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Bolchevisme et Education

16 mai 2020, 16:30

La période étrange que nous venons de vivre a mis l’accent sur une compétence très répandue au sein du règne animal  : l’apprentissage social, c’est-à-dire la capacité à apprendre les uns des autres. Certains ont pu la faire fonctionner pleinement  : c’est le cas des adultes qui, bien souvent, ont dû collectivement apprendre à se comporter dans une situation totalement nouvelle à partir d’informations et d’observations prises auprès des autres. C’est moins le cas, hélas, des élèves qui ont dû poursuivre leur parcours pour la plupart seuls, sans avoir justement la possibilité d’interagir directement entre pairs. Qu’est-ce qui va distinguer ces deux situations  : d’un côté, apprendre avec les autres, de l’autre, apprendre seul dans son coin  ? Une synthèse fraîchement publiée sur cette question dans l’excellente revue Nature Reviews Neuroscience nous livre de précieuses idées à retenir. Une arme secrète  : l’apprentissage social Commençons par donner une définition  : l’apprentissage social est une forme d’apprentissage par renforcement – dont l’effet est d’ancrer et consolider les comportements efficaces –, mais dans lequel l’efficacité du comportement en question est évaluée non pas en fonction des résultats obtenus pour soi, mais en observant les résultats du comportement en question pour un autre individu, un « démonstrateur ». Il s’agit d’un apprentissage par procuration, aussi qualifié de « vicariant » – du latin vicarius, qui signifie « remplaçant »  : c’est ainsi qu’un rat ayant vu un de ses congénères recevoir une décharge électrique en entrant dans une pièce va lui-même éviter d’y pénétrer. Il n’aura pas eu besoin, pour cela, de recevoir la décharge lui-même… On comprend tout de suite l’avantage évolutif de cette capacité formidable  : il est beaucoup moins coûteux pour un groupe d’animaux d’apprendre du comportement malheureux d’un seul individu, plutôt que de voir tous ses membres échouer et mourir. L’apprentissage social minimise la prise de risque tout en maximisant le gain en un temps donné  ; c’est une sorte d’apprentissage distribué où tout le groupe progresse grâce à la somme des expériences aléatoires positives et négatives de chacun. Et chez les espèces douées de langage, cet effet est décuplé par la possibilité de transmettre une expérience à un grand nombre d’individus qui n’en ont pas été les témoins directs. Que m’enseignent les succès et erreurs d’autrui  ? Dans le cerveau, cette capacité naîtrait de l’activité conjointe de deux grands réseaux  : l’un permettant l’apprentissage « autonome » – quand le renforcement ne dépend que de l’expérience de l’individu isolé – et l’autre dédié à la compréhension des sensations éprouvées par autrui. Car, en effet, pour que le rat éprouve une réelle répulsion à l’idée de rentrer dans la pièce où son congénère vient de recevoir une décharge électrique, il faut qu’il ait ressenti cette douleur comme sienne. Cette étonnante capacité, c’est l’empathie dont l’article cite deux exemples notables  : celui d’un rat dont le circuit cérébral du plaisir et de la motivation est activé quand il observe un autre rat boire une boisson sucrée, et celui d’un singe qui refuse d’actionner un mécanisme pour obtenir de la nourriture parce qu’il a observé que ce même mécanisme envoie une stimulation déplaisante à un autre singe. Il est donc intéressant que l’apprentissage social se soit peut-être développé grâce à la capacité d’empathie du cerveau, à moins que ce ne soit l’inverse et que l’empathie soit apparue pour minimiser les risques au sein du groupe  ! Malgré sa puissance apparente, l’apprentissage social a tout de même des limites  : lorsqu’un individu surréagit à une situation modérément nocive, il transmet aux observateurs une information erronée concernant la gravité de celle-ci. Ces derniers évitent ensuite logiquement de reproduire l’expérience et plus rien ne vient contredire cette fausse croyance. C’est ainsi qu’une peur exagérée peut se répandre au sein d’un groupe social à partir d’une seule source d’information fausse, et si l’espèce dispose d’un langage, le phénomène est amplifié à cause du décalage énorme qui peut exister entre la réalité et la description qui en est faite après coup. Experts et moutons Des modélisations mathématiques de l’apprentissage de groupes mettent en lumière plusieurs stratégies d’apprentissage social pour limiter ces écueils, qui sont toutes observées dans le règne animal. La première consiste à autoriser plusieurs individus à renouveler l’expérience initiale, quand le risque est faible et que le temps et l’énergie nécessaires sont minimes. Une autre stratégie consiste à apprendre en priorité en observant les éléments dominants du groupe et ceux dont les réactions sont d’ordinaire justes et adaptées  : les chefs, les sages et les experts. Les primates ont depuis longtemps investi dans cette stratégie, puisqu’on sait par exemple que les humains sont très attentifs aux « prescripteurs » que sont les experts, et même les célébrités ou les influenceurs, et que les chimpanzés adoptent préférentiellement les stratégies de recherche de nourriture ou de manipulation d’objets observés chez les individus dominants. Enfin, les observations de terrain montrent une tendance généralisée à imiter le comportement le plus répandu pour gommer les réactions extrêmes. Dans une société comme la nôtre, cela reviendrait à vérifier la véracité d’une expérience en la reproduisant plusieurs fois, puis à n’écouter que les experts capables d’en tirer les bons enseignements… et puis à faire le mouton. La crise sanitaire du Covid nous a donné plusieurs exemples de limites de l’apprentissage collectif, à travers maintes rumeurs et comportements irrationnels dictés par la peur. Pour ne pas finir sur cette note négative, et pour revenir à l’école, cet article rappelle un rôle essentiel des pairs dans l’apprentissage scolaire  : en voyant l’un des siens se réjouir parce qu’il a réussi quelque chose qui paraissait difficile, l’élève est encouragé à suivre la même voie pour réussir à son tour. Les autres sont donc un puissant facteur de motivation. C’est une des raisons pour lesquelles apprendre tout seul chez soi, cela va un temps… mais ça ne doit pas trop durer. Jean-Philippe Lachaux : directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

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