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Poésie engagée d’Haïti

mercredi 17 novembre 2010, par Robert Paris

Poésie...

... engagée...

... d’Haïti

Kri pou liberasyon

KANDIDA DAN GRIYEN

Mesye Kandida Dan Griyen frè m yo, bonjou !
Mwen jis fè yon ti parèt pou mwen salye nou
Mwen konn nou tout se pitit Ayiti Toma
Nou konnen tou pa gen okenn manti nan sa

Kèk kesyon pou Kandida Dan Griyen nou yo :
Nou gen kèk plan pou pèp gade sa k ladan yo ?
Sa n fè deja nan sosyete a pou kwè nou ?
Kisa nou fè deja pou pèp la vote nou ?

Ekip Kandida Dan Griyen n yo Ayiti
Mesye, pran konsyans tray peyi a ap sibi !
Nou bouke ak diskou zewo fot an franse
Kisa n pral fè pou Ayiti ka avanse ?

Mesye, Ekip Kandida Dan Griyen frè n yo,
Men pataje ak nou plan devlopman ou yo
Kisa n pral fè pou met agrikilti sou pye,
Kreye travay, sekirite, bay moun manje ?

E.W. Védrine

Bois d’Ebène

Si l’été est pluvieux et morne
si le ciel voile l’étang d’une paupière de nuage
si la palme se dénoue en haillons
si les arbres sont d’orgueil et noirs dans le vent et la brume
si le vent rabat vers la savane un lambeau de chant funèbre
si l’ombre s’accroupit autour du foyer éteint
si une voilure d’ailes sauvages emporte l’île vers les naufrages
si le crépuscule noie l’envol déchiré d’un dernier mouchoir
et si le cri blesse l’oiseau
tu partiras

abandonnant ton village
sa lagune et ses raisins amers
la trace de tes pas dans ses sables
le reflet d’un songe au fond d’un puits
et la vieille tour attachée au tournant du chemin
comme un chien fidèle au bout de la laisse
et qui aboie dans le soir
un appel fêlé dans les herbages ?

Nègre colporteur de révolte
tu connais les chemins du monde
depuis que tu fus vendu en Guinée
une lumière chavirée t’appelle
une pirogue livide
échouée dans la suie d’un ciel de faubourg

Nous rebâtirons
Copan
Palenque
Et les Tihuanacos socialistes
Ouvrier blanc de Détroit péon noir d ?Alabama
Peuple innombrable des galères capitalistes
Le destin nous dresse épaule contre épaule
Et reniant l ?antique maléfice des tabous du sang
Nous foulons les décombres de nos solitudes.
Et nous brassons le mortier des temps fraternels
Dans la poussière des idoles.

Jacques Roumain

Pour célébrer la terre

Verte et fraîche
hors de la nuit
Arrachée verte et fraîche
à la nuit

Pour célébrer la terre
hors du lit de la nuit
où dormait la nuit
molle et douce dans chaque creux de la terre

La nuit comblait chaque creux de la terre
coulant jusqu’au profond de chaque ravin
le long de toutes pentes

Et chaque pente surélevée
chaque doux mamelon de colline
toutes les montagnes brandies le jour comme un cri
chaque pente chaque montagne
étaient enveloppées par la nuit
enveloppées par la nuit
prises dans la pesanteur mouillée
des bras de la nuit
la terre entière
dans ses creux
dans ses collines
enveloppée dans la pesanteur mouillée de la nuit

Pour célébrer la terre hors de la nuit
verte et fraîche
mille rayons clairs debout
derrière d’autres mornes
jusqu’à d’autres rayons clairs
derrière d’autres mornes

mille rayons clairs
de mornes à mornes
dentelés
dans les rayons clairs

mille par mille rayons clairs
font une tente de clarté
au-dessus des creux profonds
arrachés à la nuit
au-dessus des creux profonds
hors de la nuit
au-dessus des creux
entre les mornes
crêtés de rayons clairs
hors du creux profond de la nuit
hors du creux noir et mouillé de la nuit

dans un creux profond des mornes
dans un creux
entre mornes crêtés et rayons clairs
dans un creux hors de la nuit
hors de la mollesse ouverte
profonde et mouillée de la nuit

Dans un creux profond de mornes
dans un creux de clarté
de tentes de la clarté

un arbre seul
pour célébrer la terre
un arbre seul
dur et droit
que cachait la nuit

Roger Dorsinville

Merci quand même

Vous avez ravagé fruits, lambourdes et fleurs
depuis noix, corossols jusqu’aux oranges aigres ;
tandis qu’en vos jardins rose, oeillet, staphysaigre
charment les yeux, merci pour la tonte coiffeurs !

Merci pour les dolars dont nous sentons l’odeur
mais qu’au léger de main vos poches réintègrent,
en quarante cinq ans l’esclavage des nègres
vous a donné profits et plaisirs sans douleurs.

Merci pour notre sol ravagé, les compères
qui pour notre bonheur s’emparent de nos terres,
merci pour votre usure, effroyables békés.

Merci pour nos enfants déguenillés et blêmes,
merci pour tous ces maux et quand vous extorquez
le Montant de vos prêts, merci, merci quand même !

Emile Roumer

Vous

Vous,
Les gueux,
les immondes,
les puants :
paysannes qui descendez de nos mornes avec un
gosse dans le ventre,
paysans calleux aux pieds sillonnés de vermines,
putains,
infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de mouches.
Vous
tous de la plèbe,
debout !
pour le grand coup de balai.
Vous êtes les piliers de l ?édifice :
ôtez-vous
et tout s ?écroule, châteaux de cartes.
Alors, alors,
vous comprendrez que vous êtes une grande vague
qui s’ignore.
Oh ! vague,
assemblez-vous,
bouillonnez,
mugissez,
et que sous votre linceul d ?écumes,
il ne subsiste plus rien,
rien
que du bien propre
du bien lavé,
du blanchi jusqu ?aux os.

Carl Brouard

Evidence d’un cabicha

Le canal d’août faisait
Barbu barbelé
Un songe d’herbes
De bananeraie
De coupole bleue.

Des mangues persuasives
Des goyaves aigrefines
Mon bel ange révolté ô Raisonneur
C’était la mode annuelle
Mais on lynchait encore en Virginie
Et j’avais grand goût de toi Liberté

Une brise équivoque
Trancha la question
Elle m’induisit dans le vert de midi
Et la nonchalance chevelue
Et cette douceur de cuisses fraîches.

Puis séché
Au gré de la sucrerie
Je m’enfonçai corps et biens
Dans un lit de café doux
Comme un sein de nourrice noire

Je pensais t’enseigner la bienveillance
Mais ce n’était qu’un amour de fumée
Au réveil on n’était plus là
Croyez-moi si vous avez souffert
Au pays du Bondieu bon
Ne le dites à personne.

Philippe Thoby-Marcelin

Ils sont le choléra du monde

La nuit est mauve dans mon cœur
Les troncs noirs sur le soleil couchant
Il pleut dans mon âme
Les branches mortes gouttent
Sur la terre rouge
L’heure est tendre et triste
Mon corps git au sol
Jeté par les soldats
Des forces internationales
Venues de partout
Pour nous sauver de la vie
Pour nous assassiner
Pas de sépulture
Pas de pitié
Pas de regrets
Ne m’oublie pas mon ami
Mon camarade
Prolétaire du monde
Mais, surtout, n’oublie pas
Que ces soldats sont là aussi
Pour préparer ta mort
Comme ils ont organisé la mienne
Pas de haine, pas de regrets
Mais n’oublie rien
N’aie pas de pitié pour cet ordre inique
Qui opprime et qui tue....

Poète haïtien anonyme

Sales Nègres

Eh bien voilà ;
nous autres
les nègres
les niggers
les sales nègres
nous n’acceptons plus
c’est simple
fini
d’être en Afrique
en Amérique
vos nègres
vos niggers
vos sales nègres
nous n’acceptons plus
ça vous étonne
de dire : oui missié
en cirant vos bottes
oui mon pé
aux missionnaires blancs
ou maître
en récoltant pour vous
la canne à sucre
le café
le coton
l’arachide
en Afrique
en Amérique
en bons nègres
en pauvres nègres
que nous étions
que nous ne serons plus
Fini vous verrez bien
nos yes Sir
oui blanc
si Senor
et
garde à vous, tirailleur
oui, mon commandant,
quand on nous donnera l’ordre
de mitrailler nos frère Arabes
en Syrie
en Tunisie
au Maroc
et nos camarades blancs grévistes
crevant de faim
opprimés
spoliés
méprisés comme nous
les nègres
les niggers
les sales nègres
Surprise
quand l’orchestre dans vos boites
à rumba et blues
vous jouera tout autre chose
que n’attendait la putainerie blasée
de vos gigolos et salopes endiamantées
pour qui un nègre
n’est qu’un instrument
à chanter, n’est-ce pas,
à danser, of course
à forniquer natürlich
rien qu’une denrée
à acheter à vendre
sur le marché du plaisir
rien qu’un nègre
un nigger
un sale nègre
Surprise
jésusmariejoseph
surprise
quand nous attraperons
en riant efroyablement
le missionnaire par la barbe
pour lui apprendre à notre tour
à coups de pieds au cul
que nos ancêtres
ne sont pas des Gaulois
que nous nous foutons
d’un Dieu qui
s’il est le Père
eh bien alors c’est que nous autres
les nègres
les niggers
les sales nègres
font croire que nous sommes pas que ses bâtards
et inutile de gueuler
jésusmariejoseph
comme une vieille outre de mensonges débondée
il faut bien
que nous t’apprenions
ce qu’il coûte en définitive
de nous prêcher à coups de chicote (fouet à lanières nouées) et confiteors
l’humilité
la résignation
à notre sort maudit
de nègres
de niggers
de sales nègres
Les machines à écrire mâcheront les ordres de répression
en claquant des dents
fusillez
pendez
égorgez
ces nègres
ces niggers
ces sales nègres
Englués comme des mouches à viande affolées
dans la toile d’araignée des graphiques de
cours de bourse effondrés
les gros actionnaires des compagnies minières et forestières
les propriétaires de rhumeries et de plantations
les propriétaires
de nègres
de niggers
de sales nègres
et la TSF délirera

au nom de la civilisation
au nom de la religion
au nom de la latinité
au nom de Dieu
au nom de la Trinité
au nom de Dieu nom de Dieu
des troupes
des avions
des tanks
des gaz
contres ces nègres
ces niggers
ces sales nègres
Trop tard
jusqu’au coeur des jungles infernales
retentira précipité le terrible bégaiement
télégraphique des tams-tams répétant infatigables
répétant
que les nègres
n’acceptent plus
n’acceptent plus
d’être vos niggers
vos sales nègres
trop tard
car nous aurons surgi

Des cavernes de voleurs des mines d’or du Congo
et du Sud-Afrique
trop tard il sera trop tard
pour empêcher dans les cotonneries de Louisiane
dans les Centrales sucrières des Antilles
la récolte de vengeance

des nègres
des niggers
des sales nègres
il sera trop tard je vous dis
car jusqu’aux tams-tams auront appris le langage

de l’internationale
car nous aurons choisi notre jour
le jour des sales nègres
des sales indiens
des sales hindous
des sales indo-chinois
des sales arabes
des sales malais

(***)

des sales prolétaires
Et nous voici debout
Tous les damnés de la terre
tous les justiciers
marchant à l’assaut de vos casernes
et vos banques
comme une forêt de torches funèbres
pour en finir
une
fois
pour
toutes
avec ce monde
de nègres
de niggers
de sales nègres.

Jacques Roumain

Pourtant

je ne veux être que de votre race
ouvriers paysans de tous les pays...
ouvrier blanc de Detroit péon noir d’Alabama
peuple innombrable des galères capitalistes
le destin nous dresse épaule contre épaule
et reniant l’antique maléfice des tabous du sang
nous foulons les décombres de nos solitudes
Si le torrent est frontière
nous arracherons au ravin sa chevelure
intarissable
Si la Sierra est frontière
nous briserons la mâchoire des volcans,
affirmant les Cordillères
et la plaine sera l’esplanade d’aurore
où rassembler nos forces écartelées
par la ruse de nos maîtres
Comme la contradiction des traits
se résout en l’harmonie du visage
nous proclamons l’unité de la souffrance
et de la révolte
de tous les peuples sur toute la surface de la terre
et nous brassons le mortier des temps fraternels
dans la poussière des idoles.

Jacques Roumain

Ce peuple

C’est un pays sans rouge et fard,
un pays tout noir,
et on ne peut être plus simple que ces
gens-là,
ces gens, je les appelle, ne t’en déplaise,
on ne peut être plus vrai.

Il y avait de tout sur le chemin,
leur chemin menant nulle part,
et c’était toujours la même histoire,
la même si connue de leur "pauvre hère" :
à force de charité sa main n’était plus sienne.

J’ai pénétré dans leur sanctuaire
tout rempli de vieilles images.
Ils vivaient avec les dieux,
les anges et tous les saints.
Mais le miracle, c’était toujours
pour la semaine des quat’jeudis,
et, dans leurs contes à eux,
les fleurs ne parlaient pas.

... Ce soir comme tant de soirs
Elle avait des yeux d’amande
et une bouche de tous les sorts,
son sourire dérivait au fil de l’amertume,
pas de gué et pas de passe,
de passe, en connais-tu, par chance
Et si son amour vaut bien deux gourdes,
alors les seins peuvent bouger
sous le poids de ses mystères.

Elle regardait au loin
ne regardait rien.
Et quand je l’eus prise par la main,
sa main paresseuse de lendemains,
elle ne put dire si c’était un songe
ou un mensonge,
car, des ses yeux à elle,
le ciel n’était pas bleu.

Anthony Lespès

Atteint

Inquiétant. Ça devient inquiétant.

Comment, pourquoi inquiétant ?

De n’avoir jusqu’à présent pas été atteint.

Atteint. Atteint de quoi ?

D’une balle.

De quoi ?

D’une balle.

Tu sais, un projectile qui court...

il court, il court et il rentre ;

il court, il court, il court, il ravage ; il court, il court tout ravager ;

il ravage tes muscles, tes os ; il court, il rentre et tout ravage en toi ;

tu ne le sens pas qui court ;

c’est le feu en toi ; cette chose brûle tout en toi, et toute cette chaleur qui monte subitement, tout ça, tout ça te bouleverse, tout ça, tu ne comprends pas ;

tu ne penses même pas à comprendre, tu n’es pas habitué, tu parles, personne n’est habitué à cette chose-là, mais elle est là, là, rigide, tenace, téméraire ;

elle arrête même de courir pour bien se loger dans un de tes muscles ;

elle est même faite pour être logée en toi, dedans toi, oui, pense ; pense à ça, pense que c’est normal qu’elle se fiche dedans, dedans l’un de tes organes, pense, pense, vas-y, mais tu ne peux ;

bien qu’elle soit là dans toi, tu ne peux pas, même ça, tu ne le peux pas, penser, la chose, la vérité de cette chose, elle est là, plantée dans ton corps même, elle l’est, oui, oui, oui, dedans même, elle s’installe, elle s’incruste, elle se plante, mais vas-y, défends-toi, défie-la, ose la défier, cette chose-là ;

cette chose, à la vérité, elle finira en arrêtant de courir par t’arrêter toi-même ;

toi, oui, toi-même ;

les gens courent vite te transporter, tu saignes, tu perds ton liquide ; ça dégouline, ta sueur, ta morve, tout ton sang tu le vois se verser ;

ça te bouleverse, et toi, pour l’instant, ce n’est pas ce qui compte, ce n’est pas ce qui compte pour toi, d’être bouleversé ;

tu ne penses pas ;

tu ne peux pas, tant que ça coule, tant que ça dégouline ; les gens sont bouleversés ;

les gens, ceux qui te transportent, ils ne peuvent pas, ils n’osent pas te regarder ;

mais pour l’instant, une fois de plus, ce n’est pas ce qui compte ; pour toi, ce n’est pas ce qui compte vraiment ;

les gens et toi vous ne pouvez même vous regarder, même pas ; vos yeux expriment déjà une trop grande désolation ;

une grande désolation s’abat sur vous, sur eux, sur les gens ;

s’abat sur eux, sur tout le pays ;

une grande désolation s’abat sur tout pour tous nous ravager ;

pense, vas-y, pense ;

je te défie de penser ;

impossible pour l’instant ;

ça, ça ne compte pas ;

même les gens ne comptent pas pour toi ;

même les gens, même le quartier, même la ville, même le pays tout entier ne compte pas ;

pour l’instant ce qui compte vraiment pour toi c’est d’être sauvé ;

tu les effaces les gens, malgré leurs yeux éteints par la désolation, tu les effaces, tu les éteins ;

toi, tu voudrais être sauvé, tu voudrais garder ton souffle, respirer, respirer, respirer, encore, encore, respirer, vivre, voir, encore, encore, respirer, entendre, vivre, pouvoir encore bouger, respirer, respirer, vivre, exister, exister encore, être encore, être en vie ;

malgré eux, les gens, malgré tout, malgré nous tous, être encore capable de bouger ;

pense, vas-y, pense, pense à pourquoi tu tiens tant à respirer encore ;

pense, pense, pense ;

non, tu ne sais même pas trop pourquoi tu voudrais continuer à respirer, à durer, à continuer à faire bouger ce corps qui finalement sera toujours cible dans cette ville, dans ce pays, où tout est déjà cible ;

les murs, les fils électriques, les pylônes électriques, les gens, les femmes, les enfants, les militaires, les lâches, les braves, les défenseurs, les défendus, les policiers, les protecteurs, les protégés, les assaillants eux-mêmes, les murs, les fils électriques, les pylônes électriques, les gens encore, les femmes encore, les gosses encore, les assaillants encore eux-mêmes, les policiers encore, leurs bras encore, leurs mains encore, leurs ventres encore, leurs têtes encore ;

pense, vas-y ;

non, ce n’est pas bien d’être une cible, quoi que l’on fasse, qui que l’on soit, de quelque nature que l’on soit ;

non, pas tentant du tout ; mais, pour l’instant, toujours et toujours, ce n’est pas ce qui compte pour toi ;

pour toi, non, toujours pas ;

toi, tu voudrais vivre ;

tu voudrais respirer, respirer, encore, encore, encore, garder ton souffle, entendre, voir, toucher, respirer, encore, encore, voir, entendre, respirer, respirer, respirer encore, encore ;

que la ville meure, que le pays se carbonise, s’enterre, s’incinère ; que le pays se carbonise, s’enterre, s’incinère ;

que le pays se carbonise, s’enterre, s’incinère ;

toi, tu veux planter ton mât, ton digne étendard d’homme ;

toi, tu veux vivre ;

pourquoi, mais pourquoi tu voudrais vivre, planter ton mât, ton digne étendard d’homme, ce pays encore se carbonise, s’enterre, s’incinère ;

se carbonise, s’enterre, s’incinère ; se carbonise, s’enterre, s’incinère ;

mais pourquoi, mais pourquoi, mais pourquoi pendant que toi tu voudrais vivre, respirer, ce pays se carbonise, s’enterre, s’incinère ; pourquoi mais pourquoi, mais pourquoi ce pays, mais pourquoi ce pays, mais pourquoi, mais pourquoi, mais pourquoi... ce pays...

Arrête.

Arrête de penser.

Oublie. Dors.

Il est minuit dehors.

Oublie. Dors.

Referme à nouveau les yeux. Referme-les.

Dors. Dors.

Tranquillement.

Guy Régis

Poésie des Antilles

Couper les têtes comme les cannes

Clac, clac, clac !
Brûler les cannes et les têtes
Et faire monter jusqu’aux nuages la fumée
Oh quand sera-ce, quand sera-ce !

Nègre, petit nègre
Violet et frisé.
Debout ! dans la rue !

Car le soleil darde ;
Dites réveillé
Ce que vous pensez
Que meure le maître !
Qu’il meurre grillé !

Nicolas Guillen

Poésie d’Haïti, chant de liberté, cri de révolte

AYITI : NOU PA VLE RETE ANBA DJOL OKENN PEYI ETRANJE

Haïti : nous ne voulons pas nous placer sous la tutelle des pays étrangers

GRO PEYI-YO KITE AYITI VIV

Que les grands pays laissent vivre Haïti

REVOLISYON SEL SOLISYON

La révolution est la seule solution

VIVE LES TRAVAILLEURS, SEULE FORCE CAPABLE DE CONSTRUIRE L’AVENIR D’HAITI ! VIVE LA LUTTE DE CLASSE !

Viv Lit travayè ak travayèz peyi d Ayiti ! Viv lit de klas !

VIV LIT TRAVAYÈ YO, VIV LIT KAN PÈP LA !

PAS D’ARMÉES ÉTRANGÈRES, PAS D’ESCADRONS DE LA MORT HAÏTIENS

Aba Lokipasyon ! Ayiti pou nou, pa pou peyi etranje !

NON AU RETOUR DES GALONNES DE L’ARMÉE HAÏTIENNE

Aba Fòs Ame d Ayiti.

GOUVERNEMENT DU PEUPLE TRAVAILLEUR PAR SES COMITÉS DE QUARTIERS ET D’USINES !!!!

You sel solisyon pou Ayiti, se oganizasyon !

Sel fos nou, se pep-la !

Sel pep-la, se fos nou !

La Revolisyon,se sel solisyon pou se pep-la !


La saison des comptes

après la danse
les tambours sont lourds
la femme a cassé les eaux
mais ne peut accoucher
il faut le couteau
pour que naisse la liberté
organisation et résistance
sont les seules clés de la délivrance
la révolution n’aura pas avorté…

Paul Laraque

Messages

  • Au pipirite chantant le paysan haïtien a foulé le seuil du jour et dessine dans l’air, sur les pas du soleil, une image d’homme en croix étreignant la vie
    Puis bénissant la terre du vent pur de ses vœux, après avoir salué l’azure trempé de lumière, il arrose l’oraison de la montagne oubliée, sans faveur, sans engrains
    Au pipirite chantant pèse la menace d’un retour des larmes
    Au pipirite chantant les heures sont suspendues aux lèvres des plantations

    Et si revient hier que ferons nous ?

    Et le paysan haïtien enjambe chaque matin la langue de l’aurore pour tuer le venin de ses nuits et rompre les épines des cauchemars
    Et dans le souffle du jour tous les loas sont nommés.

    Au pipirite chantant le paysan haïtien, debout, aspire la clarté, le parfum des racines, la flèche des palmiers, la frondaison de l’aube

    Au pipirite chantant chaque goutte de rosée, chaque branche frémissante, le vent caressant les tonnelles sont messagers des esprits
    Au pipirite chantant la tristesse peint le cœur
    L’espoir lui même est sulfureux
    La campagne avive les mystères
    Elle traque déjà ses morts
    Son ventre est gros de portées de soucis
    Les morts grandissent sous les vivants
    Et la plaine d’Haïti a reçu son brin d’eau
    L’eau de la source amenée par les canaux
    L’eau du ciel comme un toit de rosée
    L’eau des yeux d’un enfant sans pain
    Le sang d’une mère happée par le délire

    Couleur, saveur, odeur ont voltigé sous la machette du paysan

    (.....)

    Au pipirite chantant avec l’eau vive de mes rêves j’efface les graves promulgations issues des rives du profit
    Et mon propos, lié à ma source, bâillonne l’écume de toutes les eaux étrangères , de tous les cris de convenance et chausse l’irrévérence pour fouler le brouhaha de tous les mots d’ailleurs.

    Jean Métellus

  • Geôle - poème dédicacé à feu Daniel Arty

    Absurde l’air de croire
    qu’un peu de sève
    coule dans la veine de l’arbre
    Voir clair
    Absurde si le geste joue à faux
    dans la danse des momies
    Pourtant le sang giclant de tes mains
    germera
    Ton cri passera l’orage
    mais ce n’est pas de nos cœurs
    desséchés par la peur
    que surgira l’écho
    Je crois fertile tout sacrifice
    même si nous tournons en rond
    quand ton dire séditieux
    appelle une levée de bras
    Nous avons gréé sur la peur
    Je ne chante pas dans l’orage
    de nos jours absurdes
    Lâcheté ou peur de vivre l’horreur des fauves
    Je savais déjà que ta voix dans la houle
    ignore les chemins de la moisson
    Ils ont fermé la ville
    pour torturer des ombres
    L’amour est interdit
    Car il n’est pas juste d’aimer
    parmi les contempteurs du rêve
    Déjà nous avons reçu l’ordre d’incinérer la joie
    (...)
    J’ai vu le jeune piquet taciturne
    Il ose parler
    Son casque rutile
    Laissez souffler le vent
    Ligoté
    ulcéré
    épiant l’heure du lancer
    Ses yeux distillent le feu
    Sa voix nue retentira
    Nous n’avons pas eu peur
    de dormir sous les clous du mépris
    Tous les bras cinglants...

    René Bélance

  • PÉYI AN MWEN ( mon pays)

    S’il me fallait te dire mon pays
    je te dirais :
    Il est dans la sagesse du volcan.

    Mais ne t’y fies pas trop !

    Car un volcan qui dort
    N’est pas un clochard îvre-mort
    Et dans le réveil des laves incandescentes
    Le spectre en furie
    de Delgres
    Déjecté en scories de la bouche de feu

    Tel mon pays

    Il est dans la forêt
    Frémissant sous les caresses du vent

    Mais ne t’y fies pas trop !

    La forêt parle !
    Elle dit à nos enfants
    Le halètement des marrons dans leur fuite éperdue
    Couvert par l’aboiement des chiens

    Tel de mon peuple
    La morsure

    Il est dans le chuintement
    Du va et vient incessant de la vague
    Léchant à perdre vie
    Les grains de sable à l’infini

    Mais ne t’y fies pas trop !

    Elle peut-être furie
    Frappant à les faire choir
    Falaises
    Du haut de leur superbe

    Il est dans les diamants de pluie
    Enrichissant la terre

    Mais ne t’y fies pas trop !

    Car la pluie certains jours
    Est de gouttes de sang
    Qui inondent la terre à la faire dégorger

    Tel mon pays
    Noyé

    Il est comme le vent
    Qui sussure des vocables sucrés
    Aux oreilles des femmes
    Sous les robes des femmes
    A les faire rougir
    Sous leur peau noire
    Mais qui aussi
    Cyclones
    Vomit des sons grossiers et lourds
    Sans aucune mesure

    Il est dans le soleil
    Sans lequel
    L’éclair fulgurant des lames des coupeurs
    Ne serait qu’étincelle éphémère

    Il est dans le son lancinant du tambour
    Annonciateur de mort
    A travers mornes et fonds

    Mais ne t’y fies pas trop !

    Car la peau peut être frappée
    Battant l’appel
    A la faire éclater

    Tel de mon peuple
    Le cri !

    Il est dans les femmes
    Il est dans les hommes de ma terre
    Humiliés et meurtris
    Jusqu’à plus mal

    Mais ne t’y fies pas trop !

    Car

    Tout comme le volcan
    Un jour
    Comme l’éclair du soleil
    La vague en furie
    La tempête de pluie
    La fougue des cyclones
    La parole des arbres
    La force essentielle du tambour

    ILS SE DÉCHAINERONT !

    Et ce jour-là …

    Ah ! Etranger !
    Si tu pouvais entendre cette terre !

    Alain Phoebé CAPRICE

  • Nègre colporteur de révolte
    tu connais les chemins du monde
    depuis que tu fus vendu en Guinée
    une lumière chavirée t’appelle
    une pirogue livide échouée
    dans la suie d’un ciel de faubourg

    Jacques Roumain

  • Antoine Dupré :

    « Si un jour sur tes rives

    Reparaissent nos tyrans

    Que leur horde fugitive

    Serve d’engrais à nos champs »

  • tous ceux, sans maison
    tous ceux qui cherchent de quoi se nourrir
    non même pas de quoi vivre
    même si l’aide est là
    le reste n’y est pas

    j’aimerai aider, mais seul
    c’est impossible
    moi je dis, aidons les à se relever
    à essayer de tout surmonter

    il vivait dans la misère
    et maintenant c’est une vraie galère
    le temps va passer,
    il vont essayer de tout recommencer

  • Je te baptise selon mon humeur
    Tantôt Jacmel, tantôt Jacquemêle
    Ma ville couleur de miel au goût caramel
    Magique et sensuelle
    Fraternelle et éternelle.

    Jean Métellus

  • Antoine Dupré (assassiné par le colonisateur en même temps que Dessalines) :

    « Hymne à la liberté »

    Défenseurs de la liberté,

    Quittons nos foyers, nos compagnes ;

    Du nord le tigre ensanglanté

    Parait encore dans nos montagnes ;

    Courons vaincre pour la patrie

    Ou mourir comme des héros

    Avec gloire on sort de la vie

    Lorsqu’on tombe sous les drapeaux.

    Volons, volons aux champs de Mars :

    La liberté conduit nos étendards.

    « Le dernier soupir d’un Haitien »

    Soleil, Dieu de mes Ancêtres,

    O toi de qui la chaleur

    Fait exister tous les êtres,

    Ouvrage du Créateur,

    Près de finir ta carrière,

    Que ton auguste clarté

    Eclaire encore ma paupière

    Pour chanter la liberté

    II

    Par les lois de la nature,

    Tout nait, tout vit, tout périt.

    Le palmier perd sa verdure :

    Le citronnier perd son fruit ;

    L’homme vit pour cesser d’être ;

    Mais, dans la postérité,

    Ne devait-il pas renaître,

    S’il aimait la liberté.

    Cet hymne finit ainsi :

    Le poète, s’adressant à Haïti, lui dit :

    Entends mes derniers adieux !

    Si, quelque jour, sur tes rives,

    Osent venir des tyrans,

    Que leurs hordes fugitives

    Servent d’engrais à nos champs !

  • Lyonel Trouillot aux « humanitaires » qui occupent Haïti –

    Adieu l’ami :

    Ma lettre sera brève : je veux que tu t’en ailles.

    Avec tes ONG,

    tes uniformes,

    ta bonne et ta mauvaise conscience,

    tes experts et tes apprentis,

    tes lettres de mission et tes prises de risque,

    ton étrange art de vivre

    qui pleure sur moi le matin en concluant que ton aide est nécessaire à ma survie

    et fait la fête le soir à the view, au quartier latin…

    Tu sais, je suis venu à fond de cale, j’ai survécu.

    On m’a inventé des dettes que j’ai payées, j’ai survécu.

    On a assassiné mes frères : Péralte, Alexis, beaucoup d’autres.

    J’ai salué leur légende et pleuré leur absence, et j’ai survécu.

    La terre a tremblé et la ville s’est couchée sur moi.

    Sous des tentes et des hangars, j’ai survécu.

    A force de me regarder survivre, tu as conclu à l’extrême gentillesse d’un troupeau de moutons qui ne se fâche jamais et bêle à tout venant.

    Tu t’es trompé, mon frère. Même un mouton pelé a droit à la colère.

    Aujourd’hui mon vœu est que tu m’aimes moins, ou assez pour partir.

    Il sera tant pour toi de revenir.

    En ami.

    Quand j’aurai retrouvé le droit de décider d’un Noël à ma convenance.

    Et des couleurs du nouvel an.

    Reviens-moi en ami et nous ferons la fête.

    Lyonel Trouillot

    Le Nouvelliste, 3-4 décembre 2011

  • « La terre a soulevé mon cœur

    d’un mouvement sec et violent

    elle l’a déchiré

    éparpillant mille morceaux

    comme larmes d’oiseaux errants

    aux quatre vents de mon île

    et depuis

    chaque nuit

    j’entends les battements

    hésiter à mi-chemin

    entre décombres

    et étoiles »

    (Evelyne Trouillot)

  • j’ai vu

    une étrange fillette

    à la silhouette perdue

    fantastique

    belle

    aimable

    à la merci

    d’une famille

    bourgeoise

    de petion ville

    violentée nuit et jour

    elle acquiesce

    enchainée

    à un anneau de tristesse

    couchée par terre

    à la nuit tombée

    étrangère

    à sa vie et à la vie

    elle lutte sans cesse

  • Il neigeait…

    Du blanc s’étendait doucement

    Sur la terre rouge, ocre et poussiéreuse

    Elle tombait lentement en tourbillonnant

    Pas par grandes rafales ni avec violence,

    Non, doucement, comme en se promenant dans les airs,

    Elle recouvrait tendrement la terre.

    Mais la terre avait changé de couleur

    La vie avait changé de couleur.

    De la neige en Haîti !

    C’était aussi doux et aussi étonnant

    Qu’un printemps des peuples esclaves

    Où ceux-ci auraient cessé de se soumettre

    Et secoueraient enfin l’ordre établi.

    « Il n’y pas de neige en Haïti »,

    Disaient les anciens,

    D’une manière aussi sentencieuse que fataliste

    Comme ils disaient :

    « Il n’y aura pas de liberté pour les esclaves d’Haïti ».

    Mais il neigeait…

    La neige recouvrait tout.

    Il neigeait.

    La neige changeait tout.

    Il neigeait dans le cœur des esclaves.

    Il neigeait dans l’intelligence des esclaves.

    Il neigeait dans la pensée des esclaves.

    Il neigeait et la neige leur faisait oublier qu’ils n’étaient que des esclaves.

    Il neigeait et tous ceux qui riaient, qui pleuraient, qui souffraient,

    Mais qui croyaient qu’ils seraient toujours esclaves,

    S’apercevaient qu’ils se mentaient, se trompaient, s’enchaînaient eux-mêmes.

    Car il neigeait en Haïti !

    Poète haïtien anonyme

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