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Réflexions sur la nature de l’État et de la dictature du prolétariat dans la transition au communisme - La discussion sur la question de l’Etat a démarré

29 août 2019, 06:16

Léon Trotsky en avril 1922 : « La grève dans l’Etat ouvrier » :

« De toute évidence, les syndicats doivent prendre à cœur la défense des salariés travaillant pour l’industrie privée. Les intéressés ne souhaitant pas toujours en ce moment l’intervention du syndicat dans leurs affaires. Dans les conditions extrêmement dures de la période transitoire actuelle, le travail chez le capitaliste peut paraître parfois le meilleur. Mais ils se rendront compte avant peu que la protection de l’Etat ouvrier et du syndicat contre l’exploiteur leur est indispensable.

Pour défendre ces catégories de salariés, nos syndicats doivent reconstituer des caisses de grève et se préparer à des luttes nouvelles. Cela ne veut pas dire que nous aurons toujours recours, dans les concessions et les entreprises privées, à la grève. Au contraire, les syndicats agissant en régime des soviets avec le concours illimité de l’Etat, trouveront souvent bien d’autres moyens d’amener le concessionnaire et l’entrepreneur à satisfaire les revendications ouvrières.

Voilà qui est évident. Beaucoup plus difficile à résoudre est le problème de la grève dans les entreprises de l’Etat, dans les entreprises soviétistes. Nul n’ignore que, pendant nos quatre années de lutte, nous avons vu de ces grèves. Et tant que nous serons aussi pauvres, tant que nous souffrirons de la profonde misère causée par le blocus, par l’intervention étrangère, par le sabotage de certains techniciens, nous devrons nous attendre à des conflits dans l’industrie de l’Etat, au cours desquels la grève ne sera pas toujours évitable.

Lorsque se produisirent les premières grèves de ce genre contre l’Etat ouvrier, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires y virent le symptôme de la chute prochaine du régime des Soviets. Ils ne comprenaient pas les grèves auxquelles nous avions affaire avaient objectivement et subjectivement un caractère radicalement diffèrent de celui des grèves sous l’ancien régime et sous le gouvernement de Kérensky. Nous ne voulons pas dire qu’elles aient toutes été innocentes et idylliques. Loin de là. Il leur est plus d’une fois arrivé d’avoir une teinte contre-révolutionnaire. Elles ont fait un mal inappréciable à notre vie économique et à l’Etat ouvrier. Mais il n’en est pas moins vrai qu’elles ne furent pas des faits de lutte de classe, mais plutôt des querelles intestines dans une classe. Quand la situation économique devenait à peu près intenable, quand le manque d’argent et la crise du combustible atteignaient plus particulièrement une catégorie d’ouvriers, celle-ci exprimait parfois sa protestation par la grève. La grève était extrêmement nuisible. Elles n’arrangeait rien, elle n’améliorait certes pas la situation économique et financière, elle ne remédiait en rien à la crise du combustible. Elle montrait seulement le manque de conscience, d’organisation et de fermeté intérieure de quelques éléments ouvriers. Elle procurait le plus grand plaisir aux contre-révolutionnaires de toute espèces, prolongeait la guerre civile, accroissait le désarroi économique. Mais elle ne ressemblait en rien aux mouvements de classe qui ont jeté bas l’ancien régime. C’était comme on l’a dit, dans la résolution de notre Comité Central, « des conflits entre des groupes isolés de la classe ouvrière et certaines institutions de l’Etat ouvrier ».

Tels quels, ces conflits ont fait le plus grand mal à l’Etat ouvrier et, partant, à la classe ouvrière. Mais il était impossible de les prévenir.

Deux causes profondes les provoquaient :

1. Notre pauvreté, les ruines accumulées chez nous par l’impérialisme ;

2. Les fautes graves de certaines institutions de l’Etat ouvrier atteintes de « déformation bureaucratique ».

Laquelle de ces deux causes fut la plus importante dans chaque cas défini, nous ne le saurions exactement connaître. En tout cas, la tâche de nos syndicats c’est de prévenir, par des interventions intelligentes, les grèves provoquées par la « déformation bureaucratique » et, par des arrangements amiables, ainsi que par une aide cordiale apportée à nos organes économiques, celles que pourrait encore entraîner la pauvreté du pays.

Tâche difficile. Pour l’accomplir, il faut des militants vivant au sein des masses, avec les masses, de la vie des masses, sachant les comprendre, sachant apprécier, sans idéalisation superflue, leur degré de conscience et la puissance sur elle des anciens préjugés, sachant conquérir leur confiance et leur affection.

A l’époque du communisme de guerre, les dirigeants de nos syndicats n’avaient qu’une réponse à faire aux grévistes : « Vous n’avez pas le droit de cesser le travail, ni d’exiger du syndicat qu’il défende vos intérêts de vendeurs de main-d’œuvre. L’Etat des Soviets est un Etat ouvrier. Dans un Etat ouvrier, point n’est besoin d’organes spéciaux pour défendre l’intérêt de l’ouvrier ». Au fond, cette réponse était juste et le reste. Mais elle devient bientôt une déplorable formule officielle, si les syndicats ne sont pas étroitement mêlés à la vie ouvrière et s’ils ne savent pas combattre efficacement la « déformation bureaucratique » de certains organes de l’Etat, s’ils ne savent pas prouver à l’ouvrier le plus arriéré que tout ce qui était possible dans son intérêt a été fait. Il y a en cette matière une limite difficile à saisir, mais qu’il faut savoir ne pas franchir. Si les syndicats ne vivent pas de la vie même des masses laborieuses, s’ils ne font pas leur possible pour améliorer sans cesse leur condition, la solution théorique de la question du droit de grève dans l’Etat ouvrier n’est plus qu’une néfaste formule produisant sur le travailleur un effet diamétralement opposé à l’effet voulu.

Nous savons tous combien nos ressources matérielles sont restreintes et combien il nous est difficile d’augmenter en ce moment les salaires réels des travailleurs employés par l’industrie d’Etat. Mais a-t-on fait tout ce qui était possible ? En ce qui concerne par exemple les conditions hygiéniques du travail dans notre industrie ? A-t-on fait tout ce que notre pauvreté actuelle nous permettrait de faire, ne fût-ce que pour les ouvriers des entreprises les plus importantes de l’Etat ? Non. Et mille fois non.

« Un des meilleurs moyens et des plus infaillibles d’apprécier la justesse et l’efficacité du travail des syndicats nous est fourni par les résultats de sa politique en vue d’éviter dans les entreprises de l’Etat les conflits collectifs, en se préoccupant en toute matière de l’intérêt des ouvriers et en éliminant à temps utile les causes de conflits. »

Ainsi s’exprime avec beaucoup de justesse la résolution du Comité Central. Si l’on peut dire que dans l’Etat bourgeois, le meilleur syndicat, le plus combatif, c’est précisément celui qui a soutenu le plus de luttes, il faut dire que, dans les usines de l’Etat ouvrier, la vérité est exactement contraire. Mais pour liquider les grèves, la politique de prévoyance, « le souci de sauvegarder en toute matière l’intérêt des ouvriers », doivent être substitués à tous les autres moyens parfois employés aux jours difficiles de la guerre civile.

L’Etat ouvrier traversant une période de transition telle que la nôtre, ne peut interdire, par une loi, la grève dans ses établissements industriels, bien qu’il soit évident aux yeux de tous les travailleurs conscients que cette grève soit nuisible, absurde et parfois contre-révolutionnaire. Mais l’Etat ouvrier ne peut pas non plus proclamer dans ses usines le droit de grève comme le voudraient, pour le plus grand avantage de la bourgeoisie, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks. Et ce n’est pas là une contradiction tactique. C’est une contradiction dans la vie même, dans la dure réalité d’une période de transition.

Plus l’Etat des Soviets se fortifiera, mieux nous relèverons notre vie économique, plus rapidement nous cicatriserons les blessures que nous ont faites la guerre et la contre-révolution, mieux nous éliminerons de notre vie sociale le menchevisme et le « socialisme révolutionnaire » de ceux qui, pendant des années, ont soutenu la réaction, mieux les syndicats réussiront à résoudre pacifiquement les conflits — et plus la classe ouvrière deviendra consciente et moindre sera la déformation bureaucratique de nos organes de l’Etat et plus vite disparaîtra cette contradiction.

Les nouvelles tâches assignées aux syndicats attribuent bien des droits à leurs militants. Mais aussi nous attendons beaucoup de leur travail. La campagne dont le plan est esquissé dans la résolution du Comité Central de notre Parti prendra des mois. Cette résolution, en effet, ne concerne pas seulement le mouvement syndical. Elle embrasse la situation de la classe ouvrière tout entière dans la période actuelle, en Russie des Soviets.

Nos syndicats doivent se transformer. Ils doivent renaître. Que le Parti soit prêt de son côté ! Une œuvre immense est à accomplir. Et les syndicats doivent à tout prix se mettre à la hauteur des grandes nécessités nouvelles. »

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