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A bas l’ordre colonial en Nouvelle Calédonie ! Libérez les syndicalistes emprisonnés et annulez leur condamnation !

4 novembre 2018, 07:04

L’ordre colonial français a signifié le vol des terres des kanaks !!!

La spoliation foncière se traduit par la création de réserves où sont cantonnées les populations océaniennes, à l’image de ce qui a pu se produire avec les Amérindiens aux États-Unis et au Canada. Après l’arrêt des convois pénitentiaires en 1897 (le bagne en tant que tel cessera son activité en 1924, NDLR), la Nouvelle-Calédonie se transforme en une colonie de peuplement rural qui voit arriver des paysans français de métropole, mais aussi des travailleurs vietnamiens et indonésiens sous contrat. Déjà fortement limitée, l’emprise foncière des réserves se réduit à peau de chagrin : au début du XXe siècle, on estime qu’elles représentent 8% seulement du territoire de la Grande Terre.

Une catastrophe économique pour ce peuple d’agriculteurs qui pratiquait la culture en terrasse et avait déployé un système d’irrigation sophistiqué, mais aussi une catastrophe culturelle car la terre avait une fonction symbolique forte. Le cantonnement des populations océaniennes dans les réserves est réglé par un code de l’indigénat. Les Kanaks qui ne sont pas citoyens, mais sujets français, sont soumis à des restrictions de circulation et ne peuvent quitter leur arrondissement sauf autorisation particulière. Ils n’ont pas accès au système judiciaire classique, mais relèvent de sanctions administratives. Ils ont interdiction de porter des armes, doivent acquitter un impôt de capitation – par individu, donc – et effectuer plusieurs jours de travaux forcés par an pour le compte des colons ou des autorités.

La situation des kanaks au début du XXe siècle est calamiteuse. Les Kanaks qui étaient selon les estimations autour de 45 000 au moment de la prise de possession française ont vu leurs effectifs tomber à 20 000 environ en 1920, le plus bas démographique jamais enregistré. Cela est dû aux guerres coloniales menées dans la deuxième moitié du XIXe siècle sur le territoire calédonien, à la répression des révoltes comme celle de 1878 qui a fait entre 2 000 et 3 000 morts chez les Kanaks, mais aussi et surtout aux pathologies importées du continent européen qui ont décimé ces populations. Si on remonte à l’arrivée de Cook et aux premiers contacts avec les Européens, on parle d’un effondrement de 70 à 90% de leurs effectifs. Au début du XXe siècle, les autorités françaises considèrent que le peuple océanien est voué à la disparition et qu’il est destiné à être remplacé par une population européenne supposément plus résistante – on est en plein darwinisme social ! Mais tout le monde ne partage pas ce point de vue : très implantés dans les réserves, où ils sont notamment chargés de l’enseignement, les missionnaires catholiques et protestants considèrent eux que la dénatalité est due au désespoir, mais aussi aux ravages de l’alcoolisation chez les Kanaks, et ils décident de les aider à survivre et à reprendre espoir.

Constituées de militaires, d’ex-bagnards, de colons…, les premières populations européennes sont essentiellement masculines. Si l’on décide assez vite d’envoyer des orphelines depuis la France métropolitaine pour assurer une présence féminine auprès de ces hommes, une partie d’entre eux forme des couples mixtes avec des femmes kanakes. Mais cela ne crée pas un monde métis pour autant, contrairement à ce qui a pu se passer dans d’autres territoires d’outre-mer. La faute à la mise en réserves et à la division juridique stricte entre Européens et Kanaks. S’il est reconnu par son père, un enfant né d’un couple mixte devient européen à 100% : il accède pleinement à la citoyenneté et à la société des Blancs. S’il n’est pas reconnu par son père, il est élevé dans la réserve par sa mère et ses oncles maternels, et devient alors 100% kanak. En Nouvelle-Calédonie, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, la coupure est radicale entre ces deux mondes.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en 1946 plus précisément, le régime de l’indigénat est aboli et l’ensemble des Kanaks accèdent à la citoyenneté. Il faudra néanmoins attendre 1957 pour que la première élection au suffrage universel intégral soit organisée en Nouvelle-Calédonie, et 1962 pour voir le premier bachelier kanak. Et si les Kanaks ne sont plus assignés à résidence dans les réserves, cela ne veut pas pour autant dire la fin de celles-ci.

En 1946, un enchaînement très particulier d’événements vient cristalliser les revendications politiques kanakes. En effet, l’abolition du régime de l’indigénat n’est pas mise en œuvre immédiatement et Jeanne Tunica, une Européenne qui vient de fonder le parti communiste calédonien, décide d’informer les Kanaks de leurs nouveaux droits et notamment du fait qu’ils ne sont plus assujettis aux travaux forcés. En quelques semaines, des milliers de Kanaks deviennent communistes, sous l’œil réprobateur des missionnaires qui étaient très influents dans les réserves. En réaction, deux associations sont créées par les missionnaires eux-mêmes, qui demandent l’accès immédiat à la citoyenneté et l’extension du territoire des réserves : l’Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l’ordre (UIALCO), catholique, et l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF), protestante.

En 1953, ces deux associations donnent naissance au premier parti politique kanak, l’Union calédonienne, qui accueille également des « Européens de brousse ». L’Union calédonienne porte les premières revendications autonomistes en Nouvelle-Calédonie, sous le slogan « Deux couleurs, un seul peuple ». Cette demande d’autonomie aboutit à la création d’un conseil de gouvernement et d’une assemblée locale dotée de droits spécifiques. Mais la tendance s’inverse dès les années 1960, lorsque la France redécouvre la valeur stratégique de la Nouvelle-Calédonie et décide de limiter le poids du gouvernement local.

La domination de la Nouvelle-Calédonie devient-elle stratégique pour la France à cause du nickel. La Nouvelle-Calédonie possède en effet l’une des plus grosses réserves mondiales de ce métal devenu crucial pour l’essor de l’industrie française : s’il est en réalité exploité depuis près d’un siècle, ses propriétés physiques, notamment anticorrosion, le rendent indispensables dans le secteur aéronautique et pour la fabrication de biens de consommation. Mais ce n’est pas la seule raison : après l’indépendance de l’Algérie (proclamée en 1962, NDLR), la France a déplacé ses essais nucléaires du Sahara vers le Pacifique, plus précisément dans les atolls de la Polynésie française, et craint un effet de contagion si l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie « voisine » (elle est tout de même distante de plusieurs milliers de kilomètres) devient trop forte. En 1972, la circulaire Messmer pointe le risque que la population autochtone devienne indépendantiste et majoritaire, et décide de faire venir des personnes des autres territoires d’outre-mer – Réunion, Wallis-et-Futuna, Polynésie… –, mais aussi de métropole, afin de diluer la part des Kanaks dans la population calédonienne. Résultat, alors que ces derniers ont une natalité plus dynamique que celle des Européens, leur poids relatif se met à baisser dans la population de l’archipel.

Avec les événements de mai 1968, les étudiants kanaks qui vivent en métropole découvrent le marxisme et le tiers-mondisme et trouvent un langage d’expression nouveau. Ils reviennent en Nouvelle-Calédonie et fondent les premiers mouvements indépendantistes dès le début des années 1970. Immédiatement, le mouvement indépendantiste se cristallise autour des revendications foncières. La démographie des Kanaks est dynamique et ils étouffent littéralement dans les réserves. Car ne plus être assigné à résidence ne signifie pas pour autant que l’on peut s’installer où l’on veut, il faut pour cela de l’argent mais aussi des terres disponibles… Les revendications foncières vont plus loin que de simples revendications économiques : grâce à la transmission orale de son histoire, chaque famille kanake sait exactement de quelles terres elle est originaire et quel est le nom des colons qui se sont installés sur celles-ci. Tous les Kanaks de la Grande Terre, qu’ils soient autonomistes, indépendantistes, se mettent donc à envoyer des lettres aux familles des colons et aux représentants de l’État français pour réclamer la restitution des terres de leurs aïeux. En 1977, l’Union calédonienne, jusque-là autonomiste, bascule à son tour vers l’indépendance, ce qui entraîne le départ d’une partie importante des Européens qui en faisaient partie.

Dès 1978, la France met en place une première réforme foncière. Mais, sans expropriations, cela ne suffit pas. L’élection de Mitterrand, premier président de gauche élu depuis la Seconde Guerre mondiale, suscite un immense espoir chez les indépendantistes qui pensent que le nouveau pouvoir va accéder à leur demande. Après la table ronde de Nainville-les-Roches qui reconnaît aux Kanaks leur « droit inné et actif à l’indépendance », c’est la douche froide : en 1984, le statut Lemoine ne prévoit qu’une autonomie accrue, sur une base électorale incluant l’ensemble de la population de Nouvelle-Calédonie : les Kanaks, les Européens installés depuis des générations – appelés aussi « Caldoches » –, les descendants d’Indonésiens et de Vietnamiens, mais aussi les Réunionnais, Polynésiens, Wallisiens et Futuniens arrivés de fraîche date et l’ensemble des « métro » présents sur le territoire…

Les Kanaks dénoncent la négation de leur droit de peuple colonisé à l’autodétermination et décident d’organiser le boycott actif des élections territoriales du 18 novembre 1984 par la mise en place de barrages et mettent en place un « Gouvernement provisoire de Kanaky » présidé par Jean-Marie Tjibaou. C’est à ce moment que l’on bascule dans les « événements ». Soit quatre années de violence - et des dizaines de morts - qui s’achèvent dans un bain de sang avec la prise d’otages dans la grotte d’Ouvéa et l’assaut du GIGN : 4 gendarmes, 2 parachutistes et 19 Kanaks sont tués ; un an plus tard, lors du premier anniversaire de ce dramatique événement, c’est au tour du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou d’être assassiné. Après ce déferlement de violence, tout le monde y compris les Kanaks veut trouver une issue et sortir de cette situation.

Michel Naepels, anthropologue

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