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Les syndicats sont-ils nos amis ou nos ennemis ?

lundi 22 octobre 2012, par Robert Paris

Les syndicats sont-ils nos amis ou nos ennemis ?

Bien sûr, les militants syndicalistes sont nos camarades de travail et ils sont menacés comme nous des mêmes dangers et ont les mêmes intérêts que nous. Cependant, les appareils syndicaux ne sont pas tout simplement comme les militants d’entreprise et même ces derniers ont été accoutumés ces dernières années à ne faire que négocier et discuter avec les cadres au point qu’il leur reste fort peu de temps pour discuter avec les travailleurs du rang et qu’ils n’organisent quasiment aucune réunion pour donner une forme d’organisation à la classe travailleuse. Il en résulte un changement radical du caractère des syndicats qui a fini par prendre un caractère dramatique : les syndicats jouent un jeu dangereux.

Le grand mouvement qui a pris forme en Afrique du sud, à partir d’une grève de mine, celle Marikana, a pris de cours tous les analystes, média, hommes politiques et classes dirigeantes. Eux qui voyaient dans les structures liées à l’ANC, le parti de Mandela au pouvoir depuis la fin de l’Apartheid et les centrales syndicales qui y sont liées, des structures que la population ne pouvait contourner ni combattre du fait du crédit dû à cette fin de l’Apartheid. C’était oublier que depuis un bon nombre d’année, la situation sociale et politique du peuple travailleur d’Afrique du sud est en train de s’aggraver, devenant de plus en plus pire qu’à l’époque de l’Apartheid pour le plus grand nombre et toujours au plus grand profit des grands trusts capitalistes, les mêmes qu’à l’époque de l’Apartheid. L’ANC et son alliance avec les syndicats et la bourgeoisie avaient réussi à mettre fin à l’Apartheid parce que la grève massive des travailleurs menaçait de prendre un cours révolutionnaire. En s’entendant avec les leaders des syndicats comme la NUM et le COSATU et des partis politiques comme l’ANC et le Parti communiste, prêts à signer un accord avec la grande bourgeoisie, ils ont ensemble dévitalisé et détourné la révolution qui montait.

Mais la révolte ouvrière revient maintenant en boomerang contre ces corrompus et vendus. Et les centrales syndicales, devenues les premiers briseurs de grève du pays, ne sont pas parvenu à empêcher la grève de Marikana qui est, du coup, devenue le symbole de la rupture entre la classe ouvrière et les centrales syndicales liées au pouvoir et à la bourgeoisie.

La leçon ne concerne pas que l’Afrique du sud. Un peu partout dans le monde, les centrales syndicales n’ont servi qu’à calmer les conflits, à les vendre dans des négociations, à les détourner de leurs vrais objectifs. Ils ont parfois pris la tête de journées d’action ou de grèves générales mais jamais pour les conduire à la victoire. Dans certains pays, suite à la direction des mouvements sociaux explosifs par des directions syndicales réformistes, des pays ont basculé dans l’horreur, les classes dirigeantes n’ayant plus rien à craindre des travailleurs endormis par les appareils syndicaux. Après que la classe ouvrière ait été trahie, discréditée à ses propres yeux, que les dirigeants des appareils syndicaux aient négocié avec le pouvoir, ce dernier a frappé, et d’autant plus dur qu’il avait eu plus peur de la force des travailleurs et des risques révolutionnaires. C’est ce qu’a connu la Guinée en 2007, l’Algérie en 1990, et c’est ce qui est en train d’arriver en Afrique du sud.

Il ne suffit pas de mener de grands mouvements quand la révolte explose, encore faut-il que les travailleurs s’organisent eux-mêmes de manière indépendante des directions réformistes. Bien sûr, les comités d’actions, les conseils de travailleurs peuvent accueillir en leur sein des militants syndicalistes prêts à respecter la démocratie ouvrière mais ils doivent se méfier des directions syndicales qui, partout dans le monde, n’ont fait que trahir les grèves, que négocier des soi-disant compromis, des négociations pacifiques suivies de défaites sanglantes.

En France, aussi nous en sommes au stade des négociations. Les centrales acceptent de participer à des discussions au sommet avec nos ennemis, bradent nos intérêts, discréditent notre force sociale en faisant croire qu’ils peuvent ainsi défendre nos intérêts. Certains travailleurs croient en cette méthode mais beaucoup sont sceptiques mais nulle part les militants syndicalistes n’exigent que leurs soi-disant dirigeants quittent ces négociations bidon qui ne servent qu’à mieux nous enterrer.

Dans chaque entreprise qui ferme, ces négociations ont eu lieu avec toujours à la finale le même résultat : une tromperie de grande ampleur et toutes les intersyndicales, de celle de Technicolor récemment à celle de Continental, ont fini par reconnaitre qu’ils avaient été trompés par les patrons et le gouvernement sans pour autant prendre conscience qu’ils avaient, en toute honnêteté, contribué à tromper eux aussi les travailleurs.

Le problème dépasse celui des directions. Le syndicalisme lui-même est dépassé par l’ampleur de l’attaque. La bourgeoisie est prête à aller à la lutte à mort. Elle aiguise les couteaux. La classe ouvrière est encore dans l’ambiance des années passées et accoutumée à des luttes de classe beaucoup moins aigües. Il est indispensable que les travailleurs prennent la mesure des enjeux.

Cela nécessite que les travailleurs se réunissent partout pour discuter.

Cela nécessite qu’ils y discutent de leurs problèmes, de leurs appréciations de la situation, de leurs revendications, de leurs modes d’action.

Cela nécessite qu’ils ne se limitent pas aux modes d’action des années passées.

Car la situation économique, sociale et politique, a complètement changé. Le combat a lui aussi changé de cours. Il ne doit plus s’arrêter respectueusement aux frontières de la légalité bourgeoise, respecter le droit des patrons sur leurs entreprises, celui des banquiers, celui des financiers, des trusts et de leurs représentants politiques sur la direction de la société.

Les directions syndicales freineront toujours des quatre fers tout dépassement du cadre bourgeois de la lutte, au point de chercher à empêcher les luttes, par responsabilité vis-à-vis de la société bourgeoise et de l’Etat capitaliste auxquels ils sont liés de mille manière.

Il importe que la classe ouvrière prenne son indépendance vis-à-vis des appareils syndicaux comme viennent de le faire les travailleurs sud-africains.

La force de la classe travailleuse dépasse largement celle de la classe capitaliste si elle se donne les moyens de s’organiser et de se battre par elle-même. Si elle reste sous l’a coupe d’appareils qui ne représentent en rien ses capacités explosives, non seulement les patrons ne renonceront pas à leurs attaques, à leurs licenciements, à leurs remises en cause de tous les droits sociaux, mais ensuite, ils utiliseront contre toute la société les couteaux qu’ils aiguisent aujourd’hui. Dans cette situation où un affrontement général se prépare, le gouvernement de gauche, les centrales syndicales et la gauche de la gauche serviront de détourneurs du mécontentement vers des impasses réformistes et les forces prêtes à nous frapper se sentiront alors des capacités considérables contre nous. Mais, si nous, travailleurs, trouvons en nous-mêmes la force de casser le barrage construit par les syndicats et partis de gauche, pour nous organiser et nous défendre par nous-mêmes, nous serons craints par les classes dirigeantes du monde autant que le sont aujourd’hui les prolétaires sud-africains.

RIEN NE SERT DE NÉGOCIER QUAND L’ADVERSAIRE AIGUISE LES COUTEAUX


L’attitude des syndicats a posé problème depuis toujours aux travailleurs et aux révolutionnaires. Ne poser les problèmes de la classe ouvrière que dans le cadre du système suppose une adaptation des militants qui, même lorsqu’elle n’est pas consciente, a des conséquences catastrophiques. Voir le rôle des syndicats sociaux-démocrates dans l’évolution du mouvement socialiste dans les grands pays riches.

Que penser de l’état du syndicalisme aujourd’hui ? Le degré du problème est encore plus grand. On a longtemps vu dans le problème syndical un défaut des directions syndicales. C’est bien sûr plus que jamais le cas mais la question des seules bureaucraties est dépassée. Le pourrissement s’est aggravé. Il touche la base syndicale. Il touche même les travailleurs qui ont une conception fondamentale de ce qu’est le syndicalisme complètement pervertie. C’est au point que la baisse du syndicalisme est devenue préoccupante pour le patronat et l’Etat qui ont absolument besoin de leurs relais syndicaux parmi les travailleurs pour servir d’encadrement, de transmetteurs, de tampons sociaux. Inversement, le caractère double (bourgeois/ouvrier) des syndicats a commencé à basculer essentiellement d’un côté étant donné que, dans les ateliers et les bureaux, l’intervention dans la lutte larvée quotidienne est quasiment absente alors que l’essentiel de l’activité syndicale est prise par la participation aux côtés des représentants des patrons et de l’Etat.

Mais l’essentiel est ailleurs. Le rôle le plus contre-productif des syndicats consiste à enlever toute autonomie à la classe ouvrière en l’empêchant de s’organiser elle-même dans ses luttes. Le second rôle consiste à faire croire que la lutte des classes ne peut se faire qu’en tant que défense du cadre capitaliste, sans la moindre contestation de celui-ci.

La première idée peut consister à voir la solution dans la contestation des bureaucraties syndicales. C’était vrai au début du phénomène. On en est loin. La situation et le rôle des syndicats – tampons, intermédiaires, avocats, assistance sociale, etc – a été intégré pour l’essentiel dans la classe ouvrière. Les travailleurs se plaignent des syndicats mais pas en revendiquant leur propre organisation et intervention indépendante. En particulier, ils ne sont pas choqués du rôle d’intermédiaire des syndicats. Ils y sont accoutumés et souhaitent seulement que les syndicats soient de bons avocats. Du coup, il n’y a pas nécessairement de base large pour défendre, dans le cadre syndical, une politique de classe. Le caractère de collaboration de l’essentiel de l’activité syndicale est frappant et ces dernières années ont été fertiles en situations où les syndicats ont été des sauveurs des classes dirigeantes dans les mouvements sociaux. Si des militants d’extrême gauche se sont parfois trouvé facilement bien placés dans les appareils syndicaux ce n’est pas du fait d’un accroissement du poids des conceptions révolutionnaires en leur sein mais faute de combattants, faute de candidats à ces postes et du fait que les appareils syndicaux ont vu qu’on pouvait utiliser aisément les militants révolutionnaires pour faire le travail.

Certes les révolutionnaires ont une position de principe qui consiste à ne pas s’isoler des milieux militants même quand il y de fortes critiques à leur faire et même quand les syndicats sont réactionnaires, ils ne se tiennent pas à l’écart. Cela ne veut pas dire qu’ils doivent nécessairement participer sans arrêt à tous les postes alors même que les syndicats sont parfois des coquilles vides et que l’activité ne les met parfois en contact avec presque personne et ne permet pas nécessairement d’être en meilleure position pour défendre l’essentiel : l’auto-organisation des travailleurs et en particulier celle des luttes.

Les militants révolutionnaires qui considèrent que le syndicat dans lequel ils ont mis un pied est « leur syndicat » et le défendent ont cessé de défendre la nécessité de l’organisation indépendante des travailleurs. Cet opportunisme est très courant dans les milieux d’extrême gauche et très catastrophique pour l’avenir.

C’est particulièrement vrai dans les pays impérialistes où les syndicats ont une place de participants de la gestion capitaliste à tous les niveaux. Dans les pays pauvres, ils ont aussi eu plus souvent à canaliser des coups de colère sociaux pour empêcher qu’ils prennent un tour révolutionnaire. La trahison n’y est pas moins grande, loin de là.

Et surtout, la tendance naturelle des travailleurs à fonder des syndicats plutôt qu’à s’organiser sur des bases de classe sur le terrain politique a des conséquences catastrophiques et surtout celle-ci : les courants d’extrême gauche n’ont que peu de liens avec le monde ouvrier et ne sont nullement de sous la pression des travailleurs ce qui les soumet à toutes les pressions de la société bourgeoise.

L’essentiel n’est donc nullement de savoir si tactiquement les militants sont dans les syndicats ni ce qu’ils y font. C’est de savoir si les militants sont aux côtés des travailleurs, à la base, et ce qu’ils y font pour saisir toutes les occasions de susciter toutes les formes d’organisation des travailleurs par eux-mêmes, seule préparation du rôle conscient du prolétariat en vue des confrontations inévitables que nous préparent la crise du système.

Les syndicats défendent le système. Ils agissent parfois radicalement mais toujours se refusent à contester les bases de la société capitaliste. C’est un rôle historique qui est donc foncièrement réactionnaire et sur lequel il convient de ne jamais susciter d’illusions. Il n’est pas question pour des militants de défendre que les syndicats devraient faire ceci, dire cela. Nous devons défendre ce que nous pensons que devrait faire ou dire les travailleurs, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Dans ces conditions, il ne faut pas se voiler la face ni avoir peur d’appeler un chat un chat, quitte à ne pas être suivi de certains travailleurs.

Les syndicats sont parmi nos pires adversaires. Il ne faut pas se le cacher ni le cacher aux travailleurs.

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