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Les premières luttes du prolétariat sud-africain

lundi 9 février 2015, par Robert Paris

1913

1914

1919

1922

Rassemblement du Parti communiste d’Afrique du sud

1946

Grève dans les mines d’or

1960

Massacre de Sharpeville

1970

1973

1976

Démonstration du premier mai

Soulèvement de Soweto

1985

2012

La grève des mineurs de Marikana massacrée par la police du néo-apartheid de l’ANC au pouvoir

Première lutte ouvrière à Kimberley.

Comme par hasard, le diamant qui donna naissance symboliquement au capitalisme sud-africain fut aussi à l’origine du premier mouvement de lutte prolétarienne. En effet, la première grève ouvrière éclata à Kimberley, "capitale diamantaire" en 1884 où les mineurs d’origine britannique décidèrent de lutter contre la décision des compagnies minières de leur imposer le système dit "compound" (camp de travail forcé) réservé jusqu’alors aux travailleurs noirs. Dans cette lutte, les mineurs organisèrent des piquets de grève pour imposer un rapport de force leur permettant de satisfaire leurs revendications. Tandis que pour faire plier les grévistes, les employeurs engagèrent d’un côté des "jaunes" et de l’autre des troupes armées jusqu’aux dents qui ne tardèrent pas à tirer sur les ouvriers. Et on dénombra 4 morts chez les grévistes qui poursuivirent cependant la lutte avec vigueur, ce qui obligea les employeurs à satisfaire leurs revendications. Voilà le premier mouvement de lutte opposant les deux forces historiques sous le capitalisme sud-africain qui se termina dans le sang mais victorieux pour le prolétariat. De ce fait, on peut dire qu’ici débuta la vraie lutte de classe en Afrique du Sud capitaliste, posant les jalons pour les confrontations ultérieures.

Grève contre la réduction des salaires en 1907

Non contents des cadences qu’ils imposèrent aux ouvriers en vue d’un meilleur rendement, les employeurs du Rand [17] décidèrent, courant 1907, de réduire les salaires de 15 %, en particulier ceux des mineurs d’origine anglaise considérés comme "privilégiés". Comme lors de la grève de Kimberley, le patronat recruta des jaunes (afrikaners très pauvres) qui, sans être solidaires des grévistes, refusèrent cependant de faire le sale boulot qu’on leur demandait. Malgré cela le patronat finit par réussir à faire plier les grévistes, notamment grâce à l’usure. Notons ici que les sources dont nous disposons parlent bien de grève d’ampleur mais ne donnent pas de chiffre concernant le nombre des participants au mouvement.

Grèves et manifestations en 1913

Face à la réduction massive des salaires et à la dégradation de leurs conditions de travail, les mineurs entrèrent massivement en lutte. En effet, courant 1913, une grève fut lancée par les ouvriers d’une mine contre les heures supplémentaires que l’entreprise voulait leur imposer. Et il n’en fallut pas plus pour généraliser le mouvement à tous les secteurs avec des manifestations de masse, lesquelles furent néanmoins brisées violemment par les forces de l’ordre. Au final on compta (officiellement) une vingtaine de morts et une centaine de blessés.

Grève des cheminots et des charbonniers en 1914

Au début de cette année-là éclata une série de grèves aussi bien chez les mineurs de charbon que chez les cheminots contre la dégradation des conditions de travail. Mais ce mouvement de lutte se situa dans un contexte particulier, celui des terribles préparatifs de la première boucherie impérialiste généralisée. Dans ce mouvement, on put remarquer la présence de la fraction afrikaner, mais à l’écart de la fraction anglaise. Bien entendu toutes deux bien encadrées par leurs syndicats respectifs dont chacun défendait ses propres "clients ethniques".

Dès lors le gouvernement s’empressa d’instaurer la loi martiale sur laquelle il s’appuya pour briser physiquement la grève et ses initiateurs et en emprisonnant ou en déportant un grand nombre de grévistes dont on ignore encore le nombre exact des victimes. Par ailleurs, nous tenons à souligner ici le rôle particulier des syndicats dans ce mouvement de lutte. En effet, ce fut dans ce même contexte de répression des luttes que les dirigeants syndicaux et du Parti Travailliste votèrent les "crédits de guerre" en soutenant l’entrée en guerre de l’Union Sud-Africaine contre l’Allemagne.

Agitations ouvrières contre la guerre de 1914 et tentatives d’organisation

Si la classe ouvrière fut muselée globalement durant la guerre 1914/18, en revanche quelques éléments prolétariens purent tenter de s’y opposer en préconisant l’internationalisme contre le capitalisme. Ainsi [18] :

« (…) En 1917, une affiche fleurit sur les murs de Johannesburg, convoquant une réunion pour le 19 juillet : "Venez discuter des points d’intérêt commun entre les ouvriers blancs et les indigènes". Ce texte est publié par l’International Socialist League (ISL), une organisation syndicaliste révolutionnaire influencée par les IWW américains (…) et formée en 1915 en opposition à la Première Guerre mondiale et aux politiques racistes et conservatrices du parti travailliste sud-africain et des syndicats de métiers. Comptant au début surtout des militants blancs, l’ISL s’oriente très vite vers les ouvriers noirs, appelant dans son journal hebdomadaire L’International, à construire "un nouveau syndicat qui surmonte les limites des métiers, des couleurs de peau, des races et du sexe pour détruire le capitalisme par un blocage de la classe capitaliste".

Dès 1917, L’ISL organise des ouvriers de couleurs. En mars 1917, elle fonde un syndicat d’ouvriers indiens (…) à Durban. En 1918, elle fonde un syndicat des travailleurs du textile (se déclarant aussi plus tard à Johannesburg) et un syndicat des conducteurs de cheval à Kimberley, ville d’extraction de diamant. Au Cape, une organisation sœur, L’Industrial Socialist League, fonde la même année un syndicat des travailleurs des sucreries et confiseries.

La réunion du 19 juillet est un succès et constitue la base de réunions hebdomadaires de groupes d’étude menés par des membres de L’ISL (notamment Andrew Dubar, fondateur de L’IWW en Afrique du Sud en 1910). Dans ces réunions, on discute du capitalisme, de la lutte des classes et de la nécessité pour les ouvriers africains de se syndiquer afin d’obtenir des augmentations de salaires et de supprimer le système du droit de passage. Le 27 septembre suivant, les groupes d’étude se transforment en un syndicat, L’Indusrial Workers of Africa (IWA), sur le modèle des IWW. Son comité d’organisation est entièrement composé d’Africains. Les demandes des nouveaux syndicats sont simples et intransigeantes dans un slogan : Sifuna Zonke ! ("Nous voulons tout !").

Enfin, voilà l’expression de l’internationalisme prolétarien naissant. Un internationalisme porté par une minorité d’ouvriers mais d’une haute importance à l’époque, car ce fut au moment où nombre de prolétaires étaient ligotés et entraînés dans la première boucherie impérialiste mondiale par le traître Parti Travailliste en compagnie des syndicats officiels. Un autre aspect qui illustre la force et la dynamique de ces petits regroupements internationalistes fut le fait que des éléments (notamment de la Ligue Internationale Socialiste et d’autres) purent s’en dégager pour former le Parti Communiste sud-africain en 1920. Ce furent ces groupes dominés apparemment par les tenants du syndicalisme révolutionnaire qui purent favoriser activement l’émergence de syndicats radicaux en particulier chez les travailleurs noirs ou de couleurs.

Une vague de grève en 1918

Malgré la dureté des temps d’alors avec les lois martiales réprimant toute réaction ou mouvement de protestation, des grèves purent se produire :

"En 1918, une vague sans précédent de grèves contre le coût de la vie et pour des augmentations de salaire, rassemblant ouvriers blancs et de couleur, submerge le pays. Lorsque le juge McFie fait jeter en prison 152 ouvriers municipaux africains en juin 1918, les enjoignant à continuer "d’effectuer le même travail auparavant" mais maintenant depuis la prison sous surveillance d’une escorte armée", les progressistes blancs et africains sont outragés. Le TNT (le Transvaal Native Congres, ancêtre de l’ANC) appelle à un rassemblement de masse des ouvriers africains à Johannesburg le 10 juin". (http://www-pelloutier.net, déjà cité).

On doit souligner ici un fait important ou symbolique : voilà l’unique implication (connue) de l’ANC dans un mouvement de lutte de classe au sens premier du terme. C’est certainement une des raisons expliquant le fait que cette fraction nationaliste ait pu par la suite avoir une influence au sein de la classe ouvrière noire.

Grèves massives en 1919/1920 réprimées dans le sang

Courant 1919 un syndicat radical (Industrial and Commercial Workers Union) composé de noirs et métis mais sans les blancs lança un vaste mouvement de grève notamment chez les dockers du Port-Elisabeth. Mais une fois de plus ce mouvement fut brisé militairement par la police épaulée par des groupes blancs armés et provoquant plus de 20 morts chez les grévistes. Voilà encore des grévistes isolés et ainsi assurée la défaite de la classe ouvrière dans un combat inégal sur le plan militaire.

En 1920 ce furent, cette fois, les mineurs africains qui déclenchèrent une des plus grandes grèves du pays touchant quelque 70 000 travailleurs. Un mouvement qui dura une semaine avant d’être écrasé par les forces de l’ordre qui, par les armes, liquidèrent un grand nombre de grévistes. A souligner le fait que malgré sa massivité, ce mouvement des ouvriers africains ne put bénéficier du moindre soutien des syndicats blancs qui refusèrent d’appeler à la grève et de venir en aide aux victimes des balles de la bourgeoise coloniale. Et malheureusement ce manque de solidarité encouragé par les syndicats devint systématique dans chaque lutte.

En 1922 une grève insurrectionnelle écrasée par une armée suréquipée

Fin décembre 1921, le patronat des mines de charbon annonça des réductions massives des salaires et des licenciements visant à remplacer 5 000 mineurs européens par des indigènes. En janvier 1922, 30 000 mineurs décidèrent de partir en lutte contre les attaques des employeurs miniers. En effet face aux tergiversations des syndicats, un groupe d’ouvriers prit l’initiative de la riposte en se dotant d’un comité de lutte et décrétant une grève générale. De ce fait les mineurs forcèrent ainsi les dirigeants syndicaux à suivre le mouvement, mais cette grève ne fut pas tout à fait "générale" car elle ne concernait que les "blancs".

Face à la pugnacité des ouvriers, l’État et le patronat unis décidèrent alors d’employer les plus gros moyens militaires pour venir à bout du mouvement. En effet, pour faire face à la grève, le gouvernement décréta la loi martiale et regroupa quelques 60 000 mille hommes équipés de mitrailleuses, canons, chars et même des avions.

De leur côté, voyant l’ampleur de l’armement de leurs ennemis, les grévistes se mirent à s’armer en se procurant des armes (fusils et autres) et s’organisant en commandos. Dès lors on assista à une véritable bataille militaire comme dans une guerre classique. Au terme du combat on énuméra du côté ouvrier plus de 200 morts, 500 blessés, 4750 arrestations, 18 condamnations à mort. En clair, il s’agit là d’une vraie guerre, comme si l’impérialisme sud-africain qui prit part active dans la première boucherie mondiale voulait prolonger son action en bombardant les ouvriers mineurs comme il affrontait les troupes allemandes. En clair, par ce geste la bourgeoisie coloniale britannique fit la démonstration de sa haine absolue du prolétariat sud-africain mais aussi de sa terrible peur de ce dernier.

En termes de leçons à tirer de ce mouvement, il convient de dire que malgré son caractère très militaire, cette confrontation sanglante fut surtout une vraie guerre de classe, en l’occurrence le prolétariat contre la bourgeoisie, avec cependant des moyens inégaux. Cela ne fait que souligner que la force première de la classe ouvrière n’est pas militaire mais réside avant tout dans son unité la plus large possible. Au lieu de chercher le soutien de l’ensemble des exploités, les mineurs (blancs) tombèrent dans le piège tendu par la bourgeoisie à travers son projet de remplacer les 5 000 ouvriers européens par des indigènes. Cela se traduisit tragiquement par le fait que, durant toute la bataille rangée entre les mineurs européens et les forces armées du capital, les autres ouvriers (noirs, métis et indiens) eux, furent 200 000 à travailler ou à croiser les bras. Il est clair aussi que, dès le départ, la bourgeoisie était visiblement consciente de l’état de faiblesse des ouvriers allant au combat profondément divisés. En fait la recette abjecte "diviser pour régner" a été appliquée ici avec succès bien avant l’instauration officielle de l’apartheid (dont rappelons-le son but principal est avant tout contre la lutte de classe). Mais surtout la bourgeoisie profita de sa victoire militaire sur les prolétaires sud-africains pour renforcer son emprise sur la classe ouvrière. Elle organisa des élections en 1924 dont sortirent vainqueurs les partis populistes clientélistes se voulant défenseurs des "intérêts des Blancs", à savoir le Parti National (Boer) et le Parti Travailliste qui formèrent une coalition gouvernementale. Ce fut cette coalition gouvernementale qui promulgua les lois instaurant des divisions raciales allant jusqu’à assimiler une rupture de contrat de travail par un noir à un crime ; ou encore imposant un système de laissez-passer pour les noirs et instaurant des zones de résidence obligatoire pour les indigènes. De même "La barre de la couleur" ("color bar") visait à réserver aux Blancs les emplois qualifiés leur assurant un salaire nettement plus élevé que celui des Noirs ou des Indiens. À cela s’ajoutèrent d’autres lois ségrégationnistes dont celle intitulée "La Loi de Conciliation Industrielle" permettant l’interdiction d’organisations non blanches. Ce fut ce dispositif ultra répressif et ségrégationniste sur lequel s’appuya en 1948 le gouvernement afrikaner pour instaurer juridiquement l’apartheid.

La bourgeoisie parvint ainsi à paralyser durablement toute expression de lutte de classe prolétarienne et il fallut attendre la veille de la Seconde Guerre mondiale pour voir la classe ouvrière sortir sa tête de l’eau en reprenant le chemin des combats de classe. En fait, entre la fin des années 1920 et 1937 le terrain de la lutte fut occupé par le nationalisme : d’un côté, par le PC sud-africain, l’ANC et leurs syndicats, de l’autre, par le Parti National afrikaner et ses satellites.

L’Apartheid, ce régime fasciste de séparation selon la couleur de la peau qui fait des Noirs des étrangers sur le sol de l’Afrique du sud blanche, n’est nullement né en même temps que la domination blanche en Afrique du sud et ne date que de 1948. Il n’est donc pas venu simplement du racisme des Blancs (jusqu’en 1950, il y avait même un grand nombre de mariages entre Noirs et Blancs) et il n’est pas tombé du fait d’une prise de conscience, ni celle des Noirs ni celle des Blancs, ni d’une conscience de la possibilité d’un « vivre ensemble », conçu par Mandela et l’ANC. Cette chronologie vise à montrer que tout cela est un mythe mensonger. On ne peut pas comprendre l’histoire du racisme d’Etat en Afrique du sud sans comprendre aussi les problèmes posés aux classes dirigeantes par le développement du mouvement ouvrier. C’est la lutte des classes qui explique aussi bien la mise en place de l’Apartheid que sa fin…

L’occupation des Blancs néerlandophones date de 1652 (premier établissement blanc au Cap) et celle des Anglais de 1797 (avec en 1820 la première migration importante de Britanniques en Afrique du sud). La guerre entre les deux ou « guerre des Boers » a lieu de 1877 à 1902. C’est officiellement dans le but de supprimer l’esclavage des Noirs que les Anglais écrasent militairement les Boers dans une véritable guerre volontairement génocidaire utilisant des méthodes d’une violence encore jamais connue avec des camps d’extermination… des blancs néerlandophones, les Afrikaners ou Boers (33.000 morts sur 250.000 boers !).

Bien entendu, que les "Blancs" se fassent la guerre entre eux n’efface nullement les multiples combats des Anglais et des Boers contre les Noirs mais cela rappelle que les "Blancs" ne sont pas que des races, qu’ils défendent des intérêts de bourgeoisies concurrentes et que le racisme lui-même ne le leur fait pas oublier. Le racisme n’est nullement plus fort que les intérêts de classe et c’est toute l’histoire de l’Afrique du sud qui le rappelle.

C’est en 1912 que naît le Congrès National des Natifs Sud-Africains (SANNC), ancêtre de l’ANC (que certains croient créé par Mandela qui, lui, est né en 1918 !) Le SANNC, qui prendra en 1923 le nom de congrès national africain (ANC), est alors la première organisation à représenter au niveau national les Noirs en prenant le relais des divers groupes et mouvements ethniques ou régionaux qui s’étaient multipliés durant le quart de siècle écoulé. Organisé sous la forme d’un parti politique britannique bourgeois avec son cabinet fantôme, on y trouve surtout des intellectuels, des éducateurs, des juristes et des journalistes tels Sol Plaatje, le premier secrétaire général, Pixley Ka Isaka Seme, le premier trésorier général, John Dube, son premier président ou encore Alfred Mangena, le premier procureur noir du pays.

Alors que l’unité des travailleurs noirs et boer est la principale crainte du pouvoir blanc, celle-ci ne sera jamais mise en avant par l’ANC, laissant place à l’influence des nationalistes racistes sur les ouvriers boers. En 1918, l’Afrikaner Broederbond (Ligue des frères afrikaners) est fondée à Johannesburg avec pour objectif de défendre et promouvoir les Afrikaners, ce qui suppose de s’opposer à toute promotion des Noirs.

L’ IWA de Johannesbourg lance en 1919 parmi les dockers une grève commune avec deux syndicats locaux, l’Industrial and Commercial Union et un syndicat d’ouvriers des chemins de fer et de dockers blancs. La grève est suivie par plus de 2 000 ouvriers qui exigent de meilleurs salaires et s’opposent aux exportations de nourriture, suspectées de faire croître le taux d’inflation déjà élevé du pays. Bien que la grève ne soit pas une victoire, elle jette les bases d’une nouvelle solidarité parmi les travailleurs des docks : quelques années plus tard, les IWA, l’Industrial and Commercial Union et plusieurs autres syndicats de travailleurs de couleur fusionnent pour former l’Industrial and Commercial Workers Union (ICU). Ce syndicat grossit énormément à partir de 1924 et connaît un pic de 100 000 membres en 1927, ce qui en fait la plus grosse organisation d’Africains jusqu’à l’ANC des années 1950. Dans les années 1930, l’ICU établit même des sections en Namibie, en Zambie et au Zimbabwe avant de décliner progressivement. En 1920, un mouvement de la classe ouvrière, unie par de là les races, les couleurs et les ethnies, avait démontré que le danger de l’unité de classe malgré les divisions raciales existait bel et bien pour les classes dirigeantes. voir ici

Un mouvement des mineurs noirs devait aussi démontrer que la division avec les mineurs blancs était un facteur certain d’échec. En effet, le 17 février 1920, plus de 71.000 mineurs noirs des mines du Rand se mirent en grève. 22 mines étaient touchées. Les mineurs noirs en grève spontanée ne reçurent absolument aucun soutien des syndicats blancs. La grève fut écrasée et plusieurs ouvriers furent fusillés. Les travailleurs blancs avaient été employés comme briseurs de grève. Deux ans plus tard, les mêmes mineurs blancs, eux aussi en grève, n’obtinrent aucun soutien des mineurs noirs…

Les mineurs blancs en lutte sans et même contre les mineurs noirs allait faire aussi la démonstration que cela menait à l’échec… En mars 1922, l’armée était envoyée pour faire cesser la grève insurrectionnelle des ouvriers afrikaners des mines d’or du Witwatersrand. Les mineurs afrikaners s’étaient mis en grève pour protester contre le recours accru aux travailleurs noirs, main-d’œuvre abondante et moins bien payée, par le patronat du secteur minier. Pour les mineurs afrikaners, le patronat remettait en cause le Colour Bar et les emplois réservés des mines. Le conflit avait commencé dans les mines de charbon, soutenu par les nationalistes de Tielman Roos et les communistes de Bill Andrews, puis s’était répandu à travers tout le bassin minier du Rand, regroupant 20 000 travailleurs blancs. La grève s’était ensuite transformée en insurrection, avec la proclamation de soviets alors que des affrontements violents ensanglantaient la région. Quelques jours après le déclenchement de la grève générale, le premier ministre Jan Smuts mena une sanglante répression (214 tués dont 76 grévistes, 78 soldats, 30 africains tués par les grévistes) tandis que 5 000 mineurs étaient emprisonnés. 30 000 mineurs blancs luttèrent contre la diminution de leur salaire au prix de 200 morts et de milliers d’arrestations. Mais ils furent défaits car un nombre important de mineurs noirs travaillèrent pendant la durée de la grève, sans que les syndicats blancs ne cherchent à les y entraîner. L’échec du mouvement ouvrier conduisit à une mobilisation rassemblant travaillistes, socialistes, communistes, des mouvements politiques de couleurs derrière les nationalistes du parti national qui remportèrent en 1924 les élections législatives. On voit là à quel point le succès du pouvoir raciste est lié à l’échec du mouvement ouvrier, lui-même lié à sa division, chaque fraction de la classe ouvrière étant sous l’influence des dirigeants ethniques bourgeois et petits bourgeois.

Naissance de l’Apartheid

C’est la grande grève des mineurs africains de 1946 qui a convaincu la grande bourgeoisie de mettre en place le régime de l’Apartheid comme le rappelle Claude Jacquin dans « Une gauche syndicale en Afrique du sud (1978-1993) » :

« Le danger d’une nouvelle résistance des ouvriers noirs avait été démontré par la grève des mineurs africains de 1946. Bien que cette grève ait été défaite et que les tentatives de solidarité parmi les travailleurs urbains aient échoué, l’Etat avait besoin de trouver une solution à long terme au problème du contrôle social…. La victoire électorale du Parti national en 1948 sanctionna la victoire de la seconde option, ouvrant une nouvelle période de l’histoire sud-africaine, jusqu’à ce que ce choix s’épuise progressivement au cours des années soixante-dix. »

N’oublions pas que la même période (1947-1950) où la bourgeoisie sud-africaine décide la mise en place de l’Apartheid par crainte du prolétariat, les bourgeoisies coloniales craignent la révolte ouvrière dans toute l’Afrique. En 1947, ce sont les travailleurs de Madagascar qui se révoltent. Au Cameroun, en 1948, ce sont encore les travailleurs que l’impérialisme français doit écraser. Ce sont encore les ouvriers qui, en 1947-48, bloquent toute l’Afrique de l’ouest « française », du Sénégal à la Haute Volta, du mali à la Guinée, en passant par la Côte d’Ivoire, en se mobilisant autour de la grève générale des chemins de fer. Travailleurs des docks, petits boulots des villes, chômeurs, femmes sont mobilisés avec les cheminots et les travailleurs des ports. Dans cette même période, toute l’Afrique noire connaît une vaste mobilisation qui entraîne des grèves, remplit brutalement les syndicats, menace l’ordre colonial. La radicalité des travailleurs tranche avec la modération des dirigeants de la petite bourgeoisie noire. Les grèves de cheminots se multiplient dans toute l’Afrique : en 1945, de Matadi à Léopoldville, en Afrique centrale, en 1945-46 à Douala (Cameroun) et en 1947 au Zaïre. On atteint alors le sommet de la mobilisation, avec à la fois la grève générale de 11 jours au Kenya, la mobilisation de 15.000 ouvriers à Mombasa, celle de 10.000 cheminots soudanais, celle des cheminots et mineurs de Gold Coast, avec une émeute populaire à Abidjan, en Côte d’Ivoire, luttes qui se déroulent en pleine grève générale des cheminots de la ligne du Dakar-Niger. Cette mobilisation ouvrière dure jusque dans les années 1950 dans toute l’Afrique, entraînant un développement syndical jusque là inconnu. Des grèves générales la marquent : 1950 à Nairobi, 1955 au Nigeria et 1956 à Abidjan. Souvent l’armée réprime violemment faisant des dizaines de morts. Les organisations ouvrières sont détruites. La révolte des pauvres noirs du Kenya date également de 1948-1950 et elle fut écrasée dans le sang par le pouvoir colonial anglais. La classe ouvrière y avait tenu un rôle à ses débuts. Après une nouvelle grève à Mombasa en 1947, grève générale cette fois à laquelle participaient 15 000 Africains et qui a eu un succès retentissant. Son organisateur, Chege Kibachia, a en effet fondé le premier syndicat africain, la « Africain Workers Federation ». Considérée avec méfiance par le gouvernement, cette organisation a été de courte durée ; elle s’est progressivement dissoute après l’arrestation de son président en août 1947. L’action de Chege Kibachia a cependant été à l’origine d’un mouvement syndical qui comptait en 1952, 27.588 membres en 13 syndicats ; à la même époque, il y aurait eu au Tanganika un seul syndicat avec 381 membres et en Ouganda trois organisations ouvrières avec 259 membres. Cette activité syndicale fait partie intégrante du cadre dans lequel il convient de situer la révolte mau-mau.

Dans cette montée des revendications d’indépendance en Afrique liées à la montée du mouvement ouvrier, l’Afrique du sud apparaissait aux classes dirigeantes comme un vrai baril de poudre, du fait d’importance du prolétariat noir, bien plus grande qu’ailleurs. D’où la nécessité d’opposer prolétariat noir et prolétariat blanc de manière fasciste en faisant de la population blanche la gardienne de camp de concentration de la population noire. D’où la politique de l’Apartheid.

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