessures donnent aux fresques une vie plus intense encore. Ce n’est pas seulement un « tableau », l’objet d’une consommation esthétique passive, qui est sous nos yeux, mais un fragment vivant de la lutte sociale. Et en même temps, c’est un sommet de l’art.

Léon Trotsky

17 juin 1938

L’art et la révolution

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