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La naissance de la CGTU

vendredi 25 décembre 2009

Louis Bouët

Source du texte : la bataille socialiste

Au Congrès de Lille, les dirigeants confédéraux avaient été obligés d’abandonner leurs exclusions pour ne pas être battus par les représentants directs des syndicats ; mais dès le lendemain du congrès, les manœuvres scissionnistes étaient reprises : décision de la commission des conflits donnant raison à la minorité Bidegaray-Montagne (175 syndicats pour le rapport moral à Lille) contre la majorité Monmousseau-Semard (279 syndicats contre le R.M.) dans le conflit des cheminots ; création d’U.D. dissidente encouragée par le bureau confédéral dans les Bouches-du-Rhône et de plusieurs autres départements ; nouvelles exclusions de syndiqués de syndicats en diverses régions.

Une lettre de Rey, délégué à la propagande de la C.G.T. publiée le 18 septembre dans L’Information sociale est un aveu à peu près dépouillé d’artifice que la direction confédérale prépare la scission :

“Il n’est que deux solutions possibles, déclare-t-il : ou bien la majorité doit s’incliner devant la minorité ; ou bien les deux tendances doivent se séparer immédiatement. Majorité et minorité sont fictives. Il serait ridicule, s’appuyant sur cette majorité existante, de continuer à diriger la C.G.T. en attendant que la minorité soit devenue majorité…

… Pas d’organisation sans respect des décisions de congrès. Et l’application de la résolution de Lille par la majorité, c’est la scission. Telle est toute la réalité.

Nous ne pourrons aller à cet extrême salutaire et douloureux qu’autant que nous y aurons préparé nos militants et qu’eux-mêmes auront préparé les syndiqués dans leurs milieux respectifs.”

Le Comité confédéral de la fin de septembre 1921 a précisément pour objet, dans l’esprit des chefs renégats du syndicalisme révolutionnaire, de préparer cette issue : mais les discours de Jouhaux et Dumoulin et leurs savantes manœuvres ont pour résultats immédiats de réduire le nombre de voix majoritaires de moments en moments au cours des débats. Au premier vote il y a 72 voix pour Jouhaux et 51 contre ; le deuxième jour sur le vote des motions en présence relativement à la discipline syndicale, c’est-à-dire aux exclusions, 63 voix vont à la majorité (27 fédérations, 36 unions) et 56 à la minorité (12 Fédérations, 44 Unions), 10 organisations s’abstiennent (3 Fédérations et 7 Unions). Pour la première fois, la majorité des Unions s’affirme avec les C.S.R. qui ont été défendus [par] Marie Guillot.

La résolution Cazals (minorité) s’élève naturellement contre les exclusions :

“… Il (le CCN) déclare qu’aucun syndicat ne peut être exclu de l’organisation confédérale par une interprétation tendancieuse de la discipline syndicale et se refuse à admettre à ce titre les exclusions prononcées avant Lille, abandonnées et reprises depuis par diverses organisations confédérales.

Le CCN déclare également qu’aucune organisation ne peut être représentée en double à la C.G.T. et que seule l’expression de la majorité des syndicats adhérents aux fédérations et aux U.D. détermine l’admission de ces organisations au sein de la C.G.T.”

Par contre la résolution du bureau confédéral, interprétant le texte majoritaire du congrès [con]fédéral dans le sens d’une condamnation formelle des C.S.R. :

“Donne mandat au bureau confédéral et à la C.A. d’exiger le respect rigoureux de la motion de Lille par toutes les organisations affiliées qui ont le pouvoir d’exercer les sanctions légitimes en cas d’indiscipline constatée.

En conséquence, il précise :

Les organisations qui refusent de s’incliner devant les décisions prises et de coopérer à leur application se mettent délibérément en dehors de l’unité ouvrière. Ces organisations mettent la C.G.T. dans l’obligation d’admettre dans son sein les minorités qui acceptent les décisions des congrès confédéraux.”

Sur le cas précis de l’U.D. des Bouches-du-Rhône, la minorité gagne encore deux voix et la majorité en perd une tout en essayant de biaiser par une proposition de renvoi, ce qui fait dire à Mayoux : “Au sabre de bois de Dumoulin, il ne reste plus que le manche”.

Enfin sur le conflit des cheminots, la motion Semard demandant la convocation de tous les syndicats de cheminots sans exception à un congrès fédéral extraordinaire obtient 59 voix (47 Unions Départementales, 12 Fédérations) et celle de la majorité approuvant la commission des conflits en recueille 61 (34 Unions Départementales, 27 Fédérations) ; il y a 6 abstentions. Encore faut-il noter que plusieurs secrétaires ont violé le mandat reçu de leur organisation contre les exclusions et la scission. Rey avait raison d’écrire que la majorité était désormais “inexistante”.

Là-dessus, une commission administrative composée uniquement de majoritaires est élue ; les membres du bureau confédéral sont réelus par 71 voix.

“Trois mois de gagné pour l’unité syndical“, s’est écrié Monmousseau après l’un des votes. “Il n’en sera pas gagné davantage : ce CCN est le dernier avant la scission.”

“Oseront-ils se demande alors Monatte dans L’Humanité… Ils osent. Non seulement les 68.000 cheminots du bureau Semard se sont d’après le Bureau Confédéral et la Commission d’Administration “mis hors de la C.G.T.” ; mais l’U.D. du Nord exclut les syndicats de Tourcoing qui viennent de donner un bel exemple d’action directe (20.000 grévistes du textile) et qui pourtant n’adhèrent pas aux C.S.R. ; d’autres exclusions sont prononcées par les Fédérations des employés, de l’agriculture, des services publics, des ports et docks, des services de santé, des mineurs.”

Le 2 novembre, une délégation des Fédérations et des U.D. minoritaires demande à être entendue par la C.A. confédérale : on lui répond en rappelant les décisions du dernier C.C.N. votées malgré la majorité des U.D.

Alors 10 fédérations (dont celle de l’Enseignement) et 16 unions prennent l’initiative de convoquer à Paris pour les 22, 23 et 24 décembre un congrès extraordinaire de tous les syndicats hostiles aux exclusions et à la scission ouvrière.

Aussitôt la Commission Administrative de la C.G.T. publie un manifeste prévenant ces organisations que si le congrès projeté a lieu “elles se seront placées elles-mêmes hors de la C.G.T.”. Sans s’émouvoir la commission d’initiative grossie de trois unions et d’une Fédération réplique au Bureau Confédéral et à la Commission Administrative qu’ils peuvent reprendre à leur compte la convocation d’un congrès ou réunir un Comité Confédéral National qui déciderait le retrait des exclusions prononcées et sauverait ainsi le syndicalisme de la scission.

1 564 syndicats formant majorité dans la Confédération sont représentés à ce congrès par 500 délégués environ, malgré les interdictions fédérales et confédérales.

Dans ce nombre 39 syndicats de l’Enseignement (…)

La première journée de congrès est employée à fixer le mandat d’une délégation qui doit se rendre, le lendemain matin, rue Lafayette, au siège de la C.G.T., pour réclamer un C.C.N. ayant à l’ordre du jour l’unité syndicale. Voici l’essentiel de la résolution adoptée :

” Le Congrès enregistrant la décision qui vient d’être prise par la mjorité des syndicats adhérents aux C.S.R. et par laquelle ils ont décidé le retrait de ces organismes, tout en laissant et en revendiquant pour les syndiqués le droit d’y adhérer, estime que l’unité peut être sauvée si, officiellement, par procès-verbal établi et signé par la C.A. et le Bureau confédéral et la délégation, la C.A. et le B.C. s’engagent à poser la question de confiance au C.C.N. ainsi convoqué, en soutenant devant lui :

1. L’abandon de tous les motifs qui, jusqu’ici, ont servi de base aux exclusions ;

2. La réintégration de tous les exclus ;

3. La reconnaissance exclusive de la Fédération des Cheminots groupant la majorité des syndiqués et des syndicats règulièrement confédérés au moment du congrès de Lille ;

4. Le respect de l’autonomie des syndicats au sein de la C.G.T. comme au sein des organismes centraux ;

5. Le fonctionnement de la Commission de contrôle sur la gestion du Peuple par application des décisions de Lille”.

Le texte se termine par une affirmation de solidarité avec les exclus.

Ansi les révolutionnaires consentiraient au retrait de l’adhésion des syndicats, unions et fédérations au Comité Central des C.S.R., adhésion qui leur avait été reprochée plus que tout le reste. Le secrétaire-adjoint Lapierre, qui reçoit la délégation, ne lui fait aucune réponse précise ; mais le lendemain la réponse de la direction confédérale vient… par un communiqué officiel à la presse qui brise tout espoir en affirmant

“que le Bureau confédéral ne pouvait tenir compte d’observations et propositions provenant d’une assemblée irrégulière dont les décisions éventuelles ont été, par avance, frappées de nullité par la C.A.”

A cette nouvelle, de nombreux congressistes, notamment les exclus et la plupart des militants libertaires, veulent proclamer sans délai la déchéance du bureau et de la Commission administrative de la C.G.T., élire des organismes nouveaux, faire une rupture définitive. Ceux qui luttaient depuis le début de la guerre afin de redresser le syndicalisme et qui comprenaient la nécessité des efforts persévérants dans l’oeuvre d’émancipation des travailleurs, se devaient de faire preuve, à ce moment-là, de circonspection et de sang-froid, au risque d’apparaître comme des modérés. Les délégués de l’Enseignement s’emploient avec Monatte à calmer les impatiences [*]. N’oubliant pas que la plupart des groupements avaient donné mandat à leurs délégués de faire l’impossible pour maintenir l’unité, soucieux en outre de ne pas couper les ponts entre l’avant-garde et la partie de la masse syndicaliste qui restait encore derrière les bureaucrates fédéraux et confédéraux, ils font reconnaître un caractère provisoire à la Commission désignée par le congrès et font admettre la nécessité d’un nouveau congrès ayant lieu avant la fin du premier semestre 1922.

Cela étant acquis, et comme il n’y a pas d’autre moyen d’éviter la dispersion des 100.000 exclus et des syndiqués, plus nombreux encore, qui sont menacés d’exclusion, on adopte à mains levées une importante déclaration dont les deux paragraphes ci-dessous font pressentir la naissance d’une deuxième C.G.T. :

“Mais enregistrant les exclusions prononcées depuis le Congrès de Lille, enregistrant la résolution récente de la C.A. et confirmée par le communiqué qu’elle a donné à la presse de ce jour même, et aux termes duquel les organismes et les syndicats participants au Congrès unitaire se trouvent exclus de la C.G.T., le Congrès unitaire décide de suspendre provisoirement et à la date du 1° janvier la prise des cartes et des timbres confédéraux au siège des Fédérations, Unions départementales, Confédération générale du Travail qui approuvent jusqu’ici la politique d’exclusion et de scission engagée par la Commission administrative et le Bureau confédéral.

Il décide, en conséquence, de maintenir un lien provisoire entre les syndicats représentés au Congrès, ce lien sera constitué par la Commission provisoire du Congrès qui sera chargée de faire éditer pour la date du 1° janvier 1922 des cartes et timbres pour la mise à jour des syndiqués et pour en assurer la répartition jusqu’à ce qu’une situation définitive soit intervenue.”

Dans une circulaire aux syndicats fédérés (14 janvier 1922), après avoir rappelé brièvement les faits et exposé la situation, Marie Guillot s’exprime ainsi :

“Notre Fédération – Notre Fédération a pris place dès le début dans la minorité (lutte de classes). Au congrès unitaire, elle a combattu, malgré l’opposition des anciens exclus (et cette opposition se comprend) pour que toutes les tentatives soient faites encore pour conserver l’unité.

Cette unité apparaît presque brisée. Un miracle seul la sauverait : le miracle de la volonté, d’en-bas, de la volonté des syndicats faisant obstacle à la mauvaise volonté de mandataires infidèles.

Camarades, notre passé, les conséquences des luttes actuelles nous placent dans un camp. Nous avons néanmoins la volonté de tenter l’impossible pour empêcher la cassure de l’organisation syndicale. Confirmez-vous vos décisions pour que nous sentions la totalité de nos forces autour de nous.

Cartes et timbres – Nous les prendrons rue Grange-aux-Belles. Faites votre commande, dans les dix jours, à Soulinhac.”

rue Grange aux Belles (1922)

(…) D’ailleurs la direction confédérale a résolu la question en éliminant du C.C.N. convoqué pour le 13 février les délégués de l’Enseignement et des autres fédérations et unions organisatrices du congrès unitaire. Par 94 voix contre 8, les fonctionnaires syndicaux majoritaires approuvent naturellement le Bureau et la Commission Administrative, et par 87 voix contre 8, ils repoussent la proposition de réunir un congrès extraordinaire.

Le Peuple, ce quotidien dont les syndiqués paient l’énorme déficit sans exercer le droit de contrôle, annonce la scission ainsi accomplie comme la “libération du syndicalisme” ! …

Alors la Commission provisoire de la rue Grange-aux-Belles, qui, la veille de ce Comité Confédéral National, se déclarait encore prête, si les propositions du congrès unitaire étaient acceptée (abandon des exclusions et convocation d’un congrès confédéral extraordinaire), à considérer que la scission de la C.G.T.U. serait terminée, se voit contrainte d’enregistrer la scission :

” Obligée, par la décision du C.C.N., de sortir de la réserve qu’elle s’était volontairement imposée, la C.G.T. Unitaire, hier encore “lien provisoire”, devient automatiquement un organisme national définitif, dont le congrès aura charge de ratifier et de consacrer l’existence. A ce titre, elle entend s’élever au niveau de ses nouvelels responsabilités et à la hauteur des événements présents…

… Fidèle aux principes et aux traditions du mouvement ouvrier français, la C.G.T. Unitaire tiendra haut et ferme le drapeau de la lutte des classes, en dehors des compromissions déshonorantes et des capitulations honteuses, qui ont marqué d’un sceau indélébile l’action confédérale de ces sept dernières années…”

A notre Conseil Fédéral [ de l’Enseignement] des 14 et 15 avril, selon le rapport de la secrétaire générale “35 syndicats approuvent à ce jour l décision du Bureau Fédéral donnant son adhésion à la C.G.T.U.” Le Doubs et le Cantal n’ont pas encore tenu leur A.G. (…) Par 107 voix contre 2 (Loire-inférieure) et 7 abstentions – les délégués ayant droit depuis le dernier congrès à autant de fois 3 mandats qu’ils représentent de syndicats – le B.F. est approuvé. A l’unanimité, on décide ensuite que le prochain congrès [fédéral] sera appelé à statuer sur l’adhésion définitive à la C.G.T.U.

(…) Notre Fédération, en dépit des appels alarmistes du Syndicat des Bouches-du-Rhône et aussi des dissentiments qui éclatent dès les premiers temps à la C.G.T.U., se réorganise peu à peu. Au moment du premier congrès fédéral unitaire (fin juin 1922) 3 027 cartes rouges sont placées. Un mois plus tard, nous sommes à 4 050… (lettres du Trésorier Soulinhac).

Le désaccord qui s’était manifesté dans les C.S.R. entre syndicalistes libertaires ou “fédéralistes” et syndicalistes communistes devait fatalement se prolonger au sein de la C.G.T.U.

Les premiers, forts de la décision de Lille ajournant l’adhésion des minoritaires à l’Internationale syndicale rouge avaient pris la direction du Comité central des C.S.R. ; ils avaient même réussi, au congrès de Noël, à faire désigner comme secrétaire un anarchiste, Veber, qui ne faisait pas partie du groupement ; et la Commission qui devint le Bureau provisoire de la C.G.T.U. était formé de trois “fédéralistes” : Totti, Cadeau et Labrousse.

Il faut dire que la plupart des syndiqués révolutionnaires, même communistes et fermes partisans de la Révolution bolchévique, se défiaient des politiciens et ne fondaient pas de très grands espoirs sur le Parti communiste français qui conservait à sa tête un Cachin et un Frossard [1] et qui n’avait cessé d’être en proie à de graves querelles intestines.

La première conséquence de cet état d’esprit fut de permettre à de soi-disant anti-politiciens de s’emparer des “postes les plus en vue” des C.S.R. et de la C.G.T.U. à l’aide d’un “pacte” [2] secret signé entre eux en vue d’une “solidarité effective, matérielle et morale sans limite” pour faire triompher… “le fédéralisme et l’autonomie du mouvement syndicaliste”.

Malheureusement, le premier souci des tenants du “pacte” fut d’orienter tout de suite la jeune C.G.T.U. de telle façon que la maison se montrât inhospitalière aux trois-quarts des syndicalistes lutte de classe, juste au moment où il importait de la rendre habitable pour tous.

C’est à Monatte que revint le mérite d’avoir dénoncé, dans l’E.E. [**] du 15 avril 1922, cette mainmise impudente d’une fraction sur la Centrale “unitaire”, d’en avoir souligné les répercussions néfastes sur le mouvement syndicaliste et de s’être affirmé de nouveau en faveur de la Révolution soviétique aux prises avec les pires difficultés (famine due au blocus et à la sécheresse).

” Au Comité Confédéral Unitaire du 5 mars – écrit-il, la résolution relative aux emprisonnés de partout visait tous les gouvernements quels qu’ils soient et mettait sur le même pied, accrochait au même pilori, le gouvernement bolchevik et la monarchie espagnole.

Un peu après le 15 mars, la commission administrative provisoire renforçait cette première résolution et déclarait ne pas confondre la Révolution russe avec aucun gouvenement ou parti.

Dans une troisième motion enfin, pourfendant ce pauvre Touryette pour un filet publié dans l’Humanité, la C.A., sa majorité plus exactement, précisait qu’elle se refuse à identifier la Révolution avec un gouvernement ou un parti occupant passagèrement le pouvoir”…

Marie Guillot disait sagement au C.C.N. du 5 mars qu’il y avait mieux à faire pour la C.G.T.U. que d’ouvrir des débats de tendance. Elle avait cent fois raison. Mais on ne l’écouta guère, on passa outre, on y est repassé une seconde, puis une troisième fois, si bien que le débat est tout ouvert”.

A propos de la Révolution russe, Monatte déclare :

” Malgré leur génie et leurs bras de géants, les Blocheviks n’ont pu, livrés à eux seuls, réaliser la révolution sociale qui ne peut qu’être internationale ; ils n’ont pas pu, avec un prolétariat industriel infime, dans un vaste pays agricole, faire face à la fois à l’œuvre de défense révolutionnaire et à l’œuvre de construction économique : le tzarisme leur a laissé un pays sans syndicats et ils n’ont pas les matériaux d’organisation de la production que d’autres pays possèderont, espérons-le. Ils ont tenté, ils ont tenu, c’est quelque-chose, cela. C’est le miracle de ces temps nouveaux”.

(…) A la C.A. provisoire de la C.G.T.U., qui met une enseigne anarchiste sur l’organisation en proclamant le syndicalisme “anti-étatique par essence et par définition, rigoureusement adversaire de toute forme de gouvernement quelle qu’elle soit”, Monatte demande comme[nt] elle “conçoit non seulement l’organisation de la production mais de toute la vie sociale… si elle admet l’existence d’un pouvoir ouvrier – qu’il s’appelle État prolétarien ou autrement, qu’il soit exercé par les syndicats, par le parti ou par un organisme nouveau surgi des circonstances comme les Soviets” ; ce qu’elle voit à “opposer aux troupes de Foch et de Weygand, aux armées blanches et noires, aux chars d’assaut… aux avions munis de mitrailleuses, etc…”

(…) Et l’ancien directeur de la Vie ouvrière [3] s’élève contre un autoritarisme qui, tout en se réclamant du “fédéralisme”, ne le cède en rien à la manière centraliste et même despotique de la C.G.T. de la rue Lafayette ; il condamne le syndicalisme de secte auquel on a voulu réduire la C.G.T.U. dès ses premiers vagissements.

Soutenu bientôt par notre bureau fédéral (déclaration du 18 mai), L. Bouët, dans l’E.E., l’Anjou communiste et l’Humanité, développe les mêmes idées que Louis Clavel dans la Vie ouvrière.

Le projet de statuts élaboré par la C.A. provisoire (…) prévoyait le remplacement immédiat des U.D. par des unions régionales des fédérations aux comités confédéraux. La maison eût été ainsi transformée de fond en comble au lieu d’être “la C.G.T. qui continue”. Enfin le bureau provisoire s’était employé à créer à Berlin une Internationale syndicale anarchiste hostile à la Révolution russe.

C’est donc bien la question d’organisation qui se trouve posée au moment où il importe d’abord d’assurer le plus large rassemblement des forces syndicales du pays.

Au reste, sur la disparition de l’État comme but final, les syndicalistes communistes étaient d’accord avec les anarchistes, après la publication en langue française de l’un des plus remarquables ouvrages de Lénine : L’État et la Révolution ; mais le conflit d’idées portait sur la dictature prolétarienne en période transitoire. C’était la vieille querelle entre Marx et Bakounine.

Le noyau de la Vie ouvrière publie alors un contre-projet de statuts permettant de réaliser l’accord de toutes les tendances se réclamant de la lutte de classe, puis il précise les conditions dans lesquelles pourra s’effectuer l’adhésion de la C.G.T.U. à l’Internationale Syndicale Rouge.

Congrès confédéral de St-Étienne

Dans la salle où quatre ans plus tôt, en 1918, s’était tenu sous la présidence de Dumoulin le congrès des syndicalistes minoritaires,les délégués de 1200 syndicats (dont 35 de l’enseignement) groupant 350 000 adhérents environ se trouvent réunis du 26 juin au 1° juillet pour constituer définitivement la C.G.T.U. et fixer son orientation.

Six jours d’âpres débats [***] au cours desquels interviennent trois camarades de notre fédération : Marie Guillot et L. Bouët pour une C.G.T. ouverte largement à toutes les tendances, mais solidaire de la Révolution russe, F. Mayoux, dans un sens opposé par souci de l’indépendance du syndicalisme et défiance des bolchévistes.

Nous n’en pouvons donner ici que les résultats. Les motions de la Vie ouvrière, soutenues par la plupart des syndiqués membres du Parti communiste, sont adoptées successivement par 779 voix contre 391 (orientation générale), 741 voix contre 406 (adhésion conditionnée à l’I.S.R.) ; le projet de statuts de la C.A. provisoire est repoussé, au bénéfice du contre-projet de la V.O. par 743 voix contre 336.

Nous nous bornerons à relever la dernière partie de la résolution portant sur l’Internationale :

” Le Congrès, condamnant toute idée de création d’une autre Internationale syndicale, adhère à celle de Moscou, à la condition expresse que les statuts et les résolutions respectent l’autonomie du syndicalisme français.

Il demande à l’Internationale syndicale de Moscou de bien vouloir les modifier dans ce sens et dans le plus bref délai, afin que la situation du syndicalisme français soit enfin régularisée. Résolument partisan de l’autonomie de l’I.S.R., vis-à-vis de la Troisième Internationale Communiste, il mandate ses délégués pour défendre au sein du 2° Congrès le principe de cette autonomie et pour voter contre l’application de l’article 11 des statuts de l’I.S.R.

Le Congrès espère que le 2° Congrès de l’Internationale syndicale lui donnera pleine satisfaction et décide, au cas où satisfaction ne lui serait pas donnée, de consulter à nouveau tous les syndicats avant de prendre toute décision.”

La nouvelle C.A., dans laquelle les leaders “fédéralistes” refusent d’entrer, désigne ensuite comme secrétaires confédéraux : Monmousseau, Cazals, Richetta et L. Bouët ; mais celui-ci décline toute fonction : il entend réserver à l’École émancipée la plus grande part de son activité et il songe déjà à la campagne qu’il lui faudra entreprendre pour la réintégration des nombreux révoqués de l’Enseignement ; Marie Guillot s’offre alors à le remplacer : elle sera la première femme entrant dans un bureau confédéral, ce que plusieurs journaux enregistrent comme une victoire du féminisme.

“Le syndicalisme est en danger, le syndicalisme est mort !” s’écrient à l’issue de ces assises des partisans de la tendance mise en minorité, croyant justifier par ces affirmations alarmistes la création d’un nouveau “Comité de Défense Syndicaliste”.

En fait, ce sont les C.S.R., qui recevaient le coup de grâce, en tant que groupement des diverses tendances révolutionnaires au sein du mouvement syndical. Le Parti communiste, dont les adhérents ont été réunis pour la première fois durant un congrès de la C.G.T. à l’appel du secrétaire Frossard, pourra désormais constituer sans trop de peines ses “commissions syndicales”.

Quant à la C.G.T.U. elle devait, sous la nouvelle direction, reprendre bientôt sa marche ascendante et surpasser en effectifs la C.G.T. réformiste.

Notes :

 d’origine :

[1] Cachin et Frossard, du fait de leur passé de “politiciens” étaient considérés avec beaucoup de méfiance sinon d’hostilité tant par les communistes d’origine syndicaliste révolutionnaire que par les bolcheviks eux-mêmes.

[2] Pierre Monatte a rappelé que “la petite franc-maçonnerie clandestine appelée par le Pacte” s’était constituée pendant sa détention à la Santé. Il accuse les hommes du Pacte de porter avec Jouhaux la responsabilité de la scission dans la C.G.T. et les traita à l’époque d’ “imbéciles” [*]. Il fait bien admettre que le texte de ce “pacte” est pour le moins curieux, sous son allure de “secret” de boyscout. Il n’est pas moins curieux que des militants anarcho-syndicalistes, regroupés contre une éventuelle mainmise de la fraction communiste sur les syndicats, aillent jusqu’à constituer eux-mêmes une fraction d’autant plus anti-démocratique qu’elle demeure secrète et nie sa propre existence tout en n’ayant d’autre objectif que de conserver le pouvoir, tout cela au nom de… la démocratie. Les hommes du Pacte furent largement déconsidérés d’ailleurs par la publication de… leur Pacte dont voici le texte (…)

[3] Pierre Monatte avait fondé et dirigé la Vie ouvrière. Il l’avait abandonnée au lendemain de la scission de 1921 qui consacrait l’échec de son entreprise de conquête de la C.G.T. par les révolutionnaires. Mais il ne s’était pas pour autant retiré de l’action syndicale ni politique… Quoique non membre du P.C. – auquel il n’adhèrera qu’en 1923, après le départ de Frossard – il travaillait à l’Humanité où était chargé de la rubrique sur la vie sociale.

 de la BS :

[*] Monatte devait écrire : “(…) Au nom de la solidarité, la minorité ne pouvait se désintéresser des exclus. C’est sur cette question que se réunit, fin décembre, le congrès minoritaire. J’entends encore l’anarchiste Colomer, à un moment où le congrès paraissait hésiter, prononcer son fameux : “Alors, c’est pour ça que vous nous avez réunis ?” Je revois Mayoux passer près de la table où nous faisions plutôt triste figure, Marie Guillot, Bouët et moi : “Hein, vous avez couvé de fameux canards !” Le Pacte tenait sa centrale toute neuve ; notre tentative de redressement de la C.G.T. avait échoué. La scission était faite. La minorité en prenait la responsabilité, alors que celle-ci revenait à la majorité pour la plus large part. J’ai écrit alors que la scission avait été l’œuvre de canailles et d’imbéciles. De majoritaires canailles et de minoritaires imbéciles (…) C’est depuis ce jour que le mouvement syndical français est incapable de jouer le rôle qui lui revient (…) Cette scission n’a-t-elle pas été voulue et préparée par Jouhaux et la majorité confédérale ? Les syndicalistes dits purs à la Besnard et à la Verdier, et les anarchistes à la Lecoin et à la Colomer ne se sont-ils pas précipités dans la chausse-trappe tendue à leur intention ? Cela ne paraît pas faire de doute pour qui juge impartialement.” (Trois scissions syndicales, 1958)

[**] l’E.E. = l’Ecole émancipée

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