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Rien n’est résolu en Guadeloupe et en Martinique

mardi 28 décembre 2021, par Alex, Waraa

Rien n’est résolu en Guadeloupe et en Martinique

La révolte n’est pas victorieuse mais elle n’est pas non plus écrasée par la répression coloniale de grande ampleur de la France ni par les négociations bidon auxquelles se prêtent les organisations syndicales et politiques de gauche des . Les raisons de la colère ne sont pas prêtes d’être réglées. Elles dépassent largement la révolte contre l’imposition du pass sanitaire aux soignants.

Le chômage y est endémique (17 % en Guadeloupe, 12 % en Martinique, contre 8 % en métropole), la jeunesse sacrifiée (43 % de chômage des 15-29 ans en Guadeloupe, 36 % en Martinique), le pouvoir d’achat faible, la vie chère. Alors que les habitants sont nette-ment plus pauvres qu’en métropole, le coût de la vie est beaucoup plus élevé aux Antilles : les prix sont 12 % plus élevés aux Antilles qu’en métropole. L’alimentaire y coûte 42 % plus cher, la téléphonie 60 %. Un gel douche vendu 1,77 euros en métropole reviendra à 3,35 euros sur place. De plus, la pandémie a accentué la précarité : le nombre de bénéficiaires du RSA [Revenu de solidarité active] en Martinique a ainsi bondi de 3 000 entre octobre 2019 et octobre 2020.

Beaucoup de familles n’ont pas accès à une eau courante potable, les coupures sont fréquentes.

En Guadeloupe, le réseau de distribution est celui d’un pays du Tiers-Monde. Beaucoup de familles n’ont pas accès à une eau courante potable, les coupures sont fréquentes. Le système de facturation est défectueux : des usagers ne reçoivent aucune facture pendant des années, puis sont tout d’un coup sommés de payer des milliers d’euros. Un Guadeloupéen témoigne auprès du journal Basta : « Les compteurs sont défaillants et notre eau contient des pesticides, de la boue et des engrais. Nous payons pour être empoisonnés… et nous payons cher. » Selon la préfecture, « 70 % des stations de traitement des eaux usées ne sont pas conformes à la réglementation ». Les canalisations sont tellement dé-gradées que deux litres sur trois n’arrivent pas jusqu’au robinet.

En Martinique, l’octroi de mer représente 48 % des rentrées fiscales des communes de moins de 10 000 habitants et 37 % pour les communes de plus de 10 000 habitants. Les collectivités ont donc tout intérêt à favoriser les importations au détriment de la production locale afin de s’enrichir et d’augmenter leur budget. Cela rend donc cet impôt contre-productif. Alors qu’il était censé décourager la concurrence et favoriser la production locale, il produit l’effet opposé et accroît à outrance les importations.

Enfin, l’économie antillaise est inégalitaire et très concentrée : presque toute l’activité passe soit entre les mains des commerçants de la diaspora libanaise, soit entre celles des békés, quelques grandes familles blanches descendant des premiers colons et qui tiennent les plantations, l’agroalimentaire et la grande distribution. En outre, le clientélisme frénétiquement pratiqué par les collectivités territoriales et la corruption font des ravages. Lorsqu’il s’était rendu à Marseille, Emmanuel Macron avait promis de l’argent, mais un habitant l’avait interpellé en lui disant que cela ne servait à rien si on ne contrôlait pas où allaient les fonds, qui risquaient d’être massivement détournés et de ne jamais profiter à la population : il en va de même aux Antilles.

Le silence des grandes organisations syndicales, des candidats N. Arthaud et P. Poutou qui se réclament du mouvement ouvrier et de la révolution, devrait choquer les travailleurs les plus conscients, des Antilles ou de métropole. Les représentants de ces organisations répètent en chœur : les salaires doivent augmenter, et accusent presque les travailleurs de ne pas entrer en lutte. Comme si la Guadeloupe n’était pas en lutte. Comme si la lutte en Guadeloupe n’était pas d’une dimension bien plus politique, plus révolutionnaire aussi que toutes les luttes précédentes, voire des grèves de grande ampleur pour les salaires. C’est la grève purement syndicale qu’ont en tête les bureaucraties syndicales, les dirigeants de gauche, les dirigeants « insoumis » et l’extrême gauche électoraliste (LO et NPA) qui se met de plus en plus ouvertement à leur service, comme programme lors des journées syndicales d’(in)action, ou pour l’élection présidentielle.

Rappelons-nous les paroles de Rosa Luxemburg, qui, en 1906, dénonçait les syndicalistes d’Allemagne qui refusaient de suivre et de propager la grève politique de masse qui touchait l’Empire russe, car elles semblent s’adresser au trio Arthaud-Poutou-Martinez : « Celui qui ne sait pas distinguer la grève générale syndicale de la grève générale politique, celui qui ne fait pas de différence entre l’idée d’une grève de solidarité économique pour le soutien d’une lutte salariale précise, et le soulèvement politique de masse de la classe ouvrière dans le but de conquérir des droits politiques égaux pour tous : inutile de discuter avec lui, tout au plus peut-on lui conseiller de commencer par s’instruire. »

Cette grève de 1905 dans l’Empire russe reste encore pleine d’enseignements. L’Empire russe était la prison des peuples : les polonais, les ukrainiens, les juifs et les musulmans étaient des colonisés de l’intérieur, des équivalents de la Guadeloupe. C’est la lutte contre l’oppression nationale qui fit s’écrouler le régime du Tsar, elle pourrait jouer un rôle analogue dans la future chute de notre monarchie républicaine et coloniale.

Pourquoi les dirigeants syndicaux, des partis de gauche et les candidats « révolutionnaires » de 2021 en France, tout comme les syndicalistes allemands de 1905, sont-ils muets concernant toutes les dimensions politiques de la lutte des classes exploitées, cherchant à limiter celle-ci à des revendications concernant les salaires et le temps de travail ? A ce sujet encore R. Luxemburg voyait juste : « La révolution russe met fin à une période de près de 60 ans de domination calme et parlementaire de la bourgeoisie. Avec la révolution russe, nous entrons déjà dans la période de transition de la société capitaliste à la société socialiste. »

Cette période de transition est encore celle que nous vivons, elle a reçu depuis le nom d’impérialisme. L’économie capitaliste est mûre pour être transformée en économie socialiste, socialisée, planifiée à l’échelle mondiale dans le but de satisfaire les besoins de toute l’humanité. La domination de territoires mêmes petits aux quatre coins du monde reste vitale pour la survie de la bourgeoise française, une des plus militaristes et parasitaires.

Le candidat ennemi des travailleurs E. Zemmour ne s’y trompe pas, qui propose, dans la lignée du « Code Noir » et du « Code de l’indigénat » qui lui succéda à l’époque coloniale, aux « petits blancs » essentiellement aux petits-bourgeois, de se consoler en restant au dessus de la prolétarisation qui les menace, grâce au « privilège » d’appartenir à une « race supérieure », concrètement une nation impérialiste qui en opprime d’autres sur les cinq continents, et en tire des richesses dont une petite partie est redistribuée en France. Il n’est pas étonnant que ce soit le milliardaire de la Françafrique Bolloré qui ait lancé ce genre de candidat. Mais l’impérialisme a parmi ses meilleurs serviteurs pas seulement l’extrême-droite électorale. Ca les surprofits impérialistes ont aussi créé une base pour une « aristocratie ouvrière » dont la bureaucratie syndicale fait partie (les permanents ne travaillent plus) et qui accepte de devenir un rouage de l’Etat bourgeois, et de permettre à une couche privilégiée de la classe ouvrière des pays impérialistes de devenir une quasi petite bourgeoisie. Les organisations de la gauche politique et syndicale qui depuis l’Union sacrée de 1914 on fait ce pacte avec l’Etat de la bourgeoisie impérialiste française ont beau jeu de dénoncer les discours racistes de l’extrême-droite, alors qu’elles sont devenues des piliers de leur impérialisme, et de ses corollaires qui sont les politiques racistes, voire un génocide comme celui des Tutsis en 1994. Mitterrand et Védrine étaient les représentants de la gauche bourgeoise, qui menèrent une politique fasciste au Rwanda. L’extermination des soldats allemands en 1914 a été approuvée par la direction de la CGT.

Quel peut être le programme des organisations ouvrières tolérables par la bourgeoisie impérialiste ? Le Code du travail, dans on article L.2242-1 l’indique : des négociations sur les salaires et le temps de travail. Ce n’est pas un hasard si les deux candidats les plus à gauche des présidentielles, qui se réclament du mouvement ouvrier, Arthaud et Poutou, se limitent à répéter sans fin ces deux seuls types de revendication : augmentation des salaires et réduction du temps de travail ! Ils rentrent dans le moule du syndicalisme toléré par la bourgeoisie. Et cela, au moment où la Guadeloupe ouvre des perspectives bien plus grandioses !

Autant que par les bas salaires et les journées harassantes, que par le chômage, c’est par le nationalisme, le militarisme que les classes dirigeantes françaises veulent abrutir le prolétariat pour asseoir leur domination. C’est une dénonciation du nationalisme, du militarisme qu’appellent les événements de Guadeloupe et de Martinique.

L’extrême gauche soi-disant révolutionnaire en campagne électorale manque totalement cette occasion de s’adresser au prolétariat.

La sympathie que la lutte des guadeloupéens suscite en métropole a forcé les bureaucraties syndicales à sortir du silence. A reculons. Des communiqués de solidarité ont été publiés par exemple par les Unions Locales CGT de Riom (63) Saint-Quentin (02), Persan (95), les Unions départementales CGT du Cher (18) et de l’Essonne (91), CGT Educ’action (77) . Chez SUD, le syndicat SUD-Rail de Dijon « affirme que les véritables voyous sont le patronat et le gouvernement à son service qui envoient des forces armées comme le RAID ou le GIGN contre celles et ceux qui manifestent pour obtenir des augmentations de salaire, l’embauche de personnels ». Mais qu’on est loin du compte !

A elles seules ces quelques organisations syndicales représentent des milliers de militants et sympathisants, mais on cherchera en vain le moindre appel à une action concrète ! Ces motions sont sans lendemain et pour la plupart font l’impasse sur la revendication qui a mis le feu aux poudres aux Antilles : non à l’obligation vaccinale ! Interrogée par RTL le 21 décembre sur le pass sanitaire, N. Arthaud ne répond pas à la question : êtes vous pour ? Les travailleurs n’aiment pas cette langue de bois.

Des ébauches d’internationalisme ouvrier ont pourtant existé en France. En 1928 et 1932, la CGT unitaire publiait les deux brochures « Code de l’indigénat, code de l’esclavage » et « Comment la France « civilise » ses colonies », dénonciation impitoyable des crimes du colonialisme français. Le jeune Parti communiste français dénonçait la guerre du Rif, l’occupation de la Ruhr, du Liban et de la Syrie, appelant à des manifestations contre le code de l’indigénat, se solidarisant des luttes menées en Indochine et à Madagascar. Le grand tournant sur les questions coloniales fut le pacte Laval-Staline de 1935 qui fit du PC un parti patriotique et colonialiste, aux côtés de la CGT et du Parti Socialiste, au service de l’impérialisme français. Les révoltes anticoloniales de 1936 furent réprimées par le gouvernement du Front populaire. Où sont passées ces politiques du mouvement ouvrier d’avant 1935 contre l’impérialisme français ? Le silence de l’extrême-gauche en campagne, face aux événements de Guadeloupe, est un signe de son ralliement au réformisme.

N. Arthaud ou P. Poutou, qui prétendent que les élections n’ont jamais changé la vie des travailleurs, se posent pourtant en acteurs très respectueux de la démocratie bourgeoise. Lutte ouvrière est très présente dans les organisations qui ont signé en le 10 décembre un accord pour négocier en Guadeloupe avec le gouvernement. Les signatures du parti « Combat ouvrier », du syndicat « CGT Guadeloupe » et de l’organisation de jeunesse « Rebelle » qui apparaissent au bas de cet accord sont le fait de militants liés à Lutte Ouvrière. Les comités de base du mouvement ne sont pas invités à ces négociations. J.M. Nomertin, dirigeant de la CGT Guadeloupe et de Combat Ouvrier, filiale locale de Lutte Ouvrière, aurait pu, malgré sa casquette syndicale, se faire élire par un comité de travail-leurs en lutte, et être mis en avant temporairement par Lutte Ouvrière à la place de Nathalie Arthaud, pour montrer aux travailleurs que la voie à ouvrir est celle de la démocratie ouvrière. Ce fut le sens de la candidature d’Arlette Laguiller en 1974, comme dirigeante d’un mouvement de grève auto-organisé.

Des élections peuvent changer la vie des travailleurs, lorsqu’elles ont lieu dans des comités qu’ils créent et contrôlent. Léon Trotsky, le révolutionnaire dont se réclame faussement Nathalie Arthaud, est entré dans l’histoire en 1905, par une élection qui le mit à la tête du Soviet de Pétrograd. Le fait que les barrages aient été démantelés par la police et l’armée ne met pas fin au mouvement. Les révolutionnaires n’auront pas besoin de pousser les travailleurs à reprendre le chemin de la lutte, ils le feront comme toujours d’eux-mêmes au moment parfois où on l’attend le moins. Par contre, faire le bilan de toutes les luttes des années précédentes, comprendre que le facteur limitant de toutes le luttes actuelles est l’absence d’auto-organisation, l’abandon de toute politique révolutionnaire par des militants qui trompeusement en gardent l’étiquette (Mélenchon, Arthaud et Poutou ici, JM Nomertin en Guadeloupe) c’est créer les conditions de prochaines victoires. En Russie, c’est la période de répression qui suivit 1905 qui forgea les cadres ouvriers d’un parti qui fût prêt d’emmener les exploités de toute la planète à la victoire en 1917 ; en Espagne c’est l’échec de la révolution d’octobre dans les Asturies en 1934 qui prépara les ouvriers et paysans, au travers de discussions menées dans les prisons de la « république », à 1936. La grève insurrectionnelle en Guadeloupe n’a heureusement pas subi de telles défaites, elle reste le moteur potentiel d’un mouvement d’ensemble qui pourrait s’étendre en métropole. Si les travailleurs de Guadeloupe se débarrassent du carcan des organisations pour s’auto-organiser, leur exemple sera contagieux. Les Maliens nous montrent aussi l’exemple, eux dont les menaces de manifestation à Bamako ont fait peur à Macron au point qu’il annule sa visite de Noël aux armées. Ce sont toujours les exploités des régions les plus pauvres qui ont levé les premiers l’étendard de la révolte. Un prolétariat des métropoles impérialistes qui renouerait avec l’internationalisme ouvrier, combiné avec ces fronts ouverts en quasi-permanence dans les colonies, c’est un cocktail à préparer pour l’année qui vient.

C’est au grand capital que le prolétariat mondial soit s’apprêter à faire sa fête, s’il ne veut pas finir comme la dinde : tué et mangé !

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