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Le testament politique de Lénine

dimanche 1er novembre 2020, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

Le Testament politique de Lénine

Lénine et l’oppression des Géorgiens par Staline- Ordjonikidzé

Les 30 et 31 décembre 1922, Lénine dicte le texte suivant :

« Un rôle fatal a été joué par la hâte de Staline dans son zèle d’administrateur... l’internationalisme du côté de la nation dite grande (encore qu’elle ne soit grande simplement comme l’est l’argousin), doit consister non seulement dans le respect de l’égalité formelle des nations, mais encore dans l’effort vers une égalité (réelle) compensant... l’inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie... Le Géorgien (= J. Staline, N.D.L.R.) qui considère avec dédain ce côté de l’affaire, qui lance dédaigneusement des accusations de « social-nationalisme » (alors qu’il est lui-même non seulement un vrai, un authentique social-nationaliste, mais encore un brutal argousin grand’ Russe), ce Géorgien-là porte en réalité atteinte à la solidarité prolétarienne de classe... »

(Lénine : Œuvres, tome 36, p.621, 622, Edition de Moscou).

Le peuple géorgien, presque entièrement paysan ou petit-bourgeois en sa composition, résista vigoureusement à la soviétisation de son pays. Mais les grandes difficultés qui en découlaient furent considérablement aggravées par l’arbitraire militariste, ses procédés et ses méthodes, auquel la Géorgie fut soumise. Dans ces conditions, le parti dirigeant devait être deux fois plus prudent à l’égard des masses géorgiennes. C’est précisément là qu’il faut trouver la cause du profond désaccord qui se développa entre Lénine, qui insistait sur une politique extrêmement souple, circonspecte, patiente à l’égard de la Géorgie et en Transcaucasie particulièrement, et Staline, qui considérait que, puisque l’appareil de l’Etat était entre ses mains, notre position était assurée. L’agent de Staline au Caucase était Ordjonikidzé, le conquérant impatient de la Géorgie, qui considérait toute velléité de résistance comme un affront personnel. Staline semblait avoir oublié qu’il n’y avait pas si longtemps que nous avions reconnu l’indépendance de la Géorgie et avions signé un traité avec elle. C’était le 7 mai 1920. Mais le 11 février 1921, des détachements de l’Armée rouge avaient envahi la Géorgie, sur les ordres de Staline, et nous avaient mis devant le fait accompli. L’ami d’enfance de Staline, Irémachvili, écrit à ce propos :
Staline était opposé au traité. Il ne voulait pas que son pays natal reste en dehors de l’Etat russe et vive sous le libre gouvernement des menchéviks qu’il détestait. Son ambition le poussa vers la domination de la Géorgie, où la population paisible et sensible résistait à sa propagande destructrice avec une froide obstination... L’esprit de vengeance envers les dirigeants menchéviks, qui avaient toujours refusé d’approuver ses plans utopiques et l’avaient expulsé de leurs rangs, ne lui laissait pas de repos. Contre la volonté de Lénine, sur sa propre initiative vaniteuse, Staline acheva la bolchévisation, ou stalinisation, de sa terre natale... Staline organisa de Moscou l’expédition sur la Géorgie et la dirigea de là-bas. Au milieu de juin 1921, il entrait à Tiflis en conquérant.
Staline visita la Géorgie en 1921 ; il le fit avec une autorité bien différente de celle à laquelle on était accoutumé dans son pays, quand il était Sosso, et plus tard Koba. Maintenant, il était le représentant du gouvernement, de l’omnipotent Bureau politique, du Comité central. Cependant personne en Géorgie ne vit en lui un dirigeant, spécialement dans le tiers supérieur du Parti, où on l’accueillait non comme Staline, mais comme un membre de la plus haute instance du Parti, c’est-à-dire non en vertu de sa personnalité, mais sur la base de sa fonction. Ses anciens camarades dans le travail illégal se considéraient au moins aussi compétents que lui dans les affaires de Géorgie ; ils exprimaient librement leurs désaccords avec lui et, quand ils étaient contraints de se soumettre, ils ne le faisaient qu’à contrecœur, n’épargnant pas les critiques acerbes, et menaçant de demander au Bureau politique de reprendre l’examen de l’entier problème. Staline n’était pas encore un dirigeant, même dans son propre pays. Il en était profondément affecté. Il s’estimait mieux informé que tous les autres membres du Comité central sur les questions qui touchaient la Géorgie. Si, à Moscou, il prenait son autorité dans le fait qu’il était un Géorgien familier avec les conditions locales, en Géorgie, où il apparaissait comme le représentant de Moscou libre de préjugés nationaux et de sympathies locales, il essayait de se comporter comme s’il n’était pas un Géorgien, mais un bolchévik délégué par Moscou, le commissaire aux nationalités, et comme si, pour lui, les Géorgiens étaient tout juste une des minorités nationales. Il assumait une attitude d’ignorant en ce qui concernait les particularités nationales de la Géorgie, sorte de compensation pour les sentiments fortement nationaux de sa propre jeunesse. [Il se comportait comme un Grand-Russien, piétinant les droits de son propre peuple comme nation.] C’était là ce que Lénine entendait par « étrangers russifiants » - ce qui se rapportait aussi bien à Staline qu’à Dzerjinsky, un Polonais devenu « russificateur ». D’après Irémachvili qui évidemment exagère : « Les bolchéviks géorgiens qui, au début, étaient impliqués dans l’invasion russe staliniste, considéraient comme leur but l’indépendance d’une République soviétique de Géorgie, qui n’aurait rien de commun avec la Russie, excepté les conceptions bolchévistes et l’amitié politique. Il restait des Géorgiens pour qui l’indépendance de leur pays était plus importante que toute autre chose... Mais alors vint la déclaration de guerre de Staline, qui trouva un appui loyal parmi les gardes rouges russes et la tchéka qu’il envoya en Géorgie. »
Irémachvili nous dit ensuite que Staline se heurta à l’hostilité générale à Tiflis. Au cours d’un meeting au théâtre convoqué par les socialistes de Tiflis, Staline fut l’objet d’une démonstration hostile. Il paraît vraisemblable que le vieux menchévik Irémachvili domina le meeting et accusa Staline ouvertement. On nous dit aussi que d’autres orateurs attaquèrent Staline de la même façon. Malheureusement aucun compte rendu sténographique de ces discours n’a été conservé et on n’est pas forcé de prendre trop littéralement cette partie des souvenirs d’Irémachvili : « Pendant des heures Staline fut obligé d’écouter ses adversaires en silence et d’encaisser leurs accusations. Jamais auparavant et jamais par la suite Staline ne devait être contraint d’endurer une telle indignation ouverte, courageuse. »
Les développements ultérieurs peuvent être relatés brièvement. Staline trahit encore une fois la confiance de Lénine. Afin de se créer pour lui-même un solide appui politique en Géorgie, il y provoqua, derrière le dos de Lénine et du Comité central, avec l’aide d’Ordjonikidzé et non sans l’appui de Dzerjinsky, une « révolution » véritable contre les meilleurs membres du Parti, en se couvrant abusivement de l’autorité du Comité central. Prenant avantage du fait que les réunions avec les camarades géorgiens n’étaient pas accessibles à Lénine, Staline s’efforça de le circonvenir au moyen d’informations fausses. Lénine se douta de quelque chose et demanda à son secrétaire personnel de rassembler une documentation complète sur la question géorgienne ; c’est après l’avoir étudiée qu’il décida d’engager ouvertement la lutte. Il est difficile de dire ce qui le choqua le plus : la déloyauté personnelle de Staline ou son incapacité chronique de saisir l’essence de la politique bolchéviste sur la question nationale vraisemblablement un mélange des deux.
Allant à tâtons vers la vérité, Lénine, alité, entreprit de dicter sous forme de lettre un programme qui fixerait sa position fondamentale sur la question nationale, afin qu’il ne puisse y avoir de malentendu parmi ses camarades quant à sa propre position sur les questions en cours de discussion. Le 30 décembre, il dictait la note suivante : « Je pense que l’impulsivité administrative et brutale de Staline a joué un rôle funeste, et aussi son mépris du nationalisme social. Généralement, le mépris joue, en politique, le plus détestable des rôles. » Et le jour suivant, il ajoutait ces mots à la lettre programme : « Il est naturellement nécessaire de tenir Staline et Dzerjinsky pour responsables de toute cette campagne nationaliste grand-russienne. »
Lénine était sur la bonne voie. S’il réalisait pleinement le sérieux de la situation, la caractérisation atténuée qu’il en donnait était singulière, car ce qui se passait derrière son dos, comme Trotsky l’indiqua huit années plus tard, c’était que la fraction de Staline écrasa la fraction de Lénine au Caucase. C’était la première victoire des réactionnaires dans le Parti. Elle ouvrit le second chapitre de la Révolution - la contre révolution stalinienne.
Lénine fut finalement contraint d’écrire aux oppositionnels géorgiens, le 6 mars 1923 :
Aux camarades Mdivani, Makharadzé et autres, (copie aux camarades Trotsky et Kaménev ).
Chers camarades. Je suis avec vous dans cette affaire de tout mon cœur. Je suis scandalisé par l’arrogance d’Ordjonikidzé et la connivence de Staline et Dzerjinsky. Je prépare des notes et un discours en votre faveur.
Lénine.
Le jour précédent, il avait dicté pour moi la note suivante :
Cher camarade Trotsky,
Je vous demande instamment de vous charger de la défense de l’affaire géorgienne au Comité central du Parti. Elle est maintenant « poursuivie » par Staline et Dzerjinsky, de sorte que je ne peux pas compter sur leur impartialité. En vérité, c’est tout le contraire ! Si vous acceptez de vous charger de cette défense, je serai tranquille. Si pour quelque raison, vous n’acceptiez pas, veuillez me retourner le dossier. Je considérerai cela comme la marque de votre désaccord. Avec mes meilleurs saluts de camarade.
Lénine.
Lénine envoya ensuite deux de ses secrétaires personnelles, Glasser et Fotiéva, porter à Trotsky une note dans laquelle il lui demandait, entre autres de suivre la question géorgienne au douzième congrès du Parti qui allait se réunir. Glasser ajouta : « Quand Vladimir Ilitch a lu notre correspondance avec vous, son front s’est éclairé. Eh bien ! maintenant c’est une autre affaire ! Et il m’a chargé de vous remettre tous les manuscrits qui devaient entrer dans la fabrication de sa « bombe » pour le douzième congrès. » Kaménev m’avait informé que Lénine venait justement d’écrire une lettre par laquelle il rompait toutes relations de camarade avec Staline, de sorte que je suggérai que, puisque Kaménev devait partir ce jour même pour la Géorgie pour assister à une conférence du Parti, il pourrait être bon de lui montrer la lettre sur la question nationale afin qu’il soit en mesure de faire tout le nécessaire. Fotiéva répondit : « Je ne sais pas. Vladimir Ilitch ne m’a pas chargée de communiquer la lettre au camarade Kaménev, mais je puis le lui demander. » Quelques minutes plus tard, elle revenait et dit : « Absolument pas. Lénine dit que Kaménev montrerait la lettre à Staline, qui chercherait alors à conclure un compromis pourri afin de nous duper plus tard. - Ainsi donc, les choses sont allées si loin que Lénine n’estime plus possible de conclure compromis avec Staline même sur une ligne juste ? Oui, Ilitch n’a pas confiance en Staline ; il veut se prononcer ouvertement contre lui devant tout le Parti. Il prépare une bombe. »
Les intentions de Lénine devenaient parfaitement claires. Prenant la politique de Staline comme exemple, il voulait dénoncer devant le Parti (et le faire sans ménagement) le danger de la transformation bureaucratique de la dictature. Fotiéva revint peu après avec un autre message de Vladimir Ilitch qui, dit-elle, avait décidé d’agir immédiatement et avait écrit la note - citée ci-dessus - à Mdivani et Makharadzé.
« Comment expliquez-vous ce changement ? demandai-je à Fotiéva.
 Son état s’aggrave d’heure en heure, répondit-elle et il est impatient de faire encore tout ce qu’il peut. »

[Deux jours plus tard, Lénine, empoisonné, avait sa troisième attaque.]

Lénine, article pour la Pravda « Notes d’un publiciste » de fin février 1922 :

« Imaginons un homme qui effectue l’ascension d’une montagne très élevée, abrupte et encore inexplorée. Supposons qu’après avoir triomphé de difficultés et de dangers inouïs, il a réussi à s’élever beaucoup plus haut que ses prédécesseurs, mais qu’il n’a tout de même pas atteint le sommet. Le voici dans une situation où il est non seulement difficile et dangereux, mais même proprement impossible, d’avancer plus loin dans la direction et le chemin qu’il a choisis. Il lui faut faire demi-tour, redescendre, chercher d’autres chemins, fussent-ils plus longs, mais qui lui permettent de grimper jusqu’au sommet. La descente, à partir de cette altitude jamais encore atteinte à laquelle se trouve notre voyageur imaginaire, offre des difficultés et des dangers plus grands encore, peut-être, que l’ascension : les faux pas le guettent ; il voit malaisément l’endroit où il pose son pied ; il n’a plus cet état d’esprit particulier, conquérant, que créait la marche assurée vers le haut, droit au but, etc. Il lui faut s’entourer d’une corde, perdre des heures entières pour creuser au piolet des marches ou des endroits où il puisse accrocher solidement la corde ; il lui faut se mouvoir avec la lenteur d’une tortue, et de plus se mouvoir en arrière, vers le bas, en s’éloignant du but ; et on ne voit toujours pas si cette descente terriblement dangereuse et pénible se termine. On ne voit pas apparaître le chemin détourné, un tant soit peu sûr en suivant lequel il serait possible de se remettre en route plus hardiment, plus rapidement et plus directement qu’avant, vers le haut, vers le sommet. N’est-il pas naturel de penser qu’un homme se trouvant dans cette situation puisse avoir, bien qu’il se soit élevé à une altitude inouïe, des instants de découragement ? Et ces instants seraient sans doute plus nombreux, plus fréquents et plus pénibles, s’il pouvait entendre certaines voix d’en bas, de gens tranquillement installés au loin et observant à travers une lunette d’approche cette descente si dangereuse, qu’on ne peut même pas qualifier de « descente en freinage », car un frein suppose une voiture bien réglée, déjà mise à l’essai, une route préparée à l’avance, des mécanismes qu’on a déjà éprouvés. Mais là, ni voiture, ni route, rien du tout, absolument rien qui ait été déjà éprouvé ! (…) Le prolétariat russe s’est élevé dans sa révolution à une altitude gigantesque en comparaison non seulement de 1789 et de 1793 mais aussi de 1871. Quelle besogne, au juste, avons-nous « achevée », et laquelle n’avons-nous pas « achevée » ? Voilà de quoi il faut que nous nous rendions compte, le plus sainement, le plus clairement et le plus concrètement possible : nous garderons alors la tête froide, et nous n’aurons ni nausées, ni illusions, ni découragement. Nous avons « achevé » la révolution démocratique bourgeoise (…) C’est une grande conquête qu’aucune force au monde ne peut reprendre (…) Nous avons créé le type soviétique de l’Etat, inaugurant ainsi une époque nouvelle de l’histoire mondiale, celle de la domination politique du prolétariat (…) Cela non plus on ne peut pas nous le reprendre, bien que seule l’expérience de la classe ouvrière de plusieurs pays puisse « achever » le type soviétique de l’Etat. Mais nous n’avons même pas achevé les fondements de l’économie socialiste. Cela, les forces hostiles du capitalisme agonisant peuvent encore nous reprendre. Il faut s’en rende compte nettement, et le reconnaître ouvertement, car rien n’est plus dangereux que les illusions (et le vertige, surtout à grande altitude). Et il n’y a absolument rien « d’effrayant », rien qui puisse fournir un motif légitime au moindre abattement, à reconnaître cette amère vérité, car nous avons toujours professé et répété cette vérité élémentaire du marxisme, que la victoire du socialisme nécessite les efforts conjugués des ouvriers de plusieurs pays avancés. Or, nous sommes encore seuls, et dans un pays arriéré, un pays plus ruiné que les autres, nous avons fait beaucoup plus qu’il n’était croyable. Ce n’est pas tout : nous avons conservé « l’armée » des forces prolétariennes révolutionnaires, nous avons conservé sa « capacité de manœuvre », nous avons conservé la clarté d’esprit qui nous permet de calculer avec sang-froid où, quand et de combien il faut reculer (pour mieux sauter), où, quand et comment au juste il faut reprendre la besogne inachevée. Il faudrait reconnaître qu’ils sont perdus, à coup sûr, les communistes qui s’imagineraient qu’il est possible, sans erreurs, sans reculs, sans multiples remises en chantier des tâches inachevées ou mal exécutées, de mener à son terme une « entreprise » de portée historique mondiale comme l’achèvement des fondations de l’économie socialiste (particulièrement dans un pays de petite paysannerie). Les communistes qui ne se laissent aller ni aux illusions, ni au découragement, en gardant la force et la souplesse de leur organisme pour, à nouveau, « repartir à zéro », en s’attaquant à une tâche des plus difficiles, ceux-là ne sont pas perdus et, très probablement, ne périront pas. »

Lénine, Discours, le 27 mars 1922, au onzième congrès du Parti bolchevik :

« Les communistes qui se mettent à la tête des institutions, - parfois des saboteurs les y poussent habilement, à dessein pour se faire une enseigne, - se trouvent souvent dupés. Aveu très désagréable. Ou, tout au moins, pas très agréable. Mais il faut le faire, me semble-t-il, car c’est là, à présent, le nœud de la question. C’est à cela que se ramène, selon moi, la leçon politique de l’année, et c’est sous ce signe que la lutte se déroulera en 1922. Les communistes responsables de la RSFSR et du parti communiste de Russie sauront-ils comprendre qu’ils ne savent pas diriger ? Qu’ils s’imaginent mener les autres, alors qu’en réalité, c’est eux qu’on mène ? S’ils arrivent à le comprendre, ils apprendront certainement à diriger, car c’est possible. Mais, pour cela il faut étudier, or, chez nous on n’étudie pas. On lance à tour de bras ordres et décrets, et le résultat n’est pas du tout celui que l’on souhaite. (…) Bâtir la société communiste par les mains des seuls communistes est une idée puérile s’il en fut. Les communistes sont une goutte d’eau dans l’océan, une goutte d’eau dans l’océan populaire. (…) La partie la moins difficile consistait à mettre l’exploiteur hors d’état de nuire (…) la deuxième partie de la victoire, - pour bâtir le communisme par des mains non communistes (…) consiste à satisfaire le paysan (…) C’est là qu’il y a nécessité de faire travailler avec nous les sans-parti. »

Le 11 avril 1922, Lénine écrivait dans une « résolution sur les fonctions des vice-présidents :

« Il faut veiller soigneusement à ce que les séances administratives du conseil du travail et de la défense et surtout le petit conseil des commissaires du peuple n’élargissent pas leur champ d’activité au-delà du strict nécessaire, ne compliquent pas leurs fonctions et les tâches qui leur incombent, ne tolèrent pas la boursouflure bureaucratique et l’hypertrophie de leurs fonctions, mais exigent une plus grande indépendance dans le travail et une responsabilité plus grande de chaque commissaire du peuple et de chaque administration. (…) Il est nécessaire de surveiller les mutations des communistes dans les institutions soviétiques, en veillant à ce qu’ils occupent exclusivement des postes (aussi bien en haut qu’en bas de l’échelle hiérarchique) leur permettant de vérifier effectivement la marche du travail, de lutter réellement contre la bureaucratie et la paperasserie, d’obtenir effectivement une amélioration immédiate de la situation et un allègement du sort des malheureux citoyens qui sont obligés d’avoir affaire à notre appareil soviétique qui ne vaut rien. Il faut porter particulièrement l’attention sur les communistes exerçant des fonctions au bas de l’échelle hiérarchique, car ils sont souvent plus importants en fait que ceux placés en haut. »

Notes de Lénine sur « LA QUESTION DES NATIONALITÉS OU DE L’« AUTONOMIE » [a]

"Je suis fort coupable, je crois, devant les ouvriers de Russie, de n’être pas intervenu avec assez d’énergie et de rudesse dans la fameuse question de l’autonomie, appelée officiellement, si je ne me trompe, question de l’union des républiques socialistes soviétiques. En été, au moment où cette question s’est posée, j’étais malade, et en automne j’ai trop compté sur ma guérison et aussi sur l’espoir que les sessions plénières d’octobre et de décembre [b] me permettraient d’intervenir dans cette question. Or, je n’ai pu assister ni à la session d’octobre (consacrée à ce problème), ni à celle de décembre ; et c’est ainsi que la question a été discutée presque complètement en dehors de moi.
J’ai pu seulement m’entretenir avec le camarade Dzerjinski qui, à son retour du Caucase, m’a fait savoir où en était cette question en Géorgie. J’ai pu de même échanger deux mots avec le camarade Zinoviev et lui dire mes craintes à ce sujet. De la communication que m’a faite le camarade Dzerjinski, qui était à la tête de la commission envoyée par le Comité central pour « enquêter » sur l’incident géorgien, je n’ai pu tirer que les craintes les plus sérieuses. Si les choses en sont venues au point qu’Ordjonikidzé s’est laissé aller à user de violence, comme me l’a dit le camarade Dzerjinski, vous pouvez bien vous imaginer dans quel bourbier nous avons glissé. Visiblement, toute cette entreprise d’« autonomie » a été foncièrement erronée et inopportune.
On prétend qu’il fallait absolument unifier l’appareil. D’où émanaient ces affirmations ? N’est-ce pas de ce même appareil de Russie, que, comme je l’ai déjà dit dans un numéro précédent de mon journal, nous avons emprunté au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d’un vernis soviétique ?
Sans aucun doute, il aurait fallu renvoyer cette mesure jusqu’au jour où nous aurions pu dire que nous nous portions garants de notre appareil, parce que nous l’avions bien en mains. Et maintenant nous devons en toute conscience dire l’inverse ; nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu’il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d’avoir l’aide des autres pays et alors que prédominaient les préoccupations militaires et la lutte contre la famine.
Dans ces conditions, il est tout à fait naturel que « la liberté de sortir de l’union » qui nous sert de justification, apparaisse comme une formule bureaucratique incapable de défendre les allogènes de Russie contre l’invasion du Russe authentique, du Grand-Russe, du chauvin, de ce gredin et de cet oppresseur qu’est au fond le bureaucrate russe typique. Il n’est pas douteux que les ouvriers soviétiques et soviétisés, qui sont en proportion infime, se noieraient dans cet océan de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait. Pour appuyer cette mesure, on dit que nous avons créé les commissariats du peuple s’occupant spécialement de la psychologie nationale, de l’éducation nationale. Mais alors une question se pose : est-il possible de détacher ces commissariats du peuple intégralement ? Seconde question : Avons- nous pris avec assez de soin des mesures pour défendre réellement les allogènes contre le typique argousin russe ? Je pense que nous n’avons pas pris ces mesures, encore que nous eussions pu et dû le faire.
Je pense qu’un rôle fatal a été joué ici par la hâte de Staline et son goût pour l’administration, ainsi que par son irritation contre le fameux « social-nationalisme ». L’irritation joue généralement en politique un rôle des plus désastreux.
Je crains aussi que le camarade Dzerjinski, qui s’est rendu au Caucase pour enquêter sur les « crimes » de ces « social- nationaux », se soit de même essentiellement distingué ici par son état d’esprit cent pour cent russe (on sait que les allogènes russifiés forcent constamment la note en l’occurrence), et que l’impartialité de toute sa commission se caractérise assez par les « voies de fait » d’Ordjonikidzé. Je pense que l’on ne saurait justifier ces voies de fait russes par aucune provocation, ni même par aucun outrage, et que le camarade Dzerjinski a commis une faute irréparable en considérant ces voies de fait avec trop de légèreté.
Ordjonikidzé représentait le pouvoir pour tous les autres citoyens du Caucase. Il n’avait pas le droit de s’emporter, droit que lui et Dzerjinski ont invoqué. Ordjonikidzé aurait dû, au contraire, montrer un sang-froid auquel aucun citoyen ordinaire n’est tenu, à plus forte raison s’il est inculpé d’un crime « politique ». Car, au fond, les social-nationaux étaient des citoyens inculpés d’un crime politique, et toute l’ambiance de cette accusation ne pouvait le qualifier autrement.
Ici se pose une importante question de principe : Comment concevoir l’internationalisme ? [c] » Lénine, 30 décembre 1922.

Lénine, notes le 31 décembre 1922 :

« La question des nationalités ou de l’« autonomie » (suite)
J’ai déjà écrit dans mes ouvrages sur la question nationale qu’il est tout à fait vain de poser dans l’abstrait la question du nationalisme en général. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprimée, entre le nationalisme d’une grande nation et celui d’une petite nation.
Par rapport au second nationalisme, nous, les nationaux d’une grande nation, nous nous rendons presque toujours coupables, à travers l’histoire, d’une infinité de violences, et même plus, nous commettons une infinité d’injustices et d’exactions sans nous en apercevoir. Il n’est que d’évoquer mes souvenirs de la Volga sur la façon dont on traite chez nous les allogènes : le Polonais, le Tatar, l’Ukrainien, le Géorgien et les autres allogènes du Caucase ne s’entendent appeler respectivement que par des sobriquets péjoratifs, tels « Poliatchichka », « Kniaz », « Khokhol », « Kapkazski tchélovek ». Aussi l’internationalisme du côté de la nation qui opprime ou de la nation dite « grande » (encore qu’elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l’est, par exemple, l’argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l’égalité formelle des nations, mais encore dans une inégalité compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l’inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie. Quiconque n’a pas compris cela n’a pas compris non plus ce qu’est l’attitude vraiment prolétarienne à l’égard de la question nationale : celui-là s’en tient, au fond, au point de vue petit-bourgeois et, par suite, ne peut que glisser à chaque instant vers les positions de la bourgeoisie.
Qu’est-ce qui est important pour le prolétaire ? Il est important, mais aussi essentiel et indispensable, qu’on lui assure dans la lutte de classe prolétarienne le maximum de confiance de la part des allogènes. Que faut-il pour cela ? Pour cela il ne faut pas seulement l’égalité formelle, il faut aussi compenser d’une façon ou d’une autre, par son comportement ou les concessions à l’allogène, la défiance, le soupçon, les griefs qui, au fil de l’histoire, ont été engendrés chez lui par le gouvernement de la nation « impérialiste ».
Je pense que pour les bolchéviks, pour les communistes, il n’est guère nécessaire d’expliquer cela plus longuement. Et je crois qu’ici nous avons, en ce qui concerne la nation géorgienne, l’exemple typique du fait qu’une attitude vraiment prolétarienne exige que nous redoublions de prudence, de prévenance et d’accommodement. Le Géorgien qui considère avec dédain ce côté de l’affaire, qui lance dédaigneusement des accusations de « social-nationalisme », (alors qu’il est lui-même non seulement un vrai, un authentique « social-national », mais encore un brutal argousin grand-russe), ce Géorgien-là porte en réalité atteinte à la solidarité prolétarienne de classe, car il n’est rien qui en retarde le développement et la consolidation comme l’injustice nationale ; il n’est rien qui soit plus sensible aux nationaux « offensés », que le sentiment d’égalité et la violation de cette égalité, fût-ce par négligence ou plaisanterie, par leurs camarades prolétaires. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, il vaut mieux forcer la note dans le sens de l’esprit d’accommodement et de la douceur à l’égard des minorités nationales que faire l’inverse. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, l’intérêt fondamental de la solidarité prolétarienne, et donc de la lutte de classe prolétarienne, exige que nous n’observions jamais une attitude purement formelle envers la question nationale, mais que nous tenions toujours compte de la différence obligatoire dans le comportement du prolétaire d’une nation opprimée (ou petite) envers la nation qui opprime (ou grande). Signé Lénine »

Suite des notes de Lénine le 31 décembre 1922 :

« Quelles sont donc les mesures pratiques à prendre dans la situation ainsi créée ?
Premièrement, il faut maintenir et consolider l’union des républiques socialistes ; il ne peut exister aucun doute sur ce point. Cette mesure nous est nécessaire comme elle l’est au prolétariat communiste mondial pour combattre la bourgeoisie mondiale et pour se défendre contre ses intrigues.
Deuxièmement, il faut maintenir l’union des républiques socialistes en ce qui concerne l’appareil diplomatique. C’est d’ailleurs une exception dans notre appareil d’Etat. Nous n’y avons pas admis une seule personne quelque peu influente de l’ancien appareil tsariste. Dans son personnel les cadres moyens comme les cadres supérieurs sont communistes. Aussi a-t-il déjà conquis (on peut le dire hardiment) le nom d’appareil communiste éprouvé, infiniment mieux épuré des éléments de l’ancien appareil tsariste, bourgeois et petit-bourgeois que celui dont nous sommes obligés de nous contenter dans les autres commissariats du peuple.
Troisièmement, il faut infliger une punition exemplaire au camarade Ordjonikidzé (je dis cela avec d’autant plus de regret que je compte personnellement parmi ses amis et que j’ai milité avec lui à l’étranger, dans l’émigration), et aussi achever l’enquête ou procéder à une enquête nouvelle sur tous les documents de la commission Dzerjinski, afin de redresser l’énorme quantité d’irrégularités et de jugements partiaux qui s’y trouvent indubitablement. Il va de soi que c’est Staline et Dzerjinski qui doivent être rendus politiquement responsables de cette campagne foncièrement nationaliste grand-russe.
Quatrièmement, il faut introduire les règles les plus rigoureuses quant à l’emploi de la langue nationale dans les républiques allogènes faisant partie de notre Union, et vérifier ces règles avec le plus grand soin. I1 n’est pas douteux que, sous prétexte d’unité des services ferroviaires, sous prétexte d’unité fiscale, etc., une infinité d’abus de nature authentiquement russe, se feront jour chez nous avec notre appareil actuel. Pour lutter contre ces abus, il faut un esprit d’initiative tout particulier, sans parler de l’extrême loyauté de ceux qui mèneront cette lutte. Un code minutieux sera nécessaire, et seuls les nationaux habitant la république donnée sont capables de l’élaborer avec quelque succès. Et il ne faut jamais jurer d’avance qu’à la suite de tout ce travail on ne revienne en arrière au prochain congrès des Soviets en ne maintenant l’union des républiques socialistes soviétiques que sur le plan militaire et diplomatique, et en rétablissant sous tous les autres rapports la complète autonomie des différents commissariats du peuple.
Il ne faut pas oublier que le morcellement des commissariats du peuple et le défaut de coordination de leur fonctionnement par rapport à Moscou et autres centres peuvent être suffisamment compensés par l’autorité du Parti, si celle-ci s’exerce avec assez de circonspection et en toute impartialité ; le préjudice que peut causer à notre Etat l’absence d’appareils nationaux unifiés avec l’appareil russe est infiniment, incommensurablement moindre que celui qui en résulte pour nous, pour toute l’Internationale, pour les centaines de millions d’hommes des peuples d’Asie, qui apparaîtra après nous sur l’avant-scène historique dans un proche avenir. Ce serait un opportunisme impardonnable si, à la veille de cette intervention de l’Orient et au début de son réveil, nous ruinions à ses yeux notre autorité par la moindre brutalité ou injustice à l’égard de nos propres allogènes. Une chose est la nécessité de faire front tous ensemble contre les impérialistes d’Occident, défenseurs du monde capitaliste. Là il ne saurait y avoir de doute, et il est superflu d’ajouter que j’approuve absolument ces mesures. Autre chose est de nous engager nous-mêmes, fût-ce pour les questions de détail, dans des rapports impérialistes à l’égard des nationalités opprimées, en éveillant ainsi la suspicion sur la sincérité de nos principes, sur notre justification de principe de la lutte contre l’impérialisme. Or, la journée de demain, dans l’histoire mondiale, sera justement celle du réveil définitif des peuples opprimés par l’impérialisme et du commencement d’une longue et âpre bataille pour leur affranchissement. Signé Lénine le 31 décembre 1922 »
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[a] Autonomie, projet d’organiser toutes les républiques formant la R.S.F.S.R. sur les bases d’autonomie. Le projet d’"autonomie" fut déposé par Staline. Lénine le critiqua sévèrement et proposa une solution foncièrement différente à cette question : formation de l’Union des républiques socialistes soviétiques englobant des républiques égales en droit. En décembre 1922 le 1er Congrès des Soviets de l’U.R.S.S. prit la décision de former l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. [N.E.]
[b] Il s’agit des sessions plénières du C.C. du P.C.(b)R. qui eurent lieu en octobre et décembre 1922 et qui délibérèrent du problème de la formation de l’U.S.S.R. [N.E.]
[c] Plus loin, dans les notes sténographiées, la phrase Je pense que nos camarades n’ont pas suffisamment compris cette importante question de principe » est barrée. [N.E.]

Lénine, dans « Comment réorganiser l’inspection ouvrière et paysanne ? » :

Lénine y donnait en exemple le Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères et l’Armée Rouge, les deux secteurs qu’avait dirigé Trotsky et dénonçait l’Inspection ouvrière et paysanne, fief de Staline…D’autre part, il projetait de supprimer l’indépendance de celle-ci en la dissolvant dans un organisme du parti où prédominaient d’anciens militants ayant du poids face à Staline et non des membres d’appareils…
Il s’appuyait sur le Comité central comprenant les anciens militants chevronnés contre l’appareil bureaucratique…
« Notre appareil d’Etat, excepté le Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères, constitue dans une très grande mesure une survivance du passé, et qui a subi le minimum de modifications tant soit peu notables. Il n’est que légèrement enjolivé à la surface ; pour le reste, c’est le vrai type de notre ancien appareil d’Etat. (…) Comment avons-nous agi dans les moments les plus périlleux de la guerre civile ?
Nous avons concentré les meilleures forces de notre Parti dans l’Armée Rouge ; nous avons mobilisé l’élite de nos ouvriers ; en quête de forces nouvelles, nous nous sommes adressés là où plongent les racines les plus profondes de notre dictature. C’est aussi dans ce sens que nous devons, j’en suis persuadé, rechercher les moyens de refondre l’Inspection ouvrière et paysanne. Je propose au douzième Congrès de notre Parti d’adopter le plan de réorganisation que voici, et qui prévoit une extension, d’un genre particulier, de notre Commission centrale de contrôle.
L’assemblée plénière du Comité central de notre Parti tend manifestement à devenir en quelque sorte une conférence suprême du Parti. Elle ne se réunit pas plus d’une fois tous les deux mois, en d’adopter le Comité central, on le sait, confie le travail courant à notre Bureau politique, à notre Bureau d’organisation, a notre Secrétariat, etc. Je pense qu’il nous faut suivre jusqu’au bout la voie où nous nous sommes engages, et transformer définitivement les assemblées plénières du Comité central en conférences suprêmes du Parti, tenues une fois tous les deux mois, et auxquelles prendrait Part la Commission centrale de contrôle. Quant à cette dernière, elle fusionnerait avec la partie essentielle de j’inspection ouvrière et paysanne réorganisée, en observant les conditions ci-après. Je propose au congrès d’élire pour la Commission centrale de contrôle 75 à 100 nouveaux membres choisis parmi les ouvriers et les paysans. Les camarades élus seront soumis, en tant que membres du Parti, à une vérification pareille à celle que subissent tous les membres du Comité central, puisqu’ils jouiront de tous- les droits attachés à cette qualité.
D’autre part, l’Inspection ouvrière et paysanne sera ramenée à 300 ou 400 employés, particulièrement vérifiés eu égard à leur bonne foi et à leur connaissance de notre appareil d’Etat ; ils devront aussi subir une épreuve spéciale attestant qu’ils sont au courant des principes de l’organisation -scientifique du travail en général, notamment de l’administration, du travail de bureau, etc. Je pense que cette fusion de l’Inspection ouvrière et paysanne et de la Commission centrale de contrôle sera utile à ces deux institutions. D’une part, l’Inspection acquerra ainsi une haute autorité morale, au moins égale à celle du Commissariat du Peuple aux Affaires étrangères. D’autre part notre Comité central - avec la Commission centrale de contrôle -deviendra définitivement une -conférence suprême du Parti ; à dire vrai, il s’est déjà engagé dans cette voie où il lui faut aller jusqu’au bout, afin de pouvoir judicieusement s’acquitter de sa tâche sous un double rapport : faire en sorte que son organisation et son travail soient méthodiques, rationnels et systématiques, que la liaison réelle avec les grandes masses soit assurée par le truchement de l’élite de nos ouvriers et de nos paysans.
Je prévois une objection émanant directement ou non des milieux responsables de la caducité de notre appareil, c’est-à-dire de la part de ceux qui tiennent à conserver notre appareil sous la forme pré révolutionnaire outrée et poussée jusqu’à l’inconvenance, tel qu’il existe encore actuellement (au fait, nous avons maintenant l’occasion assez rare dans l’histoire de fixer les délais nécessaires pour opérer des réformes sociales radicales ; et nous voyons fort bien aujourd’hui ce que l’on peut faire en cinq ans et ce qui demande des délais bien plus longs).
Cette objection tend à faire croire que la réforme proposée par moi n’amènera que le chaos. Les membres de la Commission centrale de contrôle s’en iraient vaguer à travers les institutions, sans savoir où s’adresser, ni à qui, ni pourquoi, semant partout le désordre, détournant les employés de leur travail courant, etc., etc.
Je pense que les raisons de cette objection malveillante sont si claires qu’il est inutile même d’y répondre. Il va de soi que le Présidium de la Commission centrale de contrôle et le commissaire du peuple à l’Inspection ouvrière et paysanne, ainsi que son collège (et aussi dans certains cas le Secrétariat du Comité central) auront à fournir plus d’une année d’efforts persévérants pour organiser rationnellement leur Commissariat du Peuple et le travail de ce dernier, en commun avec la Commission centrale de contrôle. Le commissaire du peuple à l’Inspection ouvrière et paysanne peut, selon moi, rester (et doit rester) commissaire du peuple ; ainsi que tout le collège, il continuera de diriger l’activité da L’Inspection ouvrière et paysanne, y compris celle des membres de la Commission centrale de contrôle, qui seront considérés comme ayant été mis à la disposition de ce commissaire. Les 300 à 400 employés de l’Inspection ouvrière et paysanne qui restent, d’après mon plan, rempliront d’une part les, fonctions de secrétaires auprès des autres membres de l’Inspection ouvrière et paysanne, de même qu’auprès des nouveaux membres de la Commission centrale de contrôle ; d’autre part, ils devront *être hautement qualifiés, vérifiés avec soin, particulièrement sûrs, et toucher des appointements élevés qui les tireraient de cette situation vraiment misérable (pour ne pas dire davantage) qui est aujourd’hui celle des fonctionnaires de l’Inspection ouvrière et paysanne. Je suis certain qu’on réduisant le nombre des employés au chiffre indiqué, on améliorera de beaucoup la valeur des cadres de l’Inspection ouvrière et paysanne aussi bien que la qualité de l’ensemble du travail ; on permettra ainsi au commissaire du peuple et aux membres du collège de concentrer tous leurs efforts pour organiser le travail et relever sa qualité de façon systématique et continue, chose d’une nécessité si impérieuse pour le pouvoir ouvrier et paysan et pour notre régime des Soviets.
D’autre part, je pense aussi que le commissaire du peuple à l’Inspection ouvrière et paysanne devra s’appliquer à fusionner en partie ou à coordonner en partie l’activité des Instituts supérieurs pour l’organisation du travail (Institut central du Travail, Institut de l’organisation scientifique du Travail, etc.) qui sont au nombre de 12 au moins dans la République. L’uniformité excessive et la tendance à fusionner qui en résulte seraient nuisibles. Au contraire, il faut trouver là une solution raisonnable, un juste milieu entre la fusion de ces institutions en un tout et leur délimitation judicieuse, en laissant à chacune d’elles une certaine indépendance.
Il est hors de doute que notre Comité central gagnera à cette réforme autant que l’Inspection ouvrière et paysanne ; il y gagnera au point de vue de sa liaison avec les masses et aussi au point de vue de la régularité et de l’efficacité de ses activités. On pourra alors (et l’on devra) adopter un système plus rigoureux et plus adéquat pour préparer les séances du Bureau politique, auxquelles devront assister un nombre déterminé de membres de la Commission centrale de contrôle, déterminé soit pour une période de temps, soit d’après un certain plan d’organisation.
Je crois aussi qu’on dehors de l’avantage politique que présente cette réforme - à savoir que les membres du Comité central et ceux de la Commission centrale de contrôle seront infiniment mieux renseignés, mieux préparés pour les séances du Bureau politique (tous les documents se rapportant à ces séances doivent être remis à tous les membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, au plus tard 24 heures avant la séance du Bureau politique, sauf les cas ne souffrant absolument aucun retard, et pour lesquels on avisera spécialement au moyen d’informer les membres du Comité central et de la Commission centrale de contrôle, et au moyen de statuer là-dessus) -il y aura encore cet autre avantage qu’au sein de notre Comité central diminuera l’influence des facteurs purement personnels et fortuits, ce qui aura pour effet de diminuer le danger d’une scission. Notre Comité central est devenu un organisme strictement centralisé et jouissant d’une grande autorité morale. Mais le travail de cet organisme n’est pas placé dans des conditions correspondant à cette autorité. La réforme que je propose doit remédier à cotte situation. Et les membres de la Commission centrale de contrôle, qui sont tenus d’assister en nombre déterminé à chaque séance du Bureau politique formeront un groupe cohérent qui devra - " sans considération de personnes " - veiller à ce qu’aucune influence ne puisse les empêcher de faire une enquête, de vérifier les dossiers et, en général, d’obtenir une clarté absolue et une stricte régularité de toutes les affaires. Certes, dans notre République des Soviets, le régime social est fondé sur la collaboration de deux classes : les ouvriers et les paysans, collaboration à laquelle sont également admis aujourd’hui, à de certaines conditions, les " nepmans ", c’est-à-dire la bourgeoisie. Si des désaccords désaccords sérieux surgissaient entre ces classes, la scission serait inéluctable. Mais notre régime social ne renferme pas nécessairement les germes d’une pareille scission. Et la principale tâche de notre Comité central et de notre Commission centrale de contrôle, ainsi que de l’ensemble de notre Parti, est de surveiller attentivement les facteurs pouvant donner lieu à la scission, et de les prévenir, car le sort de notre République dépendra en fin de compte de ceci : la masse paysanne, fidèle à son alliance avec la classe ouvrière, marchera-t-elle avec cette dernière, ou bien laissera-t-elle les " nepmans ", c’est-à-dire la nouvelle bourgeoisie, la désunir la séparer des ouvriers ? Plus clairement nous apparaîtra cette alternative, plus clairement nos ouvriers et nos paysans s’en rendront compte, et plus nous aurons de chances d’éviter la scission, qui serait funeste pour la République des Soviets. Le 23 janvier 1923. »
Cet article avait été édité par la Pravda le 25 janvier 1923.

Lénine :
« Les choses vont si mal avec notre appareil d’Etat, pour ne pas dire qu’elles sont détestables, qu’il nous faut d’abord réfléchir sérieusement à la façon de combattre ses défauts ; ces derniers ne l’oublions pas, remontent au passé, lequel, il est vrai, a été bouleversé, mais n’est pas encore aboli ; il ne s’agit pas d’un stade culturel révolu depuis longtemps. le pose ici la question précisément de la culture, parce que dans cet ordre de choses, il ne faut tenir pour réalisé que ce qui est entré dans la vie culturelle, dans les mœurs, dans les coutumes. Or, chez nous, ce qu’il y a de bon dans notre organisation sociale est saisi à la hâte, on ne peut moins médité, compris, senti, vérifié, éprouvé, confirmé par l’expérience, consolidé, etc. Il ne pouvait certes en être autrement à une époque révolutionnaire et avec un développement tellement vertigineux qui nous a amenés, en cinq ans, du tsarisme au régime des Soviets. (…) Le plus nuisible serait de croire que le peu que nous savons suffit, ou encore que nous possédons un nombre plus ou moins considérable d d’éléments pour édifier un appareil vraiment neuf, et qui mérite véritablement le nom d’appareil socialiste, soviétique, etc. Non, cet appareil, nous ne l’avons pour ainsi dire pas, et même nous possédons ridiculement peu d’éléments qui permettent de le créer. (…)
Voilà cinq ans que nous nous évertuons à perfectionner notre appareil d’Etat. Mais ce n’a été là qu’une agitation vaine qui, en ces cinq ans, nous a montré simplement qu’elle était inefficace, ou même inutile, voire nuisible. Cette vaine agitation nous donnait une apparence de travail ; en réalité, elle encrassait nos institutions et nos cerveaux. Il faut enfin que cela change. (…) Parlons net. Le Commissariat du peuple de l’Inspection ouvrière et paysanne ne jouit pas à l’heure actuelle d’une ombre de prestige. Tout le monde sait qu’il n’est point d’institutions plus mal organisées que celles relevant de notre Inspection ouvrière et paysanne, et que dans les conditions actuelles on ne peut rien exiger de ce Commissariat. Il nous faut bien retenir cela si nous voulons vraiment arriver à constituer, d’ici quelques années, une institution qui, premièrement, sera exemplaire, deuxièmement, inspirera à tous une confiance absolue, et troisièmement, montrera à tous et à chacun que nous avons réellement justifié les activités de cette haute institution qu’est la Commission centrale de contrôle. Toutes les normes générales du personnel de ses administrations doivent, à mon avis, être bannies d’emblée et sans recours. (…)
Les demi mesures seraient ici nuisibles au plus haut point. Toutes les considérations d’un autre ordre que l’on pourrait émettre au sujet des effectifs de l’Inspection ouvrière et paysanne, seraient en réalité fondées sur les vieux principes bureaucratiques, sur les vieux préjugés, sur ce qui a déjà été condamné et qui provoque la risée publique, etc.
Somme toute, la question se pose ainsi :
Ou bien montrer, dès à présent, que nous avons acquis des connaissances sérieuses en matière de construction de l’Etat (il n’est pas défendu d’apprendre quelque chose en cinq ans) ; ou bien nous ne sommes pas encore mûrs pour cela, et alors, il ne vaut pas la peine de s’en charger.
Je pense qu’avec le matériel humain dont nous disposons, il ne sera pas immodeste de présumer que nous en savons déjà assez pour pouvoir reconstruire à neuf, avec méthode, au moins un seul Commissariat du peuple. Il est vrai que ce seul Commissariat doit donner la mesure de l’ensemble de notre appareil d’Etat. (…) Nommer une commission chargée d’élaborer le programme préliminaire des examens à faire subir aux personnes qui sollicitent une place à l’Inspection ouvrière et paysanne ; de même pour les postulants aux postes de membres de la Commission centrale de contrôle.
Ces activités et autres analogues ne gêneront, bien entendu, ni le commissaire du peuple, ni les membres du collège de l’Inspection ouvrière et paysanne, ni le présidium de la Commission centrale de contrôle. (…) Il me semble que notre Inspection ouvrière et paysanne gagnera beaucoup à tenir compte de ces considérations, et que la liste des cas où notre Commission centrale de contrôle ou ses collègues de l’Inspection ouvrière et paysanne ont remporté quelques unes de leurs plus brillantes victoires, s’enrichira de nombreux exploits de nos futurs inspecteurs et contrôleurs, en des endroits qu’il n’est guère commode de mentionner dans des manuels décents et graves. Comment peut on réunir une institution du Parti à une administration soviétique ? N’y a t il pas là quelque chose d’inadmissible ? Je ne pose pas cette question en mon nom, mais au nom de ceux auxquels j’ai fait allusion plus haut, en disant que nous avons des bureaucrates non seulement dans nos administrations soviétiques, mais aussi dans les organisations du Parti.
En effet, pourquoi ne pas réunir les unes et les autres quand l’intérêt de la chose le commande ? Est ce que personne n’a jamais remarqué, par exemple, que dans un Commissariat du Peuple comme celui des Affaires étrangères, une semblable réunion est extrêmement utile et se pratique dès sa fondation ? Le Bureau politique ne discute t il pas, du point de vue du Parti, quantité de questions, grandes et petites, relatives à nos « contre manœuvres » en réponse aux « manœuvres » des puissances étrangères, afin de prévenir, disons, quelque ruse de leur part, pour être poli ? L’alliance souple de l’élément administratif et de l’élément du Parti n’est elle pas une source d’énergie immense dans notre politique ? Je crois que ce qui a fait ses preuves, s’est consolidé dans notre politique extérieure, et qui est entré dans les mœurs au point de ne plus provoquer le moindre doute en la matière, serait non moins opportun (et même beaucoup plus, à mon avis) dans l’ensemble de notre appareil d’Etat. Or, l’Inspection ouvrière et paysanne doit justement prendre en considération notre appareil d’Etat tout entier, et son activité doit porter sur toutes les institutions de l’Etat sans aucune exception, locales, centrales, commerciales, purement administratives, scolaires, théâtrales, archives, etc., en un mot, toutes, sans la moindre exception.
Pourquoi donc pour une institution de cette envergure et qui demande, en outre, une souplesse extraordinaire des formes de son activité, pourquoi donc ne pas admettre pour elle une fusion particulière de l’organisme de contrôle du Parti avec celui de l’Etat ? Pour moi je n’y verrais aucun inconvénient. Bien plus je crois que cette fusion est le seul gage d’une activité féconde. Je pense que tous les doutes à cet égard émanent des recoins les plus poussiéreux de notre appareil d’Etat, et qu’ils ne méritent qu’une chose, c’est d’être tournés en ridicule.
(...) Dans toute la sphère des rapports sociaux, économiques et politiques nous sommes « terriblement » révolutionnaires. Mais en ce qui concerne la hiérarchie, le respect des formes et des usages de la procédure administrative, notre « révolutionnarisme » fait constamment place à l’esprit de routine le plus moisi. On peut ici constater un phénomène du plus haut intérêt, savoir que dans la vie sociale le plus prodigieux bond en avant s’allie fréquemment à une monstrueuse indécision devant les moindres changements. (…) Voilà pourquoi notre vie présente réunit en elle de façon saisissante des traits d’audace stupéfiante et une indécision de pensée devant les changements les plus insignifiants.
Je crois qu’il n’en a jamais été autrement dans toutes les révolutions vraiment grandes, car elles naissent des contradictions entre l’ancien, la tendance à remanier l’ancien, et la tendance la plus abstraite vers ce qui est nouveau, nouveau au point de ne plus contenir un seul grain du passé.
Et plus cette révolution est radicale, plus longtemps subsisteront ces contradictions.
Le trait général caractérisant notre vie actuelle est celui ci : nous avons détruit l’industrie capitaliste, nous nous sommes appliqués à démolir à fond les institutions moyenâgeuses, la propriété seigneuriale, et sur cette base, nous avons créé la petite et très petite paysannerie qui suit le prolétariat, confiante dans les résultats de son action révolutionnaire. Cependant, avec cette confiance à elle seule, il ne nous est pas facile de tenir jusqu’à la victoire de la révolution socialiste dans les pays plus avancés ; car la petite et la toute petite paysannerie, surtout sous la NEP, reste, par nécessité économique, à un niveau de productivité du travail extrêmement bas. Au demeurant, la situation internationale fait que la Russie est aujourd’hui rejetée en arrière ; que dans l’ensemble la productivité du travail national est maintenant sensiblement moins élevée chez nous qu’avant la guerre. Les puissances capitalistes de l’Europe occidentale, partie sciemment, partie spontanément, ont fait tout leur possible pour nous rejeter en arrière, pour profiter de la guerre civile en Russie en vue de ruiner au maximum notre pays. Précisément une telle issue à la guerre impérialiste leur apparaissait, bien entendu, comme offrant des avantages sensibles ; si nous ne renversons pas le régime révolutionnaire en Russie, nous entraverons du moins son évolution vers le socialisme, voilà à peu près comment ces puissances raisonnaient, et de leur point de vue, elles ne pouvaient raisonner autrement. En fin de compte elles ont accompli leur tâche à moitié. Elles n’ont pas renversé le nouveau régime instauré par la révolution, mais elles ne lui ont pas permis non plus de faire aussitôt un pas en avant tel qu’il eût justifié les prévisions des socialistes, qui leur eût permis de développer à une cadence extrêmement rapide les forces productives (…)
Le système des rapports internationaux est maintenant tel qu’en Europe, un Etat, l’Allemagne, est asservi par les vainqueurs. Ensuite, plusieurs Etats, parmi les plus vieux d’Occident, se trouvent, à la suite de la victoire, dans des conditions qui leur permettent d’en profiter pour faire certaines concessions à leurs classes opprimées, concessions qui, bien que médiocres, retardent le mouvement révolutionnaire dans ces pays et créent un semblant de « paix sociale ».
Par ailleurs, bon nombre de pays, ceux d’Orient, l’Inde, la Chine, etc., précisément du fait de la dernière guerre impérialiste, se sont trouvés définitivement rejetés hors de l’ornière. Leur évolution s’est orientée définitivement dans la voie générale du capitalisme européen. La fermentation qui travaille toute l’Europe y a commencé. Et il est clair maintenant, pour le monde entier, qu’ils se sont lancés dans une voie qui ne peut manquer d’aboutir à une crise de l’ensemble du capitalisme mondial.
Nous sommes donc à l’heure actuelle placés devant cette question : saurons nous tenir avec notre petite et très petite production paysanne, avec l’état de délabrement de notre pays, jusqu’au jour où les pays capitalistes d’Europe occidentale auront achevé leur développement vers le socialisme ? Mais ils ne l’achèvent pas comme nous le pensions auparavant. Ils l’achèvent non par une « maturation » régulière du socialisme chez eux, mais au prix de l’exploitation de certains Etats par d’autres, de l’exploitation du premier Etat vaincu dans la guerre impérialiste, exploitation jointe à celle de tout l’Orient. D’autre part, précisément par suite de cette première guerre impérialiste, l’Orient est entré définitivement dans le mouvement révolutionnaire, et a été définitivement entraîné dans le tourbillon du mouvement révolutionnaire mondial.
Quelle tactique cette situation impose-t-elle à notre pays ?
Evidemment la suivante : nous devons faire preuve de la plus grande prudence, afin de conserver notre pouvoir ouvrier, de maintenir sous son autorité et sous sa direction notre petite et toute petite paysannerie. Nous avons pour nous cet avantage que le monde entier est entraîné d’ores et déjà dans un mouvement qui doit engendrer la révolution socialiste universelle. Mais nous avons aussi ce désavantage que les impérialistes sont parvenus à scinder le monde en deux camps ; et cette scission se complique du fait que l’Allemagne, pays où le capitalisme est réellement évolué, ne saurait que très difficilement se relever aujourd’hui. Toutes les puissances capitalistes de ce qu’on appelle l’Occident la déchiquètent et l’empêchent de se relever. D’autre part, l’Orient tout entier, avec ses centaines de millions de travailleurs exploités, réduits à la dernière extrémité, est placé dans des conditions où ses forces physiques et matérielles ne sauraient aucunement soutenir la comparaison avec les forces physiques, matérielles et militaires de n’importe quel Etat, fût il beaucoup plus petit, de l’Europe occidentale.
Pouvons nous conjurer le choc futur avec ces pays impérialistes ? Pouvons nous espérer que les antagonismes et les conflits internes entre les pays impérialistes prospères d’Occident et les pays impérialistes prospères d’Orient nous laisseront une trêve pour la deuxième fois, comme ils l’ont fait la première fois, lorsque la croisade entreprise par la contre révolution occidentale pour venir en aide à la contre révolution russe échoua par suite des contradictions qui existaient dans le camp des contrerévolutionnaires d’Occident et d’Orient, dans celui des exploiteurs orientaux et des exploiteurs occidentaux, dans celui du Japon et de l’Amérique ?
Il me semble qu’à cette question il faut répondre que la solution dépend ici d’un trop grand nombre de facteurs ; ce qui permet, en somme, de prévoir l’issue de la lutte, c’est le fait qu’en fin de compte, le capitalisme lui même instruit et éduque pour la lutte l’immense majorité de la population du globe.
L’issue de la lutte dépend finalement de ce fait que la Russie, l’Inde, la Chine, etc., forment l’immense majorité de la population du globe. Et c’est justement cette majorité de la population qui, depuis quelques années, est entraînée avec une rapidité incroyable dans la lutte pour son affranchissement ; à cet égard, il ne saurait y avoir une ombre de doute quant à l’issue finale de la lutte à l’échelle mondiale. Dans ce sens, la victoire définitive du socialisme est absolument et pleinement assurée.
Mais ce qui nous intéresse, ce n’est point cette inévitable victoire finale du socialisme. Ce qui nous intéresse, c’est la tactique que nous devons suivre, nous, Parti communiste de Russie, nous, pouvoir des Soviets de Russie, pour empêcher les Etats contre révolutionnaires de l’Europe occidentale de nous écraser. Pour que nous puissions subsister jusqu’au prochain conflit militaire entre l’Occident impérialiste contre révolutionnaire et l’Orient révolutionnaire et nationaliste, entre les Etats les plus civilisés du monde et les pays arriérés comme ceux de l’Orient, et qui forment cependant la majorité, il faut que cette majorité ait le temps de se civiliser. Nous non plus, nous ne sommes pas assez civilisés pour pouvoir passer directement au socialisme, encore que nous en ayons les prémisses politiques. Il nous faut suivre cette tactique, ou bien adopter pour notre salut la politique suivante. Nous devons nous efforcer de construire un Etat où les ouvriers continueraient à exercer la direction sur les paysans, garderaient la confiance de ces derniers, et par une économie rigoureuse, banniraient de tous les domaines de la vie sociale jusqu’aux moindres excès.
Nous devons réaliser le maximum d’économie dans notre appareil d’Etat. Nous devons en bannir toutes les traces d’excès que lui a laissées en si grand nombre la Russie tsariste, son appareil capitaliste et bureaucratique.
Est ce que ce ne sera pas le règne de la médiocrité paysanne ? Non. Si nous conservons à la classe ouvrière sa direction sur la paysannerie, nous pourrons, au prix d’une économie des plus rigoureuses dans la gestion de notre Etat, employer la moindre somme économisée pour développer notre grande industrie mécanisée, l’électrification, l’extraction hydraulique de la tourbe, pour achever la construction de la centrale hydro électrique du Volkhov, etc. Là, et là seulement, est notre espoir. Alors seulement nous pourrons, pour employer une image, changer de cheval, abandonner la haridelle du paysan, du moujik, renoncer aux économies indispensables dans un pays agricole ruiné, et enfourcher le cheval que recherche et ne peut manquer de rechercher le prolétariat, à savoir, la grande industrie mécanisée, l’électrification, la centrale hydro électrique du Volkhov, etc.
Voilà comment je rattache dans mon esprit le plan d’ensemble de notre travail ; de notre politique, de notre tactique, de notre stratégie, aux tâches de l’Inspection ouvrière et paysanne réorganisée. Voilà ce qui justifie à mes yeux le souci exceptionnel, l’attention soutenue que nous devons porter à l’Inspection ouvrière et paysanne, en la plaçant à une hauteur exceptionnelle, en conférant à ses dirigeants les droits du Comité central, etc., etc.
En voici la justification : c’est seulement en épurant au maximum notre appareil, en réduisant au maximum tout ce qui n’est pas absolument nécessaire, que nous pourrons nous maintenir à coup sûr. Et cela, non pas au niveau d’un pays de petite agriculture paysanne, non pas au niveau de cette étroitesse généralisée, mais à un niveau qui s’élève de plus en plus vers la grosse industrie mécanisée.
Telles sont les grandes tâches dont je rêve pour notre Inspection ouvrière et paysanne. Voilà pourquoi je projette pour elle la fusion de l’organisme suprême du Parti avec un « simple » Commissariat du Peuple. Signé Lénine - Le 2 mars 1923."

Comment réorganiser l’Inspection ouvrière et paysanne ?

Mieux vaut moins mais mieux

De la coopération

Feuillets de bloc-notes

Sur notre révolution

Lettre au Congrès

Attribution de fonctions législatives au Gosplan

A propos de l’accroissement de l’effectif du Comité central

La question des nationalités ou de l’ « autonomie »

Ultimes recommandations au Comité central du Parti communiste russe

1922-1923 : Lénine et Trotsky unis contre Staline

Qui a tué Lénine ?

Staline n’est pas le continuateur de Lénine !!!

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