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De l’Europe à la Chine, des forteresses anti-ouvrières

jeudi 25 avril 2024, par Alex, Waraa

De l’Europe à la Chine, des forteresses anti-ouvrières

L’accord européen contre les migrants

Le journal de la gauche bourgeoise Libération commente ainsi le Pacte sur la migration et l’asile adopté le 10 avril dernier par le Parlement européen, règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration au sein de l’UE :

« Le 5 mars 1946, Winston Churchill constatait qu’un « rideau de fer s’est abattu sur l’Europe », le monde communiste voulant s’isoler de l’Occident démocratique. Retournement de l’histoire, c’est au tour des démocraties de l’Union européenne d’achever l’érection d’un « rideau de fer » qui s’étend d’Utsjoki, en Finlande, jusqu’à Larnaca, à Chypre, en passant par les îles grecques de la mer Egée. Mais cette fois, il ne s’agit pas d’empêcher les citoyens européens de sortir, mais d’empêcher les étrangers de gagner ce qui reste un eldorado de paix et de prospérité. »

Un media similaire, Mediapart, moins complaisant vis-à-vis de ce que Libération baptise « l’Occident démocratique », titre : Politiques migratoires : « Des dispositifs mortels, dont l’effet est de tuer pour dissuader ».

Ce pacte criminel ne concerne pas que l’UE. Les gouvernements de la Françafrique sont complices de cette persécution des migrants. Au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, les polices répriment régulièrement les migrants, comme avant-postes de la forteresse de l’Europe impérialiste.

A lui seul cet aspect relativise les protestations platoniques qui ont pu s’élever dans la gauche politique et syndicale. Car limiter la lutte contre cette politique de l’UE à des slogans anti-racistes, démocratiques, "progressistes" au sein de l’UE est insuffisant.

Affirmer la solidarité entre les travailleurs français, immigrés avec papiers, immigrés sans-papiers comme peuvent le faire les syndicats, est juste sur le papier, mais reste un slogan politicien vague pour les élections, lorsqu’on ne lui donne pas corps dans une politique internationaliste ouvrière : par exemple récemment le soutien politique aux luttes des populations du Mali, du Niger, de Centrafrique et du Sénégal qui se sont mobilisées pour dénoncer la présence de l’armée française dans ces pays a manqué de la part de la gauche ou de l’extrême-gauche en France, en paroles comme en actes.

La dénonciation des gouvernements d’Algérie, de Tunisie, du Maroc et du Sénégal par des révolutionnaires ouvriers en France libèrerait la parole des travailleurs immigrés provenant de ces pays, qu’ils aient ou non des papiers.. « Abolition de la monarchie au Maroc ! » n’est même pas au programme de cette extrême-gauche électorale, encore moins de la CGT. Le manque d’une telle perspective que seule peut apporter la classe ouvrière enferme ces organisations dans des politiques anti-racistes peu dangereuses pour le gouvernement.

Un exemple est le parti de N. Arthaud Lutte Ouvrière (LO), qui présente un de ses candidats Serge Latchoumanin, comme « porte-parole de Lutte ouvrière à La Réunion, candidat sur la liste Lutte ouvrière aux Européennes ». La Réunion, cette colonie française de l’Océan Indien, où se trouve également Mayotte, autre colonie française : cet aspect n’est pas évoqué par ce candidat LO de la Réunion.

LO "oublie" également de mentionner que son candidat est secrétaire de la CGT -Réunion ! Un "détail". On peut voir ce chef syndical de façon récurrente dans des media locaux animer des "luttes" des travailleurs, mais jamais dans le cadre d’un comité de grève, toujours dans l’Union sacrée d’une intersyndicale locale, comme l’indique un titre récent : "L’intersyndicale FO - CFDT - CGTR interrompt le mouvement de grève à la Chambre d’agriculture ". Il n’est certes pas toujours criminel d’arrêter une grève, mais cela l’est quasiment toujours lorsque ce n’est pas une AG souveraine de travailleurs en lutte qui en décide. Et ce dirigeant syndical se garde de mener des luttes anticoloniales et anti-impérialistes !

Pas de comité de grève, pas de paragraphe anticolonial dans un programme électoral dans une colonie de l’Océan Indien : la lutte pour la "liberté de circulation des travailleurs" menée par un tel parti relève du crétinisme parlementaire, n’a rien à voir avec un véritable internationalisme prolétarien que LO prétend incarner en psalmodiant à l’occasion : "nous sommes trotskistes".

De même, toutes les organisations ouvertement réformistes comme LFI qui utilisent la popularité de la cause palestinienne à des fins électoralistes, se gardent bien de dénoncer les généraux égyptiens, gros clients des marchands d’armes français, qui refusent d’ouvrir le poste-frontière de Rafah pour secourir au moins sur le plan humanitaire les habitants de la bande de Gaza.

Toute la Péninsule arabique est une prison des peuples. Les Emirats Arabes unis ont officiellement une politique anti-raciste puisqu’ils se vantent d’accueillir des travailleurs de presque tous les pays du monde. Mais par un système d’immigration au service des multinationales et des millionnaires locaux, dont le but est de museler politiquement les travailleurs qui viennent des pays arabes ou d’Asie. Les unités françaises d’Abu Dhabi et de Jordanie qui ont récemment protégé les frontières d’Israël contre une attaque aérienne font partie des geôliers de cette prison des peuples, faisant de la Péninsule arabique une annexe des forteresses impérialistes de l’UE et des USA. La fermeture de ces bases françaises n’est au programme d’aucune organisation qui défend la "liberté de circulation". La CGT n’a jamais essayé de faire mener à des syndicats des sociétés françaises présentes dans cette région (dont la Sorbonne) une propagande sur ces questions, s’adressant aux travailleurs du monde entier à travers ceux présent dans cette région.

C’est une propagande contre les guerres impérialistes qui est de plus en plus d’actualité dans la question des migrants, car beaucoup d’entre eux fuient les guerres orchestrées par notre impérialisme. Une solidarité avec les migrants sans lutte effective contre l’impérialisme militaire et économique de la France ne peut être qu’un discours hypocrite.

Les frontières contre les travailleurs ne sont qu’une composante des rapports de production

La limitation de la liberté de circulation est une composante du système policier contre les travailleurs. Le fait que la question des nationalités mises en avant par les racistes comme les anti-racistes est d’importance secondaire est illustré par le cas de la Chine, pays générateur du plus grand quota mondial de travailleurs migrants .... dans leur propre pays.

Cet aspect est mis en lumière par différents médias. En Chine le développement du capitalisme a entraîné une explosion urbaine :

« Depuis trente ans, la Chine a connu la plus grande vague d’exode rural de l’histoire de l’humanité. (...) L’armature urbaine chinoise connaît un réveil au tournant du XXème siècle sous l’influence des concessions étrangères et du commerce international. Pékin, Shanghai et Wuhan atteignent ainsi le million d’habitants entre 1895 et 1911.(...) »

La nature anti-ouvrière du régime mis en place par le PC chinois, à sa tête Mao, est illustrée par la méfiance de ce régime face aux travailleurs des villes :

« Le maoïsme stoppe net cet élan en prônant un retour vers la ruralité. L’idéologie « des cités rurales et des villages urbains » se fixe pour objectif de dissoudre la ville dans sa périphérie rurale. Dans ce contexte, le taux d’urbanisation reste inférieur à 20%. (...)
Un mouvement de concentration urbain s’amorce à la suite des réformes économiques de Deng Xiaoping, au début des années 1980. Mais on se méfie alors encore de « la ville qui affranchit ». L’ouverture reste contenue aux Zones économiques spéciales (ZES), premières fenêtres sur la mondialisation, qui concentrent les investissements directs étrangers. »

Ces ZES ont pour corollaire l’enfermement local de la classe ouvrière qui les fait fonctionner. L’essor urbain général est marqué par la volonté de parquer les travailleurs dans des zones analogues, sous surveillance, tout en faisant de l’investissement immobilier un secteur de croissance du capitalisme en grande partie spéculatif :

« La privatisation du foncier en 1995, marque un tournant majeur. Il est désormais possible de négocier les droits d’usage du sol, la propriété restant du domaine public. La vente des droits d’utilisation du sol aux promoteurs constitue, rapidement, la principale ressource financière des collectivités locales. Cette manne est d’autant plus importante que les budgets locaux augmentent du fait d’un désengagement de l’administration centrale, doublé d’une augmentation des dépenses. L’immobilier devient ainsi le carburant des projets d’infrastructures publiques, ainsi que des politiques de stimulus social pour l’éducation, la santé et les retraites. Ce système de financement est dès lors l’une des principales causes de l’étalement urbain irraisonné et des banlieues fantômes.
(...) Vingt ans après le début de l’ouverture économique, le taux d’urbanisation a finalement doublé pour atteindre 40%, à la fin du XXème siècle. Il aura fallu 120 ans à l’Angleterre pour atteindre ce niveau. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population chinoise est urbaine. Le gouvernement tente de contenir cette pression, se fixant l’objectif de 60% d’urbanisation en 2030.
(...) La Chine compte aujourd’hui plus d’une centaine de villes de plus d’un million d’habitants et, selon l’OCDE, quinze villes de plus de 10 millions. (...) »

Alors qu’une liberté d’investir débridée est laissée à la bourgeoisie bureaucratique des pouvoirs publics locaux, un contrôle policier pèse sur les travailleurs, qui sont des citoyens de seconde zone, voire des sans-papiers dans leur propre pays :

« Avant l’ouverture économique du pays, la ville chinoise s’organisait autour des unités de travail, les danwei. Chaque structure constituait une entité autocentrée, sorte de village urbain, fournissant logements, écoles et services sociaux aux employés. La financiarisation du foncier a mis un terme à cette organisation inclusive segmentant l’espace par type d’activité et par niveau social. Le caractère communautaire des quartiers historiques disparait également, remplacé par des résidences immobilières fermées, tournant le dos à la vie urbaine. La ville chinoise est de moins en moins inclusive, poussant en périphérie, à proximité des pôles industriels, les ménages les plus modestes. »

Alors que le caractère fictif du capital immobilier est matérialisé par les millions de logements vides, les villes fantômes, la discrimination anti-ouvrière est incarnée par le "Hukou" mis en place depuis Mao :

« Le système de registre familial du hukou constitue depuis 1958 la pierre angulaire du contrôle des migrations en assignant à toute la population un statut d’enregistrement binaire « rural » ou « urbain ». Ce système a permis de combiner une industrialisation rapide avec une urbanisation contenue. S’il a été assoupli il y a quelques années, il représente encore un obstacle au franchissement des frontières sociales. Les migrants voient en effet leurs droits sociaux, dont l’accès à la santé et à l’éducation, fortement restreints dans l’espace urbain. »

Cette exploitation des travailleurs migrants aboutit en Chine à la maltraitance de leurs enfants :

« Chine : 61 millions d’enfants "laissés en arrière" vivent sans leurs parents travailleurs migrants – C’est l’équivalent de la population britannique. D’après le dernier recensement gouvernemental sur les migrations internes en Chine, 61 millions d’enfants de travailleurs migrants (mingong) vivraient à la campagne loin de leurs parents, partis travailler dans les grandes villes côtières. « L’un des coûts humains les plus lourds de la croissance économique chinoises », commente le South China Morning Post. En moyenne, 35,6 % des enfants chinois en milieu rural vivent sans leur père ou leur mère – une proportion qui monte jusqu’à 44 % dans les provinces du Henan, de l’Anhui et du Sichuan.

Mais pourquoi les enfants n’accompagnent-ils pas leurs parents lors de ces migrations ? Car bien que les grandes villes aient besoin des mingong, elles font peu de cas des « services essentiels » à leurs enfants comme l’école et les soins. Les procédures administratives sont bien souvent décourageantes car très exigeantes – ce à quoi s’ajoutent un maigre salaire et des conditions de vie spartiates. »

South China Morning Post—21 octobre 2016

Ces travailleurs sont combattifs, de nombreuses grèves sont de leur fait :

« Chine : Procès public de travailleurs migrants pour "éduquer la population"– Cela sent les vieilles méthodes de l’ère Mao. A Langzhong dans la province du Sichuan, le parti communiste a tenu à organiser en plein air un procès de Mingong, ces fameux travailleurs migrants dont la force de travail à bas coût a permis le miracle économique chinois. Les suspects étaient accusés d’avoir « troublé l’ordre public » à l’occasion d’une manifestation pour réclamer le paiement de leur salaire. Verdict : 6 à 8 mois en prison ferme. Ce type de procès a des chances de se multiplier alors que la Chine vit une croissance économique au plus bas depuis 25 ans, ce qui force les entreprises à licencier, à réduire les salaires, voire dans le cas de Langzhong, à ne pas les payer. »

Channel News Asia - mars 2016

Le caractère spéculatif des investissements du secteur BTP apparait dans la part démesurée, peut-être jusqu’à 1/3 de sa place dans le PIB chinois, contre moins de 10 % en France :

« Un tribunal de Hong Kong a ordonné le 29 janvier la mise en liquidation du géant de l’immobilier chinois Evergrande. L’annonce a plongé des milliers de créanciers dans l’incertitude sur la possibilité pour eux de retrouver leur argent. Elle symbolise la déroute de l’immobilier dans une Chine déjà en plein marasme économique inquiétant.
Fondé en 1996, Evergrande (恒大集团, Hengda en chinois) avait tiré parti de l’urbanisation accélérée du pays pour s’imposer.

(...)

La descente aux enfers du promoteur chinois depuis 2021 illustre la face cachée d’une spéculation effrénée partagée tant par des investisseurs publics que par des milliers de Chinois, parmi lesquels de nombreuses personnes âgées qui espéraient ainsi préparer leur retraite et qui se retrouvent aujourd’hui flouées et désespérées.
(...)

la liquidation d’Evergrande est l’une des conséquences d’une spéculation déclenchée par la hausse considérable du prix des terrains qui avait généré une vague de constructions démesurée. Aujourd’hui, les logements vides sont tellement nombreux dans le pays qu’ils pourraient héberger des centaines de millions de personnes, avait récemment indiqué un responsable chinois du secteur.

(...) L’impact de cette tragédie sera particulièrement rude pour les travailleurs migrants car le secteur de la construction employait quelque 50 millions de Chinois dont beaucoup se retrouvent aujourd’hui au chômage.
(...)
Evergrande, qui emploie 200 000 personnes, était la plus grande société immobilière de Chine et régnait sur un secteur qui a explosé quand l’immobilier est devenu le fondement de la richesse croissante d’une classe moyenne en plein essor. »

Perte du rêve de devenir propriétaire d’un logement, perte de toutes leurs économies pour des millions de foyers, licenciement pour les travailleurs migrants du BTP, interdiction pour eux et les autres de vivre dans des logements qu’ils ont construits ou payés à crédit. Classe ouvrière, travailleurs pauvres, petite bourgeoisie pauvre ou riche, ce sont des centaines de millions de chinois qui sont dans la tourmente. La classe ouvrière, par les travailleurs migrants, pourra être au centre de la crise politique provoquée par cette absurdité du capitalisme : des millions de Chinois mal logés, face à un milliard de places dans des logements vides ! :

« Combien de logements sont vacants en ce moment ? Les experts donnent des chiffres très différents, les plus élevés donnant à penser que le nombre actuel de logements vacants seraient suffisants pour 3 milliards de personnes, a pour sa part pointé non sans ironie He Keng, 81 ans, l’ex-directeur adjoint du Bureau National des Statistiques, à l’occasion d’un forum organisé fin septembre à Dongguan, ville de la province méridionale du Guangdong, cité le 25 septembre par Reuters. Cette estimation pourrait être un peu trop élevée, mais 1,4 milliard de personnes ne seraient probablement pas assez pour les occuper. »

Un media internet résume ainsi le rôle pivot joué par les travailleurs migrant en Chine :

« Les travailleurs migrants et leurs enfants

Selon l’estimation officielle de 2022, la Chine compte 296 millions de travailleurs migrants ruraux, soit plus d’un tiers de l’ensemble de la population active. Les travailleurs migrants ont été le moteur de la croissance économique spectaculaire de la Chine au cours des trois dernières décennies, mais ils restent marginalisés et font l’objet d’une discrimination institutionnalisée. Leurs enfants ont un accès limité à l’éducation et aux soins de santé et peuvent être séparés de leurs parents pendant des années. »

Conclusion

En Europe, comme dans la Péninsule arabique, aux USA ou en Chine, les travailleurs migrants sont ce qu’on toujours été fondamentalement les prolétaires : des déracinés victimes des guerres capitalistes, de la force de travail pour le Capital. Ce n’est pas l’antiracisme, ou la revendication de la simple liberté de circulation qui leur permettra de jouer le rôle central qui leur revient : c’est l’internationalisme ouvrier qui se donne comme objectifs :

• Combattre publiquement la haine des immigrés et tous ceux qui la diffusent

• Supprimer toute opposition entre nationaux et étrangers

• Unir les peuples contre la domination impérialiste, les peuples des pays impérialistes soutenant tout effort des pays opprimés de se libérer

• Supprimer l’exploitation des pays opprimés par l’impérialisme et les grands trusts et en rendre les richesses aux peuples

• Supprimer toutes les législations fascistes qui suscitent la haine entre les peuples et qui autorisent les pays riches à faire mourir des migrants à leurs frontières

• Quiconque vit de son travail a le droit de vivre dans le pays de son choix.

• Le désarmement de la classe capitaliste et l’armement du prolétariat

• Le rejet et la dénonciation des extrêmes droites, qu’elles soient pro ou anti-islamistes, qu’elles soient religieuses ou prétendument laïques

• Le rejet des deux blocs impérialistes et de leurs prétextes de guerre

• L’union internationale des prolétaires

• Plus que jamais, prolétaires, nous n’avons pas de patrie capitaliste à défendre, pas d’économie capitaliste à protéger, que des chaînes à rompre et à faire chuter !

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