Accueil > ... > Forum 23805

Le monde capitaliste pleure Nelson Mandela

30 décembre 2013, 16:01, par Robert Paris

Mandela n’a pas été le destructeur de l’apartheid mais, en un sens, son sauveur, celui qui a permis de changer la forme de ce régime d’exclusion pour en conserver le fond. C’est au moment où les masses populaires se révélaient capables de détruire vraiment le système d’exploitation en Afrique du sud et de menacer celui de tout le continent, l’arrangement négocié avec les dirigeants de l’apartheid et les dirigeants du monde a permis ce rafistolage de dernière heure. N’oublions pas que la fin de l’apartheid date d’une période où tout le continent était parcouru par des révoltes contre les dictatures et la misère et qu’il aurait suffi que les prolétaires d’Afrique du sud prennent le pouvoir pour entraîner des réactions partout en Afrique. C’est pour cela que l’impérialisme, qui avait jusque là parfaitement accepté le régime d’apartheid, a décidé qu’il fallait en finir. Les grèves devenaient massives et explosives, les milieux populaires étaient également dans le mouvement avec les townships, les femmes et les jeunes entrainés eux aussi. L’économie battait de l’aile et la classe capitaliste perdait pied, sa répression méthodique devenant incapable de faire face. Tout le continent africain avait les yeux fixés sur le prolétariat sud-africain symbolisé par ses mineurs en grève…

Il faut rappeler que la lutte que je viens d’évoquer n’était nullement dirigée par l’ANC de Mandela et même pas par son allié politique, le parti communiste sud-africain ni encore moins par son allié politique l’UDF, alliance de la bourgeoisie anti-apartheid, des staliniens et des nationalistes. Aucune de ces forces n’avait un poids déterminant dans la classe ouvrière et c’est cette dernière qui était l’aile marchante du combat contre l’apartheid.

Il faut aussi rappeler que cette situation avait pour origine la volonté du parti ANC de se construire en dehors du pays au travers de son aile militaire Umkhonto et des actions clandestines. Le syndicalisme n’intéressait alors pas du tout l’ANC qui ne dirigeait aucune fédération et même aucun syndicat. Seul le parti stalinien dirigeait un des syndicats mais il était loin d’être un syndicat particulièrement important. Le courant panafricain dirigeait la NUM, syndicat des mineurs. L’essentiel des autres syndicats combatifs étaient dirigés par des militants trotskystes. Rappelons que l’ANC ne se disait pas panafricain et traitait les panafricains de racistes puisqu’ils voulaient organiser séparément les Noirs.

L’un des points cruciaux de la stratégie de la bourgeoisie en Afrique du sud a consisté à assurer à l’ANC et à ses alliés la mainmise sur le mouvement ouvrier, quitte à en payer le prix. Il a fallu notamment acheter carrément rubis sur l’ongle le syndicat NUM. Son leader Ramaphosa a notamment été transformé de mineur syndicaliste pourchassé en milliardaire noir !!! Il a fallu aussi exercer des pressions énormes et violentes sur les syndicats dirigés par des trotskystes. L’un des moyens de pression a consisté dans une vague d’assassinats et d’agressions de dirigeants syndicaux par des groupes militaires fondés par Winnie Mandela et s’appuyant sur la jeunesse des townships militairement organisée.

Il a fallu aussi tout le poids du parti stalinien sud-africain qui a ainsi suivi la consigne donnée par Moscou, Gorbatchev ayant mis sur pied cette stratégie conjointement avec l’impérialisme américain. Pour réussir cette manœuvre, l’argent n’a pas manqué et les trusts sud-africains on eux-mêmes fourni tous les moyens pour réaliser cet accord.

Ils ont directement négocié avec l’ANC en Suisse. L’ANC s’est engagée à remettre en question son discours prétendument socialiste précédent. Le parti stalinien a donné sa caution à cette opération alors que jusque là il prétendait que l’ANC était quasiment communiste, ce que Mandela n’avait jamais dit ! Selon l’accord signé, l’ANC reconnaissait la propriété privée des moyens de production, le rôle des trusts, la nécessité du profit capitaliste et s’engageait à ne pas emmener l’Afrique du sud sur une voie socialiste.

Les patrons ont alors exercé la pression maximale sur les dirigeants syndicaux : soit ceux-ci faisaient adhérer leur syndicat à l’accord avec l’ANC et ses alliés, et dans ce cas, toutes les possibilités leur étaient ouvertes, soit ils étaient menacés d’être détruits par la répression. Cela signifie que c’est les méthodes de l’apartheid qui ont servi une dernière fois à obliger le syndicalisme de se mettre sous la coupe des dirigeants bourgeois noirs.

La mise au pas politique des syndicats a été facilitée par la pression énorme qui s’exerçait au sein même de la classe ouvrière à laquelle on promettait la fin de l’apartheid en échange de l’abandon de son indépendance de classe. Les syndicats, qui n’avaient pas vraiment développé de perspective politique propre, n’ont pas résisté et les rares qui l’ont tenté ont été balayés aisément. Le parti stalinien a joué un rôle important pour dénoncer les leaders syndicalistes qui voulaient rester indépendants de l’ANC et de l’UDF tout en facilitant les opérations bureaucratiques des leaders syndicaux qui acceptaient l’alliance avec la bourgeoisie.

Aujourd’hui, l’ensemble de la manœuvre qui a permis de désamorcer une situation révolutionnaire explosive et menaçante pour la bourgeoisie mondiale, toute cette opération de tromperie bien montée est occultée par les louanges au seul Mandela….

Comme si une personne emprisonnée par le régime d’apartheid pouvait exercer une pression sur les dirigeants de l’apartheid qui l’avaient condamnés à la prison à vie pour terrorisme, comme si les dirigeants de l’apartheid comme son principal responsable, chef du parti de l’Apartheid, le parti national, chef de l’Etat, dirigeant aussi toutes les forces de répression, comme s’il avait été touché par la grâce du courage de Mandela ! Quel baratin risible nous est ainsi servi….

Cela permet à l’impérialisme de cacher qu’il a reculé devant la force du prolétariat révolutionnaire. Cela lui permet de faire croire que dans le monde capitaliste et impérialiste il y aurait des critères moraux, humanitaires, de courage et de dignité qui auraient du poids pour transformer la planète !!!

Cela permet à la bourgeoisie mondiale de faire l’éloge de la non-violence, de l’entente des classes et des races, de la fin des guerres civiles, une fin fondée prétendument sur la modération d’un Mandela !!!

Trop de mensonges !! Mandela était le dirigeant de l’ANC et dirigeant et fondateur de son groupe armé clandestin qui assassinait systématiquement des membres des forces armées et de police d’Afrique du sud par des incursions épisodiques depuis les Etats voisins. Où est le pacifisme là-dedans ? Est-ce le pacifisme de Mandela enfermé dans une prison à vie ?

A qui fera-t-on croire que c’est cela qui a amené De Klerk, chef de l’apartheid, de le supprimer, de donner le droit de vote aux Noirs pour donner le pouvoir à Mandela et à l’ANC ?

C’est un conte pour enfants de moins de trois ans ! Qu’il soit diffusé à grande échelle sans réaction partout dans le monde ne fait que démontrer que toutes les forces sociales et politiques du monde, de la grande bourgeoisie à la bureaucratie russe en train de négocier son acceptation dans le marché capitaliste mondial, ont cautionné cette opération.

Faire croire que le courage personnel de Mandela aurait joué le moins du monde pour faire basculer l’horreur du régime d’apartheid, c’est déclarer qu’on croit au père Noël, aux coups de baguette magique et aux prières pour attendrir les bourreaux ! Bien entendu, rien de tout cela n’est vrai.

Oui, on a volé au prolétariat une révolution sociale de grande ampleur. Une fois de plus le stalinisme s’est allié pour cela à l’impérialisme. Une fois de plus l’opinion publique a été entraînée par les illusions de la petite bourgeoisie tombant dans tous les panneaux de la grande bourgeoisie et le prolétariat a pâti de l’absence d’une organisation de classe internationale.

Les militants trotskystes sud-africains ont payé le prix des reculs du mouvement trotskyste international, les dirigeants des organisations anglaises auxquels ils étaient liés cultivant l’opportunisme et ne conseillant nullement une politique de classe dépassant le niveau du syndicalisme et du nationalisme.

Voilà comme la fin de l’apartheid a pu être une défaite importante au lieu d’être une importante victoire du prolétariat.

Les travailleurs et le peuple sud-africain ne sont pas les seuls à payer cette nouvelle défaite. C’est tout le prolétariat mondial qui le paie aujourd’hui. Les occasions manquées ne sont pas seulement des parties remises. Ce sont des reculs historiques qui se paient et qui ne pourront être remis en cause que par une nouvelle offensive prolétarienne. Celle-ci nécessitera des militants qui aient tiré des leçons du passé. Tous ceux qui tenteraient de faire passer les défaites et les tromperies pour des victoires et des stratégies positives ne feraient que nous préparer de nouvelles défaites sanglantes et déterminantes face à la chute du système capitaliste, défaites menant à un recul fondamental de l’Humanité. Car il n’est pas vrai que le capitalisme va obligatoirement survivre à son effondrement. L’Histoire n’est pas une montée continue. La société capitaliste peut très bien donner naissance à une nouvelle barbarie féodale et esclavagiste. Propager les mensonges du passé, c’est préparer les nouveaux pièges pour y tomber demain…

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.