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Des syndicats indépendants... des travailleurs

lundi 15 février 2010

Des syndicats indépendants... des travailleurs

Si la bourgeoisie a commencé par combattre, et avec quelle violence, les syndicats, les interdisant et pourchassant et privant d’emploi et même de liberté leurs militants, bien vite aussi, devant leur force grandissante malgré la répression, certains de ses représentants ont imaginé une politique plus subtile : en les associant à la gestion des affaires sociales, voire à la gestion de l’économie capitaliste, les intégrer dans le système et transformer des contestataires en responsables et en garants de celui-ci.

En France, la première expérience de commissions paritaires patronat-syndicat remonte à la 1ère guerre mondiale. En récompense à son ralliement à l’Union sacrée, la CGT de Léon Jouhaux fut conviée dès 1915 à venir discuter avec les représentants patronaux des problèmes de la production, des conditions de travail et de salaires. En 1917 des commissions paritaires, dites « de conciliation et d’arbitrage » étaient mises en place en vue d’éviter les grèves et de procéder à l’envoi au front des ouvriers récalcitrants.

Trente ans plus tard, à l’époque de la Libération, l’intégration des syndicats aux institutions a été conçue non seulement comme un moyen de faire participer les organisations ouvrières à l’effort de reconstruction, mais comme un élément essentiel et durable du système capitaliste français reconstruit. L’ordonnance de février 1945 instituant les Comités d’entreprise, celle d’octobre 1945 instituant le régime général de la Sécurité sociale, le statut d’octobre 1946 sur le statut de la Fonction publique, sont autant d’étapes dans leur institutionnalisation.
L’intégration nationale

Depuis 1945, les syndicats participent à la gestion paritaire et sont même majoritaires dans le Conseil d’administration des caisses primaires (assurance maladie, allocations familiales…) qui relayent la Sécurité sociale à l’échelon local, départemental ou régional. Ainsi leur était confiée la gestion de sommes considérables (8% du PIB déjà en 1945), d’organismes qui ont une importance considérable pour les salariés, leur vie quotidienne et leur santé. Des accords ultérieurs entre patronat et syndicats ont étendu la cogestion paritaire à d’autres régimes sociaux : celui des caisses de retraite complémentaire (instituées en 1947 pour les cadres et en 1957 pour l’ensemble des salariés), celui de l’assurance-chômage datant de 1958, ou encore celui de la formation pour adultes.

C’est aussi pendant la période de la reconstruction que les syndicats ont été intégrés aux structures administratives de l’appareil d’Etat. Encore aujourd’hui, ils sont associés à la gestion des 3 fonctions publiques (Etat, collectivités territoriales et hôpitaux) au travers des commissions administratives paritaires (CAP). Des représentants syndicaux sont également intégrés dans les conseils d’administration de toutes les entreprises nationalisées à cette même époque (gaz, électricité, banques, assurances, mines). Par ailleurs, les confédérations syndicales siègent dans les conseils économiques, au niveau national et régional, et dans d’innombrables commissions consultatives concernant les orientations économiques et sociales. Enfin les syndicalistes fournissent la moitié des juges dans les conseils prud’homaux ou les membres de commissions de recours gracieux de la Sécurité sociale qui examinent les réclamations des assurés.
Une nouvelle place dans l’entreprise

Au niveau de l’entreprise, la gestion des oeuvres sociales (depuis les restaurants d’entreprise jusqu’aux bibliothèques, en passant par les activités culturelles et sportives et les centres de vacances) est confiée aux élus du Comité d’entreprise (CE). Au-delà, le CE est investi d’un « rôle d’information » du personnel sur la situation économique de l’entreprise, des projets d’investissement et il est « consulté » en matière d’horaires, de congés et de plans sociaux. Dès les années 50, certaines grandes entreprises, comme Renault et d’autres, ont institué le principe de la participation des syndicats à la discussion sur l’ajustement périodique des salaires.

La reconnaissance de la section syndicale d’entreprise par la loi de décembre 1968 a accordé de nouveaux moyens en heures de délégation, locaux et autres moyens matériels. Après 1968, les comités d’entreprise ont ainsi connu un véritable essor, concernant 24 000 établissements et 5,6 millions de salariés en 1976 contre 9000 établissements et 2,4 millions de salariés en 1966. Mais ce sont les lois Auroux de 1982 qui ont donné un coup de fouet à l’institutionnalisation du syndicat dans l’entreprise, en multipliant les espaces de discussion entre directions des entreprises et organisations syndicales. Outre la reconnaissance de la section syndicale pour les entreprises de moins de 50 salariés et la création des Comités hygiènes et sécurité (CHSCT) avec représentation syndicale, les lois Auroux ont imposé une négociation annuelle sur les salaires entre les employeurs et les syndicats par l’intermédiaire des CE. A cela se sont ajoutées toutes les fonctions attribuées par les directions d’entreprise aux syndicalistes : délégués centraux au Comité central d’entreprise (CCE), délégués aux comités de groupe (depuis 1994 dans les entreprises de dimension européenne), représentants aux conseils d’administration, etc.
Les contreparties

Il est hors de doute qu’aujourd’hui les militants syndicaux bénéficient, pour accomplir leur tâche, de facilités et de possibilités dont les générations du début du siècle n’auraient sans doute même pas osé rêver. Dans la mesure où cela permet une meilleure défense des droits des salariés on ne peut que s’en féliciter.

Pourtant chaque concession majeure faite aux organisations syndicales l’a toujours été dans des circonstances où la bourgeoisie avait besoin de neutraliser, voire de mobiliser les travailleurs : efforts de guerre, efforts de reconstruction du pays, nécessité d’effacer les conséquences d’une grève générale, nécessité pour le gouvernement de s’assurer du calme social, etc… Il s’agissait d’un donnant-donnant, mais dans lequel c’étaient les organisations syndicales qui recevaient mais les travailleurs qui donnaient. Car à chaque fois les directions syndicales ont en effet accepté, contre les nouveaux avantages qui leur étaient octroyés, d’imposer aux travailleurs et d’abord à leurs propres militants les sacrifices demandés par la bourgeoisie.

Pour les militants syndicaux eux-mêmes les nouvelles possibilités offertes ne vont pas sans pièges et chausse-trappes. Certes ils ont du temps pour remplir leurs tâches syndicales : heures de délégation payées par l’employeur dans le privé, « mises à disposition » dans les administrations. Grâce au cumul des mandats (2 à 3 en moyenne d’après les enquêtes internes à la CGT et à la CFDT), et des autorisations d’absence, bien des syndicalistes sont transformés en « permanents de fait ». D’un autre côté ils sont de plus en plus sollicités par les instances paritaires, les réunions et les négociations avec l’employeur, auxquelles s’ajoutent les réunions dans les instances des unions et fédérations. Même les mandats de délégués du personnel sont accaparés pour de telles tâches, réduisant d’autant les liens avec les salariés sur le terrain. La chute du nombre d’adhérents, et donc de salariés prêts à donner un peu de temps pour faire marcher le syndicat aidant, la section syndicale n’a plus de vie qu’à travers le temps octroyé par le patron. C’est ainsi que des militants dévoués et honnêtes sont transformés, à leur insu et insidieusement, en bureaucrates coupés des travailleurs dont ils sont censés représenter les intérêts ou les exigences.

Dans la fonction publique

Depuis 1946, la mise en place de Commissions administratives paritaires (CAP) a donné aux syndicats la possibilité de se prononcer sur la gestion du personnel, notamment sur les avancements et les mutations, ainsi que sur les recrutements, détachements, sanctions, et licenciements pour insuffisance. Un décret de mai 1982 précise qu’une CAP doit être créée pour chaque corps de fonctionnaire, avec autant de représentants de l’administration que du personnel, élus pour 3 ans sur des listes présentées par les syndicats. S’y rajoutent des Comités techniques paritaires (CTP) chargés du fonctionnement des services, et dont les représentants sont désignés par les syndicats en fonction de l’audience aux élections CAP. Enfin, le tout est chapeauté par le Conseil supérieur de la fonction publique (CSFPE), l’organisation supérieure de recours disciplinaire, où 38 sièges de titulaires et 76 suppléants sont attribués aux syndicats.

Les « affaires » (caisse noire anti-grève pour acheter des syndicats de l’UIMM, fonds détournés par des responsables syndicaux dans les CE des grandes entreprises, etc…), autant que la participation des dirigeants à de nombreuses instances de direction de la société et le financement des syndicats en dehors des cotisations des salariés, servent à maintenir les dirigeants syndicaux sous la dépendance des patrons et de l’Etat.

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