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Bolivie : Morales sous la pression sociale et rebaisse les carburants

jeudi 20 janvier 2011

Bolivie : Morales plie sous la pression sociale et rebaisse les carburants

Le président bolivien Evo Morales, confronté à la plus ample fronde sociale depuis son arrivée au pouvoir en 2006, a fait marche arrière vendredi soir et annulé un décret qui avait entraîné une hausse de 80% des carburants, et déclenché des grèves et manifestations violentes.

"Nous avons décidé, en obéissance au peuple, d’abroger le décret 748 ainsi que les autres décrets qui accompagnaient cette mesure"", a déclaré Morales en conférence de presse au palais présidentiel à la Paz.

Le décret contesté, annoncé dimanche, avait mis fin à des subventions datant de plusieurs années sur les carburants, se traduisant du jour au lendemain par des hausses brutales de 73% sur l’essence et 83% sur le diesel, les plus fortes en 30 ans.

Les hausses avaient engendré des peurs paniques de répercussion sur les denrées de base, dans le pays andin où 60% de la population vit dans la pauvreté.

Pour amortir l’impact et désamorcer la colère sociale, Morales avait annoncé mercredi une série de mesures, dont une hausse de 20% pour 2011 des salaires dans l’enseignement, la santé, la police et l’armée.

"Toutes ces mesures resteront donc sans effet, il n’y a donc plus aucune raison de devoir subir la hausse des prix des transports et des aliments, ni d’alimenter toute spéculation", a ajouté le président. "Tout revient à la situation antérieure".

Peu auparavant, Morales avait annulé, face à la tension sociale, son voyage à Brasilia où il devait assister samedi à l’investiture de la présidente Dilma Rousseff.

Jeudi, les principales villes de Bolivie avaient été paralysées par une grève des transports et des manifestations. Elles avaient provoqué 15 blessés et entraîné 21 arrestations lors de heurts, notamment dans la grande ville dortoir d’El Alto jouxtant La Paz.

Particulièrement notables dans les manifestations étaient des syndicats, groupes sociaux, ou Boliviens pauvres, qui ont porté au pouvoir le socialiste Morales en 2006, l’ont réélu triomphalement fin 2009, et criaient jeudi à la "trahison".

Vendredi, les syndicats, celui des transporteurs en tête, avaient promis une mobilisation continue dès lundi sitôt passée une "trêve" du Nouvel an.

Une puissante organisation de mineurs de Huanani, la plus grande mine d’étain du pays, avait notamment menacé d’une marche sur La Paz : une mobilisation à haut risque, étant donné le passé violent des mobilisations de mineurs, et la présence d’explosifs dans leurs manifestations.

La volte-face de Morales est d’autant plus spectaculaire que le président, lors d’allocutions ou d’interviews depuis cinq jours, avait longuement plaidé que les subventions aux carburants étaient intenables, et revenaient à une "saignée" de l’économie bolivienne.

Ces subventions de 380 millions de dollars par an, avait-il rappelé, faisait de l’essence bolivienne la moins chère de la région, alimentant une "terrible contrebande" vers le Brésil, le Pérou, l’Argentine et le Chili voisins.

La suppression des subventions "bénéficiait au peuple bolivien", a insisté Morales vendredi, expliquant que "mes compagnons des mouvements sociaux m’ont dit +c’est important, mais ce n’est pas opportun+".

"Mon gouvernement est né de la souffrance du peuple bolivien, et ce gouvernement, ma présidence en particulier, sont redevables au peuple et aux mouvements sociaux", s’est-il justifié.

La confusion régnait dimanche soir à La Paz. Alors qu’Evo Morales a annoncé le retrait du « décret 748 » qui supprimait les subventions aux carburants, provoquant une hausse de 50 à 80% des prix à la pompe, son vice-président, Alvaro Garcia, a reparlé d’une prochaine hausse des carburants dans le cadre « d’un dialogue avec le peuple ». Le chef de l’État bolivien avait pourtant expliqué samedi qu’il avait écouté les syndicats et décidé « d’obéir à ce que dit le peuple en abrogeant le décret augmentant l’essence et tout ce qui accompagnait cette mesure ».

Mercredi, le président avait tenté de calmer la contestation sociale en promettant des hausses de salaires de 20% pour les personnels de l’armée, de la police, de la santé et de l’éducation pour tenter de couper court à la mobilisation. Mais cela n’a pas suffi. Pire, c’est dans les bastions traditionnels du MAS (Movimiento Al Socialismo), son parti, que la contestation a été la plus forte en fin de semaine.

« Va-t’en au Venezuela »

La ville-dortoir d’el Alto, qui surplombe La Paz, a été totalement paralysée jeudi. Des péages routiers ont été détruits. Et des appels à la démission d’Evo Morales ont été lancés, rappelant les jours sombres d’octobre 2003 quand la population d’el Alto avait obtenu le départ du président Gonzalo Sanchez de Lozada. « Evo incapable, va-t’en au Venezuela, criait la foule. Nous sommes tous contre le coup bas de ce maudit gouvernement affameur. »

Les manifestations ont également été importantes à Cochabamba. Les leaders indiens Aymaras de Achacachi ont commencé une marche vers La Paz, la capitale. Les producteurs de feuille de coca du Chapare, l’un des fiefs les plus importants de Morales, se sont, eux aussi, mobilisés contre la suppression des subventions aux carburants.

C’est la première fois qu’Evo Morales est confronté à un tel déferlement de mécontentements. Proche d’Hugo Chavez, il appartient à la gauche radicale sud-américaine. Ce syndicaliste - il dirige toujours le syndicat des cocaleros, les cultivateurs de feuille de coca - a construit sa carrière politique grâce au soutien des organisations indigènes et des syndicats.

Facilement réélu en 2009 à la tête de l’État bolivien, Evo Morales avait, lors de son premier mandat, profondément réformé le pays, en nationalisant les hydrocarbures et en développant une politique de promotion des populations d’origine indienne. Mais les résultats concrets de cette politique se font attendre, dans un pays où 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Des contestations locales se sont multipliées ces derniers mois. Cette fois, l’augmentation du prix des carburants a cristallisé les mécontentements et déclenché le premier mouvement national contre Morales.

Difficultés budgétaires

La décision de supprimer les subventions aux carburants était une réponse aux difficultés budgétaires que connaît actuellement l’État bolivien. Le coût des subventions à l’essence est évalué à 750 millions de dollars. « Cette libération du prix des carburants n’est pas destinée à créer un excédent fiscal, mais à contenir une saignée économique » , avait justifié Evo Morales. Son vice-président, Alvaro Garcia, avait expliqué que cette mesure permettrait de « consolider et garantir le modèle de développement productif ». Les prix des carburants étaient gelés depuis six ans.

Les problèmes énergétiques sont considérés comme le révélateur de l’un des principaux échecs de la politique de Morales. Depuis la nationalisation de la production d’hydrocarbures, les investissements se font rares. La Bolivie produit 4500 barils de pétrole par jour pour une consommation de 35.000. Elle achète donc son pétrole au Venezuela et à l’Argentine pour le revendre à la population à un prix subventionné. « Avec le prix actuel (27 dollars le baril sur le marché interne), aucun investisseur nouveau ne peut intervenir pour extraire plus de pétrole. C’est le problème de fond, a expliqué Evo Morales. L’unique façon de favoriser les investissements, c’est de payer le prix international. »

Dans la presse d’opposition, certains éditorialistes se sont gaussés de ce qui ressemble à une conversion soudaine au libéralisme d’un des leaders de la gauche radicale sud-américaine.

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