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Etat d’urgence à Ferguson dans le Missouri

31 août 2014, 10:29

Depuis 1993, la criminalité s’est effondrée dans les villes américaines, alors que la population carcérale a été multipliée par cinq en vingt ans. Aujourd’hui, plus de 2,2 millions de personnes sont en prison, dont 45 % sont noires. L’incarcération de masse a des effets terribles dans les quartiers noirs, où les enfants grandissent sans père ni tissu communautaire, où les ex-détenus sont exclus du marché du travail, et où la moitié des adolescents noirs sans diplôme ira en prison au cours de sa vie adulte. La prison est devenue une expérience structurante de la vie de générations entières d’hommes noirs américains.

Selon la police, le « crime » de Michael Brown est d’avoir traversé la rue en dehors du passage piéton. Les polices américaines en sont venues à s’intéresser à des infractions aussi vénielles parce qu’elles ont une approche statistique de leur métier. Grâce à des logiciels de cartographie, les policiers identifient les zones criminogènes et allouent les moyens humains, avec pour mission d’arrêter autant de « suspects potentiels » que possible.

Tous les individus commettant des infractions, même mineures, sont arrêtés « préventivement », avant qu’ils ne commettent un crime plus grave, comme le prédisent les statistiques. Pressés par la logique des indicateurs de performance, les policiers contrôlent et fouillent massivement les jeunes hommes des minorités raciales.

Ferguson est une banlieue résidentielle historiquement blanche, devenue noire durant les années 1980. Mais le pouvoir local est resté aux mains des Blancs. La police est à 90 % blanche. Les emplois publics et les subventions municipales n’ont pas profité à la majorité noire. De plus, les Noirs, à Ferguson et ailleurs, ont connu, durant les années 2000, une illusion de prospérité financée par des prêts hypothécaires à risques (subprimes), après des décennies de discriminations sur le marché du crédit. Le salaire médian des familles noires a stagné durant cette période, et les écarts de patrimoine entre Blancs et Noirs se sont accrus. Les coûts de l’éducation, de la santé et du logement ont augmenté, devenant hors de portée des familles avec deux revenus moyens. Enfin, la revalorisation foncière des villes américaines depuis 1990 et le déplacement de la pauvreté vers les banlieues ont déstabilisé le tissu historique des organisations locales de soutien aux pauvres. Pour les Noirs américains, c’est l’ensemble des forces de légitimation du système social qui s’est érodé durant les années 2000.

La mort de Michael Brown, le 9 août, a déclenché un mouvement de protestation qui dure depuis presque deux semaines à Ferguson (Missouri), avec plus de 160 arrestations, un couvre-feu et l’intervention de la garde nationale. La violence de la répression des manifestations à Ferguson est à replacer dans un contexte institutionnel. Il y a plus de 18 000 services de police aux Etats-Unis, répartis entre la ville, le comté, l’Etat et le gouvernement fédéral. Chacun a sa hiérarchie, son budget, ses moyens humains. Ce sont les policiers de chaque ville qui gèrent les émeutes, sans qu’ils y soient formés. Composées de personnels souvent issus de l’armée et préoccupées par les armes que peuvent posséder les criminels, les polices américaines dépensent des sommes considérables dans du matériel militaire (lance-grenades, mitrailleuses, véhicules blindés, etc.) qu’ils utilisent quand la situation les dépasse. Les manifestations ne sont pas considérées comme un mode légitime d’expression politique aux Etats-Unis, et leur répression les réduit à l’émeute, sans que le message politique soit entendu.

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