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Le guide du chasseur de nuages

vendredi 10 juillet 2020, par Robert Paris

Un livre pour les vacances : Le guide du chasseur de nuages, ou les grandes eaux de la dialectique dans le ciel.

En cette période de vacances, le matraquage à propos du beau temps, condition de « réussite » des congés bat son plein. Météo nationale/météo du Capital ! dit à juste titre un slogan.
Heureusement, le livre Le guide du chasseur de nuages par Gavin Pretor-Pinney va a contre-sens, il est à mettre dans le sac à dos du randonneur. L’auteur se place d’un point de vue révolutionnaire, il commence par un Manifeste :

Nous pensons que les nuages sont injustement dénigrés, et que la vie serait incomparablement plus pauvre s’ils n’existaient pas
Nous croyons que les nuages sont des poèmes de la Nature, les plus équitables parmi ses bienfaits car chacun peut les observer à loisir.
Nous nous engageons à combattre sans relâche le diktat du « ciel bleu »

Poésie et révolution sont ils compatibles ? Marx avait souligné l’aspect contradictoire révolutionnaire/réactionnaire des poètes romantiques allemands, il est donc important de comprendre ce qu’il y a de révolutionnaire et de réactionnaire dans les idéologies liées au ciel car si des philosophes, des religieux ont fait du soleil l’incarnation du Bien, du Dieu unique, ce n’est pas par hasard !
L’auteur commence donc dans son introduction par dénoncer ces idéologie pro « soleil dans le ciel bleu », et réhabilite les nuages : la plupart de nos contemporains paraissent à peine remarquer les nuages, ou alors ils les voient comme des obstacles à la journée « parfaite ». De même il semble que rien ne leur soit plus désirable qu’un « bonheur sans nuage »

Le livre a un haut niveau scientifique, il commence par un grand tableau avec les catégories de nuages et plein de noms latins. Mais ce tableau vise seulement à servir de référence et sa seule difficulté a été introduite par les éditeurs de la version française qui ont inversé « nuages hauts » et « nuage bas », ce qui peut embrouiller le lecteur au début.

Marx le dit dans la préface du Capital : il n’y a pas de chemin facile pour la science. Mais heureusement la dialectique facilite un exposé. De même que Marx commence le Capital par l’étude d’un objet familier, la marchandise, à partir duquel il déroule tous les mécanismes du capital, l’auteur du guide commence avec le nuage que tout enfant identifie rapidement : le cumulus, ces boules de coton des jours de soleil (chapitre 1). Bien entendu on y apprend que ces nuages ne sont pas en coton, mais on voit que l’auteur part d’images très parlantes, des « phénomènes » pour nous amener de proche en proche à « l’essence », avec toutes les explications physiques, chimiques.

Après ce chapitre 1, on va ainsi jusqu’au chapitre 10, chaque chapitre ayant pour titre le nom scientifique d’un nuage. Le plan du livre est donc basé sur la classification des nuages en 10 espèces, élaborée par l’anglais Luke Howard vers 1800 : 4 nuages bas (cumulus, cumulonimbus, stratus, stratocumulus), 3 nuages moyens (altocumulus, altostratus, nimbostratus), 3 nuages hauts (cirrus, cirrocumulus, cirrostratus).

N’est-ce pas anti-dialectique de fixer 10 types de nuages ? Cela ne fait-il pas disparaitre la poésie ? C’est pourtant un passage obligé :

Le chasseur de nuages qui veut acquérir la bonne nomenclature doit se rappeler qu’un exemplaire de n’importe quel type de nuage ne peut jamais appartenir qu’à une seule espèce à la fois.

Mais il nuance :

Naturellement les nuages n’accordent pas beaucoup d’attention aux règles de conduite que nous leur assignons présomptueusement. Le chaos qui règne dans leur coeur se fait fort de bouleverser nos tentatives de classification. Comment un corps si nébuleux , éphémère et changeant peut-il être rangé dans un casier ? Le chasseur de nuage finira par aimer le caractère rebelle du nuage - au moment même où il pensera avoir identifié une formation, celle-ci, changeant d’aspect, va narguer ses efforts pour se plier à son ordre.

Mais l’auteur ne renonce pas à l’utilisation de catégories fixes créé par notre « entendement » pour construire une science des nuages. Il répond à cette objection (que pourraient faire des camarades anarchistes ou gauche communiste dans leur analyse des nuages) d’un point de vue dialectique :

Quand Luke Howard proposa son système de classification des nuages à sa mémorable conférence de 1802 « Sur la modification des nuages » une partie de son génie consista à mettre en évidence l’inexactitude qu’il y a à considérer les nuages comme des formes fixes. Ils sont en perpétuelle transformation - ce que ni les photographes ni les peintres ne sont en mesure de reproduire. En introduisant les termes de cumulus, stratus, cirrus et nimbus, Howard se référait à des instants fugaces dans le cours de l’incessante mouvance des formes nuageuses. Les nuages peuvent être considérés comme des états momentanés de l’eau qui poursuit inlassablement un cycle ascendant et descendant - comme la balle de tennis gracieusement suspendue en l’air au pont culminant d’un lob.

L’auteur ne parle pas de Lénine, mais il paraphrase son commentaire de la phrase de Hegel : Dans ce réseau se forment ici et là des noeuds plus solides qui sont les point d’appui et les repères de sa conscience (Hegel, préface à la 2ème édition de la Science de la Logique) :
Comment entendre ceci ? Devant l’homme il y a le réseau des phénomènes naturels. L’homme instinctif, le sauvage, ne se détache pas de la nature. L’homme conscient s’en détache, les catégories sont les échelons de ce détachement, c’est-à-dire de la connaissance du monde, elles sont les points nodaux dans le réseau qui aident à le connaitre et à se l’approprier (Lénine, Résumé de la Science de la Logique de Hegel). Comme pour Howard, pour Lénine et Hegel les « catégories » crées par notre entendement (comme les 10 types de nuages) son un échelon sur une échelle qui sert à nous élever, la notion de mouvement de la matière et de la pensée n’est pas supprimé.

Londres, ville où Lénine étudia le plus la Logique de Hegel, est souvent évoquée par l’auteur, car c’est une ville qui avec ses pluies, brumes et brouillard (qui sont des nuages au sol) est le paradis des nuages. Ce n’est donc peut-être pas un hasard si c’est à Londres que Lénine a le plus étudié la dialectique, plutôt qu’à Alger ou Tunis.

La classification en 10 espèces se raffine comme pour les végétaux et animaux en variétés, et les camarades formalistes qui veulent apprendre le latin et la nomenclature complète trouveront de quoi s’occuper. Mais en arrière plan de cette classification, l’auteur fait comprendre l’unité de ces phénomènes de l’atmosphère. Il y a une seule substance disait Spinoza. Ainsi une des premières questions posées par les amateurs de nuages fut celle de l’unité : un nuage français est-il différent d’un nuage australien ou malien ? A priori différents climats pourraient engendrer différents nuages. La réponse est non ! L’atmosphère terrestre forme un système unique :

L’honorable Ralph Abercromby, victorien fortuné et passionné, qui en rassemblant des météorologistes avait fondé le Comité des nuages d’où sortirait le premier « Atlas international des nuages » en 1896, avait passé plusieurs années à parcourir le monde en bateaux, trains et cars en quête de nuages, curieux de voir si les nuages différaient d’une région du globe à l’autre et il conclut que tout compte fait ils ne différaient pas.

Ce passage est au chapitre 13 où l’auteur décrit un nuage, La gloire du Matin, qui est ... un tsunami, observable dans une seule région du monde au nord de l’Australie. Avec une base scientifique bien fournie c’est au travers de plein d’anecdotes (par exemple la chute d’un aviateur dans un cumulo-nimbus orageux au chapitre 2), d’exemples très concrets et familiers que l’auteur fait comprendre les lois de la physiques de l’atmosphère.

Chaque chapitre donne un résumé qui permet de tester si une nuage qu’on observe fait partie de ce type. Cela permet les travaux pratiques, travail intellectuel et manuel ne sont donc pas séparés, cela fera du bien à tous ceux qui se font l’écho des théories sur le réchauffement climatique, mais dédaignent le B-A BA de la météo : commencer à comprendre ce qu’est un nuage et à travers cela les métamorphoses de l’énergie solaire transportée par l’eau.

Il n’y a donc pas de raison pour ne pas lire ce livre en vacances, en ville où à la campagne. Il est incontournable lors une randonnée dans les montagnes, où l’on peut le mieux observer tous les types de nuages pendant leur formation même.

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