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Barta (David Körner) et l’auto-organisation des travailleurs

mardi 19 janvier 2021, par Robert Paris

Barta (David Körner) et l’auto-organisation des travailleurs

N°2 de L’Ouvrier, 15 janvier 1940 :

« Travailleurs ! Formez vos COMITES D’USINE pour lutter ! VIVE le gouvernement OUVRIER et PAYSAN, gouvernement créé par les comités de masse (Comités d’ouvriers, de paysans, de soldats) par l’armement du prolétariat. »

1942, Les cahiers du militant nº1 :

« Pour le gouvernement révolutionnaire des Comités ouvriers et paysans !

N°1 de La Lutte de classes du 22 octobre 1942 :

« Les syndicats ouvriers ont été détruits. Pour défendre vos droits, remplacez-les par des COMITES D’USINE illégaux. »

N°20 de La lutte des classes du 21 novembre 1943 :

« Nous restons fidèles au mot d’ordre : LES SOVIETS PARTOUT ! »

N°24 de la « Lutte des classes » du 6 février 1944

« Encore une fois, seule l’action autonome des ouvriers réalisera l’armement du prolétariat ! »

Socialisme ou barbarie ? - 20 février 1944 :

« Comment l’ouvrier conscient doit-il donc orienter la lutte des travailleurs contre la guerre et le capitalisme ?
Les aspirations profondes des masses, après quatre ans et demi de guerre, de misère et de terreur politique de la bourgeoisie, sont la PAIX, le PAIN et la LIBERTE. Il s’agit d’orienter ces aspirations des ouvriers, de la population pauvre des villes, et des petits paysans VERS DES SOLUTIONS PROLETARIENNES, seules capables de les réaliser.
Le souci quotidien des travailleurs, c’est le pain. La lutte des ouvriers pour le pain doit être menée avant tout dans les usines, par une lutte pour l’augmentation des salaires. Il faut à chaque occasion tendre à l’unification des mouvements revendicatifs, éviter que les ouvriers des différents ateliers présentent isolément leurs revendications. C’est la grève qui constitue l’arme essentielle de la lutte revendicative. ET LA LUTTE GRÉVISTE POUR L’AUGMENTATION DES SALAIRES CONSTITUE EN MEME TEMPS UN DES MOYENS LES PLUS EFFICACES DE LUTTE CONTRE LA MACHINE DE GUERRE.
Mais la situation des ouvriers et des masses laborieuses ira toujours en s’aggravant (jusqu’à la famine) si le ravitaillement continue à se faire par les voies actuelles. Les liens entre la ville et la campagne ont été rompus par la guerre. Les réquisitions de l’armée d’occupation et l’accaparement du trafic par les gros requins du marché noir avec la complicité des organes d’Etat, grugent les petits paysans et affament les villes. C’est la tâche directe des masses exploitées de la ville et de la campagne de rétablir les liens économiques entre elles. Le seul moyen d’améliorer la situation alimentaire est donc LE CONTRÔLE DU RAVITAILLEMENT PAR LES COMITES D’USINE (élus par les ouvriers) ET PAR LES COMITES DE QUARTIER (élus par les ménagères).
Mais une solidarité définitive entre la ville et la campagne ne peut être établie que si les travailleurs peuvent fournir aux paysans, en échange des produits alimentaires, des produits industriels qui leur sont indispensables.
Les travailleurs doivent dénoncer à toute la population paysanne et pauvre l’incapacité et la bestialité de la bourgeoisie qui a ruiné le pays pour maintenir sa domination. Ils doivent leur expliquer que seul le PLAN OUVRIER, qui orienterait l’industrie vers les véritables besoins des populations (des tracteurs agricoles et non pas des tanks !) peut mettre un terme aux maux actuels. Ils doivent donc mettre en avant la revendication du RETOUR AUX FABRICATIONS DE PAIX et du CONTROLE OUVRIER SUR LA PRODUCTION.
Or toute tentative d’arracher à la bourgeoisie le morceau de pain quotidien doit inévitablement se heurter aux organes de répression de l’impérialisme français et allemand. C’est pourquoi une lutte sérieuse pour le pain pose au premier plan la lutte politique pour le renversement du régime de Vichy et de la Gestapo.
Les travailleurs doivent mettre en avant la lutte pour la reconquête des droits de grève, de réunion, d’association et de presse.
Une telle perspective exige une politique internationaliste visant à obtenir l’appui ou la neutralité des soldats allemands, sans lesquels il n’est pas possible de renverser le régime PAR LES FORCES PROLETARIENNES ET AU PROFIT DES OPPRIMES.
Mais la lutte contre la dictature politique de la bourgeoisie exige la CREATION DE MILICES OUVRIERES EN VUE DE L’ARMEMENT DU PROLETARIAT. Cette tâche peut être réalisée par les travailleurs à condition qu’ils se pénètrent de la nécessité de ne compter que sur eux-mêmes et de ne pas faire confiance à la bourgeoisie française et alliée.
La réalisation de l’armement du prolétariat peut faire un grand pas en avant si les travailleurs réfractaires réfugiés dans le maquis, déjà partiellement armés, parviennent à se soustraire au contrôle de l’impérialisme gaulliste et allié par l’élection démocratique des chefs.
L’orientation de la lutte en ce sens n’a pas une importance vitale seulement pour le présent : Il s’agit avant tout de préparer l’avenir.
En effet, dans les conditions crées par la guerre et désagrégation de l’économie, tout gouvernement qui s’appuierait sur les organes de l’État bourgeois (corps des officiers, police, haute administration, haute magistrature), se comporterait automatiquement (quelle que soit sa phraséologie) comme celui de Vichy. A travers les luttes pour les objectifs immédiats, les travailleurs conscients doivent donc lutter CONTRE LES ILLUSIONS DU PARLEMENTARISME et APPELER A LA CREATION D’ORGANES VERITABLEMENT DEMOCRATIQUES, LES CONSEILS (SOVIETS) OUVRIERS ET PAYSANS, élus à l’échelle locale, régionale et nationale par les masses en lutte contre l’Etat bourgeois.
S’appuyant sur ces Comités, le Gouvernement ouvrier et paysan est le gouvernement du peuple par le peuple lui-même. Seul il peut résoudre les problèmes posés par la guerre ; seul il peut punir les criminels qui ont plongé la France dans la IIème guerre mondiale, qui ont détruit les organisations et les libertés ouvrières, qui ont organisé la déportation en Allemagne et fait emprisonner, torturer et tuer des dizaines de milliers de militants ouvriers.
SEULE LA DICTATURE DU PROLETARIAT PEUT ASSURER AUX MASSES LE PAIN, LA PAIX ET LA LIBERTÉ !
A BAS LA REPUBLIQUE "DEMOCRATIQUE" ! VIVE LA REPUBLIQUE SOVIÉTIQUE !

N°32 de la Lutte des classes du 8 juillet 1944 :

« Face à la famine… dans tous les domaines, la solidarité et l’organisation de la classe ouvrière doivent servir d’exemple et entraîner toutes les couches pauvres dans la seule voie qui peut nous éviter la famine : la liaison entre la ville et la campagne, entre ouvriers et paysans pauvres, et le contrôle du ravitaillement par les comités d’ouvriers et de ménagères. »

N°33 de la Lutte des classes du 22 juillet 1944 :

« Les masses doivent créer leur propre gouvernement, leurs propres organes de pouvoir, les Conseils (soviets) d’ouvriers et de paysans. »

LA LUTTE de CLASSES – n° 3 - 28 juillet 1944 :

« La classe ouvrière ne peut pas s’émanciper sans briser l’armée permanente. Le principal moyen d’y arriver, c’est qu’elle organise tout d’abord ses propres milices ouvrières. En soutenant la lutte des travailleurs-soldats contre la conscription, le service militaire prolongé, les Cours martiales et le régime des casernes, et en s’armant elle-même, la classe ouvrière facilite aux soldats leur émancipation de l’armée permanente et les lie à la cause des exploités.

La milice ouvrière est l’organisation des travailleurs en armes pour la défense sur place de l’usine, du chantier, de la mine ou du village contre la bourgeoisie.

Le peuple en armes n’a besoin ni de casernes, ni d’officiers de métier ; il ne retire pas de la production toute une partie de la population : l’entraînement militaire se fait en dehors des heures de travail et les chefs sont élus par les combattants parmi les plus dévoués et les plus qualifiés.
La victoire ouvrière et la chute de la bourgeoisie supprimeront pour la classe ouvrière la nécessité d’être en armes ; c’est donc seulement en s’organisant en milice ouvrière que les masses parviendront à briser les armées permanentes, que la bourgeoisie entretient constamment pour la défense de ses intérêts impérialistes, contre les masses et sur leur dos.

Tandis que l’armée permanente est un chancre qui ronge toute la société, et l’instrument de l’asservissement du peuple par la bourgeoisie, la MILICE OUVRIERE, organisation des travailleurs en armes, est l’instrument de leur émancipation.

LA LUTTE DE CLASSES nº 36, 19 septembre 1944 :

« OU VA LA FRANCE ? A QUI APPARTIENT LE POUVOIR ?

« Voici quatre semaines à peine que le régime "républicain" a remplacé celui de "l’Etat c’est moi", les fumées se dissipent et les choses commencent à montrer leur véritable aspect. De Gaulle affirme s’appuyer sur les lois de la République : mais ces lois de la "République", ce sont les lois scélérates votées depuis 1938 et surtout en 1939-1940 par le Parlement, lois féroces anti-communistes et anti-prolétariennes qui donnent un pouvoir DICTATORIAL au gouvernement bourgeois. En vain l’Humanité (qui fournit au gouvernement de la chair à canon patriotique) se lamente-t-elle sur le manque de démocratie véritable. Comme nous n’avons cessé de l’expliquer, à notre époque de guerres impérialistes et de guerre civile, quand le capitalisme pourrit toute la société, ce n’est pas la forme de l’Etat qui décide de la démocratie, mais à qui appartient le pouvoir : à la bourgeoisie, par des organes éloignés des masses, au-dessus et contre elles (police, etc...), ou aux travailleurs, par des organes non distincts de la masse, qui sont leur émanation directe : les Conseils ouvriers et paysans, organisations du pouvoir des masses en lutte. Grâce aux staliniens, le pouvoir n’a pas un instant cessé d’être entièrement entre les mains de la bourgeoisie, car les masses ne disposent d’aucun organe du pouvoir qui soit leur émanation et leur instrument exclusif contre les entreprises de la bourgeoisie (milices ouvrières, comités d’usine et de quartier, etc...).

Dans les usines et dans les quartiers, les travailleurs, dans des Assemblées générales ou de masse, élisent des délégués, révocables à chaque instant, chargés d’exécuter les mesures votées par les assemblées. Ces comités exécutifs locaux envoient des délégués à la région, qui à leur tour délèguent des responsables nationaux. Ainsi se trouve créé un organisme groupant dans son sein les millions d’exploités en lutte sans nuire à l’unité d’action ; car ce sont les travailleurs eux-mêmes qui déterminent démocratiquement (à la majorité) la politique à suivre dans chaque question donnée. Chaque parti politique peut ainsi faire la preuve de ce que valent pratiquement ses méthodes d’action. Il ne s’agit plus d’étiquette ("réformiste" ou "révolutionnaire"), mais de l’attitude devant des faits que les masses touchent du doigt.

Ce n’est pas à tort qu’on a appelé les Comités (ou Conseils) ouvriers des "Parlements ouvriers". Chaque parti garde son entière liberté d’agitation et de propagande parmi les masses, mais dans l’action pratique il doit faire approuver sa politique par les masses groupées dans les Comités. Mais les Comités ne sont pas un organisme seulement légiférant, ils sont à la fois délibératifs, législatifs et exécutifs.

Les Comités n’ont pas de vertu en soi. C’est selon la politique qui triomphera en leur sein que se décidera le sort de la classe ouvrière. En voici deux exemples : en Russie en 1917, avec le triomphe dans les masses soviétiques de la politique bolchévique (révolutionnaire) sur la politique menchévique (réformiste), les Soviets (nom russe des "Comités") prirent en main tout le pouvoir et les capitalistes furent renversés. En Allemagne en 1918, ce fut la politique réformiste qui triompha dans les Conseils, grâce à la faiblesse politique de la fraction révolutionnaire ; les réformistes s’unirent en un Front populaire avec la bourgeoisie, transmirent tout le pouvoir des Conseils à la bourgeoisie et menèrent finalement à leur liquidation. Le sort de l’Allemagne fut décidé dans le sens fasciste grâce à la trahison réformiste.

LA LUTTE DE CLASSES nº 37, 10 octobre 1944 :

On essaie ainsi à nouveau d’embourber les ouvriers dans des mesures démagogiques et des promesses. Les dirigeants de la CGT, tout en faisant la discrimination entre "bons" et "mauvais" patrons, approuvent et demandent la création de pareils Comités mixtes qui peuvent, paraît-il, apporter une solution à la crise. Ils n’osent pas avouer, ces bureaucrates, que pour briser la résistance des exploiteurs, il faut faire sentir à ceux-ci LA PRESSION DU PROLETARIAT. Or cette pression on ne peut pas la faire sentir par de soi-disant Comités mixtes, organes de domestication, mais par les COMITES D’USINE, élus par l’ensemble des ouvriers et des employés de l’entreprise, contrôlables par eux, et qui créent en tant qu’expression organisée de l’ensemble des travailleurs, un contre-poids puissant à la volonté du patronat. Et c’est à ces Comités, forts de l’appui de la masse des ouvriers, d’exiger non pas le droit de donner des avis sur l’intensification de la production, mais de contrôler la production et la comptabilité, d’abolir les secrets industriels et commerciaux, de révéler dans quelle mesure le patron travaille pour la société et dans quelle mesure pour ses propres intérêts, et de faciliter du même coup la solution des problèmes tels que les salaires, le chômage, etc. Les techniciens, les comptables, les ingénieurs ne refuseront pas de conseiller utilement les Comités d’usine.
De nombreuses usines restent fermées, le sabotage des patrons qui veulent rester "de droit divin" pèse sur l’économie. Les ouvriers doivent pouvoir reprendre le travail dans ces usines au compte de la société, et l’administration doit être assurée directement par les ouvriers.
Mais pour rendre ce travail possible, pour imposer l’expropriation des industries vitales pour toute la société, il faut instaurer LE CONTROLE OUVRIER.
Les Comités d’usine, organes du Contrôle ouvrier, éliront à une étape ultérieure des Comités de Contrôle par branche d’industrie, par région économique et enfin pour l’industrie nationale en son ensemble. Le contrôle ouvrier deviendra ainsi pour la classe ouvrière l’école de l’économie planifiée, il préparera le prolétariat à prendre en main la direction de l’industrie nationalisée, à laquelle les ouvriers n’aboutiront qu’en faisant confiance en leurs propres forces seulement, à l’exclusion de tous agents d’un gouvernement bourgeois !

LA LUTTE DE CLASSES nº 38 Organe de l’Union Communiste (IVème Internationale), 5 novembre 1944 :

Devant le coup de force gouvernemental
DRESSONS NOS COMITES OUVRIERS !
FORMONS LES MILICES OUVRIERES !

Par un coup de force, le gouvernement vient de décider le désarmement des milices patriotiques. Dans le camp de la "Résistance" cela a entraîné l’approbation des uns (les bourgeois de "l’ordre") et la protestation platonique des autres (Saillant, les socialistes). L’Humanité proteste "vigoureusement", mais ce n’est quand même en fin de compte qu’une protestation.

Le gouvernement déclare avoir pris cette mesure afin de mettre les milices patriotiques sous le contrôle direct de l’armée et de la police de l’Etat. Ceci étant justifié par le maintien de "l’ordre".

Pourtant, Saillant a déclaré que le C.N.R. projetait de transformer les milices patriotiques en "gardes civiques et républicaines". Et l’Humanité n’a jamais cessé de répéter : "les milices patriotiques ne désirent rien d’autre qu’une collaboration disciplinée avec les Autorités et une collaboration confiante et amicale avec la police rénovée" (30/8/44).

Mais si les milices patriotiques ne sont effectivement qu’une "garde civique et républicaine", dévouée aux intérêts de la patrie, dont le gouvernement est actuellement le maître, POURQUOI CE GOUVERNEMENT PREND-IL CONTRE CELLES-CI DES MESURES DE FORCE ?

La guerre patriotique mobilisant l’enthousiasme des masses et donnant satisfaction à leurs aspirations n’est possible que si la classe capitaliste a été d’abord renversée et qu’elle n’est plus maître dans le pays. L’Humanité veut mobiliser les ouvriers pour cette guerre des capitalistes, en nous donnant l’exemple de la Russie ou de la Révolution française. Mais la Russie est un pays où la Révolution prolétarienne et la guerre civile ont mis fin au règne des capitalistes. Quant à la France, il est question de la Révolution d’il y a 150 ans, où la bourgeoisie révolutionnaire renversait la féodalité. Mais aujourd’hui c’est la bourgeoisie qu’il s’agit de renverser. Sa domination étant chancelante, la bourgeoisie craint comme la peste tout véritable mouvement d’en bas, même dévié par les social-traîtres vers le patriotisme. En un mot, la bourgeoisie nous frappe uniquement parce que nous sommes des ouvriers et que nos intérêts sont naturellement tout à l’opposé des siens.

Avec le désarmement des gardes patriotiques, c’est toute la politique stalinienne qui fait faillite : "la punition des coupables", "la mise en marche de l’industrie", "la parole au peuple". CAR LE DERNIER CONFLIT REVELE QUE DEVANT LE POUVOIR DE LA BOURGEOISIE LA CLASSE OUVRIERE SE TROUVE DESARMEE ET A LA MERCI DES EXPLOITEURS.

Les milices ouvrières doivent être formées sur la base du lieu de travail et d’habitation et être indissolublement liées à l’ensemble de la classe ouvrière. Elles doivent avoir comme objectif non pas la défense de "l’ordre" en général, mais la défense des usines contre les attaques fascistes, la défense des grèves, des réunions, des syndicats ouvriers, des organisations et de la presse ouvrières. Elles doivent montrer devant le gouvernement une résolution inébranlable, qui seule peut imposer le respect à celui-ci.

Ce n’est que si les Milices se posent des objectifs spécifiquement ouvriers, concernant les intérêts des classes exploitées et non de la nation en général (c’est-à-dire d’abord de la bourgeoisie), que les millions de travailleurs auront la confiance et le dévouement nécessaires pour mettre en échec les tentatives réactionnaires de la bourgeoisie.

Une politique prolétarienne, saine, claire sur les tâches à accomplir et les méthodes à suivre, renforcera et resserrera les rangs du prolétariat. Autour du prolétariat uni dans ses Comités, dans une seule et même action pour la défense des opprimés, contre la politique de réaction, de sabotage et d’affamement de la bourgeoisie, contre tout soutien du gouvernement qui est le suppôt de cette bourgeoisie, se rallieront les millions d’opprimés des villes et des campagnes, qui trouveront dans le prolétariat un guide pour leur lutte. La force du camp prolétarien serait alors invincible. Mais si le prolétariat ne montre pas cette cohésion et cette capacité de lutter, la haute bourgeoisie pourra s’emparer des masses petites-bourgeoises pauvres, déçues, désespérées, pour canaliser leur mécontentement contre le prolétariat : ce serait alors le fascisme.

Les travailleurs français comme autrefois les travailleurs d’Allemagne, se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins : vers la défaite, par l’union sacrée, ou vers la victoire, par une lutte de classe pour les intérêts de tous les exploités et opprimés.

VIVENT LES MILICES OUVRIERES !

VIVENT LES COMITES OUVRIERS !

N°48 de la Lutte des classes du 11 juin 1945 :

« Si vous êtes prêts par votre force et votre activité de tous les jours à vous opposer aux plans de la bourgeoisie… alors n’attendez pas qu’on vous convoque pour des élections… Renouvelez les hommes et les rapports politiques dans le pays en élisant dans chaque action que vous menez ceux qui se sont montrés les meilleurs et les plus dévoués, dans des Comités d’action, responsables devant vous et révocables par vous !

Organisez dès maintenant votre force dans des Milices ouvrières ! »

LA GRÈVE DES USINES RENAULT - Pierre Bois et Barta – Textes de l’UC 25 mai 1947 :

LA GRÈVE DES USINES RENAULT

Depuis des mois chez Renault, comme partout, le mécontentement des ouvriers augmentait en même temps qu’augmentaient les difficultés de la vie. Quelle est la situation chez Renault ? On a souvent dit que Renault était la boîte la plus mal payée de la région parisienne. Ce n’est pas tout à fait exact. En général, dans la métallurgie, les boîtes moyennes et surtout les petites boîtes payent davantage que les grosses entreprises genre Renault ou Citroën. Cela tient à ce que dans les petites boîtes la rationalisation est beaucoup moins poussée que dans les grosses. Les patrons ont intérêt à garder leur personnel qui se compose en grande partie d’ouvriers professionnels. Dans les grosses entreprises, du fait de la rationalisation, le personnel se compose en grande partie d’ouvriers spécialisés, facilement remplaçables.

D’autre part, dans les grosses entreprises, le patronat a les reins plus solides pour résister à la pression ouvrière. S’il est vrai que les ouvriers des grosses boîtes sont moins payés que ceux des petites, les tarifs dans les grosses entreprises, comme Citroën et Renault, sont sensiblement les mêmes. Il est évident qu’on peut montrer des bulletins de paye de 42 francs et 34,30 frs. chez Renault, tandis qu’on montre des bulletins de 62 francs chez Citroën. Mais l’inverse est également vrai. Tout dépend des conditions de travail et du moment. Ainsi, dans l’ensemble, avant l’augmentation des 25%, les ouvriers de Renault étaient mieux payés que ceux de chez Citroën. Depuis que les ouvriers de chez Citroën se sont mis en grève et ont failli renverser la voiture de Hénaff (fin février 1947), la moyenne des salaires chez Citroën est sensiblement supérieure à celle de chez Renault. On a essayé d’expliquer la prétendue infériorité des salaires chez Renault par le fait des nationalisations.

Au début de la grève, les ennemis des nationalisations —toute la presse de droite— ont tenté d’expliquer notre grève par la faillite des nationalisations. Et s’ils ont eu l’air d’appuyer notre mouvement au début, ils se sont immédiatement rétractés lorsqu’ils ont vu que le conflit devenait un problème gouvernemental. Les amis des nationalisations ont essayé de faire croire que notre mouvement était uniquement dirigé contre les nationalisations. Tout cela est faux. En réalité, dès 1945, dans de nombreuses boîtes, notamment chez Citroën, une forte opposition se manifesta, de très nombreuses grèves sporadiques eurent lieu et si elles ne donnèrent que des résultats insignifiants, c’est que la bureaucratie syndicale ne rencontrant pas une opposition organisée suffisamment forte fut à chaque fois en mesure de saboter les mouvements. C’est ainsi que plusieurs camarades, après un travail de quelques mois, furent mis à la porte ou durent prendre leur compte après les brimades conjuguées de la section syndicale et de la direction. Le mouvement de mécontentement chez Renault, qui a abouti à la grève, n’est pas d’aujourd’hui et il n’est pas non plus particulier à Renault.

Chez Renault, comme partout ailleurs, la section syndicale était incapable d’interpréter ce mécontentement. Elle ne s’en souciait pas. Elle vivait en dehors ou au-dessus des ouvriers. Pourtant elle prétendait grouper 17.000 adhérents sur les 30.000 ouvriers. En réalité, la plupart ne payaient plus leurs cotisations. Il n’y avait plus de réunions syndicales et quand, par hasard, il y avait une assemblée, le nombre des présents était infime. Devant la carence de la section syndicale, les ouvriers devaient donc chercher un autre moyen de se défendre. Aussi nous disions dans le tract qui convoquait au meeting public du lundi 28 avril : "Les organisations dites ouvrières, non seulement ne nous défendent pas, mais encore s’opposent à notre lutte. C’est à nous qu’il appartient de défendre nous-mêmes nos revendications : 1º 10 francs de l’heure sur le taux de base ; 2º Paiement intégral des heures de grève. Seule l’action peut nous donner satisfaction". "Nous avons déclenché le mouvement. Nous appelons tous les ouvriers à se joindre à nous, à nommer des représentants qui viendront se joindre à notre comité de grève qui siège en permanence au Département 6 (secteur Collas)".

Notre tract du 6 mai explique la cause du conflit : "En réalité ce sont les dépenses ruineuses de l’Etat qui provoquent l’inflation. M. Ramadier qui fait fonctionner la planche à billets pour couvrir, en partie, ces dépenses, veut en même temps en rendre responsable la classe ouvrière. La classe ouvrière, voilà l’ennemi pour ceux qui parlent au nom des capitalistes. La classe ouvrière doit non seulement supporter tous les sacrifices qu’on lui impose au nom de promesses non tenues ; mais dès qu’elle réclame les choses les plus indispensables pour vivre, on l’accuse, par-dessus le marché, de tous les maux qui sont les conséquences du fait que l"économie est dirigée par une poignée de capitalistes parasites. "Nous voulons la hausse des salaires par rapport aux profits des capitalistes. "Notre revendication : le minimum vital en fonction du coût de la vie, c’est à-dire garanti par l’échelle mobile, n’est pas une revendication particulière. C’est une revendication qui intéresse toute la classe ouvrière. "Contrairement à ce qu’on a tenté d’expliquer, la grève Renault na pas eu lieu parce que chez Renault on est plus mal payé que partout ailleurs. Si le tarif de chez Renault est actuellement un peu inférieur à Citroën ou à certaines petites boîtes, il est supérieur au tarif de boîtes même importantes comme le L.M.T., la Radiotechnique, l’Air liquide, etc. Lorsque nous sommes allés à la Commission du travail, M. Beugnez, le président de cette commission et député M.RP., nous a dît : "Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez Renault, mais je crois qu’il faut ramener le conflit à des proportions techniques." Pour ces gens-là il fallait limiter le conflit à des proportions techniques. Mais le conflit Renault n’était pas un conflit technique. C’était un conflit social. Les ouvriers de notre usine ont mené un combat d’avant-garde dans un mouvement général Et la meilleure preuve, c’est que la lutte pour la revalorisation des salaires, commencée chez Renault, s’est étendue à tout le pays."

La montée de la grève

Depuis quelques semaines, dans l’usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 1945 et 166 en novembre 1946) notre salaire a été augmenté seulement de 22,5 tandis que l’indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%. Dans l’Ile, c’est pour une question de boni que les gars ont débrayé ; à l’Entretien, c’est pour clamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grève. Ils n’ont malheureusement rien fait pour faire connaître leur mouvement parce qu’ils pensaient que "tout seuls, ils avaient plus de chance d’aboutir". Au bout d’une semaine de grève, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs, sauf pour les P1. A l’Artillerie aussi, il y a eu une grève. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 février, à la suite d’une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d’augmentation de 10 flancs de l’heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la C.G.T., le travail a repris. Finalement, les ouvriers n’ont rien obtenu, si ce n’est un rajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l’heure. A l’atelier 5 (trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs. A l’atelier 17 (Matrices), les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l’augmentation des salaires. N’ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail. Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants : 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l’égard de la direction syndicale, 172 au délégué C.G.T., 32 au délégué C.F.T.C. Au secteur Collas les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement D’autres sections imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l’opposition systématique des dirigeants syndicaux. L’atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l’atelier 5, n’ayant pu entraîner le reste du département, a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines, une agitation grandissante se manifestait Partout volonté d’en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.

La première journée

Le mercredi 23 avril, les ouvriers du secteur Collas (boîtes de vitesse, direction, pignons) élisent parmi eux, en réunion générale, un bureau avec mandat de préparer et de décider l’action dans les meilleures conditions. Le vendredi 25 avril, à 6 h.30, un piquet est à la porte et distribue un tract du Comité de grève, tandis que l’ordre de grève est affiché. Le courant a été coupé, chaque transfo est gardé par un piquer. Les portes d’entrée sont également gardées ; une affiche invite les ouvriers a assister à la réunion générale, à 8 heures, dans le hall. Un nouveau vote confirme la grève par une majorité d"environ 85% . Après plusieurs manoeuvres des cégétistes, l’atelier 5 (la Trempe) refuse de se joindre au mouvement. Quoique faisant partie du département 6, il restera toujours à l’écart du Comité de grève. Le secrétaire général Plaisance, ainsi que les délégués, tout en désapprouvant notre grève promettent de "s"incliner devant les décisions de la majorité". Une délégation se rend à la direction pour déposer la revendication. Pendant ce temps, exception faite des piquets qui restent à leur poste, l’ensemble des ouvriers se répand dans les divers ateliers pour les inviter à se joindre à nous. Les moteurs s’arrêtent ; les délégués syndicaux les remettent en route. Quoique certains ouvriers soient au courant du mouvement de grève, la majorité est surprise ; elle hésite devant l’hostilité farouche des délégués. A 13 heures, profitant de ce qu’il règne dans les autres secteurs une certaine confusion susceptible de démoraliser les ouvriers de Collas, les délégués syndicaux réclament un nouveau vote dans ce secteur. La réponse est ferme : "Nous ne sommes pas des enfants qui changent d’opinion toutes les cinq minutes." Ils refusent le vote. En fin de journée, la grève tient ferme à Collas. Dans les autres secteurs, la pression des éléments cégétistes a eu raison de l’hésitation des ouvriers. A part quelques secteurs isolés, le travail a repris. Le meeting de la Place Nationale Le samedi et le dimanche, peu d’ouvriers sont présents à l’usine, en dehors des piquets. Mais le Comité de grève travaille. II faut étendre la grève à toute l’usine. C’est la seule garantie du succès. Un tract est tiré invitant les ouvriers à se joindre au mouvement ; il sera distribué le lundi matin à toutes les entrées de l’usine. Un meeting est prévu pour le lundi à la place Nationale. II faut que le secteur Collas fasse la démonstration qu’il est décidé à lutter. Il lui faut convaincre les autres secteurs d’agir avec lui. Naturellement, le lundi matin, quand les tracts sont distribués, quelques accrochages ont lieu avec les P.C.F. au Bas-Meudon, à la place Nationale, mais sans gravité. Au meeting, le Comité de grève appelle les ouvriers à se joindre au mouvement- La revendication est commune, la lutte doit être commune. Les 10 francs intéressent tous les ouvriers ; il faut réaliser l’unité d’action. Les ouvriers, convaincus de la justesse des revendications, apprécient le sentiment de démocratie qui anime le Comité de grève qui les invite à venir s’exprimer. Ils ont compris que l’affaire est sérieuse. A peine le meeting est-il terminé qu’on vient nous chercher pour aller à l’usine O. Un cortège se forme. A notre arrivée, des chaînes entières quittent le travail. A la suite d’un second meeting, un comité de grève est formé à l’usine O. Pendant tout l’après-midi le secteur Collas recevra des dizaines de délégations d’ouvriers représentant tantôt leur département, tantôt leur atelier, tantôt un petit groupe de camarades demandant des directives pour mener le combat. Mardi matin, environ 12.000 ouvriers sont en grève, malgré l’opposition des cégétistes. La direction syndicale se sent débordée. Pour essayer de reprendre le mouvement en main et de le contrôler, elle utilise une première "manoeuvre" en appelant elle-même à la grève générale, dune heure, pour soi-disant appuyer ses propres négociations avec la direction. Mais une fois en grève, les travailleurs de toute l’usine y restent, refusent de limiter le mouvement à une heure et suivent le secteur Collas dans la grève et dans ses revendications.

L’attitude de la direction

Les responsables cégétistes nous ont reproché d’avoir déclenché le mouvement juste au moment où le président-directeur de la régie, M. Lefaucheux, était absent. En fait, M. Lefaucheux est toujours absent. Et depuis plus d’un mois il était saisi de nos revendications. Le vendredi du déclenchement de la grève, les représentants de la direction se retranchent derrière des formalités légales pour refuser de discuter avec le Comité de grève "qu’ils ne connaissent pas’’. Cela n’empêchera pas les mêmes représentants patronaux de venir s’adresser au Comité de grève trois heures plus tard pour réclamer libre passage du matériel dans les départements en grève. Ce qui est évidemment refusé. Dès le samedi, on apprend que M. Lefaucheux est de retour. Le lundi matin, il discute avec... la section syndicale. Le mardi 29 avril, après un meeting du Comité de grève, 2.000 ouvriers environ se rendent à la direction. M. Lefaucheux est au ministère. Promesse est faite aux ouvriers que le Comité de grève sera reçu dans la soirée. Mais le soir, lorsque la masse des ouvriers est absente, il refuse, avec le plus grand mépris, de nous recevoir. Seule la complicité des responsables cégétistes a permis à la direction de refuser de recevoir les délégués du Comité de grève, mandatés par les ouvriers et de ne pas prendre en considération la volonté de ces derniers. La direction avait le plus grand intérêt à discuter avec les responsables cégétistes qui, sous couleur de représenter, eux, les ouvriers, négociaient et manœuvraient avec la direction pour la reprise du travail. Le lundi 12 mai, lorsque les ouvriers de Collas décideront de continuer seuls la lutte, M. Lefaucheux invitera les représentants du Comité de grève, en présence de deux délégués syndicaux- N’ayant pas obtenu la reprise du travail, il tentera le lendemain une manœuvre d’intimidation en venant lui-même s’adresser aux ouvriers, qui le feront déguerpir sous leurs huées parce qu’il refusera de répondre publiquement aux questions du Comité de grève La direction emploiera alors, sans plus de succès du reste, d’autres méthodes d’intimidation. Elle enverra inspecteur du travail nous menacer de poursuites pour entraves à la liberté du travail. La direction tantôt se raidit et cherche à nous intimider, tantôt essaie les formes paternalistes ; tantôt enfin elle se retranche derrière les décisions gouvernementales. Elle refuse de connaître le Comité de grève. Mais, en fin de compte, c’est l’action des grévistes qui tranche les questions et non les discussions des "représentants légaux".

La maîtrise et les grands bureaux

Ce n’étaient pas les employés et les techniciens qui pouvaient se mettre en avant du conflit. Mais lorsque les ouvriers ont eu donné le coup d’envoi, ils ont suivi le mouvement. Certains éléments se sont même placés à l’avant-garde. En général, le mouvement a bénéficié de la neutralité bienveillante de la maîtrise. L’influence du M.F.A. (Mouvement Français de l’Abondance) [*] parmi le personnel collaborateur est un facteur certain de la sympathie de celui-ci en faveur du mouvement. Lorsque le secteur Collas a continué seul la grève, la maîtrise, officiellement, n’a pas fait grève (elle a remis les moteurs en route quand la direction lui en a donné l’ordre), mais elle a favorisé le mouvement plutôt qu’elle ne l’a saboté. Les Grands Bureaux ont été les premiers à suivre le mouvement. Certainement, l’influence de la C.F.T.C., qui voyait avant tout une attaque anti-P.C.F., a favorisé le débrayage des bureaux. Mais dans la lutte, ce sont surtout des éléments étrangers à la C.F.T.C. qui ont eu un rôle dirigeant. Quant à ses adhérents, ils ont agi beaucoup plus en liaison avec le Comité de grève qu’avec leur organisation chrétienne. Celle-ci s’est tenue à l’écart et s’est même désolidarisée du mouvement dès que celui-ci a pris un caractère général, par conséquent préjudiciable au patronat.

La C.G.T. dans le conflit

Les ouvriers du secteur Collas, qui sont à l’origine du conflit, sont pour la grosse majorité des syndiqués à la C.G.T. Mais certains, depuis plusieurs semaines, d’autres depuis plusieurs mois, avaient cessé de payer leurs cotisations, ayant compris la politique de trahison menée par leurs dirigeants syndicaux, comme du reste une forte proportion des ouvriers dans l’ensemble de l’usine. La C.G.T. est contre la grève, car pour elle maintenant "la grève, c’est l’arme des trusts". Le premier jour, L’Humanité ne parle pas de la grève. Encore un de ces nombreux conflits que la bureaucratie syndicale arrivera bien à étouffer... Le deuxième jour, la grève est définie comme étant l’oeuvre d’une poignée de provocateurs. Chaque jour, un tract du Syndicat des métaux est distribué pour discréditer le Comité, ce "Comité de provocateurs". Les bonzes répandent les calomnies les plus abjectes qui sont plus souvent des insinuations que des affirmations, car ils sont incapables de reprocher quoi que ce soit aux membres du Comité malgré tout le mal qu’ils se donnent à constituer "leurs dossiers". C’est ainsi qu’ils se sont servis, pour discréditer le mouvement, d’un certain Salvade que le Comité de grève n’a jamais connu. Le citoyen Plaisance, après avoir déclaré publiquement à Collas, le lundi matin 28, qu’il se pliait aux décisions de la majorité, n’hésitait pas à déclarer à midi, au meeting de la place Nationale, "qu’une poignée de gaullistes-trotskystes-anarchistes avait voulu faire sauter l’usine." Les principes les plus élémentaires de la démocratie sont foulés aux pieds. Au meeting de la C.G.T., le même lundi 28 avril, les ouvriers du secteur Collas qui veulent prendre la parole, sont brutalement refoulés, tandis que la voiture haut-parleur s’éloigne sous les huées de la foule. Au meeting de la C.G.T. du mercredi 30 avril, dans l’île, une opposition encore plus brutale repousse les camarades du Comité de grève qui voulaient approcher du micro pour parler. A l’A.O.C. et à l’atelier 176 particulièrement, les cégétistes se sont barricadés pour empêcher tout contact avec l’extérieur. Les nervis du P.C.F. n’hésitent pas à s’opposer, physiquement, à tout ce qui n’est pas en concordance avec leur politique. A certains endroits, la provocation est flagrante. Ils insultent et brutalisent des grévistes. Si ceux-ci résistent, c’est la bagarre qui justifie l’intervention de la police. Mais ces manœuvres sont déjouées par la volonté unanime des ouvriers de bannir de telles méthodes. Là où la force aura donné raison au gangstérisme, le discrédit n’en sera que plus affirmé. C’est à la collecte des timbres que ces messieurs s’en apercevront. La grève qui s’étend oblige la section syndicale à se joindre au mouvement. Évidemment, elle ne reconnaît pas la revendication de 10 francs sur le taux de base. Devant le refus de la direction et du gouvernement de lâcher même les misérables 3 francs de prime que la section syndicale revendique, celle-ci appelle à un débrayage d’une heure. Mais les travailleurs de la Régie ne sont pas satisfaits. Une fois les machines arrêtées, ils refusent de les remettre en route. Le mardi 29 avril, l’usine compte plus de 20.000 grévistes. Alors la C.G.T. vire encore un peu plus sur la gauche. C’est 10 francs qu’elle réclame maintenant comme "prime à la production". Mais ce qui compte avant tout, c’est de faire reprendre le travail aux ouvriers. Aussi, le vendredi, la section syndicale organise-t-elle un vote pour ou contre la grève sur la base d’une augmentation de 3 francs de prime. C’est une escroquerie, car la section syndicale n’a pas obtenu la prime de 3 francs. Les ouvriers par 11.354 voix contre 8.015 votent la continuation de la grève. Huit jours se passent, sans que les discussions autour du tapis aient rien apporté de nouveau. En effet, si de son côté le Comité de grève emploie toutes ses forces à élargir le conflit aux autres usines pour faire capituler le gouvernement (distribution d’un tract dans ce sens par des délégations de grévistes aux autres usines, où ils se heurtent encore au sabotage des délégués cégétistes), le syndicat des métaux, lui, ne cesse de "lancer du sable sur les incendies" qui s’allument çà et là (Unic, Citroën, etc.). Enfin, les 3 francs sont accordés. Nul doute que si les ouvriers avaient voté la première fois pour la reprise du travail, ils n’auraient rien eu. Néanmoins, le syndicat des métaux clame partout sa victoire. Il faut vite reprendre le travail, car, les 10 francs, nous les aurons dans "le calme et la discipline". Un second vote est organisé pour demander aux ouvriers de reprendre le travail. Tous les moyens de propagande sont utilisés. La violence est employée contre les distributeurs de tracts du Comité de grève qui appelle à la continuation du mouvement. On demande aux ouvriers de reprendre le travail avec les mêmes conditions qu’ils ont refusées huit jours plus tôt. Il est clair qu’on spécule sur leur lassitude, car peu d’ouvriers ont la possibilité de vivre plus de huit jours sans travailler ; on spécule aussi sur l’hésitation des travailleurs qui voient parfaitement qu’ils n’ont rien à attendre du syndicat, mais qui, dans beaucoup d’endroits, n’ont pas de direction à eux. Même ceux qui rejoignent le Comité de grève, s’ils ont pour la plupart une grande volonté de lutte, manquent cependant encore d’expérience. Partout les ouvriers sont mécontents de reprendre avec une dérisoire prime de 3 francs. Partout où il y a une direction (secteur Collas, département 88), une forte majorité se prononce pour la continuation de la grève, mais l’ensemble de l’usine se prononce pour la reprise par 12.075 voix contre 6.866. Plus d’un tiers du personnel s’est abstenu.

La grève continue

Quand on apprend le résultat du vote en faveur de la reprise, le vendredi 10 mai, il est déjà 6 heures du soir, la grosse majorité des ouvriers est partie. Ceux qui restent sont pour la continuation de la grève. Mais que feront les autres ? Le lundi matin, au secteur Collas, les ouvriers arrivent ; les moteurs tournent déjà ; certains ouvriers se mettent au travail, mais sans beaucoup d’entrain. Un peu plus tard, le Comité de grève convoque une réunion dans le hall. Les ouvriers sont pour la grève. On ne peut tout de même pas reprendre avec 3 francs. Le Comité de grève, bien qu’il soit pour la grève, indique les dangers de combattre sans le reste de l’usine. Les ouvriers répondent qu’il ne faut pas s’occuper des autres ; dans notre secteur, la majorité est pour la grève. Les moteurs qui tournaient à vide s’arrêtent à nouveau. Mais comme nous sommes seuls à continuer le combat, il serait vain de croire que l’on peut obtenir les 10 francs. Nous limitons notre revendication au paiement des heures de grève. Le gouvernement continue à se montrer inflexible. A deux reprises, M. Lefaucheux nous affirme que nous n’aurons rien. Le syndicat des métaux essaie par tous les moyens de dresser les ouvriers de l’usine contre ceux de Collas. Il demande à la direction et au gouvernement d’intervenir contre nous. La grève, au secteur Collas, c’est un complot de 200 hommes. La section syndicale pose cette question mercredi : qui tire les ficelles ? Ce sont les ouvriers de l’usine qui se chargent de répondre le jour même. Malgré les dix jours de grève qu’ils viennent de faire, dans la seule journée de mercredi, ils collectent près de 60.000 frs. pour les grévistes de Collas. Le jeudi, le gouvernement cède devant la ténacité ouvrière et accorde une indemnité de 1.600 francs pour tous les ouvriers de la régie. La section syndicale, une fois de plus, clame sa victoire, car c’est elle qui a été admise aux délibérations. Les ouvriers de Collas ne sont pas satisfaits : 1.600 frs. pour trois semaines de grève, c’est peu. Mais on ne peut pas continuer une lutte inégale ; il faut préparer d’autres combats. Le travail reprend, mais dans l’usine les ouvriers ne sont pas dupes : "C’est bien grâce aux gars de Collas si on a eu les 1.600 francs !"

Le rôle du secteur Collas
Ce sont les ouvriers de Collas qui ont commencé la grève, ce sont eux qui l’ont terminée. C’est le Comité de grève qui a donné l’ordre de grève, c’est lui qui a donné l’ordre de reprise. Pour déclencher la grève comme pour la terminer, de même que dans toutes les questions importantes, le Comité de grève a toujours consulté les ouvriers avant d’agir. Le mouvement est parti de Collas parce que c’est là que s’était constitué un groupe de camarades actifs qui ont d’abord préparé les esprits à un mouvement revendicatif ; dans les derniers temps, les ouvriers s’impatientaient même de ne pas recevoir un ordre de grève. Ces camarades ont ensuite organisé la grève. Cette organisation, à l’origine très faible (une poignée de copains), a révélé, une fois de plus, que les ouvriers sont très actifs quand ils savent pourquoi ils combattent, et qu’ils ont quelque chose de ferme à quoi ils puissent s’accrocher. Non seulement les ouvriers de Collas ont tenu leur secteur en grève pendant trois semaines, mais ils ont été à peu près les seuls à se dépenser avec énergie pour développer le mouvement. La première semaine, plusieurs fois par jour, ils se sont répandus dans les ateliers pour aller aider des ouvriers à empêcher le sabotage par la section syndicale. Dès que quelque chose ne marchait pas dans un coin, on venait chercher les gars de Collas. La seconde semaine, toute l’usine étant arrêtée, ce sont encore les ouvriers de Collas, à peu près seuls. qui se répandirent dans de très nombreuses usines de la région parisienne pour inviter les autres ouvriers à nous suivre. Bien souvent ils eurent des accrochages sérieux avec les dirigeants cégétistes. Dans les boîtes où les travailleurs disaient qu’ils attendaient les ordres de la C.G.T., les ouvriers de Collas répondaient : "Vous pouvez attendre longtemps !" Et on sentait dans cette réponse la fierté qu’ils éprouvaient de n’être pas à la merci d’un ordre des bureaucrates. Ils agissaient "seuls", avec un sens d’autant plus grand de leurs responsabilités. Nos conclusions Nous étions entrés en lutte pour arracher les 10 francs sur le taux de base, comme acompte sur le minimum vital calculé sur l’indice des prix. Mais nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de "prime" Les responsables officiels du syndicat vantent cette "victoire", cependant déjà annihilée pour les mois à venir par l’inflation (rien que dans les deux dernières semaines, l’Etat vient de mettre en circulation vingt nouveaux milliards de francs-papier). Il n’a pas été question, dans les négociations officielles du syndicat, de garantir notre salaire par l’échelle mobile, c’est-à-dire son calcul sur l’indice des prix. Mais notre lutte, même sabotée, a-t-elle été inutile ? Tout au contraire ! Si nous avons subi un échec partiel quant aux gains immédiats, nous avons, par contre, réussi à renverser complètement la vapeur. Nous avons tout d’abord prouvé à tous ceux qui nous croyaient mûrs pour la capitulation, résignés aux bas salaires, à l’esclavage économique, que la classe ouvrière n’a rien perdu de sa capacité de lutter, unie pour la défense de ses intérêts vitaux. Nous avons secoué le joug de nos soi-disant représentants qui, au lieu d’être les défenseurs de nos revendications, étaient devenus nos gardes-chiourme. Nous avons obligé la direction patronale à reconnaître le principe du paiement des heures de grève. Nos revendications, les 10 francs et l’échelle mobile, sont approuvées par la majorité des ouvriers de la France entière (voir les journaux), et la direction syndicale officielle devra lutter réellement pour ces revendications, sinon une deuxième vague ouvrière la jettera elle-même par-dessus bord. En lançant son appel à la grève générale, le Comité de grève avait affirmé sa conviction que la victoire totale des revendications pouvait être obtenue. En regard des résultats obtenus, ne pourrait-on pas dire qu’il a été trop optimiste ? Qu’on en juge : il a suffi que deux départements, 6 et 18, continuent la grève, appuyés sur la sympathie active de toute l’usine, pour que la revendication sur laquelle les bonzes syndicaux avaient capitulé - le paiement des heures de grève - soit accordée à toute l’usine. C’est ainsi que nous avons obtenu les 1.600 francs. Il a suffi, d’autre part, de la grève Renault pour qu’une vague d’augmentations, allant jusqu’à 10 francs, soit accordée dans presque toutes les usines. C’est ainsi que les usines Citroën ont obtenu les 3 francs sans un seul jour de grève. Il n’y a pas de doute qu’une grève générale aurait arraché la victoire totale. Mais la grève générale était-elle possible ? La grève générale manifeste sa réalité tous les jours en province et à Paris. La grève générale ce n’est pas une chose qu’on décrète, c’est un mouvement profond surgi de la volonté unanime de toute la classe ouvrière, quand elle a compris qu’il n’y a pas d’autre moyen de lutte. En présence de cette volonté de la classe ouvrière, on peut seulement agir de deux façons ; soit, comme l’a fait le Comité de grève, donner le maximum de forces à l’action ouvrière en l’unifiant en un seul combat livré par la classe ouvrière pour des objectifs communs : la grève générale ; soit, comme la fraction dirigeante de la C.G.T. et de la C.F.T.C., fractionner les luttes ouvrières, les séparer artificiellement les unes des autres, les mener dans l’impasse des primes. Or, de même que la grève Collas, le vendredi 25 avril, avait entraîné dans la lutte toute l’usine Renault, la continuation de la grève dans toute l’usine aurait entraîné dans la lutte ouverte toute la classe ouvrière. De la lutte que nous venons de mener, il reste prouvé que la grève est l’arme revendicative essentielle des travailleurs. Il reste prouvé également que, quelles que soient les manoeuvres intéressées, pour ou contre la grève, de tous les pêcheurs en eau trouble, la volonté unanime des travailleurs est capable de triompher de tous les obstacles. Dans nos prochaines luttes, nous entrerons mieux préparés et nous obtiendrons ce que nous n’avons pu obtenir cette fois-ci.

25 mai 1947

Pierre BOIS et Barta

Note [*] Mouvement "utopiste" (au sens donné par Engels dans "Socialisme Utopique"), quasiment disparu depuis, défendant les idées de Jacques Duboin.

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