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Qu’est-ce que l’auto-organisation ?

3 septembre 2010, 17:32, par Robert

Le physicien Robert B. Laughlin expose dans « Un univers différent » sa thèse opposée à celle du réductionnisme : comment la matière peut spontanément bâtir un ordre à partir du désordre sur la base des multiples interactions désordonnées, par émergence de structure. Cette conception, loin d’opposer agitation et lois, montre que les constantes découlent de processus de coopération collectifs par lesquels de nombreuses réactions successives en tous sens produisent un sens bien précis.

« Les lois de la nature qui sont importantes pour nous émergent par un processus collectif d’auto-organisation (…) « Le tout n’est plus la somme de ses parties » n’est pas seulement une idée, mais aussi un phénomène physique : voilà le message que nous adresse la science physique : voilà le message que nous adresse la science physique. La nature n’est pas uniquement régie par une règle fondamentale microscopique, mais aussi par de puissants principes généraux d’organisation. Si certains de ces principes sont connus, l’immense majorité ne l’est pas. (…) Les éléments fondamentaux de ce message sont formulés dans les très nombreux écrits d’Ilya Prigogine (…) Je suis de plus en plus persuadé que toutes les lois physiques que nous connaissons – pas seulement certaines – sont d’origine collective. La distinction entre lois fondamentales et lois qui en découlent est un mythe, de même que l’idée de maîtriser l’univers par les seules mathématiques. La loi physique ne peut pas être anticipée par la pensée pure, il faut la découvrir expérimentalement, car on ne parvient à contrôler la nature que lorsque la nature le permet, à travers un principe d’organisation. On pourrait baptiser cette thèse « la fin du réductionnisme » (réductionnisme c’est-à-dire le principe « divisons en composantes de plus en plus petites et nous finirons forcément par comprendre »). (…) Puisque le principe d’organisation – ou plus exactement leurs conséquences – peuvent être des lois, celles-ci peuvent elles-mêmes s’organiser en lois nouvelles, et ces dernières en lois encore plus neuves, etc. Les lois du mouvement des électrons engendrent des lois de la thermodynamique et de la chimie, qui engendrent les lois de la cristallisation, qui engendrent les lois de la rigidité et de la plasticité, qui engendrent les lois des sciences de l’ingénieur. Le monde naturel est donc une hiérarchie de descendance interdépendante (…) »

« Le tout petit groupe d’expériences qui sont d’une extrême exactitude a en physique une importance considérablement supérieure à sa taille. (…) Il y a la constante de Rydberg, le nombre qui définit la quantification des longueurs d’onde de la lumière émise par des gaz atomiques dilués et responsable de la fiabilité stupéfiante des horloges atomiques : on la connaît au cent millième de milliardième près. Autre exemple, la constante de Josephson, le nombre qui indique le rapport entre la tension qu’on applique à un type précis de « sandwich » métallique et la fréquence des ondes radio qu’il émet : on la connaît à un degré d’exactitude d’un cent millionième. Ou encore la résistance de Von Klitzing, le nombre qui indique le rapport entre le courant électrique qu’on fait passer à travers un semi-conducteur de conception spéciale et la tension induite perpendiculairement au moyen d’un aimant : on la connaît à un degré d’exactitude d’un dix milliardième. Paradoxalement, l’existence de ces expériences très reproductibles nous inspire deux points de vue incompatibles sur ce qui est fondamental. Selon le premier, cette exactitude nous fait toucher du doigt certains des éléments primitifs les plus simples dont est fait notre monde complexe et incertain. Nous disons que la vitesse de la lumière est constante parce qu’elle l’est vraiment, et parce que la lumière n’est pas constituée de composantes plus élémentaires. Avec ce mode de pensée, nous réduisons ces expériences extrêmement précises à une poignée de constantes dites « fondamentales ». L’autre point de vue, c’est que l’exactitude est un effet collectif, qui se produit en raison d’un principe d’organisation. (…) Un bel exemple d’effet collectif déguisé en effet réductionniste est la quantification des spectres atomiques. (…) Donc même la constance du spectre atomique a en réalité des origines collectives – le phénomène collectif, en l’occurrence, étant l’univers lui-même.
Autre cas de « collectivisme », bien plus immédiat et troublant : la détermination de la charge de l’électron et de la constance de Planck par des mesures macroscopiques. La charge de l’électron est l’unité indivisible de l’électricité. La constance de Planck est la relation universelle entre le moment et la longueur qui définit la nature ondulatoire de la matière. Il s’agit de deux concepts résolument réductionnistes et, pour déterminer leur valeur, on recourt traditionnellement à de gigantesques machines qui mesurent les propriétés d’électrons individuels arrachés à des atomes. Or, il s’avère que le chiffre le plus précis ne vient pas de ces machines, mais simplement d’une combinaison des constantes de Josephson et de Von Klitzing, dont la mesure n’exige rien de plus compliqué qu’un cryoréfrigérateur et un voltmère. Cette découverte a été une immense surprise, car les échantillons sur lesquels on mesure les effets Josephson et Von Klitzing sont extrêmement imparfaits : ils regorgent d’impuretés chimiques, d’atomes déplacés et de structures atomiques complexes comme les frontières des grains et les morphologies de surface, autant de facteurs qui auraient dû perturber les mesures au niveau d’exactitude rapporté. Le fait même qu’ils ne le font pas prouve que de puissants principes d’organisation sont à l’œuvre. (…) Nous avons pris l’habitude de penser l’électron (et sa charge) comme un élément de base, un « cube de construction » de la nature, qui n’exige aucun contexte collectif pour avoir un sens. (…) L’énigme de la charge de l’électron, en fait, n’est pas unique. Toutes les constantes fondamentales exigent un contexte environnemental pour faire sens. (…) Il s’avère que les légendaires lois de Newton sont émergentes. Elles n’ont rien de fondamental, mais résultent de l’agrégation de la matière quantique en fluides et en solides macroscopiques – un phénomène organisationnel collectif. (…) Le comportement supraconducteur nous révèle, par son exactitude, que la réalité quotidienne est un phénomène d’organisation collective. (…) Les états de la matière – dont les plus connus sont le liquide, le gazeux et le solide – sont des phénomènes organisationnels. Beaucoup sont surpris de l’apprendre puisqu’ils apparaissent si fondamentaux et familiers, mais c’est la pure vérité. (…) Les états sont un cas d’émergence élémentaire et bien étudié, qui démontre de façon convaincante que la nature a des murs d’échelle : les règles microscopiques peuvent être parfaitement vraies mais sans aucune pertinence pour les phénomènes macroscopiques, car ce que nous mesurons leur est insensible ou au contraire trop sensible. (…) Enfin, nous savons que les lois élémentaires ont en principe la capacité d’engendrer des états et des transitions d’états en tant que phénomènes organisationnels. (…) L’aspect le plus stupéfiant de l’ordre cristallin, c’est qu’il reste exact quand la température monte. (…) L’exactitude du réseau sur longue distance explique la soudaineté de la fonte. (…) La forme et l’élasticité ne peuvent être perdues que sur le mode de la « catastrophe ». (…) Les transitions de la glace, fonte et sublimation, signalent la destruction de l’ordre cristallin et son remplacement par un autre ensemble de comportements exacts collectivement baptisé « hydrodynamique ». (…) L’émergence de la loi hydrodynamique aux longueurs d’onde élevées explique pourquoi l’onde de compression du son se propage universellement dans les fluides, et pourquoi la force de cisaillement d’un fluide est presque exactement de zéro. (…) le phénomène émergent qui distingue les états liquide et gazeux n’est donc pas le développement de l’ordre (…) Les états cristallins et superfluides, et les comportements exacts qui leur sont propres, sont des exemples particuliers d’une idée abstraite importante en physique, qu’on appelle la brisure de symétrie spontanée. (…) L’idée de brisure de symétrie est simple : la matière acquiert collectivement et spontanément une propriété ou une préférence qui n’existait pas dans les règles antérieures. Par exemple, lorsque des atomes s’ordonnent en cristal, ils acquièrent des positions privilégiées, mais ces positions n’avaient rien de privilégié avant la constitution du cristal. Quand un morceau de fer devient aimanté, le magnétisme choisit spontanément une direction dans laquelle il va orienter.(…) Nous disons que la matière décide « au hasard » (…) mais cette formule ne saisit pas vraiment ce qui se passe. (…)
L’émergence des principes traditionnels de protection prend un tour intéressant quand le système se trouve à l’équilibre, à une transition d’état, car il a du mal à décider comment s’auto-organiser. Il peut alors arriver que tout soit non pertinent sauf une seule quantité caractéristique qui grandit sans limite quand la taille de l’échantillon augmente, par exemple la quantité de magnétisme dans un matériau magnétique. (…) La protection équilibrée se produit couramment dans la nature, mais moins qu’on pourrait s’y attendre, car la plupart des transitions d’état, l’évaporation de l’eau par exemple, ont une chaleur latente qui force les états à coexister. »

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