jeudi 9 septembre 2010, par
VOIX DES TRAVAILLEURS :
1- La situation actuelle de la lutte des classes dans le monde se caractérise par une double contradiction, à la fois pour la classe capitaliste et pour la classe ouvrière. Double force, car le capitalisme est parvenu à dominer la planète et que la classe ouvrière s’est également étendue au monde entier. Double faiblesse, parce que le capitalisme a atteint ses limites et connaît une grave crise de suraccumulation qui le rend incapable de nouveaux investissements, cette perte de dynamisme ne pouvant être remplacée par les dépenses colossales des Etats et que le prolétariat connaît une grave crise de confiance dans ses propres forces, crise dans laquelle social-démocratie, nationalisme et stalinisme se partagent la responsabilité et d’où découle une faiblesse idéologique, politique et organisationnelle. Et même, on peut parler en un certain sens de crise morale dans la mesure où les travailleurs n’attendent souvent de leur classe et de ses organisations aucun changement radical de leur sort. Les trahisons des organisations dites ouvrières ne datent pas d’hier. Par contre, le fait que celles-ci s’affichent comme ne se revendiquant plus ni du pouvoir aux travailleurs, ni ’une classe ouvrière internationale, ni même du communisme et du socialisme, mais de la gestion "réaliste" de la société capitaliste, est uen relative nouveauté, un pas de plus dans la décadence.
2- La décadence existe aussi dans le camp d’en face. La décadence impérialiste implique non seulement un effondrement économique mais, également, va certainement entraîner à brève échéance un effondrement social, politique et moral du cadre classique bourgeois. Bien évidemment, les révolutionnaires n’ont rien à regretter des illusions petites bourgeoises dans le système, que ce soient des illusions sur les institutions démocratiques (constitutions, gouvernements, légalité, rôle de l’Etat, services publics, syndicats) ou des illusions dans le mode de maintien de l’ordre bourgeois (violence des forces policières et armées, non respect des droits des citoyens, non respect de la légalité bourgeoise elle-même). Les relations de classe vont prendre un caractère beaucoup plus cru et rude. Cependant, la bourgeoisie, dans un premier temps, aura d’autant plus besoin de tromperies des masses à grande échelle. Le réformisme, qui n’a plus aucun sens en termes de possibilités réelles de réformes, d’amélioration de la situation des masses, prendra un rôle encore plus grand pour les classes dirigeantes, dans un premier temps. Il jouera le rôle de police de la classe ouvrière, rôle que les forces de répression ne pourront pas jouer dans une montée des mécontentements sociaux. Ce n’est pas seulement le rôle des partis de gauche. C’est également celui des associations et des syndicats. Ils serviront à encadrer la classe ouvrière, à étouffer sa voix et à l’empêcher de s’auto-organiser. Ils jouent déjà ce rôle bien entendu, mais ils vont devenir le principal outil des classes dirigeantes quand la crise va prendre une tournure plus catastrophique.
3- Les révolutionnaires n’ont jamais eu d’illusions dans le rôle des organisations réformistes. La question n’est pas là. Il s’agit d’un rôle nouveau de celles-ci, en période de crise révolutionnaire, c’est-à-dire de crise dans laquelle la situation objective mène à la remise en question de la direction de la planète par la bourgeoisie impérialiste. Bien entendu, le problème est accru par le fait que nous sommes pour le moment dans une situation intermédiaire : la crise a connu ses premiers soubresauts sans que les travailleurs ne mesurent le sens de celle-ci. Bien entendu, tout l’effort des classes dirigeantes consiste à faire croire à la possibilité d’une pérennité du système et de préparer en attendant les tremblement de terre à venir des solutions politiques et sociales pour encadrer les masses. Si on comprend que l’avenir proche est celui d’affrontements sociaux de grande ampleur, on ne peut non plus ignorer que l’avenir pour les travailleurs n’est pas au mode d’organisation des périodes calmes : la démocratie bourgeoise, les associations, la gauche et les syndicats. Elle est à l’auto-organisation des travailleurs : comités de travailleurs élus et révocables sur les lieux de travail ou d’habitation.
4- Cela ne signifie pas que les révolutionnaires doivent anticiper et quitter les autres types d’activité avant que les travailleurs n’en soient là. Mais cela a une grande importance en ce qui concerne la formation et la conscience des militants révolutionnaires eux-mêmes. Et, dans ce domaine, ce que l’on pense a encore plus d’importance que ce que l’on est encore momentanément en train de faire. Il faut, par la pensée, dépasser le niveau de l’activisme quotidien pour se préparer et préparer ceux qui nous entourent à ce qui va suivre….
5- Le syndicalisme n’est pas et n’a jamais été le mode unique d’organisation de la classe ouvrière. Il a longtemps été le mode d’organisation des plus grandes masses. De nos jours, dans les pays impérialistes, ce serait une tromperie que de dire qu’il organise les travailleurs. Ni il les réunit, ni il leur donne les moyens de discuter, de décider, d’avoir voix au chapitre, même pour la simple confection d’un tract, pour la décision d’une action, pour l’élection d’un dirigeant, pour la conclusion d’une lutte. C’est bien connu : c’est le bureaucratisme quasi-total. C’est loin d’être nouveau mais cela a pris encore des proportions supplémentaires avec l’aggravation de la dépendance des syndicats vis-à-vis de l’Etat et des trusts.
6- Pour les révolutionnaires, cela n’est pas le premier point. Bureaucratisés ou pas, les syndicats sont un certain niveau de conscience limité de la classe ouvrière, niveau qui ne mène nullement spontanément à la conscience historique du rôle du prolétariat et même qui s’y oppose en quelque sorte. En effet, la plus large masse des travailleurs qui adhère aux syndicats en attend une amélioration des conditions de vie et de travail en accord avec la légalité de cette société et en discussion avec la classe dirigeante. La base d’accord entre les militants honnêtes du syndicat et la bureaucratie existe bel et bien. Il est aisé pour la bureaucratie de rappeler aux travailleurs ou aux militants de base qui ruent parfois dans les brancards sous les coups de trahisons trop grossières que les militants révolutionnaires, eux, veulent renverser la classe dirigeante ! Ce n’est pas le cas des travailleurs du rang… Du moins, pas pour le moment. Et encore moins des militants syndicalistes, sauf exception.
7- Pour nous, la conscience de classe, c’est la conscience des intérêts d’avenir de l’humanité et non la défense d’intérêts d’un groupe social, celui des travailleurs, avec des revendications particulières pour lui. C’est une conscience communiste. Le rôle des révolutionnaires de défenseurs d’une conscience d’avenir du prolétariat est inséparable de leur rôle dans la lutte des classes quotidienne. Cela suppose de démontrer sans cesse aux travailleurs qu’ils représentent un autre avenir, d’autres possibilités sociales, d’autres solutions au fonctionnement social. Ce n’est pas un simple rôle de mobilisation et de revendication. En fait partie notre rôle internationaliste, dimension totalement occultée actuellement par les syndicats. En fait également partie notre propagande pour un mode d’organisation autonome du prolétariat qui ne nécessite pas de grandes luttes sociales. Dans les problèmes de tous les jours des travailleurs peuvent s’auto-organiser. Nous l’avons vécu sur la question de l’amiante dans l’entreprise, sur la question des transports dans l’entreprise, sur la question des sans-papiers ou dans une grève sur les salaires ou contre les licenciements. Nous pouvons le vivre demain sur la question du stress et des suicides. Nous pouvons également connaître des comités de travailleurs sur des questions comme la hausse des prix ou les licenciements. Toutes les fois qu’il est possible de mettre en place une véritable auto-organisation des travailleurs, il est hors de question de faire appel aux syndicats même si nous en faisons partie, même si nous y militons, même si nous les dirigeons.
8- La raison fondamentale est la suivante : il faut que les luttes sociales préparent l’organisation révolutionnaire politique mais préparent aussi la classe elle-même à son rôle de direction et ces deux question ne doivent pas être confondues comme Lénine l’a maintes fois répété.
"Une des erreurs les plus grandes et les plus dangereuses que commettent les communistes (comme, d’ailleurs, les révolutionnaires en général qui ont mené à bien le début d’une grande révolution), c’est de se figurer que la révolution peut être accomplie par les mains des seuls révolutionnaires. Or, pour assurer le succès de toute action révolutionnaire sérieuse, il faut comprendre et savoir appliquer pratiquement l’idée que les révolutionnaires ne peuvent jouer un rôle que comme avant garde de la classe réellement avancée et viable. L’avant garde ne remplit sa mission que lorsqu’elle sait ne pas se détacher de la masse qu’elle dirige, lorsqu’elle sait véritablement faire progresser toute la masse. Sans l’alliance avec les non communistes dans les domaines d’activité les plus divers, il ne saurait être question d’aucun succès en matière de construction de la société communiste."
Lénine dans "Le matérialisme militant"
« Ce qui caractérise toute révolution, c’est que la conscience des masses évolue vite : des couches sociales toujours nouvelles acquièrent de l’expérience, passent au crible leurs opinions de la veille, les rejettent pour en adopter d’autres, écartent les vieux chefs et en prennent de nouveaux, vont de l’avant, et ainsi de suite. Les organisations démocratiques qui reposent sur le lourd appareil du suffrage universel doivent forcément, aux époques révolutionnaires, retarder sur l’évolution progressive de la conscience politique des masses. Il en va tout différemment des soviets. Ils s’appuient directement sur des groupements organiques, comme l’usine, l’atelier, la commune, le régiment, etc. (…) Le délégué du Conseil municipal ou du zemstvo s’appuie sur la masse inorganique des électeurs qui, pour un an, lui donne pleins pouvoirs et puis se désagrège. Les électeurs du soviet, au contraire, restent toujours unis entre eux par les conditions mêmes de leur travail et de leur existence, et ils ont toujours l’œil sur leur délégué ; à chaque instant, ils peuvent l’admonester, lui demander des comptes, le révoquer ou le remplacer par une autre. »
Léon Trotsky
Dans « L’avènement du bolchevisme »
9- Il en résulte les tâches suivantes pour les communistes révolutionnaires :
militer en développant le maximum de liens avec la classe ouvrière et pas seulement avec ses militants organisés
ne jamais s’isoler de la masse des travailleurs et les faire juges de nos positions, de nos orientations et de nos combats par tous les moyens (prises de paroles, affiches, tracts publics)
participer à l’activité syndicale mais en ayant conscience que l’on intervient en terrain miné, en préparant les camarades non seulement aux combats avec les bureaucrates mais aux pressions multiples et aux déformations que représente la participation aux organismes syndicaux
ne jamais participer à des responsabilités syndicales tant qu’on n’a pas de groupes autour de soi sur des bases politiques claires et tant que l’on n’a pas de parution publique régulière communiste révolutionnaire sur l’entreprise
ne briguer des responsabilités syndicales que sur la base d’un soutien clair et sur des objectifs écrits et votés des travailleurs
s’interdire de diriger une lutte en tant que syndicaliste sans se donner les moyens d’organiser tous les travailleurs en lutte en faisant élire des organes de direction de cette lutte.
Et ne jamais oublier que prôner la grève générale et même la révolution sans l’organisation de comités de grève, de comité central de grève, de comité d’usine et de soviets, c’est envoyer la classe ouvrière à la défaite et même bien pire…
dimanche 8 novembre 2009
Robert Paris
Les syndicats dans l’époque de transition
Dans la lutte pour les revendications partielles et transitoires, les ouvriers ont actuellement plus besoin que jamais d’organisations de masse, avant tout de syndicats. La puissante montée des syndicats en France et aux États-Unis est la meilleure réponse aux doctrinaires ultra-gauches de la passivité qui prêchaient que les syndicats "avaient fait leur temps". Les bolcheviks-léninistes se trouvent aux premiers rangs de toutes les formes de lutte, même là où il s’agit seulement des intérêts matériels ou des droits démocratiques les plus modestes de la classe ouvrière. Ils prennent une part active à la vie des syndicats de masse, se préoccupent de les renforcer et d’accroître leur esprit de lutte. Ils luttent implacablement contre toutes les tentatives de soumettre les syndicats à l’État bourgeois et de lier le prolétariat par "l’arbitrage obligatoire" et toutes les autres formes d’intervention policière, non seulement fascistes, mais aussi "démocratiques". C’est seulement sur la base de ce travail, qu’il est possible de lutter avec succès à l’intérieur des syndicats contre la bureaucratie réformiste, et en particulier contre la bureaucratie stalinienne. Les tentatives sectaires d’édifier ou de maintenir des petits syndicats "révolutionnaires" comme une seconde édition du parti signifient, en fait, le renoncement à la lutte pour la direction de la classe ouvrière. Il faut poser ici comme un principe inébranlable : l’auto-isolement capitulard hors des syndicats de masses, équivalant à la trahison de la révolution, est incompatible, avec l’appartenance à la IV° Internationale.
En même temps, la IV° Internationale rejette et condamne résolument tout fétichisme syndical, également propre aux trade-unionistes et aux syndicalistes :
a) Les syndicats n’ont pas et, vu leurs tâches, leur composition et le caractère de leur recrutement, ne peuvent avoir de programme révolutionnaire achevé ; c’est pourquoi ils ne peuvent remplacer le parti. L’édification de partis révolutionnaires nationaux, sections de la IV° Internationale, est la tâche centrale de l’époque de transition.
b) Les syndicats, même les plus puissants, n’embrassent pas plus de 20 à 25 % de la classe ouvrière et, d’ailleurs, ses couches les plus qualifiées et les mieux payées. La majorité la plus opprimée de la classe ouvrière n’est entraînée dans la lutte qu’épisodiquement, dans les périodes d’essor exceptionnel du mouvement ouvrier. A ces moments là, il est nécessaire de créer des organisations ad hoc, qui embrassent toute la masse en lutte : les COMITÉS DE GREVE, les COMITÉS D’USINES, et, enfin, les SOVIETS.
c) En tant qu’organisation des couches supérieures du prolétariat, les syndicats, comme en témoigne toute l’expérience historique, y compris l’expérience toute fraîche des syndicats anarcho-syndicalistes d’Espagne, développent de puissantes tendances à la conciliation avec le régime démocratique bourgeois. Dans les périodes de luttes de classes aiguës, les appareils dirigeants des syndicats s’efforcent de se rendre maîtres du mouvement des masses pour le neutraliser. Cela se produit déjà lors de simples grèves, surtout lors des grèves de masse avec occupation des usines, qui ébranlent les principes de la propriété bourgeoise. En temps de guerre ou de révolution, quand la situation de la bourgeoisie devient particulièrement difficile, les dirigeants syndicaux deviennent ordinairement des ministres bourgeois.
C’est pourquoi les sections de la IV° Internationale doivent constamment s’efforcer, non seulement de renouveler l’appareil des syndicats, en proposant hardiment et résolument dans les moments critiques de nouveaux leaders prêts à la lutte à la place des fonctionnaires routiniers et des carriéristes, mais encore de créer, dans tous les cas où c’est possible, des organisations de combat autonomes qui répondent mieux aux tâches de la lutte des masses contre la société bourgeoise, sans même s’arrêter, si c’est nécessaire, devant une rupture ouverte avec l’appareil conservateur des syndicats. S’il est criminel de tourner le dos aux organisations de masse pour se contenter de fictions sectaires, il n’est pas moins criminel de tolérer passivement la subordination du mouvement révolutionnaire des masses au contrôle de cliques bureaucratiques ouvertement réactionnaires ou conservatrices masquées ("progressistes"). Le syndicat n’est pas une fin en soi, mais seulement un des moyens dans la marche à la révolution prolétarienne.
Les comités d’usine
Le mouvement ouvrier de l’époque de transition n’a pas un caractère régulier et égal, mais fiévreux et explosif. Les mots d’ordre, de même que les formes d’organisation, doivent être subordonnés à ce caractère du mouvement. Rejetant la routine comme la peste, la direction doit prêter attentivement l’oreille à l’initiative des masses elles-mêmes.
Les grèves avec occupation des usines, une des plus récentes manifestations de cette initiative, sortent des limites du régime capitaliste "normal". Indépendamment des revendications des grévistes, l’occupation temporaire des entreprises porte un coup à l’idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l’usine : le capitalisme ou les ouvriers.
Si la grève avec occupation soulève cette question épisodiquement, le COMITÉ D’USINE donne à cette même question une expression organisée. Élu par tous les ouvriers et employés de l’entreprise, le Comité d’usine crée d’un coup un contrepoids à la volonté de l’administration.
A la critique que les réformistes font des patrons de l’ancien type, ceux qu’on appelle les "patrons de droit divin", du genre de Ford, en face des "bons" exploiteurs "démocratiques", nous opposons le mot d’ordre des comités d’usine comme centres de lutte contre les uns et les autres.
Les bureaucrates des syndicats s’opposeront, en règle générale, à la création de comités d’usine, de même qu’ils s’opposeront à tout pas hardi dans la voie de la mobilisation des masses. Il sera, cependant, d’autant plus facile de briser leur opposition que le mouvement aura plus d’ampleur. Là où les ouvriers de l’entreprise, dans les périodes "calmes", appartiennent déjà tous aux syndicats (closed shop), le comité coïncidera formellement avec l’organe du syndicat, mais il en renouvellera la composition et en élargira les fonctions. Cependant, la principale signification des comités est de devenir des états-majors de combat pour les couches ouvrières que le syndicat n’est, en général, pas capable d’atteindre. C’est d’ailleurs précisément de ces couches les plus exploitées que sortiront les détachements les plus dévoués à la révolution. Dès que le comité fait son apparition, il s’établit en fait une DUALITÉ DE POUVOIR dans l’usine. Par son essence même, cette dualité de pouvoir est quelque chose de transitoire, car elle renferme en elle-même deux régimes inconciliables : le régime capitaliste et le régime prolétarien. L’importance principale des comités d’usine consiste précisément en ce qu’ils ouvrent, sinon une période directement révolutionnaire, du moins une période pré-révolutionnaire, entre le régime bourgeois et le régime prolétarien. Que la propagande pour les comités d’usine ne soit ni prématurée ni artificielle, c’est ce que démontrent amplement les vagues d’occupations d’usines qui ont déferlé sur un certain nombre de pays. De nouvelles vagues de ce genre sont inévitables dans un prochain avenir. Il est nécessaire d’ouvrir à temps une campagne en faveur des comités d’usine pour ne pas se trouver pris à l’improviste.
Les soviets
Les comités d’usine sont, comme il a été dit, un élément de dualité de pouvoir dans l’usine. C’est pourquoi leur existence n’est concevable que lors d’une pression croissante des masses. Il en est de même avec les groupements spéciaux de masse pour la lutte contre la guerre, avec les comités de surveillance des prix, et avec tous les autres nouveaux centres du mouvement dont l’apparition même témoigne que la lutte des classes a dépassé les cadres des organisations traditionnelles du prolétariat. Cependant, ces nouveaux organes et centres sentiront bientôt leur manque de cohésion et leur insuffisance. Aucune des revendications transitoires ne peut être complètement réalisée avec le maintien du régime bourgeois. Or, l’approfondissement de la crise sociale accroîtra non seulement les souffrances des masses, mais aussi leur impatience, leur fermeté, leur esprit d’offensive. Des couches toujours nouvelles d’opprimés relèveront la tête et lanceront leurs revendications. Des millions de besogneux, à qui les chefs réformistes ne pensent jamais, commenceront à frapper aux portes des organisations ouvrières. Les chômeurs entreront dans le mouvement. Les ouvriers agricoles, les paysans ruinés ou à demi ruinés, les couches inférieures de la ville, les travailleuses, les ménagères, les couches prolétarisées de l’intelligentsia, tous chercheront un regroupement et une direction.
Comment harmoniser les diverses revendications et formes de lutte, ne fût-ce que dans les limites d’une seule ville ? L’histoire a déjà répondu à cette question : grâce aux soviets, qui réunissent les représentants de tous les groupes en lutte. Personne n’a proposé, jusqu’à maintenant, aucune autre forme d’organisation, et il est douteux qu’on puisse en inventer une. Les soviets ne sont liés par aucun programme a priori. Ils ouvrent leurs portes à tous les exploités. Par cette porte passent les représentants de toutes les couches qui sont entraînées dans le torrent général de la lutte. L’organisation s’étend avec le mouvement et y puise continuellement son renouveau. Toutes les tendances politiques du prolétariat peuvent lutter pour la direction des soviets sur la base de la plus large démocratie. C’est pourquoi le mot d’ordre des soviets est le couronnement du programme des revendications transitoires. Les soviets ne peuvent naître que là où le mouvement des masses entre dans un stade ouvertement révolutionnaire. En tant que pivot autour duquel s’unissent des millions de travailleurs dans la lutte contre les exploiteurs, les soviets, dès le moment de leur apparition, deviennent les rivaux et les adversaires des autorités locales, et, ensuite, du gouvernement central lui-même. Si le comité d’usine crée des éléments de dualité de pouvoir dans l’usine, les soviets ouvrent une période de dualité de pouvoir dans le pays.
La dualité de pouvoir est, à son tour, le point culminant de la période de transition. Deux régimes, le régime bourgeois et le régime prolétarien, s’opposent irréconciliablement l’un l’autre. La collision entre eux est inévitable. De l’issue de celle-ci dépend le sort de la société. En cas de défaite de la révolution, la dictature fasciste de la bourgeoisie. En cas de victoire, le pouvoir des soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat et la reconstruction socialiste de la société.
Léon Trotsky (extraits du programme de transition)
Texte sur les syndicats
Chers Camarades,
tout d’abord nous tenons à affirmer que nous trouvons positif de pouvoir mener cette discussion avec vous sur les syndicats. Notre dernière rencontre a permis d’échanger nos avis respectifs sur ce thème. Ce constat positif ne doit néanmoins pas cacher que notre discussion a fait ressortir d’importantes nuances, voire de désaccords. Après lecture de votre texte, nous exprimons des inquiétudes sur certaines de vos affirmations et de vos caractérisations. D’un point de vue général, votre texte nous paraît pessimiste et votre analyse se limite presque exclusivement à la situation française. Par ailleurs, certaines de vos assertions nous paraissent floues, voire contradictoires. Enfin, l’argument central de votre texte repose sur un syllogisme qui consiste à dire : le réformisme est dépassé et réactionnaire, or tous les syndicats sont réformistes, donc tous les syndicats sont dépassés et réactionnaires. Nous ne sommes pas d’accord avec cette affirmation et avec cette manière d’aborder la question des syndicats. Pour avancer dans cette discussion, nous avons repris votre texte et procédé de la manière suivante : nous avons organisé notre texte en parties numérotées qui correspondent à la numérotation originale de votre texte. Dans chaque point, nous avons présenté nos points d’accord et nos désaccords.
1 Tout d’abord nous tenons à affirmer, que nous sommes d’accord avec vous pour dire que le capitalisme est parvenu à dominer toute la planète et qu’en même temps il a atteint ses limites. Nous pensons même que pour clarifier les choses, il faut réaffirmer notre accord avec des principes théoriques de base du marxisme révolutionnaire. D’une part, l’affirmation de Lénine selon laquelle nous avons atteint le stade suprême du capitalisme, est toujours valable dans la situation que nous vivons. Nous nous trouvons toujours à l’époque des guerres et des révolutions. D’autre part, la situation actuelle confirme l’affirmation de Trotsky contenue dans le Programme de Transition : "les forces productives de l’humanité ont cessé de croître". En d’autres termes, le système de production capitaliste n’est plus capable de satisfaire les besoins sociaux de l’humanité, et tout progrès technique et scientifique a sa contrepartie en guerre, en activité parasitaire et en exploitation. En revanche, nous avons un désaccord sur le fait que la classe ouvrière aurait une perte de confiance en ses propres forces. Afin d’expliquer notre position, nous procédons ici à une digression. Nous analysons que le trait fondamental de la situation politique actuelle est la crise de direction politique du prolétariat. Nous pensons également que la chute du mur de Berlin a qualitativement changé les données de ce problème. Si après 1989 la crise de direction politique du prolétariat n’a pas été résolue, en revanche elle a signifié l’effondrement d’un des principaux obstacles pour la construction d’un parti révolutionnaire se battant réellement pour la révolution socialiste à échelle internationale : le stalinisme. Nous analysons qu’après 1989, un processus de décomposition a touché l’ensemble des organisations politiques de la classe ouvrière sur l’ensemble de la planète. Du réformisme, au marxisme révolutionnaire tous les courants ont été touchés. Du côté des marxistes révolutionnaires, la quasi totalité des organisations a renié, de façon plus ou moins ouverte, l’objectif (la révolution socialiste) et la stratégie (la construction d’un parti centralisé démocratiquement se battant pour la révolution socialiste à échelle internationale). De ce fait, de larges secteurs de la classe ouvrière ont été désorientés d’un point de vue politique. Les conséquences économiques (offensive de l’impérialisme) et politiques (processus de décomposition des organisations de la classe ouvrière) de la chute du mur ont accentué, à leur tour, ces très importantes confusions chez les travailleurs et les jeunes. Toutefois, ce processus de décomposition politique est a été contredit très tôt par une situation de montée de la lutte des classes à l’échelle du monde, même s’il ne s’agit pas d’un processus linéaire. Plusieurs mouvements de nature différente ont ainsi marqué la réalité de la lutte des classes depuis la fin des années 1990, sur l’ensemble de la planète. Ce processus de radicalisation de la lutte des classes a commencé à Seattle, avec les manifestations et les grèves qui ont eu lieu en marge du sommet de l’OMC. Il s’est prolongé par une importante montée de la lutte des classes au Moyen-Orient (2e Intifada) et en Amérique Latine. En Europe, on peut aussi observer depuis plusieurs années une mobilisation croissante des travailleurs, que ce soit lors des mouvements contre la guerre, des grèves pour les salaires et contre les délocalisations, des mouvements de la jeunesse, ou encore pour exprimer leur défiance vis-à-vis de l’Union Européenne. De ce point de vue, la France montre un niveau élevé de l’activité de la lutte des classes. Cette tendance a commencé en 1993 avec le mouvement contre le CIP, les grèves d’Air France, puis se poursuit en 1995, par la grève générale contre le gouvernement Juppé sur la question des retraites, en 2003 encore contre la réforme des retraites, en 2005 lors du référendum contre la constitution européenne et lors de la révolte des banlieues ouvrières, en 2006 contre le CPE, en 2007 encore une fois contre la réforme des retraites. Depuis le début de la dernière crise économique, on assiste à l’explosion et à la radicalisation du nombre de grèves. Un des traits marquants de cette situation est que depuis le début des années 2000, la jeunesse se mobilise quasiment chaque année pour s’opposer à la logique de destruction de l’enseignement public. Il paraît donc clair que le prolétariat ne connaît pas de crise de confiance en ses propres forces, comme vous l’affirmez. Au contraire, ces mouvements de grèves, ces mobilisations, cette résistance contre l’impérialisme et contre le capitalisme montrent que la classe ouvrière cherche les voies de l’offensive. Ce qu’on observe en revanche, c’est qu’en raison de l’absence de parti révolutionnaire à échelle nationale et mondiale, en l’absence de syndicats indépendants du patronat et de l’état, ces mobilisations ne peuvent obtenir au mieux que quelques concessions partielles de la part de la bourgeoisie. Pour nous l’affirmation de Trotsky selon laquelle la crise de l’humanité se résume à la crise de la direction politique du prolétariat, est toujours valable et caractérise la situation mondiale.
2 Nous sommes d’accord avec votre affirmation selon laquelle " La décadence impérialiste implique non seulement un effondrement économique mais, également, va certainement entraîner à brève échéance un effondrement social, politique et moral du cadre classique bourgeois". Nous pensons également que nous allons assister, et même que nous sommes déjà en train d’assister, à un processus de radicalisation de la lutte des classes. Vous affirmez également que les révolutionnaires n’ont rien à regretter de l’effondrement des institutions bourgeoises, telles que les " constitutions, gouvernements, légalité, rôle de l’Etat, services publics, syndicats". Cette dernière affirmation nous pose un problème par ce qu’elle signifie. En effet, vous mettez des réalités diverses sur un même plan, en l’occurrence celui de la démocratie bourgeoise. Tout d’abord il est important de définir ces différents termes pour comprendre à quel processus historique ils correspondent. Les constitutions, les gouvernements et la légalité qui en découlent, sont issus de processus historiques au moyen desquels la bourgeoisie a lutté pour prendre la pouvoir au détriment de la féodalité. Dans le cadre du système capitaliste, ces institutions ont été créées et mises en place par les bourgeoisies, et par conséquent sont contrôlées par ces dernières. Elles permettent à cette classe de se maintenir au pouvoir, notamment grâce à un système politique, la démocratie bourgeoise, grâce à une institution, l’Etat bourgeois et toutes les forces de coercition que sont la police, l’armée etc., et grâce à un système judiciaire, la justice bourgeoise. Nous ne sommes pas d’accord non plus avec la caractérisation que vous faites des services publics. Certes, il s’agit d’acquis « démocratiques bourgeois ». Ces acquis sont avant tout « bourgeois » car ils s’insèrent dans le cadre de la société capitaliste. Néanmoins, ce sont des conquêtes progressistes de la classe ouvrière. Ces conquêtes ont notamment été obtenues dans le cadre des précédentes montées révolutionnaires des masses, en particulier après la deuxième guerre mondiale. La bourgeoisie n’a pas créé le système de sécurité sociale par répartition ou n’a pas nationalisé d’importants secteurs de l’économie simplement par altruisme. Dans le cadre d’un rapport de force favorable à la classe ouvrière, la bourgeoisie a été contrainte de faire des concessions aux travailleurs au risque de tout perdre. C’est pour cette raison que nous sommes convaincus qu’il est central de défendre les services publics, en tant que conquête des travailleurs. Nous vous posons donc les questions suivantes : alors que vous affirmez que les services publics sont une institution bourgeoise, pensez-vous qu’il ne faut pas défendre ces services publics, contre les mesures du gouvernement et les directives de l’Union Européenne ? Pensez-vous aujourd’hui qu’il ne faut défendre une école publique laïque gratuite pour tous ? Pensez-vous qu’il ne faut pas défendre les hôpitaux et la santé publics ? Pensez-vous qu’il ne faut combattre la privatisation de la poste et de la SNCF ? Êtes-vous en désaccord avec nous lorsque nous centrons notre activité sur ces batailles ? Si effectivement vous pensez que ces batailles pour le maintien des services publics ne doivent pas être menées, parce qu’elles permettraient de sauvegarder les « institutions bourgeoises », alors nous pensons clairement que vous vous trompez. Le désaccord que nous avons sur la caractérisation des services publics ne doit pas occulter le propos central de ce texte, même si ces questions sont intrinsèquement liées. Vous dites que les syndicats, nous nous référerons toujours à la même citation, sont des institutions bourgeoises. Nous sommes en total désaccord avec cette affirmation. Les syndicats correspondent à un processus historique différent des « institutions » citées plus haut. La création des organisations syndicales est avant tout l’expression des intérêts d’une classe sociale antagonique de la bourgeoisie : la classe ouvrière. Les syndicats ouvriers n’ont pas été créés par la bourgeoisie, mais par les travailleurs à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Tant qu’elle l’a pu, la bourgeoisie a combattu les syndicats par la répression physique. Au début du XXe siècle, puis surtout après la première guerre mondiale, avec l’avènement de l’impérialisme, la situation a changé. Face à la transformation des organisations syndicales en organisations de masses et sous l’effet de la poussée révolutionnaire due à la révolution russe de 1917, la bourgeoisie a changé de tactique. Plutôt que de réprimer le mouvement syndical, la bourgeoisie a décidé de chercher à intégrer les syndicats à l’appareil d’état. En développant des organismes de négociations, elle a cherché à acheter les directions syndicales. Certains secteurs de la bourgeoisie ont également favorisé la création de syndicats chrétiens. Pour autant, cela ne signifie pas que les syndicats ouvriers sont des organismes représentants de l’ordre bourgeois. Cela montre au contraire qu’il y a un enjeu majeur pour savoir qui contrôle politiquement le syndicat : le mouvement ouvrier ou la bourgeoisie. A l’image de la société dans laquelle ils évoluent, les syndicats sont soumis aux pressions idéologiques de la classe dominante et sont traversés par des contradictions de classe. En définitive, la nature de leur politique est déterminée par les rapports de force internes, et par qui les dirigent. Actuellement, on observe essentiellement deux courants contradictoires au sein des syndicats : il y a d’un part une volonté très forte d’intégrer le syndicat à l’appareil d’état, d’autre part des secteurs de la base de plus en plus nombreux défiant les directions. C’est vrai en France, mais aussi en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Italie pour ne prendre que quelques exemples. Pour ce qui est de la France, les affrontements politiques au sein du 49e congrès de la CGT ne montrent pas autre chose. Bernard Thibault est effectivement un des principaux représentants de l’appareil d’état au sein de la CGT, mais plusieurs éléments nous montrent qu’il ne contrôle pas toute la CGT, loin de là. Au cours du dernier congrès, au cours des derniers mois sur le terrain direct de la lutte des classes, de larges secteurs à la base se sont affrontés avec l’appareil confédéral. Les secteurs oppositionnels sont hétérogènes et divisés, mais ils expriment un sentiment grandissant de défiance parmi les travailleurs. Si on considère que les syndicats ne sont pas des organisations bourgeoises, la question fondamentale qui est posée est donc : comment faire pour diriger politiquement ces organisations ? Pour nous cette bataille va de pair avec la construction du parti révolutionnaire. Ce sont deux aspects dialectiquement liés. Nous pensons que les organisations politiques qui se réclament du marxisme révolutionnaire doivent œuvrer pour construire une organisation indépendante politiquement et financièrement du patronat et de l’appareil d’état. Cette bataille passe notamment par combattre les représentants de la bourgeoisie au sein des syndicats ouvriers. Vous dites par ailleurs, que le réformisme va jouer le rôle de police de la classe ouvrière. Cette affirmation nous pose un problème parce que nous ne savons pas ce que vous entendez par réformisme. (D’ailleurs vous employez également le terme de « gauche » sans le définir non plus). Considérez-vous que le réformisme est une période, un parti, idéologie ? S’il s’agit d’un parti, pensez-vous que le PS est réformiste ? Ou bien pensez-vous que le Parti de Gauche, le PCF et le NPA sont réformistes ? Dans ce cas, pensez-vous que ces trois organisations sont ou vont être capables de jouer le rôle de police de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier ? La discussion sur le réformismes doit être menée, pour définir qu’est-ce que le réformisme et qui sont les réformistes. C’est pourquoi, nous pensons que vous devez être plus précis sur votre caractérisation, car de celle-ci dépend l’analyse et l’intervention envers les syndicats.
3 Vous affirmez que l’avenir proche sera marqué par des affrontements sociaux de grande ampleur, analyse que nous partageons. Vous avancez également que les syndicats sont des organisations "des périodes calmes" qui vont servir à contenir ces explosions. Vous pointez comme alternative aux syndicats, "les comités de travailleurs élus et révocables sur les lieux de travail ou d’habitation", afin d’assurer " l’auto-organisation des travailleurs" Nous ne sommes pas d’accord avec ces dernières affirmations, tout d’abord parce que nous ne savons pas ce que vous entendez par « auto-organisation des travailleurs ». S’agit-il de l’autogesttion (ce qu’il faut définir aussi) ? Ou bien d’indépendance de classe ? Ensuite, comme nous l’avons dit dans le point précédent, nous ne considérons pas que les syndicats sont des organisations bourgeoises par essence. Leur politique dépend avant tout de leur direction politique. La nécessité absolue pour la classe ouvrière est de mener la bataille pour que les syndicats suivent une ligne stricte d’indépendance de classe vis-à-vis du patronat et de l’appareil d’état. Ensuite vous parlez de la constitution de comités. Encore une fois nous pensons que vous ne définissez pas assez ce que vous avancez. Ces comités sont-ils des organismes permanents ? S’agit-il d’organismes alternatifs aux syndicats ? Si oui, quelles sont leurs différences avec ces derniers. Pour nous, les syndicats permettent de s’organiser au niveau d’une entreprise, d’une branche, de l’ensemble des travailleurs pour défendre des revendications concrètes et immédiates. C’est un des outils fondamentaux pour la défense des intérêts de la classe ouvrière, qui existe de manière permanente, pendant et en dehors des périodes de grève. En ce sens, le syndicat ne s’oppose pas au "comité de travailleurs élus et révocables", qui sont des organismes temporaires. En période de grève, les syndicats doivent aider à organiser la mobilisation des travailleurs, ce qui peut passer par la création d’un comité de grève. C’est une possibilité parmi d’autre qui doit être analysée en fonction des circonstances. S’il s’agit d’une grève générale, le syndicat doit aider à l’organisation et à la création d’un comité de grève, centralisé à échelle nationale. Mais lorsque la grève se termine, que deviennent les comités ? S’ils continuent d’exister, dans quelles conditions le font-ils et quelles différences présentent-ils par rapport à un syndicat pour les travailleurs ? Dans un processus révolutionnaire, plusieurs solutions peuvent être utilisées pour prendre le pouvoir. Les comités sont une solution parmi d’autre. En octobre 1917, ce sont les soviets qui ont permis à la révolution russe de triompher. Mais plus que la structure même des soviets c’est la direction politique de ces soviets qui a été déterminante dans la victoire. En effet, si les soviets n’avaient pas été dirigés par le Parti Bolchévik, la classe ouvrière n’aurait pas vaincu et n’aurait pas pu renverser la bourgeoisie. En opposant le syndicat au comité des travailleurs nous pensons que vous vous trompez doublement. D’une part parce que le syndicat est une organisation permanente des travailleurs qui ne joue pas le même rôle que les comités ; d’autre part parce que la création de « comité de travailleurs » est une question tactique, qui est une solution parmi d’autre pour permettre de faire aboutir les revendications et les mots d’ordre. Nous pensons que cette position vous amène à vous détourner de la question stratégique, celle de la construction du parti mondial de la révolution, qui, en définitive, sera le facteur déterminant pour renverser le capitalisme et instaurer le socialisme. Mais que pensez-vous de notre intervention dans les syndicats ? Pensez-vous que nous nous trompons lorsque nous nous battons à notre échelle, pour diriger les syndicats là où nous intervenons ? Pensez-vous que lorsque nous menons des batailles à la FSU, dans l’éducation nationale, à la CGT à Gibert ou à la Poste, nous perdons notre temps, ou pire que nous contribuons à développer les illusions envers les « institutions bourgeoises » que sont les syndicats ? Concrètement si nous étions dans le même établissement ou dans la même entreprise que feriez-vous ? Vous nous combattriez au sein des syndicats ou au sein des entreprises ? Nous pensons que votre caractérisation des syndicats vous amène à adopter une position, qui a pour résultat d’abandonner les organisations syndicales aux représentants de la bourgeoisie. En critiquant de cette façon les organisations syndicales, vous éludez les aspects hautement contradictoires qu’il y a en leur sein.
4 Dans le point 4, vous affirmez que s’il est nécessaire de créer des comités en opposition aux syndicats, il ne faut néanmoins pas sortir des syndicats. La question qui se pose alors est, rester dans les syndicats pour quoi faire ? Nous ne comprenons pas la logique de cette affirmation. Vous dites par ailleurs qu’il faut dépasser l’activisme quotidien « par la pensée ». Concrètement qu’entendez-vous par là ? Cette affirmation nous paraît correspondre plutôt à une approche idéaliste de la question, qu’à une conception matérialiste. Nous pensons, quant à nous, qu’il ne faut pas envisager l’intervention dans les syndicats comme une tâche idéologique ou routinière. En effet, l’intervention dans les syndicats est une tâche politique concrète de première importance pour les révolutionnaires. Il s’agit de mener un bataille quotidienne contre les bureaucrates, qui cherchent à imposer un fonctionnement routinier au syndicat pour lui enlever tout caractère combatif, notamment afin d’en détourner les travailleurs.
5 De manière juste, vous dites dans le cinquième point, que le syndicat n’a jamais été le mode unique d’organisation de la classe ouvrière. Effectivement, la seule activité syndicale ne peut permettre de résoudre les problèmes politiques qui sont posés aux travailleurs. Mais pour nous, il est important de réaffirmer que le rôle du parti et celui du syndicat, s’il ne sont pas interchangeables, sont complémentaires. Ces deux outils sont indispensables pour les travailleurs. Le syndicat a un rôle de défense des intérêts concrets et immédiats de la classe ouvrière et de conquête de nouveaux droits. Les syndicats doivent servir par exemple à se battre pour obtenir une augmentation de salaire ou l’amélioration des conditions de travail. Le parti révolutionnaire, quant à lui, joue un rôle politique. Il sert à élaborer la perspective politique du socialisme ainsi que les manières d’y arriver, c’est à dire les questions tactiques, plus précisément les mots d’ordre transitoires, ou encore l’intervention dans les syndicats. Vous dites également qu’actuellement dans les pays impérialistes, les syndicats ne réunissent pas les travailleurs et ne leurs donnent pas les moyens d’agir. Nous sommes d’accords avec cette affirmation dans la mesure où nous considérons qu’une telle situation est due au fait qu’à la période impérialiste, si les syndicats ne sont pas dirigés par les révolutionnaires, ils jouent contre la classe ouvrière. Si nous sommes d’accord avec le constat que les syndicats ne jouent pas le rôle qu’ils devraient jouer, en revanche nous n’en tirons pas les mêmes conclusions. Pour nous il ne s’agit pas d’accepter cette situation comme une fatalité. Cela pointe la nécessité qu’il y a à se battre pour que les travailleurs se réapproprient les syndicats sur une base d’indépendance de classe. C’est pour cela que là où les militants du GSI interviennent, ils se battent pour construire les syndicats, pour que les réunions de sections se tiennent, que la ligne du syndicat soit discutée par les membres du syndicat etc. Il ne s’agit pas de grimper à l’intérieur de l’appareil pour gagner des "positions". Il faut se battre pour reconstruire les bases des syndicats et gagner la direction de ces syndicats. Les dures batailles qui ont lieu non seulement à la CGT mais également dans d’autres syndicats comme par exemple à la FSU (exemples que nous connaissons le mieux) montrent que de larges secteurs de la base s’opposent aux directions confédérales ou fédérales. C’est un constat que l’on peut faire aussi en accompagnant les derniers développements de la lutte des classes. Dans les grèves, dans les mobilisations, dans les réunions syndicales les travailleurs sont de plus en plus nombreux à critiquer ouvertement les orientations défendues par les directions syndicales. L’espace politique et la détermination pour s’opposer aux directions confédérales et aux bureaucrates sont de plus en plus visibles. Nous le réaffirmons encore une fois dans ce point, il est fondamental d’intervenir dans les syndicats sur une base d’indépendance de classe pour que ces outils jouent leur rôle, c’est à dire qu’ils servent effectivement à défendre les intérêts immédiats des travailleurs, à élever le niveau de conscience et à renforcer leur détermination.
6 Dans le sixième point, vous avancez une affirmation avec laquelle nous sommes en total désaccord. Vous dites que les " les syndicats sont un certain niveau de conscience limité de la classe ouvrière, niveau qui ne mène nullement spontanément à la conscience historique du rôle du prolétariat et même qui s’y oppose en quelque sorte". Pour notre part, nous pensons au contraire que le syndicat est le premier stade de la conscience de classe. Le travailleur qui adhère à un syndicat montre qu’il a conscience qu’il a des intérêts propres et que pour les défendre, il doit se battre collectivement. Par ailleurs, la conscience de classe n’arrive pas spontanément, ni dans un syndicat, ni nulle part ailleurs. Nous pensons, comme Marx l’a affirmé, que ce sont les conditions matérielles et morales d’existence qui déterminent la conscience. Ainsi, la conscience de classe naît au contact de la réalité de la lutte des classes et de l’exploitation qui en découle. Pour acquérir une conscience de classe, le travailleur n’a nullement besoin d’un prophète pour lui prêcher la bonne parole. Si l’exploitation vécue au quotidien par un travailleur sur son lieu de travail est ressentie comme telle, alors elle correspond à la naissance d’une conscience de classe. En ce sens, le fait d’adhérer à un syndicat pour défendre ces intérêts correspond au premier stade d’organisation. Il n’y a pas une seule et unique manière d’acquérir une conscience de classe mais le fait de s’organiser est certainement son meilleur indicateur. Dans ce processus, l’intervention des militants révolutionnaires dans les organisations syndicales est extrêmement importante. Le bureaucrate ne veut pas de militants dans son syndicat. Il veut des adhérents, qui ne remettent pas en question la ligne du syndicat, et qui voient le syndicat comme un simple « prestataire de service ». En revanche, le militant révolutionnaire, s’il intervient dans le syndicat, ou mieux s’il le dirige, peut favoriser le développement de la conscience de classe de ses camarades grâce à son intervention quotidienne. En se battant pour la construction et pour gagner la direction politique du syndicat, le militant révolutionnaire non seulement renforce son organisation et la confiance de ses camarades, mais en plus il démontre aux autres travailleurs le lien qui existe entre la lutte syndicale et la lutte politique.
7 Pour le GSI, la conscience de classe ne s’oppose pas à "la défense d’intérêts d’un groupe social, celui des travailleurs, avec des revendications particulières pour lui", tel que vous l’affirmez dans le septième point de votre texte. Pour nous, cette phrase est problématique. Considérez-vous que les travailleurs sont « un groupe social » parmi d’autres qui a des « revendications particulières pour lui » ? Comme Marx l’a affirmé, nous pensons que la seule classe révolutionnaire en soi est la classe ouvrière. Nous considérons d’ailleurs que cette classe est largement majoritaire, et qu’elle n’a absolument rien à gagner dans le cadre du capitalisme et que ses intérêts seront satisfaits par l’instauration du socialisme. En ce sens les combats immédiats pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, pour la sauvegarde des services publics, sont fondamentaux dans le renforcement de la conscience de classe. Chaque victoire, aussi minime soit-elle, renforce la confiance de la classe ouvrière dans ses propres forces. Pour mener ces luttes et remporter ces victoires, les syndicats sont indispensables. Pour remplir ce rôle, les syndicats doivent être débarrassés de leurs bureaucrates et doivent être strictement indépendants de l’état et du patronat. Or, comme nous l’avons déjà affirmé dans ce texte, on ne pourra pas construire de tels outils syndicaux sans construire parallèlement un parti mondial de la révolution. La bataille pour diriger politiquement les syndicats et garantir qu’ils soient effectivement indépendants, ne pourra se faire qu’avec la participation des militants révolutionnaires. Et cela doit être une de leurs tâches centrales. Nous soulignons ainsi la nécessité, avancée par Trotsky dans le programme de transition, de créer une Centrale Unique des Travailleurs (CUT), qui regroupe tous les travailleurs et qui soit indépendante de l’état et du patronat.