Accueil > ... > Forum 49142

Révolutions de Numidie et de Maurétanie

19 mai 2020, 11:16, par Ahmed

L’INSURRECTION DE 253

Bâtie sur la sueur et le sang des peuples opprimés la « prospérité » romaine n’allait pas tarder à s’effondrer. Les lourdes dépenses militaires indispensables à la surveillance de l’empire, jointes au gaspillage effréné et au luxe insolent des classes riches, allaient vider les caisses de l’Etat et entraîner, à partir du III e siècle, une crise économique et financière sans précédent.

Pour y faire face, les Romains aggravèrent encore les impôts et l’exploitation des paysans. Mais la misère effroyable des campagnes se traduisit par de nouveaux soulèvements. Aux esclaves ruraux et aux ouvriers saisonniers descendus des tribus se joignirent des milliers de petits agriculteurs libres, sous-locataires de parcelles minuscules dans les grands domaines fonciers, écrasés de corvées et de charges fiscales nouvelles, ainsi que de nombreux propriétaires ruinés. La résistance à la domination étrangère s’identifiait désormais à la lutte contre l’exploitation des hommes et pour la récupération des terres volée, réalisant ainsi cette « imbrication de la résistance à l’agression et des luttes sociales » qui caractérise l’histoire de notre pays. (1)

Aussi quand les flammes de l’insurrection s’allumèrent à nouveau, en 253, « les paysans berbères ne s’attaquèrent pas spécialement aux Romains, mais à tous leurs oppresseurs, quels qu’ils fussent, et surtout aux Berbères romanisés dont ils pillèrent les terres ». (2)

Il ne s’agissait nullement, comme le prétendent certains auteurs français, de « troubles anarchiques » et « d’efforts incohérents », mais d’un soulèvement organisé. Le signal de l’action n’a pas été donné au hasard, mais à l’heure la plus propice : celle où l’empire romain, secoué à l’intérieur par les désordres économiques, était de surcroît assailli à l’extérieur par les Germains et les Perses.

Quand bien même il n’y aurait pas eu, ce qui semble probable, de liaisons organisées entre les Numides et les autres peuples asservis par Rome, on ne peut contester l’existence en Algérie d’une direction insurrectionnelle centralisée. Sous la conduite de qui ? De Faraxen sans doute, un valeureux chef de tribus du Djurdjura, le seul dont le nom soit conservé jusqu’à nous. Mais pas seulement lui. Car la mort de Faraxen, en 259, n’a nullement empêché la guerre de se poursuivre durant de longues années encore.

S’il fallait une autre preuve du caractère organisé du soulèvement, on la trouverait dans son extension rapide à l’ensemble du pays. Les inscriptions romaines relatives aux opérations militaires n’ont pas été relevées seulement sur des monuments commémoratifs découverts autour du Djurdjura, dans la vallée de la Soummam, à Auzia (Sour EL Ghozlane) et Zuccabor (Miliana) mais aussi à Milev (Mila) près de Constantine, et Altava (Ouled-Mimoun) près de Tlemcen. Ces deux derniers points sont séparés l’un de l’autre par une distance de mille kilomètres. Aucune tribu, ni même confédération de tribus, n’aurait pu dans les conditions de l’époque mener seule une guerre de plusieurs années et participer à des combats en des points aussi éloignés de son territoire d’origine.

Il faut donc bien admettre qu’une entente plus large s’est réalisée, groupant autour des tribus montagnardes de Kabylie, des confédérations nomades de Maurétanie et des populations urbaines du Constantinois. Après des siècles de colonisation, de morcellement territorial et d’étouffement culturel, cette entente traduit une résurgence remarquable des aspirations à l’unité.

Certes, l’unanimité est loin d’être faite. D’importants contingents d’auxiliaires se battent encore dans l’armée romaine. Et Faraxen lui-même sera tué par un détachement de cavaliers maures. Mais ces « harkis » de l’antiquité sont de plus en plus isolés. Le détachement qui tua Faraxen est rapidement détruit et son chef, Gargil, tué a son tour dans une embuscade par d’autres cavaliers maures ralliés à l’insurrection.

Quoi qu’il en soit, des combats acharnés se déroulèrent de longues années durant en divers points du pays : en 257 à Altava ; en 259 à Milev, en 260 à Auzia, en 289 dans la vallée de la Soummam et en bien d’autres régions encore. Après de brèves périodes d’accalmie, la guerre se rallumait sans cesse. Les évènements étaient suivis à Rome avec angoisse. Preuve de l’importance capitale qu’on leur accordait : en 297 l’empereur Maximien traversa la mer en personne pour participer à la « pacification ». Des renforts considérables furent envoyés sur place ; des régions périphériques furent abandonnées (surtout en Oranie) pour permettre une plus forte concentration des troupes sur les points décisifs, c’est-à-dire sur les plaines riches où s’étendaient, à perte de vue, les immenses domaines fonciers de l’aristocratie coloniale.

1 Charte d’Alger,Ch.I.p.10

2 Ch.A.Julien : Histoire de l’Afrique du Nord,t.I,p.197

Source

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.