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La situation au Mali

22 février 2010, 18:34, par Bertin D.

Front social : Capitulation et complicité de la société civile PDF Imprimer Email
Écrit par Toure Sambi

Alors que le bateau Mali tangue péniblement sur l’océan des affres de la vie chère et des dérives institutionnelles, organisations de la société civile et syndicale, comme gagnées par une mystérieuse aphonie, rangent soigneusement leurs arsenaux. Les quelques voix discordantes sont étouffées par la force répressive publique. Et le peuple souffre sa passion ; les yeux rivés sur des lendemains meilleurs toujours plus lointains.
L’année qui vient de s’achever, à l’instar de celle qui a précédé, a été marquée par une hausse généralisée des prix des produits de grande consommation. Il s’agit certes de la résultante d’une « conjoncture internationale particulièrement défavorable », en raison de la conjugaison de nombreux paramètres négatifs, mais dont notre pays a payé et continue à payer l’un des plus lourds tributs du fait de son impréparation et de sa faible capacité d’anticipation et de réaction. Les ressources disponibles étant très loin d’être intarissables pour combler le gouffre révélé au grand jour. Aussi, le Mali est-il assailli par cette crise qui n’a fait que rendre davantage précaire les conditions d’existence des pauvres populations dont le pouvoir d’achat était déjà largement en deçà des niveaux des marchés.

Dans ce tourment d’une rare violence et où le désemparement est total, les réponses envisagées au pied levé par le régime ont surtout brillé par leur inefficience. L’approvisionnent correct et régulier du marché, qui était la priorité des priorités du Gouvernement malien, a pu être assuré dans une large mesure au prix d’exonérations accordées généreusement à des opérateurs céréaliers. Le résultat attendu de ce sacrifice, qui a coûté au Trésor public un manque à gagner de plusieurs milliards de nos francs, était logiquement la réduction des prix au consommateur, du moins son maintien dans des proportions raisonnables comparativement au pouvoir d’achat des populations. Hélas, il en a été tout autre et les seuls véritables bénéficiaires de la saignée du Trésor public auront été finalement ces opérateurs qui ont fait de leurs choux gras la crise.

D’autre part, la Commission nationale des prix qui est une émanation du Forum national sur les produits de première nécessité, de décembre 2008 (dont la société civile est partie prenante avec le Gouvernement), n’a jamais véritablement joué le rôle de supervision et de régulation des marchés qui était attendu de lui. Les étiquetages des produits et l’affichage des prix des produits annoncés, après un début d’application partielle, en l’absence de suivi rigoureux, ont été abandonnés par les commerçants qui ont vite perdu de vue le sérieux de la mesure. Par incurie, refus de s’assumer des pouvoirs publics, les populations sont devenues les acteurs frénétiques d’un bal orchestré par la horde opportuniste. Faute de toute contrainte officielle, il revient à chacun d’appliquer son prix. Et c’est le prix fort qui est appliqué, précipitant alors des populations très éprouvées dans le tréfonds de la pauvreté. Et la société civile malienne, à la différence notoire de toutes les sociétés civiles africaines, brille par un silence sépulcral qui ressusciterait un mort. Comme si tout baignait en la république.

Le leurre du PDES

Le Projet de développement économique et social (PDES) sur la base duquel le président ATT a été élu en 2007, avec le score que l’on sait et qui se passe de tout commentaire, prend pourtant un sérieux coup ; alors que les pouvoirs publics incitent démagogiquement les populations à scruter un horizon toujours plus sombre et plus lointain. En effet, dans tous ses segments le PDES, devenu le bâton de Moïse pour la traversée de la Mer rouge, prend de l’eau. La démocratie et la gouvernance pour le renouveau de l’action publique ; une croissance forte et soutenue pour améliorer le niveau de vie et le bien-être des Maliens ; le développement des ressources humaines et les réformes de sociétés ; l’intégration ouest africaine et africaine s’étant vite révélés des challenges difficilement accessibles pour le régime dont les multiples convives au banquet se sont montrés de redoutables granivores loin des préoccupations du peuple.

Il serait fastidieux de faire un état des lieux détaillé de l’application des principaux axes du PDES même s’il est permis de relever, à titre indicatif, quelques dérives qui sont de nature à battre en brèche les grandes ambitions affichées dans le cadre du fameux projet de développement dont on remarquera qu’il se distingue d’un programme comme on était en droit de l’attendre en raison de toute la publicité tapageuse qui l’entoure et surtout des défis qui se posent au pays sur le plan du développement.

La justice qui est le dernier recours des citoyens est encore loin de justifier du crédit qui lui sied de droit. Eclaboussée par de nombreux scandales, elle est devenue l’instrument dont tous les faibles, pourtant meurtris et floués au quotidien, préfèrent se détourner. L’interpellation lors de la dernière EID, le 10 décembre, d’un capitaine de police à la retraite, résidant à Kati, au sujet de la création d’un titre sur son titre foncier, est suffisamment édifiante quant au tripatouillage dont la justice de notre pays sait se rendre coupable et complice. Les circonstances ayant conduit à la démission avec fracas d’un jeune magistrat de la même circonscription de Kati en disent également long sur l’état d’une institution dont la gangrène ouvre la voie royale à tous les dérapages.

A ce niveau, la construction de nouveaux édifices ou le recrutement de quelques auxiliaires n’y fait fichtre rien. Parce que ce qui est en cause, ce sont des hommes indéboulonnables toujours en place et des habitudes connues bien ancrées que les arrivants n’ont d’autre choix que de respecter sous peine d’être la victime expiatoire du système. « Qui s’y frotte s’y pique » est la règle d’or en la matière. Le cas du jeune magistrat, qui a suscité l’émoi et la consternation, est d’autant plus interpellateur que la justice de notre pays, qui traîne la mauvaise réputation de lenteur, a brillé cette fois-ci par une diligence jamais égalée pour vider en quelques jours le dossier et mettre sur la touche la démissionnaire. Vite et bien fait ! Comme quoi, malgré le manque de moyens, on peut vite faire ; pourvu que cela soit d’un certain intérêt privé.

Défis persistants

Le projet de transition pour le salut du peuple ambitionne également de renforcer la gestion publique en vue d’améliorer quantitativement et qualitativement les services offerts aux populations en prenant appui sur le Programme de développement institutionnel (PDI). Paradoxalement, c’est maintenant plus que jamais que des documents s’éternisent durant plusieurs mois sur la table pour une simple signature où l’administration, au nom de la loi, se livre à des brigandages d’Ephèse sur les faibles au profit des plus nantis de la société, notamment dans la course effrénée à toujours plus de lots et de parcelles…

Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, trois étapes ont été identifiées dans ce projet de développement économique et social : la mise en place du Bureau du vérificateur général ; les Etats généraux de la lutte contre la corruption ; l’opérationnalisation des recommandations des Etats généraux. A l’évidence, il s’agit là de l’une des plus belles farces à la quelle il est donné au peuple malien d’assister, tant le dispositif est impressionnant d’assurance et de volonté de combattre le phénomène. Parce que autant les rapports du Végal, une institution, n’ont produit aucun résultat, autant des Etats généraux réunissant une foule hétéroclite n’augurent de rien de meilleur.

Sur le plan sécuritaire, malgré un calme apparent, le pays est toujours pris à la gorge par un certain Ibrahim Ag Bahanga qui continue d’en imposer aux généraux de la république. La paix et la stabilité tant recherchées pour impulser véritablement le développement demeurent toujours hypothétiques, une gestion de la crise en solo de la part des généraux ayant balisé la voie à une situation de non droit difficilement rémissible en cause à présent et dont les rebelles tirent le meilleur parti possible. Ainsi si du côté de l’Alliance du 23 mai se dégagent des signaux qui nourrissent des espoirs de paix, pour ce qui est du chef des « adultes égarés de la république », nul ne saurait parier de la réaction ni à quel moment cela pourrait intervenir, laissant planer une menace perpétuelle d’insécurité pour un pays qui a payé le prix fort du sang versé de ses fils et de ses maigres ressources financières.

Avec beaucoup de réserve cependant, l’on peut s’aventurer à soutenir, avec des pincettes, que seule la stratégie de puissance agricole de notre pays est sur les rails. C’est ce que laisse penser les résultats de l’initiative riz du Premier ministre Modibo SIDIBE. Dans une certaine mesure, l’on peut également évoquer la politique de désenclavement intérieur et extérieur du pays qui connaît plus ou moins de bonheur grâce au financement des partenaires financiers.

Pour autant, l’on est loin d’être sorti de l’auberge pour l’un et l’autre des exemples qualifiables d’heureux dès lors que la machine est exposée à se gripper à tout moment du fait de la meute à l’affût, notamment de l’initiative riz dont la gestion de la réussite pose autant d’équations que sa mise en œuvre.

Dans cette situation de péril général, il serait autant coupable de passer sous silence la désertion du terrain par la société civile. Jadis bruyamment présente sur tous les fronts, particulièrement pour l’inauguration de chrysanthèmes, pour chanter louanges et honneurs du pouvoir, elle est devenue aphonique comme par enchantement lorsque la menace venant de toutes parts s’est précisée et que l’heure est venue pour elle d’interpeller, de dénoncer et de condamner la gestion de la chose publique, conformément à sa vocation première. Une capitulation en règle qui trahit tout l’espoir qu’elle était censée incarner pour la défense de la cause du peuple. Là hélas, il n’y a plus de place au doute que nous avons à faire à une société civile plutôt publique qui perd tout son latin dès lors qu’il est question d’ergoter ou de remettre en cause la gestion des affaires publiques. Une hérésie à laquelle répond l’auteur français qui criait malheur au poète qui s’exile ou se tait pendant que Rome brûle.

La grande déception

Pourtant, une « société civile consciente » s’est refusée de tout temps à trinquer à la coupe traîtresse des Judas de la république. Malgré sa limitation numérique et de moyen, elle s’est efforcée de jouer le rôle qui est sien sans jamais réussir à inverser en réalité la tendance plus que braquée. Parce qu’une force répressive veillait jalousement à réduire au silence toute voix discordante. Du refus d’accéder aux demandes de marches pacifiques, à la dispersion sans ménagement des mouvements de protestation pacifique, rien n’a été épargné par le régime pour imposer la pensée unique au sujet d’une situation de crise qui ne fait que diviser chaque jour davantage.

La plus grosse déception vient cependant des syndicats travailleurs, notamment l’Untm qui a semblé tout à fait étrangère à ce que les travailleurs endurent au quotidien pour la survie. En effet, si des accords ont été trouvés sur l’essentiel des points contenus dans le cahier de charges, force est d’admettre que très peu de ses points connaissent une application effective et satisfaisante. Comme le Gouvernement, le syndicat travailleur se complait dans une maigre augmentation de 5% sur les salaires dont l’incidence est quasi nulle en terme d’augmentation du niveau de vie des travailleurs. Pour les travailleurs partants volontaires à la retraite, moins que pour les compressés, c’est toujours l’espoir reporté sine die quand le bout du tunnel se profile. Il y a une nette impression que l’on s’accommode de cette impasse du côté de la principale centrale syndicale dont l’exutoire est de ne pas charger davantage les pouvoirs publics en temps de crise comme s’il était de sa mission de participer à la gestion des affaires. Certains discours trahissent la pensée. A force de s’accoquiner avec le pouvoir, le syndicat a fini par s’y assimiler.

La centrale syndicale est d’autant plus indexée qu’elle a effectué un revirement assez spectaculaire au sujet de l’épineux dossier de privatisation de la CMDT au point d’en ravaler sa langue et sa religion. Il y a encore deux ans, son mot d’ordre était sans ambages : plus de nouvelle privatisation dans ce pays sans publication préalable du bilan de celles qui sont déjà faites. Une position qui avait tout son bien-fondé lorsqu’on sait que dans très peu de cas, le remède miracle des privatisations a sorti les sociétés concernées de l’ornière. Mais progressivement et pour le cas spécifique de la CMDT, elle n’était plus opposée au principe de la privatisation, mais exigeait un plan social pour sécuriser les travailleurs.

Mais l’on tombe de Charybde à Scylla en constatant le silence radio complet de la centrale syndicale à l’heure de la privatisation. Aucune objection au sujet de quoi que ce soit comme si elle donnait son entière bénédiction à un processus biaisé dès le départ par les arguments évoqués pour liquider et les promesses irréalistes selon lesquelles il n’y aura pas de licenciement. Le projet de loi de privatisation a donc été voté en l’absence du plan social dont la mouture de 2003 a vite été remise en cause par la nouvelle administration de la CMDT.

Hier, c’étaient les partis politiques qui faisaient la file tels des canetons derrière la mère canne pour assouvir leur intérêt de l’heure. Mais l’on tombe à la renverse lorsqu’une société civile jeune, censée être pleine de dynamisme et de vitalité, décide volontairement de manquer les grands rendez-vous de la Nation. Ceci exige une introspection et peut-être une remise en cause du nouvel ordre issu de la Révolution de Mars 91 dont l’esprit est dévoyé et prostitué par ceux-là mêmes qui sont en charge de sa préservation. A moins qu’il ne s’agisse dès le départ d’une grande comédie. Auquel cas, les martyrs sont morts pour RIEN…

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