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Poésies sur la Première Guerre Mondiale
mardi 28 juin 2016, par
En guise de crachat à la gueule de tous les assassins, des nazis au sociaux-démocrates, qui nous chantent la "grande fraternité des tranchées"...
Poésies sur la Première Guerre Mondiale, dite “Grande Guerre” parce que la grande boucherie ricane cyniquement sur les « petites guéguerres »
« Au secours ! On assassine des hommes ! »
Roland Dorgelès, Les croix de bois
Tout n’est peut-être pas perdu, de René Arcos
Tout n’est peut-être pas perdu
Puisqu’il nous reste au fond de l’être
Plus de richesses et de gloire
Qu’aucun vainqueur n’en peut atteindre ;
Plus de tendresse au fond du cœur
Que tous les canons ne peuvent de haine
Et plus d’allégresse pour l’ascension
Que le plus haut pic n’en pourra lasser
Peut-être que rien n’est perdu
Puisqu’il nous reste ce regard
Qui contemple au-delà du siècle
L’image d’un autre univers.
Rien n’est perdu puisqu’il suffit
Qu’un seul de nous dans la tourmente
Reste pareil à ce qu’il fut
Pour sauver tout l’espoir du monde.
Les Morts…, de René Arcos
Le vent fait flotter
Du même côté
Les voiles des veuves
Et les pleurs mêlés
Des mille douleurs
Vont au même fleuve.
Serrés les uns contre les autres
Les morts sans haine et sans drapeau,
Cheveux plaqués de sang caillé,
Les morts sont tous d’un seul côté.
Dans l’argile unique où s’allie sans fin
Au monde qui meurt celui qui commence
Les morts fraternels tempe contre tempe
Expient aujourd’hui la même défaite.
Heurtez-vous, ô fils divisés !
Et déchirez l’Humanité
En vains lambeaux de territoires,
Les morts sont tous d’un seul côté.
Car sous la terre il n’y a plus
Qu’une patrie et qu’un espoir
Comme il n’y a pour l’Univers
Qu’un combat et qu’une victoire.
Désir, de Guillaume Apollinaire
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
Mon désir c’est la butte du Mesnil
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n’en parle pas aujourd’hui mais j’y pense
Butte du Mesnil je t’imagine en vain
Des fils de fer des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d’eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en s’éloignant
En y veillant tard dans la nuit
Le Decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignotte
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d’entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût
Je désire
Te serrer dans ma main Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
Le boyau Goethe où j’ai tiré
J’ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments
Nuits des hommes seulement
Nuit du 24 septembre
Demain l’assaut
Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait
plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit des hommes seulement
Guerre, de Guillaume Apollinaire
Rameau central de combat
Contact par l’écoute
On tire dans la direction " des bruits entendus "
Les jeunes de la classe 1915
Et ces fils de fer électrisés
Ne pleurez donc pas sur les horreurs de la guerre
Avant elle nous n’avions que la surface
De la terre et des mers
Après elle nous aurons les abîmes
Le sous-sol et l’espace aviatique
Maîtres du timon
Après après
Nous prendrons toutes les joies
Des vainqueurs qui se délassent
Femmes Jeux Usines Commerce
Industrie Agriculture Métal
Feu Cristal Vitesse
Voix Regard Tact à part
Et ensemble dans le tact venu de loin
De plus loin encore
De l’Au-delà de cette terre
A l’Italie, de Guillaume Apolllinaire
L’amour a remué ma vie comme on remue la terre dans la zone des armées
J’atteignais l’âge mûr quand la guerre arriva
Et dans ce jour d’août 1915 le plus chaud de l’année
Bien abrité dans l’hypogée que j’ai creusé moi-même
C’est à toi que je songe Italie mère de mes pensées
Et déjà quand von Kluck marchait sur Paris avant la Marne
J’évoquais le sac de Rome par les Allemands
Le sac de Rome qu’ont décrit
Un Bonaparte le vicaire espagnol Delicado et l’Arétin
Je me disais
Est-il possible que la nation
Qui est la mère de la civilisation
Regarde sans la défendre les efforts qu’on fait pour la détruire
Puis les temps sont venus les tombes se sont ouvertes
Les fantômes des Esclaves toujours frémissants
Se sont dressés en criant SUS AUX TUDESQUES
Nous l’armée invisible aux cris éblouissants
Plus doux que n’est le miel et plus simples qu’un peu de terre
Nous te tournons bénignement le dos Italie
Mais ne t’en fais pas nous t’aimons bien
Italie mère qui es aussi notre fille
Nous sommes là tranquillement et sans tristesse
Et si malgré les masques les sacs de sable les rondins nous tombions
Nous savons qu’un autre prendrait notre place
Et que les Armées ne périront jamais
Les mois ne sont pas longs ni les jours ni les nuits
C’est la guerre qui est longue
Italie
Toi notre mère et notre fille quelque chose comme une sœur
J’ai comme toi pour me réconforter
Le quart de pinard
Qui met tant de différence entre nous et les Boches
J’ai aussi comme toi l’envol des compagnies de perdreaux des 75
Comme toi je n’ai pas cet orgueil sans joie des Boches et je sais rigoler
Je ne suis pas sentimental à l’excès comme le sont ces gens sans mesure que leurs actions dépassent sans qu’ils sachent s’amuser
Notre civilisation a plus de finesse que les choses qu’ils emploient
Elle est au-delà de la vie confortable
Et de ce qui est l’extérieur dans l’art et l’industrie
Les fleurs sont nos enfants et non les leurs
Même la fleur de lys qui meurt au Vatican
La plaine est infinie et les tranchées sont blanches
Les avions bourdonnent ainsi que des abeilles
Sur les roses momentanés des éclatements
Et les nuits sont parées de guirlandes d’éblouissements
De bulles de globules aux couleurs insoupçonnées
Nous jouissons de tout même de nos souffrances
Notre humeur est charmante l’ardeur vient quand il faut
Nous sommes narquois car nous savons faire la part des choses
Et il n’y a pas plus de folie chez celui qui jette les grenades que chez celui qui plume les patates
Tu aimes un peu plus que nous les gestes et les mots sonores
Tu as à ta disposition les sortilèges étrusques le sens de la majesté héroïque et le courageux honneur individuel
Nous avons le sourire nous devinons ce qu’on ne nous dit pas nous sommes démerdards et même ceux qui se dégonflent sauraient à l’occasion faire preuve de l’esprit de sacrifice qu’on appelle la bravoure
Et nous fumons du gros avec volupté
C’est la nuit je suis dans mon blockhaus éclairé par l’électricité en bâton
Je pense à toi pays des 2 volcans
Je salue le souvenir des sirènes et des scylles mortes au moment de Messine
Je salue le Colleoni équestre de Venise
Je salue la chemise rouge
Je t’envoie mes amitiés Italie et m’apprête à applaudir aux hauts faits de ta bleusaille
Non parce que j’imagine qu’il y aura jamais plus de bonheur ou de malheur en ce monde
Mais parce que comme toi j’aime à penser seul et que les Boches m’en empêcheraient
Mais parce que le goût naturel de la perfection que nous avons l’un et l’autre si on les laissait faire serait vite remplacé par je ne sais quelles commodités dont je n’ai que faire
Et surtout parce que comme toi je sais je veux choisir et qu’eux voudraient nous forcer à ne plus choisir
Une même destinée nous lie en cette occase
Ce n’est pas pour l’ensemble que je le dis
Mais pour chacun de toi Italie
Ne te borne point à prendre les terres irrédentes
Mets ton destin dans la balance où est la nôtre
Les réflecteurs dardent leurs lueurs comme des yeux d’escargots
Et les obus en tombant sont des chiens qui jettent de la terre avec leurs pattes après avoir fait leurs besoins
Notre armée invisible est une belle nuit constellée
Et chacun de nos hommes est un astre merveilleux
Ô nuit ô nuit éblouissante
Les morts sont avec nos soldats
Les morts sont debout dans les tranchées
Ou se glissent souterrainement vers les Bien-Aimées
Ô Lille Saint-Quentin Laon Maubeuge Vouziers
Nous jetons nos villes comme des grenades
Nos fleuves sont brandis comme des sabres
Nos montagnes chargent comme cavalerie
Nous reprendrons les villes les fleuves et les collines
De la frontière helvétique aux frontières bataves
Entre toi et nous Italie
Il y a des patelins pleins de femmes
Et près de coi m’attend celle que j’adore
Ô Frères d’Italie
Ondes nuages délétères
Métalliques débris qui vous rouillez partout
Ô frères d’Italie vos plumes sur la tête
Italie
Entends crier Louvain vois Reims tordre ses bras
Et ce soldat blessé toujours debout Arras
Et maintenant chantons ceux qui sont morts
Ceux qui vivent
Les officiers les soldats
Les flingots Rosalie le canon la fusée l’hélice la pelle les chevaux
Chantons les bagues pâles les casques
Chantons ceux qui sont morts
Chantons la terre qui bâille d’ennui
Chantons et rigolons
Durant des années
Italie
Entends braire l’âne boche
Faisons la guerre à coups de fouets
Faits avec les rayons du soleil
Italie
Chantons et rigolons
Durant des années
Hymne aux anciens combattants patriotes, de Benjamin Péret
Regardez, comme je suis beau
J’ai chassé la taupe dans les Ardennes
pêché la sardine sur la côte belge
Je suis un ancien combattant
Si la Marne se jette dans la Seine
c’est parce que j’ai gagné la Marne
S’il y a du vin en Champagne
c’est parce que j’y ai pissé
J’ai jeté ma crosse en l’air
mais les tauben m’ont craché sur la gueule
c’est comme ça que j’ai été décoré
Vive la république
J’ai reçu des pattes de lapin dans le cul
j’ai été aveuglé par des crottes de bique
asphyxié par le fumier de mon cheval
alors on m’a donné la croix d’honneur
Mais maintenant je ne suis plus militaire
les grenades me pètent au nez
et les citrons éclatent dans ma main
Et pourtant je suis un ancien combattant
Pour rappeler mon ruban
je me suis peint le nez en rouge
et j’ai du persil dans le nez
pour la croix de guerre
Je suis un ancien combattant
regardez comme je suis beau
Epitaphe sur un monument aux morts de la guerre, de Benjamin Péret
Le général nous a dit
le doigt dans le trou du cul
L’ennemi
est par là Allez
C’était pour la patrie
Nous sommes partis
le doigt dans le trou du cul
La patrie nous l’avons rencontrée
le doigt dans le trou du cul
La maquerelle nous a dit
le doigt dans le trou du cul
Mourez ou
sauvez-moi
le doigt dans le trou du cul
Nous avons rencontré le kaiser
le doigt dans le trou du cul
Hindenburg Reischoffen Bismarck
le doigt dans le trou du cul
le grand-duc X Abdul-Amid Sarajevo
le doigt dans le trou du cul
des mains coupées
le doigt dans le trou du cul
Ils nous ont cassé les tibias
le doigt dans le trou du cul
dévoré l’estomac
le doigt dans le trou du cul
percé les couilles avec des allumettes
le doigt dans le trou du cul
et puis tout doucement
nous sommes crevés
le doigt dans le trou du cul
Priez pour nous
le doigt dans le trou du cul
Petite chanson des mutilés, de Benjamin Péret
Prête-moi ton bras
pour remplacer ma jambe
Les rats me l’ont mangée
à Verdun (bis)
à Verdun
J’ai mangé beaucoup de rats
mais ils ne m’ont pas rendu ma jambe
c’est pour cela qu’on m’a donné la croix de guerre
et une jambe de bois (bis )
et une jambe de bois
La peste tricolore, de Benjamin Péret
Issu d’un vomissement dans un pot de chambre bleu
Chiappe la vieille chique sucée et ressucée
se rabougrit en séchant
Déjà tout enfant il empestait le gendarme
que les bandits de son dépotoir tuent comme un cafard sous
une fesse
et les autres le traitaient de chien galeux
Plus tard
plus rabougri encore
il fermenta longuement
dans la fosse où l’on fait les flics
qui deviendront un si beau jeu de massacre
Enfin un jour
qu’on vidait dans la préfecture
la répugnante poubelle du ministère de l’intérieur
la tête enfouie dans un vieux soulier d’inspecteur
dont la puanteur l’émerveillait
on découvrit Chiappe entre deux trognons de choux pourris
et l’on fit de lui le chef des assassins
car
fumier professionnel
dont le sex-appeal enivre les mouches et les égouts
il ne pouvait que haïr le balai qui le nettoiera
la barricade de balais qui écrasaient les crânes des chiens
noirs
pour venger Sacco et Vanzetti
Pour lui tout était bon
l’ordure qui vient de droite
comme les déjections de la gauche
tout pourvu qu’il restât à la tête de ses maquereaux ivres
avec sa puante femelle
nageant dans les latrines des gardiens de la matraque
Je serai dans la rue
dit-il le jour où il fut craché
avec tous les rats pesteux qui envahiront la place de la Concorde
et je répandrai l’épidémie
Ah que la grenade et la mitraille
n’ont-elles supprimé des milliers de ces gonocoques
Ah que n’a-t-on rôti dans un kiosque incendié
le sanglant avorton qui l’avait fait flamber
La loi Paul Boncour, de Benjamin Péret
Partez chiens crevés pour amuser les troupes
et vous araignées pour empoisonner les ennemis
Le communiqué du jour rédigé par des singes tabétiques
annonce
le 22e corps d’armée de punaises
a pénétré dans les lignes ennemies sans coup férir
À la prochaine guerre
les nonnes garderont les tranchées pour le plaisir des rengagés
et pour se faire trouer l’hostie à coup de balai
Et les enfants au biberon
pisseront du pétrole enflammé sur les bivouacs ennemis
Pour avoir hoqueté dans ses langes
un héros de trois mois aura les mains coupées
et la légion d’honneur tatouée sur les fesses
Tout le monde fera la guerre
hommes femmes enfants vieillards chiens chats cochons
puces hannetons tomates ablettes perdrix et rats crevés
tout le monde
Des escadrons de chevaux sauvages
d’une ruade chasseront les canons de l’adversaire
Et quelque part la ligne de feu sera gardée par des putois
dont l’odeur conduite par un vent propice
asphyxiera des régiments entiers
mieux qu’un pet épiscopal
Alors les hommes qui écrasent les sénateurs comme une crotte
de chien
se regardant dans les yeux
riront comme les montagnes
obligeront les curés à tuer les derniers généraux avec leurs
croix
et à coups de drapeaux
massacreront les curés comme un amen
Peau de Tigre, de Benjamin Péret
Hélas le tigre des latrines
n’est plus que le paillasson de l’endroit
Faisons erreur mes amis
le paillasson vaut les w. c. qu’il régentait
mais notre merde vaut mieux que lui
Il est mort
le suif séché par les lampions
de la victoire de la grippe espagnole
Vieil animal oublié dans une cave
rien ne lui manquait
pas même l’haleine fétide des résidus de goupillon
et des habitués de caserne
Les trois couleurs au bout du nez
tendu par un fil de fer barbelé
il affirmait qu’il remontait le moral des troupes
Il est crevé
Asticots Jusqu’au bout
Dévorez cette charogne
et que ses os soient les sifflets de la révolution
Vie de l’assassin Foch, de Benjamin Péret
Un jour d’une mare de purin une bulle monta
et creva
À l’odeur le père reconnut
Ce sera un fameux assassin
Morveux crasseux le cloporte grandit
et commença à parler de Revanche
Revanche de quoi Du fumier paternel
ou de la vache qui fit le fumier
À six ans il pétait dans un clairon
À huit ans deux crottes galonnaient ses manches
Un jour d’une mare de purin une bulle monta
À dix ans il commandait aux poux de sa tête
et les démangeaisons faisaient dire à ses parents
Il a du génie
À quinze ans un âne le violait
et ça faisait un beau couple
Il en naquit une paire de bottes avec des éperons
dans laquelle il disparut comme une chaussette sale
Ce n’est rien dit le père
son bâton de maréchal est sorti de la tinette
C’est le métier qui veut cela
Le métier était beau et l’ouvrier à sa hauteur
Sur son passage des geysers de vomissements jaillissaient
et l’éclaboussaient
Il eut tout ce qu’on fait de mieux dans le genre
des dégueulis bilieux de médaille militaire
et la vinasse nauséabonde de la légion d’honneur
qui peu à peu s’agrandit
Ce mou de veau soufflé s’étalait
et faisait dire aux passants pendant la guerre
C’est un brave Il porte ses poumons sur sa poitrine
Tout alla bien jusqu’au jour où sa femme recueillit
le chat de la concierge
On avait beau faire
le chat se précipitait sur le mou de veau
dès qu’il apparaissait
et finalement c’était fatal il l’avala
Sans mou de veau Foch n’était plus Foch
et comme un boucher il creva d’une blessure de cadavre
Le Pacte des Quatre, de Benjamin Péret
Quatre pouilleux dansaient devant un beefsteak
Et à mesure qu’ils dansaient leurs poux tombaient par terre
Je suis français dit l’un
léger et vif comme un flic assommant un ouvrier
et si j’ai le sang bleu et un mal blanc c’est parce que mon nez
est rouge
Je suis anglais dit le second
et depuis que la livre baisse je sens mes pieds s’étaler comme
un vieux brie
Je suis italien dit le troisième
heureusement que j’ai le pape comme nouille
depuis que le macaroni fait des tubes de mitrailleuses
Je suis allemand dit le dernier
Fasciste répondit l’écho des latrines
Et sous chacun de ces messieurs
un peu d’urine s’écoulait
dessinant pour l’Allemand une carte sans l’asticot du corridor
pour l’Italien un horizon de faisceaux graisseux
pour le Français la rive gauche du Rhin
pour l’Anglais un Mississipi de livres sterling
Merde dit le Français qui mangea le nez de l’Italien
cependant que l’Allemand crachait dans l’oreille de l’Anglais
et bientôt on ne vit plus qu’un petit tas de généraux
auréolés de mouches
qui tournoyaient autour des quatre drapeaux
plantés dans leurs fesses
La Société des Nations, de Benjamin Péret
Or en ce temps-là les pissotières marchant au pas cadencé
se retrouvaient à Genève
La plus vieille et la plus sale disait
je suis la France
et cette autre dont l’ardoise était couverte d’excréments
je suis l’Allemagne
Une troisième que recouvraient les hosties avalées par les papes
hurlait dans un bec Auer
L’Italie c’est moi
Et la pissotière anglaise était pleine de débris de bibles
d’autres espagnole avec des fragments de cigares
grecque portée par des changeurs accroupis
et d’autres encore tendues de beefsteaks saignants
Toutes se réunissaient à Genève au bord de la tinette du lac
À tout instant des généraux y puisaient à pleins seaux
un liquide gluant comme leur gloire
qu’ils versaient dans la pissotière de leur pays
et chacune criait
Je ne suis donc pas crevée
Briand crevé, de Benjamin Péret
Enfin ce sperme mal bouilli jaillit du bordel maternel
un rameau d’olivier dans le cul
Terrine d’eaux grasses
coiffant le chou-fleur socialiste
qui se frottait les fesses
sur le drapeau français
en pétant
La France est le roi des animaux
le pays des capotes anglaises
Vive la France
et les chiens décorés
du sang des 1 500 000 morts
qui enrichirent des ventres ballonnés
Voilà Monsieur Briand
CHŒUR DES PACIFIQUES COLOMBES MERDEUSES
Enfin il est mort d’avoir léché la merde qui nous recouvre
O merde bénie que n’étais-tu plus grasse et plus sale
pour étouffer plutôt ce sinistre Briand
Colombes pour les sots
nous ne sommes que des vautours
et pissons sabres et goupillons
Les canons de M. Briand ont défoncé notre pauvre petit cul
CHŒUR DES ANGES SODOMISÉS
Jamais nous ne lui pardonnerons de les avoir oubliés là
pour désarmer la France
CHŒUR DES CURETONS
Maintenant qu’il est crevé nous pouvons dire
qu’il était notre frère comme le porc et le rat pesteux
Comme nous il se vautrait dans l’ordure et le fumier
et maintenant qu’il est crevé
nous lui rendons cette ordure avec notre bénédiction
Seigneur bénissez-nous avec le balai des cabinets
comme nous l’avons béni avec du poisson pourri
BRIAND
Certes j’ai bien mérité cet hommage
POINCARÉ
Et moi plus encore
car si tu trembles devant tes cadavres
les miens se réjouissent
Vivent les grands cimetières avec les croix de bois
et vive la prochaine guerre
avec ses ventres ouverts et ses corps écharpés
BRIAND
J’ai bien mérité cet hommage
et la puante patrie reconnaissante
peut être fière de ma charogne
qui n’a pas de sang sur les mains
CHŒUR DES OUVRIERS TRAHIS
Dommage qu’il soit mort trop tôt
notre guillotine n’aurait jamais si bien fonctionné
Heureusement qu’il nous reste des banquiers des généraux
des députés des évêques
La mort Héroïque du Lieutenant Condamine de la Tour, de Benjamin Péret
Depuis sept siècles Condamine de la Tour
les bras en aiguilles de pendule
marquant neuf heures un quart
debout sur son bouc tricolore
commandait ses quatorze homards
Dans sa cervelle percée les brises chantaient
Descendras-tu cochon de vendu
Mais du ciel noir comme le front de ses pères
aucune langouste ne venait secourir ses homards
Seul parfois le bref éclat d’un ongle
l’avertissait que les marmites changeaient de sexe
et que les laitues perdant leurs oreilles
accouraient lui demander le secret de ses poils
Soudain dans l’air barbu
un clou s’enfonça avec un bruit de ténèbres
un clou bleu et vert comme un matin de printemps
2 437 punaises sortirent de son nez
4 628 lampions pénétrèrent dans ses oreilles
Il cria
Moi Condamine de la Tour je cherche des massacres
des enfants dans des souliers de nuages
et le soldat inconnu dans le placard
Mais Jésus a jeté le soldat inconnu dans sa poubelle
et les porcs l’ont mangé
et les Alsaciens ont mangé les porcs
C’est ainsi que tu as grandi Condamine de la Tour
que tu as grandi comme un porc
et le nombril du soldat inconnu est devenu le tien
Mais aujourd’hui Jésus a mis ses pieds sales dans ta gidouille
qui lui sert de sabot
les deux pieds dans le même sabot
C’est pour cela qu’on l’a fait dieu
et que ses curés ont des chaussures
semblables à leur visage
Pourris Condamine de la Tour
Avec tes yeux le pape fera deux hosties
pour ton sergent marocain
et ta queue deviendra son bâton de maréchal
Pourris Condamine de la Tour
Pourris ordure sans os
Je ne mange pas de ce pain-là, de Benjamin Péret
Les trois couleurs au bout du nez
Tendu par un fil de fer barbelé
il affirmait qu’il remontait le moral des troupes
Il est crevé
Asticots jusqu’au bout
Dévorez cette charogne
et que ses os soient les sifflets de la révolution
L’adieu à la patrie, de Luc Durtain
Cet homme fort, carré
Mais voûté, lent, de l’usure au cuir des joues
Et le regard alourdi par la paupière qui pèse,
Incertain dans ses frusques civiles d’il y a cinq ans, trop amples :
Il fait, au sol de la patrie,
Un pas, le dernier…
Et, soudain,
Il s’est rappelé tous ses pas suprêmes :
Celui qu’il fit hors des siens,
Hors de lui-même, hors de la vie,
L’an quatorze, au seuil
De la caserne carrée comme un devoir ;
Celui qu’il fit, mille, vingt mille
Fois de suite, par delà
Le bout de ses forces disjointes,
Jambes inégales, regard manchot,
Reins qu’écrasent les monts du sac
Et poitrine échappée, battante
Comme un oiseau, et bouche ouverte
Comme un poisson noyé dans l’air -à la
Relève du Mort-Homme, à la
Relève des Hurlus, à Tahure ;
Et ce pas tombé dans l’immense flamme
Subite, le choc,
Puis l’obscur qui avait duré des semaines
Et où s’était peu à peu créé l’hôpital –
Ce dernier pas du temps où il fut allègre.
L’homme, aujourd’hui, avance le pied au delà du quai :
Et dans la moitié du pas il y a la France,
Dans l’autre moitié, l’élément
Éternel, infini, la mer.
Ça n’est rien que pour une pêche au large,
Mais c’est la première fois depuis cinq ans
Qu’il quitte son pays, qu’il en est libre…
Il lui semble soudain qu’il part pour toujours.
Voilà. Les maisons du port
Reculent en lui faisant face :
Il est si content qu’il s’en étonne
Qu’elles ne lui tournent pas le dos pour s’en aller plus vite.
Voilà les rochers debout : il leur trouve
De drôles de têtes, fâchées
De le voir partir, des têtes de gendarmes.
– « Vos papiers ? » Il se tâterait presque. Et il rit.
Ah, mais oui, il part !
Il part comme le cri part de la poitrine.
Le coteau, face penchée,
Avec une longue barbe de pins qui descend
Et quatre galons de murs au manteau,
Le regarde comme son commandant qui est mort.
Et ça fait qu’il lui semble que, derrière,
Cette cime qui se détourne, c’est son propre père.
Il part.
Derrière encore, crânes chevelus,
Pelés, ou chauves,
Toutes les têtes des ancêtres.
Elles se montrent l’une après l’autre
Les chaînes de montagnes comme des raisons ;
Elles tiennent ensemble et s’élèvent
Au dessus des apparences, en affirmant.
Mais, peu à peu, tout cela s’abaisse.
Qu’est-ce qui sort de lui ? On dirait
Que les vagues s’échappent de son âme,
Une cataracte de casques bleus
Qui repousse cette terre là-bas, au loin.
Des vagues. Des vagues.
Ça passe. Ça passe.
Et la patrie, là-bas, n’est plus qu’une poutre,
Et la patrie, là-bas, n’est plus qu’un cure-dents.
Et voilà qui viennent du large,
Du ciel, du soleil,
Des milliers, des milliers,
Des mille de millions
De vagues brillantes, diamantées,
Libres, libres comme des lumières.
Elles dansent, elles chantent.
Il leur tend les bras et il pleure.
L’illumination, de Luc Durtain
La grand’route est énormément blanche
Et, vrai, si trop fort, qu’on ne peut
Dire : ça cligne aveugle.
Ça se troue, puis se dresse blanc.
À droite, à gauche, l’Avril terrible :
Amandiers, oliviers, près, pins,
Cailloux, blés verts, figuiers et roches.
Ça tressaille en l’œil comme, au fond
D’un crible, les couleurs des graines.
Les lignes, les idées se raturent :
Pourtant, c’est coulé d’un seul bloc,
Et même, tout de même, si l’on regarde,
C’est net et finement dessiné.
Cet homme en capote horizon
Dont sur la route la face semble noire,
Noire comme ses dents, noire comme son rire,
Cet homme qui rentre chez lui, lentement,
Traînant la mémoire du frère tué,
De la femme partie et deux jambes
Plus vieilles que lui, d’âge inégal
(La plus moche, c’est la sciatique d’Ypres,
La moins pire, celle du shrapnell de Reims),
Cet homme, ébloui tristement,
Se rappelle soudain comme en rêve…
Est-ce qu’il n’a pas déjà connu cela :
Une route dans un vertige
Perpétuel et un soleil,
Deux, trois, quatre, cinq soleils des années
Qui s’ajoutent au dos sur le sac ?
Des deux côtés, haut comme la jambe,
Un mur que l’on pourrait sauter
Mais qui vous a, comme une prison.
Et, des deux parts, le monde splendide,
Foisonnant, et plein, et précis,
L’immense monde gaillard qui s’en fiche ?…
Comme la fatigue, la chaleur,
La lumière réveillent ses longues fièvres,
Il trouve tout à coup bien simples
Les cinq années qu’il vient de vivre,
Et comprend soudain parfaitement
Ce qu’il faut être fou pour comprendre.
Tu vas te battre, de Marcel Martinet
Tu vas te battre.
Quittant
L’atelier, le bureau, le chantier, l’usine,
Quittant, paysan,
La charrue, soc en l’air, dans le sillon,
La moisson sur pied, les grappes sur les ceps,
Et les bœufs vers toi beuglant du fond du pré,
Employé, quittant les madames,
Leurs gants, leurs flacons, leurs jupons,
Leurs insolences, leurs belles façons,
Quittant ton si charmant sourire,
Mineur, quittant la mine
Où tu craches tes poumons
En noire salive,
Verrier, quittant la fournaise
Qui guettait tes yeux fous,
Et toi, soldat, quittant la caserne, soldat,
Et la cour bête où l’on paresse,
Et la vie bête où l’on apprend
À bien oublier son métier,
Quittant la rue des bastringues,
La cantine et les fillasses,
Tu vas te battre.
Tu vas te battre ?
Tu quittes ta livrée, tu quittes ta misère,
Tu quittes l’outil complice du maître ?
Tu vas te battre ?
Contre ce beau fils ton bourgeois
Qui vient te voir dans ton terrier,
Garçon de charrue, métayer,
Et qui te donne des conseils
En faisant à son rejeton
Un petit cours de charité ?
Contre le monsieur et la dame
Qui payait ton charmant sourire
De vendeur à cent francs par mois
En payant les robes soldées
Qu’on fabrique dans les mansardes ?
Contre l’actionnaire de mines
Et contre le patron verrier ?
Contre le jeune homme en smoking
Né pour insulter les garçons
Des cabinets particuliers
Et se saouler avec tes filles,
En buvant ton vin, vigneron,
Dans ton verre, ouvrier verrier ?
Contre ceux qui dans leurs casernes
Te dressèrent à protéger
Leurs peaux et leurs propriétés
Des maigres ombres de révolte
Que dans la mine ou l’atelier
Ou le chantier auraient tentées
Tes frères, tes frères, ouvrier ?
Pauvre, tu vas te battre ?
Contre les riches, contre les maîtres,
Contre ceux qui mangent ta part,
Contre ceux qui mangent ta vie,
Contre les bien nourris qui mangent
La part et la vie de tes fils,
Contre ceux qui ont des autos,
Et des larbins et des châteaux,
Des autos de leur boue éclaboussant ta blouse,
Des châteaux qu’à travers leurs grilles tu admires,
Des larbins ricanant devant ton bourgeron,
Tu vas te battre pour ton pain,
Pour ta pensée et pour ton cœur,
Pour tes petits, pour leur maman,
Contre ceux qui t’ont dépouillé
Et contre ceux qui t’ont raillé
Et contre ceux qui t’ont souillé
De leur pitié, de leur injure,
Pauvre courbé, pauvre déchu,
Pauvre insurgé, tu vas te battre
Contre ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Ce cœur de résigné et ce cœur de vaincu… ?
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec ceux qui t’ont fait une âme de misère,
Avec le riche, avec le maître,
Avec ceux qui t’ayant fusillé dans tes grèves
T’ont rationné ton salaire,
Pour ceux qui t’ont construit autour de leurs usines
Des temples et des assommoirs
Et qui ont fait pleurer devant le buffet vide
Ta femme et vos petits sans pain,
Pour que ceux qui t’ont fait une âme de misère
Restent seuls à vivre de toi
Et pour que leurs grands cœurs ne soient point assombris
Par les larmes de leur patrie,
Pour te bien enivrer de l’oubli de toi-même,
Pauvre, paysan, ouvrier,
Avec le riche, avec le maître,
Contre les dépouillés, contre les asservis,
Contre ton frère, contre toi-même,
Tu vas te battre, tu vas te battre !
Va donc !
Dans vos congrès vous vous serriez les mains,
Camarades. Un seul sang coulait dans un seul corps.
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous étiez là ; le peuple entier des travailleurs
Était là ; le vieux monde oppresseur et barbare
Sentant déjà sur soi peser vos mains unies,
Frémissait, entendant obscurément monter
Sous ses iniquités et sous ses tyrannies
Les voix de la justice et de la liberté,
Hier.
Constructeurs de cités, âmes libres et fières,
Cœurs francs, vous étiez là, frères d’armes, debout,
Et confondus devant un ennemi commun,
Hier.
Et aujourd’hui ? Aujourd’hui comme hier
Berlin, Londres, Paris, Vienne, Moscou, Bruxelles,
Vous êtes là ; le peuple entier des travailleurs
Est là. Il est bien là, le peuple des esclaves,
Le peuple des hâbleurs et des frères parjures.
Ces mains que tu serrais,
Elles tiennent bien des fusils,
Des lances, des sabres,
Elles manœuvrent des canons,
Des obusiers, des mitrailleuses,
Contre toi ;
Et toi, toi aussi, tu as des mitrailleuses,
Toi aussi tu as un bon fusil,
Contre ton frère.
Travaille, travailleur.
Fondeur du Creusot, devant toi
Il y a un fondeur d’Essen,
Tue-le.
Mineur de Saxe, devant toi
Il y a un mineur de Lens,
Tue-le.
Docker du Havre, devant toi
Il y a un docker de Brême,
Tue et tue, tue-le, tuez-vous,
Travaille, travailleur.
Oh ! Regarde tes mains.
Ô pauvre, ouvrier, paysan,
Regarde tes lourdes mains noires,
De tous tes yeux, usés, rougis,
Regarde tes filles, leurs joues blêmes,
Regarde tes fils, leurs bras maigres,
Regarde leurs cœurs avilis,
Et ta vieille compagne, regarde son visage,
Celui de vos vingt ans,
Et son corps misérable et son âme flétrie,
Et ceci encor, devant toi,
Regarde la fosse commune,
Tes compagnons, tes père et mère…
Et maintenant, et maintenant,
Va te battre.
Malédiction, de Henri Guilbeaux
Prompt, souple, audacieux, sur la grande cité vogue un aéroplane,
par-dessus les rues populeuses ronronne son moteur téméraire,
et curieuse et guouailleuse, le contemple et l’interroge la foule.
Tout à coup sans qu’on la voie et telle une pomme d’automne détachée de l’arbre choit une bombe ;
elle s’écrase, éclate et coule son suc destructeur :
bruit sourd -bris sec de vitres- sifflement aigre du bois qui s’arrache.
Prompt, souple, audacieux et calme, sur la cité vogue un aéroplane.
A tous les carrefours se conglomère et gesticule la foule.
Comme des épis qu’impérieusement dresse le vent se haussent les têtes,
Tout à coup exclamations, cris, gémissements : un vieillard, une femme, un enfant chancellent.
D’un mur qui se crevasse, s’effritent et s’éparpillent des fragments de pierre.
la foule murmure et arc-boute de courroucés et menaçants bras.
Oiseaux guerriers, vous précipitez dans l’air le désastre et la ruine ;
les hommes inoffensifs, vous les triturez par la poudre et le feu
ne soyez pas maudits ; mais maudite soit la guerre, maudits ceux qui l’ont propulsée ;
honnis soient tous les vils et sournois préparateurs de la catastrophe.
Et les escadrilles d’avions qui là-bas irradient l’incendie et le meurtre !
Et la flotille aventureuse de dirigeables coupant les vagues de l’air et versant nuitamment des bombes !
O science violée abominablement et sans remords par les hommes !
O science souillée et corrompue par les artisans des atroces massacres !
O science chassée des laboratoires et menée avec brutalité sur les champs de bataille,
comme une vierge douce et tendre livrée à une section de soldats saoûls.
O science pareille à la femme superbe et irrésistible devenue instrument de crime !
Œuvrez avec patience, cherchez, inventez encore, savants, physiciens et chimistes ;
votre labeur n’enfante pas le bien de l’humanité, mais sa scientifique et honteuse extermination.
A la guerre sont tyranniquement soumis votre jeune et forte science et votre zèle alerte.
Aviateurs français, allemands, marins de l’air,
ne soyez pas maudits ! mais que soient anathémisés-lâchement abrités-les ordonnateurs du saccage !
Et vous qui avec violence discourez sur la barbarie et la férocité-ô pharisiens,
ô pharisiens, rappelez-vous les crimes de Fourmies, de Narbonne et de Villeneuve-Saint-Georges,
évoquez, à cette heure, les exécrables forfaits qu’accomplirent gouvernants et capitalistes ;
remémorez-vous les charges et les massacres,
la dure et ignominieuse immolation de ceux qui crurent un jour à vos lois !
qu’on relate sans nulle omission les plus récentes expéditions coloniales,
et que sur votre vaste écran soient projetées les inouïes atrocités marocaines.
Que sans nulle exception, ils soient honnis, ils soient maudits !
ils soient maudits tous ceux qui ordonnent tuerie, massacre et destructions,
les oppresseurs de l’humanité trop longtemps tolérés !
Eloignement, de Marcel Sauvage
La nuit craque, éclate.
Déjà cicatrisée, la nuit.
Mais lui
Sa tête ouverte, son front qui baille
Et ses hoquets.
Il nous fallait
Courir, marcher encore, aller jusqu’au bout.
La boue glissait entre nos pieds.
Les longs et froids serpents de la boue
Entre nos pieds.
Je suis revenu quatre fois.
Il n’était pas mort. Il respirait
Gémissait comme un enfant
Vomissait du cerveau sur le guéret.
A tâtons, j’ai pris ses papiers collés de sang.
Quand je me suis penché la dernière fois
Sur sa tête éventrée
C’était la mer, il m’a semblé
La mer obscure que j’entendais
Qui se plaignait, douce et lointaine
Comme éternelle au fond des coquilles désertes.
Au grand nombre, de Pierre Jean Jouve
À toi qui viens vers le blessé,
Qui poses le canon du revolver entre ses yeux,
Et tires ;
À toi qui fusilles ton ami
Sans vouloir le reconnaître ;
À toi qui fais sauter la tête au soldat de garde endormi ;
À toi qui lances dans l’air la bombe anonyme ;
À toi qui nettoies la tranchée,
Ô ivre,
Tournant et retournant le couteau
Afin que ce ne soit bien lavé de sang vivant,
Afin qu’il n’y ait plus une seule prière vivante ;
À toi, soldat de tous pays,
À toi, professeur
Qui écris – les mots empoisonnés comme des plaies,
Les mots de fausseté, d’ordure et de sang qui coule ;
À toi, prostituée derrière les batailles
Qui baises les cadavres de demain, et pourris ceux qui reviennent de la mort ;
À toi, prostitué, riche et maître banquier,
Pour qui précisément sont tuées cette nuit cent mille jeunes vies ;
À toi, gouvernant hilare, aux mains pleines
D’ambitions, de lâchetés et d’argent sale,
Ô Bête couverte d’honneurs !
(Te voilà dans le crime jusqu’aux yeux ; le crime emplit la terre et l’esprit ; le crime est dieu ;
Tiens-toi ferme au milieu de la houle et ferme les yeux sur les morts,
Sur ceux-là qui sont véritablement tes morts ;
Que le crime soit toujours plus grand, que le peuple soit toujours plus malade,
Que le crime soit implacable -comme une peste ou le glissement d’un mont ;
Qu’il détruise en dix années l’ouvrage de centaines d’années,
Et puisses-tu sauver tes os, ô gouvernant, dans la tourmente !)
À vous tous,
Je ne vous jette pas une pierre de haine ;
Je vous contemple avec des yeux clairs, car le doute n’est pas pour mon coeur un étranger ;
J’attire sur vous tous une lumière inhabituelle.
J’ai de vous tristesse et humanité -quand bien même vous me haïriez,
– Et vous me haïssez, je le sais,
Je marcherai demain en tête des victimes.
Ô vous tous,
Je sens que si je ne vous aime point -par quelque voie détournée,
Il me manque le plus précieux ;
La vie me manque et n’est-ce pas le plus précieux ?
Je sens que si je ne fonde pas, sur vous aussi,
La grande cité des divins compagnons,
La grande cité du monde ne sera jamais fondée.
Et le malheur, et l’esclavage, et la mort continueront comme par le passé.
Chant d’un fantassin, de Charles Vildrac
Je voudrais être un vieillard
Que j’ai vu sur une route ;
Assis par terre au soleil
Il cassait des cailloux blancs
Entre ses jambes ouvertes.
On ne lui demandait rien
Que son travail solitaire.
Quand midi flambait les blés,
Il mangeait son pain à l’ombre,
Je connais dans un ravin
Obstrué par les feuillages
Une carrière ignorée
Où nul sentier ne conduit.
La lumière y est furtive
Et aussi la douce pluie ;
Et un seul oiseau parfois
Interroge le silence.
C’est une blessure ancienne,
Étroite, courbe et profonde
Oubliée même du ciel ;
Sous la viorne et sous la ronce
J’y voudrais vivre blotti.
Je voudrais être l’aveugle
Sous le porche de l’église :
Dans sa nuit sonore il chante !
Il accueille tout entier
Le temps qui circule en lui
Comme un air pur sous des voûtes.
Car il est l’heureuse épave
Tirée hors du morne fleuve
Qui ne peut plus la rouler
Dans sa haine et dans sa fange.
Je voudrais avoir été
Le premier soldat tombé
Le premier jour de la guerre.
La mère fait du tricot, le fils fait la guerre, de Jacques Prévert
La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires
Sa femme fait du tricot
Son fils la guerre
Lui des affaires
Il trouve ça tout naturel le père
Et le fils et le fils
Qu’est-ce qu’il trouve le fils ?
Il ne trouve rien absolument rien le fils
Le fils sa mère fait du tricot son père fait des affaires lui la guerre
Quand il aura fini la guerre
Il fera des affaires avec son père
La guerre continue la mère continue elle tricote
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.
A tous les enfants, de Boris Vian
A tous les enfants qui sont partis le sac à dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
A tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé,
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
qui va tomber
.
Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud, sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent et comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des larmes de honte et de boue.
Messages
1. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 8 mars 2018, 07:00
Calligrammes (1918) de Guillaume Apollinaire :
La Colombe poignardée et le jet d’eau
Douces figures poignardées chères lèvres fleuries
Mya Mareye
Yette et Lorie
Annie et toi Marie
Où êtes-vous ô jeunes filles
Mais près d’un jet d’eau qui pleure et qui prie
Cette colombe s’extasie
Tous les souvenirs de naguère
Ô mes amis partis en guerre
Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l’eau dormant
Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob
Derain aux yeux gris comme l’aube
Où sont Raynal Billy Dalize
Dont les noms se mélancolisent
Comme des pas dans une église
Où est Cremnitz qui s’engagea
Peut-être sont-ils morts déjà
De souvenirs mon âme est pleine
Le jet d’eau pleure sur ma peine.
Ceux qui sont partis à la guerre
au Nord se battent maintenant
Le soir tombe ô sanglante mer
Jardins où saignent abondamment
le laurier rose fleur guerrière.
2. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 8 mars 2018, 07:01
Calligrammes (1918) de Guillaume Apollinaire :
C’est Lou qu’on la nommait
Il est des loups de toute sorte
Je connais le plus inhumain
Mon cœur que le diable l’emporte
Et qu’il le dépose à sa porte
N’est plus qu’un jouet dans sa main
Les loups jadis étaient fidèles
Comme sont les petits toutous
Et les soldats amants des belles
Galamment en souvenir d’elles
Ainsi que les loups étaient doux
Mais aujourd’hui les temps sont pires
Les loups sont tigres devenus
Et les Soldats et les Empires
Les Césars devenus Vampires
Sont aussi cruels que Vénus
J’en ai pris mon parti Rouveyre
Et monté sur mon grand cheval
Je vais bientôt partir en guerre
Sans pitié chaste et l’œil sévère
Comme ces guerriers qu’Épinal
Vendait Images populaires
Que Georgin gravait dans le bois
Où sont-ils ces beaux militaires
Soldats passés Où sont les guerres
Où sont les guerres d’autrefois
3. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 8 mars 2018, 07:01
Calligrammes (1918) de Guillaume Apollinaire :
14 juin 1915
On ne peut rien dire
Rien de ce qui se passe
Mais on change de Secteur
Ah ! voyageur égaré
Pas de lettres
Mais l’espoir
Mais un journal
Le glaive antique de la Marseillaise de Rude
S’est changé en constellation
Il combat pour nous au ciel
Mais cela signifie surtout
Qu’il faut être de ce temps
Pas de glaive antique
Pas de Glaive
Mais l’Espoir
4. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 8 mars 2018, 07:03
Le Devoir et l’Inquiétude (1917) de Paul Éluard :
Fidèle
Vivant dans un village calme
D’où la route part longue et dure
Pour un lieu de sang et de larmes
Nous sommes purs.
Les nuits sont chaudes et tranquilles
Et nous gardons aux amoureuses
Cette fidélité précieuse
Entre toutes : l’espoir de vivre.
Paris si gai !
C’est la guerre ! Rien n’est plus dur que la guerre l’hiver !
Je suis très sale (chez nous on ne marche pas sur le trottoir, ni dans la rue) mais quelle joie de venir ici se prélasser !
La ville est toujours ardente. Au cinéma, les gosses sifflent la Dame aux Camélias.
Et nous, nous demandons déjà à ceux qui traversent la ville pour aller ailleurs s’ils cherchent des diamants avec une charrue.
Notre mort
I
On nous enseigne trop la patience, la prudence — et que pouvons mourir.
Mourir, surpris par la plus furtive des lumières, la mort brusque.
« Moi, dans la Belle au bois dormant ! » railles-tu, nous faisant rire.
II
Je connais tous les chants des oiseaux.
Nous avons crié gaiement : « Nous allons à la guerre ! » aux gens qui le savaient bien.
Et nous la connaissions !
Oh ! le bruit terrible que mène la guerre parmi le monde et autour de nous ! Oh ! le bruit terrible de la guerre !
Cet obus qui fait la roue,
la mitrailleuse, comme une personne qui bégaie,
et ce rat que tu assommes d’un coup de fusil !
5. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 8 mars 2018, 07:03
ET MERDE AUX FAUTEURS DE GUERRE D’HIER, D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN !!!!}
6. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:36
Si je mourais là-bas
Apollinaire
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
* * *
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
* * *
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
* * *
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
* * *
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
– Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur –
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
* * *
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janv. 1915, Nîmes.
Guillaume Apollinaire - Poèmes à Lou
7. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:37
Mes lèvres crachent la haine
Et mon Etre frémit de tant d’ignominie
Je vous insulte vous qui faites les guerres
Et enfoncez vos lames de fer
Dans les corps des frères
Et je tremble sur le bûcher de mon ignorance
Ma colère rentrée
Les poings serrés
Je rejoins blême
Les encore vivants
source
8. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:38
Jacques Prévert :
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Le crépuscule est lâché sur le ciel des hommes,
Que n’arrêtera jamais le plus beau des psaumes.
Sous l’azur éteint, les cris et la déraison,
L’oiseau aveuglé cherche la belle saison,
Le creux d’un olivier et sa tunique verte,
Près d’une femme obstinée, ses paumes ouvertes.
Mais les ombres crucifient le rêve et l’envie,
Dans les sillons naufragés, du sang est servi.
Quand tiennent le haut du pavé les gens de guerre,
Nous, peuples soumis, nous leur offrons notre terre.
Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre
Le président Poincaré rigolait dans les cimetières
Oh ! Pas aux éclats naturellement
Un petit rire discret
Un petit gloussement
Un rire d’homme du monde
Un joyeux rire d’outre-tombe
La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires [...]
Et le fils et le fils
Il ne trouve absolument rien le fils [...]
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça tout naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.
9. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:39
Jacques Prévert :
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Le crépuscule est lâché sur le ciel des hommes,
Que n’arrêtera jamais le plus beau des psaumes.
Sous l’azur éteint, les cris et la déraison,
L’oiseau aveuglé cherche la belle saison,
Le creux d’un olivier et sa tunique verte,
Près d’une femme obstinée, ses paumes ouvertes.
Mais les ombres crucifient le rêve et l’envie,
Dans les sillons naufragés, du sang est servi.
Quand tiennent le haut du pavé les gens de guerre,
Nous, peuples soumis, nous leur offrons notre terre.
Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre
Le président Poincaré rigolait dans les cimetières
Oh ! Pas aux éclats naturellement
Un petit rire discret
Un petit gloussement
Un rire d’homme du monde
Un joyeux rire d’outre-tombe
La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?
Il fait des affaires [...]
Et le fils et le fils
Il ne trouve absolument rien le fils [...]
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça tout naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière.
10. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:40
La chanson des soldats à Craonne :
« C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme
C’est à Craonne, sur le plateau
Qu’il faut laisser notre peau
Ceux qui ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini car les troufions
Vont se mettre en grève
Ce sera votre tour, messieurs les gros
De monter sur l’plateau
Car si vous voulez la guerre
Payez-la de votre peau. »
11. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 11 mars 2018, 07:42, par R.P.
Il ne faut pas oublier qu’il y a eu les « poètes-cochons », ceux qui soutiennent les nationalisme guerrier, ceux qui camouflent derrière de belles paroles patriotardes les vrais buts de guerre des classes possédantes, caressent les canons avec amour et soutiennent les tueurs avec frénésie, ceux qui trouvent que la guerre est grande, belle et héroïque, ah les salauds : lire ici
12. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:32
Chant de l’horizon en Champagne
À M. Joseph Granié.
Voici le tétin rose de l’euphorbe verruquée
Voici le nez des soldats invisibles
Moi l’horizon invisible je chante
Que les civils et les femmes écoutent ces chansons
Et voici d’abord la cantilène du brancardier blessé
*
Le sol est blanc la nuit l’azure
Saigne la crucifixion
Tandis que saigne la blessure
Du soldat de Promission
*
Un chien jappait l’obus miaule
La lueur muette a jailli
À savoir si la guerre est drôle
Les masques n’ont pas tressailli
*
Mais quel fou rire sous le masque
Blancheur éternelle d’ici
Où la colombe porte un casque
Et l’acier s’envole aussi
*
Je suis seul sur le champ de bataille
Je suis la tranchée blanche le bois vert et roux
L’obus miaule
Je te tuerai
Animez-vous fantassins à passepoil jaune
Grands artilleurs roux comme des taupes
*
Bleu-de-roi comme les golfes méditerranéens
Veloutés de toutes les nuances du velours
Ou mauves encore ou bleu-horizon comme les autres
Ou déteints
Venez le pot en tête
Debout fusée éclairante
Danse grenadier en agitant tes pommes de pin
Alidades des triangles de visée pointez-vous sur les lueurs
Creusez des trous enfants de 20 ans creusez des trous
Sculptez les profondeurs
Envolez-vous essaims des avions blonds ainsi que les avettes
Moi l’horizon je fais la roue comme un grand Paon
Écoutez renaître les oracles qui avaient cessé
Le grand Pan est ressuscité
*
Champagne viril qui émoustille la Champagne
Hommes faits jeunes gens
Caméléon des autos-canons
Et vous classe 16
Craquements des arrivées ou bien floraison blanche dans les cieux
J’était content pourtant ça brûlait la paupière
Les officiers captifs voulaient cacher leurs noms
OEil du Breton blessé couché sur la civière
Et qui criait aux morts aux sapins aux canons
Priez pour moi Bon Dieu je suis le pauvre Pierre
*
Boyaux et rumeur du canon
Sur cette mer aux blanches vagues
Fou stoïque comme Zénon
Pilote du coeur tu zigzagues
*
Petites forêts de sapins
La nichée attend la becquée
Pointe-t-il des nez de lapins
Comme l’euphorbe verruquée
*
Ainsi que l’euphorbe d’ici
Le soleil à peine boutonne
Je l’adore comme un Parsi
Ce tout petit soleil d’automne
*
Un fantassin presque un enfant
Bleu comme le jour qui s’écoule
Beau comme mon coeur triomphant
Disait en mettant sa cagoule
*
Tandis que nous n’y sommes pas
Que de filles deviennent belles
Voici l’hiver et pas à pas
Leur beauté s’éloignera d’elles
*
Ô Lueurs soudaines des tirs
Cette beauté que j’imagine
Faute d’avoir des souvenirs
Tire de vous son origine
*
Car elle n’est rien que l’ardeur
De la bataille violente
Et de la terrible lueur
Il s’est fait une muse ardente
*
Il regarde longtemps l’horizon
Couteaux tonneaux d’eaux
Des lanternes allumées se sont croisées
Moi l’horizon je combattrai pour la victoire
*
Je suis l’invisible qui ne peut disparaître
Je suis comme l’onde
Allons ouvrez les écluses que je me précipite et renverse tout
Guillaume Apollinaire
13. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:32
L’ADIEU DU CAVALIER
Ah Dieu ! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs
Cette bague je l’ai polie
Le vent se mêle à vos soupirs
*
Adieu ! voici le boute-selle
Il disparut dans un tournant
Et mourut là-bas tandis qu’elle
Riait au destin surprenant
Guillaume Apollinaire
14. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:33
Calligrammes d’Apollinaire :
CHANT DE L’HONNEUR
LE POETE
Je me souviens ce soir de ce drame indien
Le Chariot d’Enfant un voleur y survient
Qui pense avant de faire un trou dans la muraille
Quelle forme il convient de donner à l’entaille
Afin que la beauté ne perde pas ses droits
Même au moment d’un crime
Et nous aurions je crois
À l’instant de périr nous poètes nous hommes
Un souci de même ordre à la guerre où nous sommes
*
Mais ici comme ailleurs je le sais la beauté
N’est la plupart du temps que la simplicité
Et combien j’en ai vu qui morts dans la tranchée
Étaient restés debout et la tête penchée
S’appuyant simplement contre le parapet
*
J’en vis quatre une fois qu’un même obus frappait
Ils restèrent longtemps ainsi morts et très crânes
Avec l’aspect penché de quatre tours pisanes
*
Depuis dix jours au fond d’un couloir trop étroit
Dans les éboulements et la boue et le froid
Parmi la chair qui souffre et dans la pourriture
Anxieux nous gardons la route de Tahure
*
J’ai plus que les trois cœurs des poulpes pour souffrir
Vos cœurs sont tous en moi je sens chaque blessure
Ô mes soldats souffrants ô blessés à mourir
*
Cette nuit est si belle où la balle roucoule
Tout un fleuve d’obus sur nos têtes s’écoule
Parfois une fusée illumine la nuit
C’est une fleur qui s’ouvre et puis s’évanouit
La terre se lamente et comme une marée
Monte le flot chantant dans mon abri de craie
Séjour de l’insomnie incertaine maison
De l’Alerte la Mort et la Démangeaison
LA TRANCHEE
Ô jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord
LES BALLES
De nos ruches d’acier sortons à tire-d’aile
Abeilles le butin qui sanglant emmielle
Les doux rayons d’un jour qui toujours renouvelle
Provient de ce jardin exquis l’humanité
Aux fleurs d’intelligence à parfum de beauté
LE POETE
Le Christ n’est donc venu qu’en vain parmi les hommes
Si des fleuves de sang limitent les royaumes
Et même de l’Amour on sait la cruauté
C’est pourquoi faut au moins penser à la Beauté
Seule chose ici-bas qui jamais n’est mauvaise
Elle porte cent noms dans la langue française
Grâce Vertu Courage Honneur et ce n’est là
Que la même Beauté
LA FRANCE
Poète honore-la
Souci de la Beauté non souci de la Gloire
Mais la Perfection n’est-ce pas la Victoire
LE POETE
Ô poètes des temps à venir ô chanteurs
Je chante la beauté de toutes nos douleurs
J’en ai saisi des traits mais vous saurez bien mieux
Donner un sens sublime aux gestes glorieux
Et fixer la grandeur de ces trépas pieux
*
L’un qui détend son corps en jetant des grenades
L’ autre ardent à tirer nourrit les fusillades
L’autre les bras ballants porte des seaux de vin
Et le prêtre-soldat dit le secret divin
*
J’interprète pour tous la douceur des trois notes
Que lance un loriot canon quand tu sanglotes
*
Qui donc saura jamais que de fois j’ai pleuré
Ma génération sur ton trépas sacré
*
Prends mes vers ô ma France Avenir Multitude
Chantez ce que je chante un chant pur le prélude
Des chants sacrés que la beauté de notre temps
Saura vous inspirer plus purs plus éclatants
Que ceux que je m’efforce à moduler ce soir
En l’honneur de l’Honneur la beauté du Devoir
17 décembre 1915
15. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:34
Les poilus contre la boucherie guerrière de 1914-1918 :
lire ici
16. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:38
Les Martyrs
Vous qui dites : "Mourir, c’est le sort le plus beau"
Et qui, sans le connaître exaltez le tombeau,
Venez voir de plus près, dans ses affres fidèle,
Cette mort du soldat qui vous semble si belle.
* * *
Vingt hommes à la file, au fond d’une tranchée,
Coltineurs d’explosifs sur leur tête penchée.
Tout à coup, c’est la mort qui passe : un tremblement,
Un souffle rauque, un jet de flamme. En un moment
Les soldats ont fondu dans la rouge fumée,
Et la terre en sautant sur eux s’est refermée.
Quand le brouillard puant s’est enfin dégagé,
Le néant : aux débris du boyau mélangés
Des parcelles de chair et des bouts de capote,
Un bras nu, une main crispée sur une motte,
Des cheveux arrachés, de la boue et du sang.
On retrouverait d’eux, en les réunissant,
Morceau de chair salie, de cervelle ou de moëlle
De quoi remplir à peine une moitié de toile.
* * *
Et cet autre ? Le soir, de veille à son créneau,
Il s’est laissé surprendre au moment d’un assaut
Par les lance-flamme d’une attaque hardie.
Echevelé de pourpre et vivant incendie
Il court, mais de ses mains qui flambent peu à peu
Cherche en vain d’arracher ses vêtements en feu.
Il se tord comme un fer rouge dans une forge ;
Des cris terrifiants rissolent dans sa gorge
Qui vont épouvanter les veilleurs dans la nuit.
Il court sans savoir où, mais son bûcher le suit.
La flamme, plus puissante, enfin, qui le terrasse,
Jette sur le sol cuit la flambante carcasse.
Une étouffante odeur monte, de cuir grillé.
Ce n’est plus qu’un débris tout recroquevillé.
Et ce qui fut un homme à la pensée divine
En rougeoyants charbons lentement se calcine,
Laissant, en souvenir de son destin fatal,
Un tas de cendre où luit un fragment de métal.
* * *
Et les autres, les millions d’autres, le dirai-je ?
A quoi bon évoquer leur funèbre cortège,
Et leur face tendue, et leurs gestes déments,
Les hommes aplatis sous les effondrements,
Les enterrés tout vifs dans les abris qui croulent,
Les fantassins fauchés par les balles en houle,
Les asphyxiés, les écrasés, les massacrés,
Les malades crachant leurs poumons déchirés,
Spectres dont le bacille épuise la poitrine,
Ceux qui mettent des mois à mourir dans leur ruine.
A quoi bon ! Ils sont trop, on ne les connaît plus.
Un monument, les mots exaltant leurs vertus,
Des fleurs et des drapeaux joyeux ! O morts de France,
N’est-ce pas qu’il ne faut qu’un douloureux silence,
A ceux dont la jeunesse a peuplé les tombeaux ?
Que le sort des martyrs n’est pas tellement beau ?...
Henry Jacques
La symphonie héroïque
17. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:39
Maudis les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre
... Un vieil homme pleure dans sa vigne.
Il avait deux gars. - Ils sont morts,
Morts à vingt ans et de la guerre
Plus de joie pour lui seul l’esseulé ...
*****
Vide le nid et ses petits tués
Pendant le temps qu’il répétait
Tous ces mots creux mais bien sonores :
Gloire, tenacité et autres fariboles.
*****
C’est ton tourment, ces mots impies
Que des bavards perchés au loin
T’avaient soufflés
C’est du poison dans ton vieux coeur.
*****
Tes gars sont morts ! - Pleure sur eux.
Pleure sur toi et plains leur mère
Et puis maudis... maudis... maudis
Les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre.
Lucien Jacques (La pâque dans la grange)
18. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:40
... Redis-lui le grand cri de tous ces morts sans nom
Qui, sourds aux verbales chimères,
N’évoquaient, ô Patrie, ô fureur du canon
Que le pauvre front des mères
... Dis-lui que nous fûmes grands, peut-être ; mais dis bien
Que nous étions sans voix et pâles
Lorsque le vent hurlait à la mort, comme un chien
Et que nous avions peur des râles.
Et qu’il nous descendait de tragiques dégoûts
Au fond de l’âme haletante
A voir porter, la nuit, vers de sommaires trous,
Des morts dans leur toile de tente...
Alexis Danan ( 7 avril 1917)
19. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 12 mars 2018, 14:43
Les obus (extrait de : Les croix de bois, Roland Dorgelès) :
« Un souffle encore piqua sur nous... Je m’étais ramassé, la tête dans les genoux, le corps en boule, les dents serrées. Le visage contracté, les yeux plissés à être mi-clos, j’attendais... Les obus se suivaient, précipités, mais on ne les entendait pas, c’était trop près, c’était trop fort. A chaque coup, le coeur décroché fait un bond, la tête, les entrailles, tout saute. On se voudrait petit, plus petit encore, chaque partie de soi-même effraie, les membres se rétractent, la tête bourdonnante et vide veut s’enfoncer, on a peur enfin, atrocement peur... Sous cette mort tonnante, on n’est plus qu’un tas qui tremble, une oreille qui guette, un coeur qui craint... »
20. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 13 mars 2018, 05:55
Le cheval orphelin et la guerre
de Jacques Prévert
Braves gens écoutez ma complainte
Écoutez l’histoire de ma vie
C’est un orphelin qui vous parle
Qui vous raconte ses petits ennuis
Hue donc...
* * * *
Un jour un général
Ou bien c’était une nuit
Un général eu donc
Deux chevaux tués sous lui.
Ces deux chevaux c’étaient
Hue donc...
* * * *
Que la vie est amère
C’étaient mon pauvre père
Et puis ma pauvre mère
Qui c’étaient cachés sous le lit
Sous le lit du général qui
Qui s’était caché à l’arrière
Dans une petite ville du Midi.
Le général parlait
Parlait tout seul la nuit
Parlait en général de ses petits ennuis
Et c’est comme ça que mon père
Et c’est comme ça que ma mère
Hue donc...
* * * *
Une nuit donc morts d’ennui.
Pour moi la vie de famille était déjà finie
Sortant de la table de nuit
Au grand galop je m’enfuis
Je m’enfuis vers la grande ville
Où tout brille et tout luit
En moto j’arrive à Sabi en Paro
Excusez moi je parle cheval
Un matin j’arrive à Paris en sabots
Je demande à voir le lion
Le roi des animaux
Je reçois un coup de brancard
Sur le coin du naseau
Car il y avait la guerre
La guerre qui continuait
On me colle des oeillères
Me v’là mobilisé
Et comme il y avait la guerre
La guerre qui continuait
La vie devenait chère
Les vivres diminuaient
Et plus il diminuaient
Plus les gens me regardaient
Avec un drôle de regard
Et les dents qui claquaient.
Ils m’appelaient beefsteak
Je croyais que c’était de l’anglais
Hue donc...
* * * *
Tous ceux qu’étaient vivants
Et qui me caressaient
Attendaient que j’sois mort
Pour pouvoir me bouffer.
Une nuit dans l’écurie
Une nuit où je dormais
J’entends un drôle de bruit
Une voix que je connais
C’était le vieux général
Le vieux général qui revenait
Qui revenait comme un revenant
Avec un vieux commandant
Et ils croyaient que je dormais
Et ils parlaient très doucement.
Assez assez de riz à l’eau
Nous voulons manger de l’animau
* * * *
Y’a qu’à lui mettre dans son avoine
Des aiguilles de phono.
Alors mon sang ne fit qu’un tour
Comme un tour de chevaux de bois
Et sortant de l’écurie
Je m’enfuis dans les bois.
* * * *
Maintenant la guerre est finie
Et le vieux général est mort
Est mort dans son lit
Mort de sa belle mort
Mais moi je suis vivant et c’est le principal
Bonsoir
Bonne nuit
Bon appétit mon général.
21. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 27 septembre 2018, 06:53
Maudis les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre
Un vieil homme pleure dans sa vigne.
Il avait deux gars. - Ils sont morts,
Morts à vingt ans et de la guerre
Plus de joie pour lui seul l’esseulé ...
Vide le nid et ses petits tués
Pendant le temps qu’il répétait
Tous ces mots creux mais bien sonores :
Gloire, tenacité et autres fariboles.
C’est ton tourment, ces mots impies
Que des bavards perchés au loin
T’avaient soufflés
C’est du poison dans ton vieux coeur.
Tes gars sont morts ! - Pleure sur eux.
Pleure sur toi et plains leur mère
Et puis maudis... maudis... maudis...
Les corbeaux de malheur qui chantaient la guerre.
Lucien Jacques (La pâque dans la grange)
22. Poésies sur la Première Guerre Mondiale , 28 septembre 2018, 06:53
Et les poésies contre la guerre avant 1914...
Je voudrais voir les gens qui poussent à la guerre sur un champ de bataille (A. Ponsard 1814-1867)
Je voudrais voir les gens qui poussent à la guerre,
Sur un champ de bataille, à l’heure où les corbeaux
Crèvent à coup de becs et mettent en lambeaux
Tous ces yeux et ces coeurs qui s’enflammaient naguère.
Tandis que flotte au loin le drapeau triomphant,
Et que parmi ceux-là qui gisent dans la plaine,
Les doigts crispés, la bouche ouverte et sans haleine,
L’un reconnaît son frère et l’autre son enfant.
Oh ! Je voudrais les voir, lorsque dans la mêlée
La gueule des canons crache à pleine volée,
Des paquets de mitraille au nez des combattants.
Les voir tous ces gens-là prêcher leurs théories
Devant ces fronts troués, ces poitrines meurtries
D’où la mort a chassé des âmes de vingt ans.