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La situation révolutionnaire en janvier 1918 à Vienne et la politique des sociaux-démocrates

jeudi 17 février 2022, par Alex

La situation révolutionnaire en janvier 1918 à Vienne et la politique des sociaux-démocrates

De 1917 à 1921 une vague révolutionnaire balaya les puissances vaincues de l’Europe centrale (Allemagne, Autriche-Hongrie) après la Révolution d’Octobre 17 en Russie.

Dans l’Autriche-Hongrie, arriérée par rapport à des puissances impérialistes comme l’Allemagne ou la France, les mêmes raisons qui avaient fait chuter le Tsar pesèrent aussi : épuisement de la machine économique, faisant naitre une colère contre les classes dirigeantes autrichiennes et hongroises (bourgeois, grands propriétaires terriens) conjuguée avec les les aspirations séculaires comme le partage de la terre pour les paysans des régions les plus arriérées, haine contre les oppressions nationale (des polonais, slovaques, croates, serbes, roumains etc).

Mais un deuxième facteur accéléra la marche vers l’effondrement des armées de ces Puissances centrales en 1918, c’est l’immense espoir suscité justement par ce premier succès que fut l’Octobre russe, dont une des premiers décrets est celui sur la paix. Dès fin 1917 des négociations entre la Russie et des représentants de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie commencent à Brest-Litovsk, elles aboutiront au traité du même nom début mars 1918.

Pendant cette période décembre 17-mars 18 la classe ouvrière d’Autriche-Hongrie entame, encouragée par les appels de la Russie des soviets qui s"exprime par voix de Trotsky, une série de grèves, de manifestation de grande envergure. Elles aboutiront à la désintégration de l’empire d’Autriche-Hongrie fin 1918.

Par exemple les 30-31 octobre 1918 aura lieu à Budapest la Révolution des Asters qui peut être comparée au Février Russe, comme étant la révolution bourgeoise accomplie par les troupes du prolétariat. Mais la grande différence entre la Russie et l’Autriche-Hongrie, c’est l’existence d’une social-démocratie bien implantée, l’absence d’un parti communiste organisé et à la hauteur des événements. Et la volonté des dirigeants politiques de la bourgeoise, des militaires les plus réactionnaires, de s’appuyer sur les socio-démocrates pour empêcher la contagion du bolchevisme.

Ainsi, les grandes journées révolutionnaires comme le 30-31 octobre r à Budapest peuvent être comparées à Février 17 en Russie en ce qui concerne les aspirations profondes du prolétariat et des paysans pauvres, mais les sociaux-démocrates sont présents et jouent un rôle dirigeant dans ces journées qui n’a aucune mesure avec la situation en Russie (voir les chapitres « Qui dirigea l’insurrection de Février ? » et « Le paradoxe de la Révolution de Février » de l’Histoire de la Révolution russe de Trotsky)

Ce rôle des sociaux-démocrates à Vienne en janvier 1918, au moment ou de puissantes grèves ont lieu au même moment à Budapest, est très bien démontré par l’article suivant de Roman Rosdolsky. Il fut écrit un demi-siècle plus tard et s’appuie sur des documents d’archives des pièces à conviction solides dans un réquisitoire implacables contre les sociaux-démocrates autrichien dont le célèbre Otto Bauer. C’est directement avec l’Etat-major politique et militaire lors d’entrevues dont les contenus restent secrets que les sociaux-démocrates gèrent la grève de janvier 1918, faisant tout pour qu’elle ne se transforme pas en révolution.

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Roman Rosdolsky (1967) : La situation révolutionnaire en Autriche en 1918 et la politique des sociaux-démocrates.

La grève de janvier 1918 en Autriche

Le sort des pourparlers ne sera pas réglé à Brest Litovsk, mais dans les rues de Berlin et de Vienne

I - LES POURPARLERS DE BREST-LITOVSK ET LES GRÈVES RÉVOLUTIONNAIRES EN ALLEMAGNE ET EN AUTRICHE-HONGRIE

Le 18 janvier, lorsque Trotsky quitta Brest-Litovsk, il était conscient que c’en était complètement fini de la période des joutes oratoires dia­lectiques avec Kühlman, et que les prochaines semaines (sinon les pro­chains jours) devraient amener la décision.

Incapable de résister militairement aux impérialismes allemand et autrichien conjugués, la République Soviétique, à peine née, ne pouvait compter que sur deux choses : premièrement, sur le fait que les puis­sances centrales elles mêmes livraient une lutte à mort contre la coalition des puissances occidentales économiquement supérieures à elles, et qu’elles devaient de ce fait manifester une certaine modération à l’égard de la Russie restée sans défense ; deuxièmement, elle pouvait tabler sur l’épui­sement économique de l’Allemagne et surtout de l’Autriche-Hongrie, épuisement dont on pouvait escompter qu’il provoquerait une montée impétueuse de l’état d’esprit révolutionnaire au sein des classes ouvrières et des nationalités opprimées de ces Etats. Ces deux éléments avaient déterminé Kühlman et Czernin à se conduire temporairement de manière très pacifique et démocratique, pour donner l’air le plus innocent possible à leur propre programme d’annexion de l’Europe orientale, en profitant de l’impuissance militaire du gouvernement bolchevik (1).

Cependant, au bout d’une semaine à peine, Trotsky réussit à contraindre la diplomatie des puissances centrales à se démasquer, si bien qu’elle abandonna les beaux discours et qu’elle dut se déclarer par­tisane, aux yeux de tout le monde, de la « version allemande du droit à l’autodétermination », à savoir de la politique d’expansion la plus ouverte. Les simples joutes oratoires céderaient alors la place au pur acte d’auto­rité du haut commandement militaire, à moins qu’au dernier moment les masses ouvrières des deux empires ne contrarient les plans de leurs maîtres...

Les « illusions » de Trotsky

Ceci amène à parler de « l’erreur de calcul » souvent évoquée (et dont beaucoup de gens sourient de manière compatissante) des dirigeants bolcheviks. « Trotsky lui aussi, dit Wheeler Bonnet, se fit des illusions », même si elles n’étaient pas de même nature que celles de Kühlman ou de Czernin. Car il compta sur l’irruption imminente d’une révolution en Autriche et en Allemagne, qui provoquerait un tournant décisif dans la situation. Et n’est-il pas évident que si un événement historique ne se produit pas, c’est précisément parce qu’il ne pouvait pas se produire, et que Trotsky était, dans ce cas, prisonnier de ses propres illusions ?

Cependant, comment les contemporains eux-mêmes évaluèrent-ils la possibilité d’une révolution sur le territoire des puissances centrales (nous pensons évidemment ici avant tout à l’Autriche-Hongrie) ? Ils n’avaient naturellement pas l’avantage de méditer les choses après coup, et leurs propos étaient par conséquent fort éloignés du point de vue pla­cide et fataliste des historiens.

Il est notoire que l’empereur Charles fut épouvanté par la situation créée par la grève des travailleurs de Wiener-Neustadt et de Vienne.

« Je dois vous assurer encore une fois avec la plus grande insistance, dit-il dans un télégramme adressé à Czernin le 17 janvier, que tout le sort de la monarchie et de la dynastie dépend d’une conclusion aussi rapide que possible de la paix à Brest-Litovsk. Nous ne pouvons ici renverser la situation pour la Courlande, la Lithuanie et autres rêveries polonaises (2). Si la paix ne se réalise pas, nous aurons ici la révolution, même s’il y a beaucoup à manger. C’est une consigne grave, dans une situation grave. » (3).

Mais peut-être l’empereur Charles n’était-il qu’une âme pusillanime, et ne faut-il pas, pour cette raison, le prendre au sérieux ? Cepen­dant, son ministre des Affaires Etrangères, ne fut pas moins épouvanté que lui. Ainsi, Czernin télégraphia à Charles, dès le 20 décembre, pour .1’entretenir de « la situation désespérée concernant le ravitaillement » de la monarchie :

« Selon la constitution en vigueur, [...] [je] suis complètement impuissant face à cette situation désastreuse. D’un autre côté, il est clair qu’on ne peut faire une politique extérieure• lorsque la famine et la révo­lution éclatent aux arrières. Aussi conjuré-je sa Majesté de bien vou­loir intervenir personnellement et d’y porter remède [...]. Si nous conti­nuons dans la voie actuelle, nous ne manquerons pas de vivre dans quel­ques temps des circonstances qui ne le céderont en rien à celles que connaît la Russie ». (4)

Et le 15 janvier, le même Comte Czernin télégraphia à son repré­sentant à la cour impériale, le Comte Demblin :

« Que Son Éminence daigne ne laisser aucun doute à sa Majesté quant à la terrible gravité de la situation ». (5)

« nous sommes tous confrontés au même danger »

D’autres ministres tinrent les mêmes propos (ainsi par exemple le ministre de l’Alimentation Hôfer (6) et le chef d’état-major Arz (7). Enfin, les dirigeants de la social-démocratie, Adler, Seitz, Ellenbogen et Renner ne se montrèrent pas moins préoccupés, lors de leur conférence confidentielle du 18 janvier 1918 avec le Baron Flotow.

Flotow raconte à ce propos : « Le député Seitz fit devant moi le calcul selon lequel on pourrait payer les gens [c’est-à-dire les grévistes RR] de promesses pendant quatre ou cinq jours encore, mais pas plus long­temps. D’ici là, il leur faudrait une nouvelle qui contînt un élément posi­tif, le fait au moins que l’on était convenu de certaines choses, que l’on avait paraphé quelques points [à Brest, RR] par exemple. Sans résultats, passé ce délai, nous serions tous confrontés au même danger ! » (8).

Le « danger » auquel tous se trouvaient confrontés, c’était évidem­ment l’imminence de la révolution en Autriche. Et il s’agissait de l’éviter à tout prix. Au regard de ce front unique de la peur, peut-on continuer à accuser Trotsky de s’être fait des « illusions » ?

Peut-être bien. Mais son illusion ne résidait pas dans une fausse appréciation de la situation générale et de l’état d’esprit des masses ouvrières, mais dans la sous-estimation du profond changement qui s’était produit depuis l’éclatement de la guerre mondiale dans la mentalité et les conceptions de la direction réformiste de la social-démocratie autri­chienne. Certes, Trotsky connaissait la physionomie politique de Karl Renner ou de K. Seitz, et ne se faisait sans doute plus guère d’illusions sur le « conseil aulique de la révolution », comme V. Alder s’intitulait lui-même en plaisantant (9). Mais le point sur lequel il se trompait encore — et c’est compréhensible — c’était le rôle de la « gauche » social-démocrate qui suivait Fr. Adler et O. Bauer. « Un royaume pour un révolutionnaire ! » aurait-il pu s’écrier à cette époque. Mais il n’y avait aucun vrai révolutionnaire parmi l’élite intellectuelle de la social-démocratie autrichienne.

II - LE DÉCLENCHEMENT DE LA GRÈVE GÉNÉRALE

C’est seulement ainsi qu’il est possible de comprendre l’issue déplo­rable de la grève de janvier en Autriche.

Faisons pour commencer la remarque suivante : il s’agissait d’un mouvement qui avait toutes les chances de réussir, et qui offrait au « parti de Victor Adler » l’occasion unique non seulement de raccourcir la guerre, mais de venir au secours de la révolution russe fortement menacée. « Lorsque le 14 janvier 1918, lisons-nous dans le livre de Otto Bauer (10), on réduisit de moitié la ration de farine, les ouvriers de Wiener Neustadt entrèrent en grève. Le lendemain, la grève s’étendit à Ternitz, Wimpassing, Neuenkirchen, à la vallée de Triesting et à St. Pölten. Le mouvement se propagea d’une manière sauvage d’une entre­prise à l’autre, d’une localité à l’autre... Le 16 janvier, l’ensemble des travailleurs de Vienne se mit en grève. Les 17 et 18 janvier, les régions industrielles de la Haute-Autriche et de la Styrie furent touchées à leur tour par le mouvement . Le 18 janvier, ce furent les ouvriers hongrois qui entrèrent en grève. La masse gigantesque des grévistes, la passion révolutionnaire farouche de leurs assemblées de masse, l’élection des premiers conseils ouvriers dans les assemblées de grève — tout cela conféra au mouvement un caractère révolutionnaire grandiose et éveilla parmi les masses l’espoir de pouvoir transformer immédiatement la grève en révolution, de s’emparer du pouvoir et d’imposer la paix. »

Et quelle fut l’issue de ce mouvement « grandiose » ? Qu’avait-on obtenu grâce à lui ? Seulement quelques promesses en l’air du gouver­nement, qui ne valaient même pas le papier sur lequel elles étaient écrites, et qui, deux ou trois semaines plus tard, furent déjà déçues de la manière la plus flagrante.

Pour expliquer cette singulière discordance entre les objectifs origi­nels des masses et le résultat final de leur action, il faut analyser l’attitude de la direction du parti de la social-démocratie autrichienne.

III - LE POIGNARD SOCIAL-DEMOCRATE DANS LE DOS DES MASSES

La direction social-démocrate au secours de la monarchie

Otto Bauer convient que le mouvement est né spontanément, et qu’il a pris de court la direction du parti. Ce n’est qu’après coup qu’elle a tenté de le récupérer et d’en prendre le contrôle. Telle est la raison du « manifeste » publié dans l’Arbeiter-Zeitung du 16 janvier par la direc­tion du parti, dans lequel on déclarait que le peuple « ne souhaitait pas poursuivre la guerre contre la Russie uniquement pour permettre à l’empereur d’Autriche de se faire désigner roi de Pologne et au roi de Prusse de disposer économiquement et militairement de la Courlande et de la Lithuanie », manifeste par lequel on appelait en outre les ouvriers autrichiens à combattre :

« Pour la cessation immédiate de la guerre ! Pour la Paix sans conquêtes ouvertes ou camouflées ! Pour la Paix sur la base de l’authentique droit à l’autodétermination des peuples ! »

« Le fait que les représentants du parti aient publié ce manifeste, commente O. Bauer, et que la censure n’ait pas osé le supprimer, confor­mément à la recommandation imposée au Président du Conseil Seidler par Victor Adler et Seitz témoignait du profond changement qui s’était déjà opéré. Certes, même sans ce manifeste, la grève en Basse-Autriche aurait sans doute entraîné les entreprises viennoises, mais le manifeste unifia l’ensemble du mouvement ».

Voilà ce qu’en dit O. Bauer. Passons, pour l’instant, sur la question de savoir quelle était, de fait, la profondeur du « changement » dans la mentalité de la direction du parti dont il nous parle. En revanche, il nous faut analyser plus précisément la « recommandation imposée au prési­dent du Conseil Seidler par V. Adler et Seitz », car c’est ici que commence la falsification de l’Histoire. Comment les choses se sont elles passées en réalité ?

Un télégramme adressé par Seidler au Comte Czernin nous fournit quelques renseignements sur ce point. On y lit :

« Article dans Arbeiter-Zeitung n’a été soumis ni à Toggenburg [ministre de l’Intérieur, RR] ni à moi-même. Mais il nous a été annoncé, tard le soir [du 15 janvier, RR] et qualifié de prix à payer pour l’influence exercée par les dirigeants sociaux-démocrates sur le mouvement de grève. Toggenburg donne ordre à la commission ministérielle (11) de ne pas supprimer entièrement l’article, si possible, mais toutefois de le censurer » (12).

Nous voyons qu’il s’agit de prendre les expressions « n’a pas osé », et « imposé », dans un sens très figuré. Il est difficile de prétendre que celui qui est obligé de promettre une contrepartie pour un service rendu ait « imposé » quelque chose. Et on ne peut guère dire que le côté opposé qui se prête à l’affaire n’ait « pas osé » agir autrement. Ce ne sont que des euphémismes. Ce qui importe, apparemment, c’est de savoir quel était le montant du prix convenu, et la nature de la contrepartie accordée par la direction du parti.

Sur ce point également, nous pouvons fournir quelques éclaircis­sements au lecteur. Car dès le lendemain (17 janvier 1918), la « décla­ration » suivante de la direction du parti parut dans l’Arbeiter-Zeitung : « La direction du parti n’estime possible un apaisement des masses ouvrières qu’aux conditions suivantes : 1) Si le gouvernement peut donner des garanties parfaitement rassurantes quant au fait qu’il ne fera pas échouer les négociations de paix à Brest­Litovsk pour quelque revendication territoriale que ce soit ; qu’il écar­tera les obstacles qui s’opposent à la signature de la paix par la recon­naissance sans réserve de l’authentique et démocratique droit à l’autodétermination des pays controversés ; si le gouvernement informe honnê­tement les hommes qui jouissent de la confiance de la classe ouvrière de l’état des négociations de paix ; s’il les tient au courant en permanence des négociations et s’il ne leur refuse pas l’influence qu’il leur revient d’exercer sur le cours des négociations. 2) Si le gouvernement consent à une réorganisation profonde du service de ravitaillement [...] 3) Si le gouvernement accepte de démocratiser les autorités communales [...] 4) Si le gouvernement consent à rendre aux travailleurs les droits dont ils ont été privés par la militarisation des entreprises » (13).

La déclaration ci-dessus pouvait et devait sans doute apparaître assez énergique à la masse des partisans des sociaux-démocrates. Mais pas au Comte Czernin, qui ne se laissa pas duper par le ton revendicatif de cette déclaration, et qui télégraphia le jour même à son subordonné au Ministère des Affaires Etrangères, le Baron Müller : « Demande à Votre Excellence de s’assurer auprès du Président du Cons. Imp. et Royal dans quelle mesure la déclaration publiée aujourd’hui dans l’Arbeiter-Zeitung le fut avec son assentiment, et quels sont les éven­tuels engagements pris vis-à-vis de la direction du parti social-démocrate quant au maintien [de l’] ordre ». (14)

Un compromis... et le prix à payer.

Il convient de faire la remarque suivante : le Comte Czernin, considéra évidemment le fait que les journaux viennois puissent faire large­ment état de la grève et de son extension constante comme extrêmement inopportun, puisque cela rendait très difficile sa position vis-à-vis de la délégation russe et tout particulièrement de la délégation ukrainienne à Brest (15). A la différence de Toggenburg et Seidler, le ministre des Affaires Etrangères (très apprécié par la direction social-démocrate pour son « pacifisme » ! (16)), était non seulement pour la répression sans réserve de la grève, mais pour la suppression de toute information à son sujet, et il reprochait, pour cette raison, aux autorités autrichiennes de faire preuve d’une négligence coupable. C’est également pour cette raison qu’il y eut entre Seidler et lui une petite guerre, au cours de laquelle le Comte Czernin présenta même sa démission à l’empereur (17). Quoi d’étonnant, dès lors, que le Président du Conseil ait été quelque peu dis­cret dans sa réponse, et qu’il n’ait pas voulu (car on ne savait pas encore comment la chose allait se terminer !) se « souvenir » de certaines choses ? C’est ainsi que le Comte Czernin reçut deux rapports contradictoires. Le 17 janvier, un télégramme de Müller dans lequel il est dit : « La décla­ration de la délégation du parti de la Social-démocratie allemande en Autriche, publiée intégralement dans l’Arbeiter-Zeitung d’aujourd’hui, a été, dit-on rédigée et publiée par le député Seitz avec l’assentiment du Président du Conseil » (18). Alors que le même Baron Müller lui commu­niqua le lendemain : « Le Président du Conseil Von Seidler indique qu’il ne se souvient pas s’il a vu la déclaration de la délégation de la social-démocratie allemande en Autriche, publiée dans l’Arbeiter-Zeitung le 17 de ce mois, avant ou seulement après sa parution. Le but de la direction du parti avait été d’avancer des revendications dont la satisfaction même partielle permettrait aux travailleurs d’arrêter la grève. Le Président du Conseil négociait actuellement avec la direction sur les quatre points. Monsieur Von Seidler n’avait pas encore pris d’engagement quant au maintien de l’ordre vis-à-vis de la direction du parti social-démocrate. Ce serait précisément le résultat des dites négociations. » — (« Je dois faire observer, ajoute le Baron Müller, que le Président du Conseil, à la diffé­rence de son propos initialement mentionné selon lequel il ne se souvenait pas s’il avait vu la déclaration avant ou après sa parution, fit remarquer plus tard qu’il ne s’était pas davantage occupé de la question de cette déclaration, et qu’il s’en était remis entièrement à la Commission minis­térielle du Ministère de la Guerre ») (19).

Le lecteur connaît à présent le montant du « prix » convenu entre Seitz et Seidler pour « l’influence exercée par les dirigeants sociaux-démocrates sur le mouvement de grève ». Il s’agit précisément des quatre revendications dont la satisfaction « même partielle » devait faciliter le coup d’arrêt de la grève de masse. Cependant, qu’en fut-il de ces quatre points ? Dans quelle mesure furent-ils satisfaits ?

Le plus facile pour le gouvernement fut de consentir à la réorgani­sation exigée au point 2 du service de ravitaillement, en supprimant quelques-uns des défauts les plus criants en ce domaine, et en acceptant la revendication de la social démocratie d’« abolition des privilèges des particuliers » et de « relâchement du blocage des salaires ».

Quant au point 4, le gouvernement avait « consenti, en principe, à lever la militarisation des entreprises, et à abolir la loi sur les prestations de guerre », et il s’était « engagé à soumettre au Conseil Impérial un projet de loi qui mettrait l’état de travail en temps de guerre sur une base civile et l’écarterait de la menace des tribunaux militaires ». A vrai dire, rien de tout cela ne sera fait, même si O. Bauer a raison de parler d’un « relâchement » de la juridiction de guerre dans les usines, durant la dernière année de la guerre. Mais ce relâchement fut la conséquence de l’épuisement général du pays et de la baisse dans la discipline du tra­vail qui s’en suivit. Il n’était tout simplement plus possible, même avec les méthodes d’adjudant les plus brutales, d’activer davantage les ouvriers ! Présenter cela comme le résultat de la sage stratégie et de l’art de négocier de la direction du parti ne relève que de la publicité de parti de la démagogie.

En ce qui concerne le point 3 (« démocratisation du suffrage communal ») Seidler informa le Comte Czernin « qu’il ferait à ce propos une vague déclaration ». (20). Et on en resta là, c’est-à-dire qu’on paya les travailleurs de simples promesses, rappelant les « grands principes ».

Mais qu’en fut-il du premier point, relatif à la question de la paix, le point le plus important des revendications social-démocrates ? La direction obtient-elle, sur ce point au moins, un succès véritable ?

Bien sûr que oui, si l’on en croit l’Arbeiter-Zeitung de l’époque et O. Bauer ! Citons à nouveau le livre de O. Bauer : « Le gouvernement céda. Le 19 janvier, le Président du Conseil transmit une déclaration du ministre des Affaires Etrangères Czernin à une délégation du Conseil ouvrier, dans laquelle celui-ci s’engageait solennellement à ne pas faire échouer les négociations de paix pour des questions territoriales, à n’as­pirer à aucune acquisition de territoires aux dépens de la Russie, à reconnaître sans réserve le droit de la Pologne à l’autodétermination [...] » (21).

Donc, une victoire sur toute la ligne ! « Citez-moi une réponse de ministre qui soit aussi décidée que celle-ci ! », déclara fièrement K. Renner lors de la session du « Conseil Ouvrier » du 20 janvier 1918... (22).

Côté cour, les discours...

Malheureusement, plusieurs choses ne collent pas dans cette décla­ration « décidée » et « sans réserve » du ministre autrichien des Affaires Etrangères. D’abord, cette déclaration rejeta résolument la revendication principale de la délégation russe, à savoir l’évacuation des anciens terri­toires russes occupés par les puissances centrales, pour qu’un référendum vraiment libre puisse y avoir lieu. Elle adopta donc « sans réserve » le point de vue des impérialismes allemand et autrichien. Ensuite, cette prétendue déclaration gouvernementale ne fut pas rédigée par le gouver­nement — ce que l’on ignorait jusqu’à présent — mais par la direction du parti social-démocrate, et elle fut acceptée par la suite par le Comte Czernin presque sans modifications ! (23) Nous devons donc considérer cette déclaration comme la position officieuse de la social-démocratie autrichienne.

Voici le passage décisif de ce refus social-démocrate opposé à Trotsky : « en ce qui concerne les négociations de paix avec la Russie, le gouvernement impérial et royal a déjà déclaré à plusieurs reprises qu’il n’aspire à aucune acquisition territoriale aux dépens de la Russie. C’est pourquoi les négociations de paix ne peuvent échouer — et n’échoueront pas — en raison de projets de ce genre. Quant à la Pologne en particulier, le gouvernement impérial et royal la considère comme un Etat autonome, qui aura à régler de façon autonome ses rapports avec nous [...]. Nous n’avons donc aucunement l’intention de dicter à la Pologne sa forme d’Etat ou n’importe lequel de ses rapports avec nous. Le gouvernement impé­rial et royal s’est déjà déclaré prêt à s’en remettre entièrement à la popu­lation polonaise pour qu’elle règle la question de son ordre public par un référendum sur une large base, et il a exprimé l’avis selon lequel ceci pourrait se faire au mieux par une Assemblée Nationale issue d’élections générales (24). Le gouvernement impérial et royal s’est également déclaré prêt à donner des garanties efficaces pour permettre à la population polo­naise de prendre sa décision en toute liberté, et pour que cette liberté ne soit entravée d’aucune manière par l’administration d’occupation. En revanche, la revendication du gouvernement russe, à savoir l’évacuation des territoires occupés, a dû être repoussée par le gouvernement impérial. Non parce que nous voulons profiter de l’occupation militaire pour res­treindre d’une façon quelconque le droit à l’autodétermination du peuple polonais, par exemple (25), mais uniquement parce qu’en raison de la continuation de la guerre sur d’autres fronts et de la situation intérieure en Russie, pas encore consolidée, nous ne pouvons évacuer ces territoires sans mettre en danger nos intérêts militaires » (26).

Voilà donc comment se présentait en réalité cette reconnaissance « sans réserve » (selon l’avis d’O. Bauer) du droit à l’autodétermination démocratique « authentique » de la Pologne par le Comte Czernin ! Certes, il était dans l’intérêt de la Révolution russe et de l’autodétermi­nation de la Pologne que ce pays fût évacué par les troupes des puis­sances centrales. Mais « nos intérêts militaires » s’opposaient à l’éva­cuation des territoires polonais occupés — d’autant plus que sinon, il aurait fallu compter avec la « bolchevisation » certaine de ces territoires (27). Et quel politicien réformiste aurait été stupide au point de subor­donner « nos intérêts » aux intérêts nébuleux de la révolution et de la liberté d’autres peuples ? (28)

Côté jardin, la collaboration de classe !

Ceci pour ce qui est de l’auto-détermination de la Pologne. Mais qu’advient-il de l’autre revendication, mise en avant à plusieurs reprises par les délégués des travailleurs : l’invitation de délégués des travailleurs (on avança le nom de Friedrich Adler incarcéré) à prendre part aux pour­parlers de paix à Brest ? (communication du Baron Müller du 17 jan­vier 1918). Il est aisément compréhensible que cette revendication ait dû apparaître comme tout à fait insensée aux dirigeants du parti versés dans le droit public. Elle fut en conséquence atténuée dans les « quatre points » proclamés le 17 janvier dans le sens suivant : « le gouvernement informera honnêtement les hommes qui jouissent de la confiance de la classe ouvriè­re [la direction du parti pensait évidemment à elle-même] au cours des pourparlers de paix » (29), et ne « leur refusera pas l’influence qu’il leur revient d’exercer sur le cours des pourparlers ». Cependant, dans le projet de déclaration gouvernementale élaboré par la direction du parti, il est dit à ce propos : « Le gouvernement impérial et royal reconnaît que l’esprit de sacrifice des larges masses populaires qui, depuis trois ans, ont rempli leur devoir, aussi bien sur le front qu’à l’arrière, dans les condi­tions les plus difficiles, rend tout à fait légitime le souhait exprimé par la population et ses représentants d’être informés du cours des pour­parlers. Aussi le gouvernement impérial et royal est-il très loin de vou­loir restreindre l’influence, conforme à la Constitution, que les corps législatifs des deux Etats exercent sur notre politique extérieure. En parti­culier, il est prêt à tout moment à informer ouvertement les représentants des différents partis (30) des intentions et du cours des pourparlers ».

Que le gouvernement impérial ait pu accepter sans hésiter cette revendication tronquée au point d’être méconnaissable, c’est évident. En fait, il « accorda » seulement ce qui, depuis longtemps déjà, faisait partie des us et coutumes du parlementarisme autrichien. Un « succès » de la direction du parti ? Elle même n’osa parler de succès sur ce point (31).

Peut-être, cependant, faisons-nous un procès injuste à la direction du parti social-démocrate en présentant la proposition de compromis élaborée par elle comme sa propre position ? Ne devrions-nous pas plu­tôt nous en tenir à l’Arbeiter-Zeitung de l’époque, qui se délectait des « discours magistraux de Trotsky » (32) et qui proposait avec le plus grand sérieux de baptiser à l’avenir le jour de l’An « jour de Lénine » ? (33).

« Deux âmes, hélas ! habitent en ma poitrine ! » L’une écrivait dans l’Arbeiter-Zeitung, tandis que l’autre négociait dans les coulisses avec les « facteurs de gouvernement ». Et c’était cette seconde âme qui importait réellement.

Voici trois télégrammes : le télégramme de Czernin adressé à son chef de section du Ministère des Affaires Etrangères, le Baron Flotow, le 17 janvier, ainsi que deux télégrammes de Flotow adressés à Czernin le 18 janvier 1918. Et ces trois télégrammes méritent d’être cités inté­gralement.

Dans le télégramme de Czernin, on lit : « Que Votre Excellence daigne faire venir aussitôt près d’elle les dirigeants sociaux-démocrates, à savoir de préférence Adler, Ellenbogen, Renner et Seitz, et leur dire ce qui suit, en mon nom et en secret : je suis fermement décidé à parvenir à une paix avec la Russie, et j’y parviendrai si l’on ne m’attaque pas par derrière. La difficulté réside, outre les pré­tentions allemandes connues (34), dans le fait que les Ukrainiens ont demandé une partie de la Galicie et qu’ils n’ont abandonné qu’hier cette revendication. La voie est libre à présent pour négocier avec l’Ukraine, et j’espère aboutir bientôt. Les exigences allemandes n’empêcheront pas, en dernière instance, que l’on s’entende avec Petersbourg. J’ai un plan tout à fait précis, et je demande que l’on me fasse confiance provisoirement pour quelques jours seulement. Votre Excellence voudra bien faire tous les efforts pour engager les dirigeants socialistes à user de leur influence dans le sens de l’apaisement. Répondez par télégraphe du résultat de votre démarche » (35).

Evidemment, le Baron Flotow fit aussitôt « venir près de lui » les dirigeants socialistes, et il put rapporter dès le lendemain à son supérieur : « Les députés Adler, Seitz, Ellenbogen, et Renner se présentèrent chez moi à la suite de mon invitation. Je les reçus en faisant appel à leur dis­crétion, et après qu’ils eurent consenti à garder le secret, je leur parlai de la manière prescrite.

« Monsieur Adler prit alors la parole, et developpa ses idées en un discours circonstancié, après avoir remercié de cette communication inté­ressante qui lui semblait absolument rassurante. Il dit en substance que Votre Excellence n’avait pas besoin de nous demander notre confiance à l’avance, puisqu’elle lui était acquise plus qu’à tout autre ministre aupa­ravant en Autriche, que votre Excellence jouissait dans le pays d’une popularité qui l’emportait même sur celle de « Beck-le-suffrage-univer­sel ». La seule chose qu’il put donc exprimer à ce propos, c’était le voeu de voir « le Comte Czernin demeurer fidèle à lui-même, et ne pas s’écar­ter de l’orientation qui lui valait son assentiment » (36). Adler ajoute qu’il voulait seulement aborder quelques événements récents. Ainsi, il lui avait semblé qu’il aurait mieux valu ne pas déclarer les principes primitivement établis pour la paix générale caducs après l’expiration du délai de dix jours. Quoi qu’il en soit, dit-il, les personnes présentes prenaient acte des assurances apaisantes. Cependant, il ne suffisait pas selon lui qu’ils sortent et expliquent aux gens qu’on les avait rassurés. Il fallait qu’ils annoncent dehors des faits qui eussent un effet sur les masses. Et aujourd’hui, seules — primo une nouvelle réellement favorable de Brest, ou secondo une assurance selon laquelle les pourparlers ne pourraient échouer sur la question de la Pologne feraient un effet. Le peuple avait jusque-là supporté la guerre avec une patience qui forçait l’admiration. Il y avait eu alors des pourparlers de paix avec les révolutionnaires russes dont on savait qu’ils voulaient une paix sans annexion.

« Selon lui, les gens rendaient notre gouvernement, qui voulait pré­server la couronne polonaise à l’empereur, responsable du fait que les pourparlers traînent longueur. Le mouvement, a-t-il ajouté, était né sans que les députés fussent pour quelque chose, et ils s’efforçaient de tout canaliser dans les voies de l’ordre. Ils avaient aujourd’hui fourni un effort surhumain, poursuivit M. Seitz, pour empêcher les cheminots, les travailleurs de l’industrie lourde et les typographes d’entrer en grève. Ils avaient établi un programme en quatre points afin de donner un objectif concret à la grève, dans l’espoir que s’ils obtenaient satisfaction sur ces quatre points, ils pourraient inciter les ouvriers à reprendre le travail. Toutefois, ils n’en étaient pas complètement assurés. C’est que les gens voulaient la paix. »

Ici nous sautons le passage déjà cité dans lequel Seitz parle du « danger auquel nous serons tous confrontés », et nous poursuivons la lecture du texte : « Une longue discussion s’engagea ensuite sur la question de l’évacuation et de l’autodétermination... Monsieur Adler défendit, ainsi que les autres, la thèse selon laquelle Trotsky ne pouvait pas aban­donner et n’abandonnerait pas le « principe » [du droit à l’autodétermi­nation, RR]. En conséquence, il fallait l’accepter. D’ailleurs, ajoute-t-il, la Pologne pourrait aussi revenir à l’Autriche par des élections libres ! (Et il laisse entendre que l’actuel gouvernement polonais n’avait rien à voir avec la volonté du peuple polonais, et n’était donc pas qualifié pour le représenter où que ce fut) » (37).

« Lorsque je soulignais, poursuit Flotow, l’effet déplorable du mou­vement sur le cours des pourparlers à Brest et sur l’ensemble des pays ennemis, Monsieur Adler suggéra qu’il conviendrait peut-être à Votre Excellence de faire remarquer aux allemands les effets de ce mouvement à l’intérieur. Il nia cependant que celui-ci pût influencer l’attitude de Trotsky, sans pouvoir l’expliquer autrement que par le fait que celui-ci est toujours à cheval sur les principes (38). Il affirma en revanche que si l’Entente devait croire pouvoir en tirer d’autres conclusions que celles déjà connues, elle commettrait une erreur.

« Lorsque j’objectais encore une fois, à l’occasion, qu’un mouvement comme celui-ci nous rendait tout naturellement plus difficile la conduite des pourparlers, et que s’il se voulait une démonstration en faveur de la paix, il n’aurait de sens que dès l’instant où celle-ci paraîtrait vraiment compromise, Monsieur Adler répondit que s’il ne survenait qu’à ce moment-là, il se produirait trop tard. D’ailleurs, s’empressa-t-il d’ajouter, il s’est bien produit sans nous !

Les députés racontèrent qu’ici, les travailleurs lisaient les rapports des pourparlers venant de Brest avec la plus grande attention, qu’ils n’ignoraient pas du tout que nous n’étions plus approvisionnés que jusqu’au premier Mars, et qu’en conséquence, si la paix avec la Russie ne nous ouvraient pas auparavant ses frontières, nous mourrions de faim.

« Enfin, les députés attirèrent l’attention sur le fait que le mouvement aurait peut-être pu être arrêté si les délégations (39) et la Chambre des députés avaient siégé ou siègeaient. De la sorte on aurait pu « s’injurier » comme il convenait sur le compte du général Hoffmann (dont il suffisait aujourd’hui d’évoquer le nom pour soulever parmi les travailleurs la plus grande indignation), et si la censure ne limitait pas la libre expression.

Monsieur Adler estima que c’était également une chance que la grève ne touche que la Basse-Autriche et les régions Alpines, et qu’elle ne se soit pas étendue à la Bohème et à la Moravie. Il rejeta, incrédule, une remarque de Seitz faisant état de grèves à Brünn. Il attira l’attention sur le fait que les Allemands n’étaient pas non plus disposés à accepter les propos de Hoffmann. Il avait des informations selon lesquelles des grèves avaient éclaté à Francfort-sur-le-Main, Offenbach.

« Durant cet entretien de près de deux heures, conduit de la manière la plus courtoise, j’ai eu l’impression que se jouait une puissante intrigue politique.

« Monsieur Adler, qui dès le début s’était enquis de façon particuliè­rement cordiale de l’état de santé de Votre Excellence, et qui avait pré­cisé que son intérêt pour la santé de Votre Excellence n’était pas per­sonnel, mais reflétait celui de tout le peuple, me prie de • dire à Votre Excellence que les députés, de leur côté, avaient déjà fait et feraient tout leur possible pour apaiser les travailleurs, mais seule une nouvelle vrai­ment positive de Brest pourrait sauver la situation.

« Je constate, conclut Flotow, que votre communication concernant l’Ukraine a certes beaucoup intéressé les députés, mais que [selon eux, RR] elle ne constitue pas un argument du même poids que la Russie et Trotsky. Toutefois, un autre pas en avant avec l’Ukraine — ne serait-ce qu’en raison de la possibilité d’approvisionnement en blé — pourrait pro­duire une certaine impression générale favorable.

« A la fin de l’entretien, les députés émirent le voeu de pouvoir prendre d’autres nouvelles éventuelles de la part de votre Excellence, auprès du Président du Conseil ou de moi » (40).

Nous pensons que ce que les interlocuteurs du Baron Flotow ébrui­tèrent « de la manière la plus courtoise » suffit amplement à conclure notre étude de leur rôle joué durant les événements de Janvier. Nous voudrions simplement, à cette occasion, renvoyer un détail amusant. Le Comte Czernin évoque, dans l’édition anglaise de ses Mémoires, une conversation qu’il eut avec. V. Adler à la veille de son départ pour Brest­Litovsk : « Adler m’a dit à Vienne : vous vous entendez certainement très bien avec Trotsky. Et comme je lui demandais pourquoi, il me ré­pondit : Vous et moi, est-ce que nous ne nous entendons pas bien en­semble ? Alors... » (41)

Faut-il s’étonner que V. Adler ait été par la suite tellement irrité par « la manie des principes » — pour lui tout à fait incompréhensible —de Trotsky lorsque celui-ci s’est révélé être un révolutionnaire intran­sigeant ?

IV - LA GAUCHE SOCIAL-DEMOCRATE D’OTTO BAUER FACE AU « MOMENT PRESENT »

En revanche, quelle fut l’attitude de la « gauche » social-démocrate dirigée par Otto Bauer durant les journées de Janvier ? Celle-ci fut-elle au moins capable de se faire une idée claire de la situation historique el : des tâches qui en découlaient ?

Il suffit ici de renvoyer au livre d’Otto Bauer, La révolution autrichienne. Il y est dit à propos de la grève de Janvier : « Nous avions voulu que la grève fût une grande démonstration révolutionnaire. Nous ne pou­vions pas vouloir la transformation de la grève en révolution. C’est pour­quoi il nous fallut faire en sorte que la grève se terminât avant que la famine n’eût contraint les grévistes à la capitulation — qu’elle se terminât de manière à consolider la force et la confiance des masses ».

Le lecteur sait déjà ce qu’il faut penser de la « grande démonstration révolutionnaire » « voulue » par Adler, Renner et Seitz. Il sait également de quelle manière la confiance des masses fut « renforcée » par le pacte de Seidler conclu avec Seitz. (Aucune emphase creuse ne peut remédier au langage sobre des rapports ministériels). Aussi la question est-elle seulement de savoir pourquoi Otto Bauer ne pouvait pas vouloir « la transformation de la grève en révolution ».

Les troupes ennemies sont-elles trop fortes ?

Pour des raisons multiples. Certes, dit-il, il est juste que le mouve­ment de Janvier éveilla dans les masses « l’espoir de pouvoir transformer immédiatement la grève en révolution, de s’emparer du pouvoir et d’im­poser la paix ». Mais la douche froide suit immédiatement cette consta­tation : « A vrai dire, c’était bien une illusion. Les commandements mili­taires réussirent à envoyer d’importantes forces dans les régions touchées par la grève. Des troupes roumaines, ruthènes et bosniaques uniquement, avec lesquelles les grévistes ne pouvaient communiquer, des recrues inti­midées que leurs chefs tenaient solidement en main. Il ne faisait aucun doute que ces troupes fussent suffisamment fortes et sûres pour écraser dans le sang toute tentative des masses de poursuivre la grève jusqu’à un acte de violence révolutionnaire ».

Nous allons à nouveau consulter les dossiers. Dans le procès-verbal du Conseil des Ministres, réuni le 28 janvier 1918 sous la présidence de Toggenburg, on peut lire : « A la demande de M. le Ministre de l’Inté­rieur, le préfet de Vienne décrit le mouvement de grève en Basse-Autriche, et souligne le fait qu’au début du mouvement, les autorités politiques et le préfet de police de Vienne ne disposèrent d’aucun moyen pour intervenir de manière énergique et avec succès.... Le Préfet de police de Vienne décrit le cours du dernier mouvement de grève en soulignant le fait que les effectifs de la garnison ne s’élevaient primitivement qu’à 15 compa­gnies, et qu’ils furent renforcés depuis par deux bataillons. Cependant, pour le maintien de l’ordre public, ou pour la répression d’éventuels désordres, il aurait fallu disposer de 10 000 hommes » — ceci d’autant plus que « les travailleurs [de Vienne, RR] avaient beaucoup d’armes, et qu’ils ont accès aux armes de l’arsenal ». « Quant à la force de la garnison, le colonel Klose [Ministère de la guerre, RR] déclare que les effectifs s’élèvent à présent à 7 000 hommes (42), et qu’ils atteindront dans 3 ou 4 jours le chiffre de 10 à 11 000 hommes » (43).

Alors qui croire ? Le gouverneur de la Basse-Autriche et le préfet de police de Vienne constatèrent, dèux semaines après l’éclatement de la grève générale, qu’ils n’avaient disposé « d’aucun moyen » pendant les journées critiques de la grève, voire même que le nombre de soldats nécessaires à la « répression d’éventuels désordres » était insuffisant le 29 janvier encore. O. Bauer, en revanche, vit affluer dès les premiers jours de la grève « d’importantes forces », dans toutes les régions de l’Autriche et de la Hongrie touchées par la grève. Forces qui suffisaient amplement pour « écraser dans le sang » toute violence des masses. (Que de choses un théoricien austro-marxiste lucide n’est-il donc pas capable de prévoir !).

Cependant, nous ne voulons pas polémiquer avec l’auteur de La révolution autrichienne sur les forces des garnisons de Vienne et d’autres villes d’Autriche. Il va évidemment de soi que, dans une situation révo­lutionnaire aiguë, tout gouvernement essayera de concentrer des troupes, de les envoyer dans des régions particulièrement menacées etc. (Faire dépendre la révolution du fait que le gouvernement ne procède à aucune concentration de troupes, signifierait la repousser aux calendes grecques) (44). En conséquence, ce qui importe, c’est seulement la question de savoir s’il peut utiliser les troupes déjà concentrées, si elles sont disposées à tirer sur les insurgés. Et cela ne peut être déterminé, en dernière ana­lyse, qu’au moment même de l’insurrection, donc par l’action révolu­tionnaire ! (45).

Pour O. Bauer, il n’y a assurément « aucun doute » à avoir quant à la fidélité des troupes autrichiennes à l’égard du gouvernement. Il faut cependant se demander d’où donc Bauer tenait aussi exactement que les prétendues recrues « roumaines, ruthènes et bosniaques » envoyées dans les régions touchées par la grève étaient vraiment « tenues solidement en main par leurs chefs » — et donc « suffisamment sûres » pour « écra­ser dans le sang » la grève générale politique des travailleurs, qui s’éten­dait dans d’importantes régions de l’Autriche et de la Hongrie ! O. Bauer n’écrit-il pas, deux pages plus loin seulement, « l’effet produit par la grève sur l’armée fut encore plus lourd de conséquence [...]. L’effervescence des troupes se manifesta par une série de mutineries qui suivit la grève de janvier. Des troupes slovaques à Judenburg, serbes à Fünfkirchen, tchèques à Rumburg, magyares à Budapest, se mutinèrent. A Cataro, dans les premiers jours de février [donc tout juste une semaine et demie après l’échec de la grève générale !], une grève des travailleurs des arse­naux s’étendit à la marine de guerre. L’équipage des navires de guerre hissa des drapeaux rouges, séquestra les officiers et exigea la conclusion de la paix sur la base des « 14 points » de Wilson ».

O. Bauer nous raconte tout cela. Et pourtant il ne faisait « aucun doute » pour lui que les mêmes troupes impériales et royales aient été « suffisamment sûres » pour écraser toute insurrection révolutionnaire à peine deux semaines auparavant ! (D’où la curieuse conclusion qu’il en tire, selon laquelle il a d’abord fallu que la grève générale soit défaite, pour que les troupes gouvernementales deviennent infidèles...). Certes, durant les journées critiques de janvier, O. Bauer pouvait peut-être avoir eu l’impression que les troupes stationnées à Vienne et ailleurs étaient effectivement fidèles au gouvernement. L’erreur est humaine. Mais rien ne l’autorise, cinq ans plus tard, à présenter de telles impressions person­nelles comme des faits incontestables et ne souffrant aucun doute, dans un livre qui se veut une oeuvre d’historien, et qui a été prétentieusement dédié à « L’Ecole de Marx du monde entier » (!). Il s’agissait « d’im­pressionnisme politique » de la plus pure espèce.

Une théorie fausse pour une mauvaise excuse

Comme s’il ressentait la faiblesse de sa position, O. Bauer avance d’autres arguments encore : « même si le militarisme autrichien, dit-il, n’avait pas disposé d’assez de forces pour se défendre contre une insur­rection révolutionnaire, ce qui fut possible en Octobre 1918 ne l’aurait pas été en Janvier 1918 » (lorsque le pouvoir échut à la social-démocratie sans qu’elle y soit pour rien). « Car à l’époque de Brest-Litovsk, l’impé­rialisme allemand était précisément à l’apogée de sa puissance. L’Armée russe s’était complètement désagrégée depuis la Révolution d’Octobre. La gigantesque armée du front de l’Est était devenue disponible. Le militarisme allemand pouvait jeter, en quelques semaines, un million d’hommes de l’Est à l’Ouest. Au moment où le militarisme allemand dis­posait d’une armée de réserve plus importante que jamais, durant toute la guerre, la révolution autrichienne n’aurait pu signifier autre chose que l’invasion de l’Autriche par les armées allemandes. Les armées allemandes auraient occupé l’Autriche [...]. Et puisque dans le même temps la révo­lution aurait disloqué le front Sud, les armées de l’Entente venant du Sud se seraient heurtées, sur le territoire autrichien, aux armées allemandes entrant de force par le Nord. L’Autriche serait devenue le théâtre de la guerre ».

La méthode dont se sert ici O. Bauer est très simple : pour prouver que la grève de Janvier était vouée à l’échec, il construit le modèle d’une Révolution limitée à l’Autriche, confrontée à un puissant ennemi exté­rieur, lequel serait lui-même immunisé contre toute secousse révolution­naire. Un enfant serait capable de démontrer que ladite puissance étran­gère réprimera de toutes façons la révolution autrichienne isolée... En janvier 1918, la puissance étrangère, c’était l’Allemagne de Guillaume II, en 1919/1920, l’Entente (46), dans les années 1933/1934, le fascisme italien et allemand. D’où il résulte qu’en Autriche, seule une révolution « concédée par les autorités » est possible, c’est-à-dire une révolution tolérée par l’étranger capitaliste... Certes : l’impérialisme de Guillaume II était une puissance redoutable, même huit mois avant sa fin (et malgré la grève générale gigantesque qui ébranla l’Allemagne deux semaines après la grève autrichienne de Janvier — et que Bauer ne juge pas devoir mentionner dans son étude). Mais il l’était aussi, entre autres, parce que les « socialistes majoritaires » et l’USPD [Parti social-démocrate indé­pendant allemand] firent tout pour maintenir dans les masses populaires allemandes la mentalité de l’obéissance aveugle, ou du moins de la passi­vité : « On oublie en temps opportun que la ligne ferme du parti, sa résolution inflexible — écrit Lénine en 1917 — sont également un facteur de la situation, en particulier dans les moments révolutionnaires aigus ». C’est précisément dans cet oubli que réside la méthode historique austro-fataliste d’O. Bauer.

Cependant, il n’y avait pas que les méchants allemands impériaux pour freiner l’élan révolutionnaire de la « gauche » autrichienne. Il y avait aussi les méchants Tchèques : « Rien ne fut pour nous symptôme plus important que l’attitude de la classe ouvrière tchèque [...] », confie O. Bauer à ses lecteurs. « Seule Bünn où les centralistes, rattachés aux syndicats viennois, avaient la direction, fut touchée par la grève. Tout le grand territoire tchèque, sous l’hégémonie de la social-démocratie tchèque, ne bougea pas Li. Apparemment, les dirigeants de la révolution natio­nale tchèque ne souhaitaient pas la participation des ouvriers tchèques à la grève. Alliés de l’Entente, ils ne pouvaient souhaiter une grève qui serait une démonstration en faveur de la paix avec la Russie soviétique... Ils pouvaient encore moins souhaiter la transformation de la grève en révolution, car durant toute la guerre, leur tactique fut déterminée par la conviction selon laquelle toute révolution tchèque ne pourrait que conduire à l’occupation de la Bohême et de la Moravie par les troupes impériales allemandes, tant que l’impérialisme allemand ne serait pas battu ».

Pendant la grève de janvier, « rien n’était donc symptôme plus important que l’attitude du mouvement ouvrier tchèque » pour l’état-major social-démocrate de Vienne ! Or il faut poser la question suivante : cet état-major fit-il quoi que ce soit pour entraîner le mouvement ouvrier tchèque « hésitant » à se rallier à la grève révolutionnaire ? A cette fin, a-t-on jamais envoyé des émissaires, publié et distribué largement des proclamations de combat ? Les annales de l’histoire n’en font pas état. (47) Ce que les annales ont retenu, en revanche, c’est l’aveu de V. Adler devant le Baron Flotow : « C’est une chance que la grève ne touche que la Basse-Autriche et les régions Alpines, et qu’elle ne se soit pas étendue à la Bohème et à la Moravie ». Ce qui n’empêchait pas Ellenbogen, qui avait participé à la réunion avec Flotow, d’attaquer violemment, une semaine plus tard, les sociaux-démocrates tchèques au Parlement : « Vous autres alliés de la bourgeoisie ! Traîtres à la lutte des classes ! Vous osez encore vous manifester ! Comme des chiens muets, vous avez assisté sans bouger au mouvement des travailleurs viennois ! » (48).

L’emportement véhément d’Ellenbogen fut provoqué par cette remarque du député social-démocrate Tchèque, Bechnyè : « La masse [des travailleurs viennois, RR] a manifesté contre les dirigeants. Les diri­geants ont trahi le mouvement ! ».

Cette « gauche » qui s’aligne

Notre récit relatif à l’attitude de la « gauche ». pendant les journées de Janvier serait incomplet si nous ne mentionnions pas le communiqué ci-après, paru dans l’Arbeiter-Zeitung :

« Calomnies sur O. Bauer. — Quelques journaux bourgeois n’ont pas peur de se ridiculiser en répandant le bavardage stupide selon lequel la grande grève générale fut « manigancée » par le camarade professeur O. Bauer. Messieurs les bourgeois ne peuvent tout simplement pas comprendre le mouvement élémentaire des travailleurs. Ils s’imaginent que quelqu’un doit les avoir « provoqués ». Ils prennent pour des « pro­vocateurs » ceux qu’on appelle les « extrémistes de gauche », un petit groupe d’étudiants et de jeunes ouvriers qui n’auraient pas été capables de manigancer un mouvement de masse aussi puissant. En outre, ils confondent les « extrémistes de gauche » avec ce qu’on appelle « la gauche », qui est un courant de pensée au sein de notre parti. En réalité, notre « gauche », dont se réclament notoirement une série de nos cama­rades les plus éprouvés, n’a évidemment rien à voir avec les « extré­mistes de gauche ». Mais le savoir politique de nos journaux bourgeois ne suffit naturellement pas pour distinguer ces deux courants. Il est vrai que tout juriste qui ignore la différence entre marxisme et syndica­lisme [!] ne serait pas reçu à l’examen d’Etat. Mais cela n’empêches pas les ignorants qui ont entendu qu’O. Bauer était un « homme de gauche », un auteur marxiste, de croire qu’il fait partie des « extrémistes de gauche » fondamentalement syndicalistes [!]. Voilà sans doute l’origine des racon­tars puérils sur O. Bauer. Mais puisqu’en dépit de leur bêtise ils ont été répandus, nous tenons à dire expressément qu’O. Bauer n’a pas eu la moindre part à l’éclatement ou à la « manigance » de la grève, et qu’il approuve entièrement l’attitude de la direction du parti à l’égard du dérou­lement et de la fin de la grève » (49).

La note citée est révélatrice, malgré son jargon journalistique désa­gréable. Elle montre en effet comment O. Bauer (qui a vécu la révolution russe comme prisonnier de guerre, et à la fin comme invité du soviet de Petrograd (50) et qui après son retour en septembre 1917 fut temporai­rement en opposition à la majorité du parti) (51) conclut la paix avec cette majorité pour combattre avec elle l’extrémisme de gauche (préten­dument syndicaliste) en janvier 1918, lorsque la situation en Autriche commença à évoluer vers une véritable révolution. Ainsi donc, la mise en garde de 1916 de Rosa Luxemburg s’es vérifiée à son propos : « Au fait, qu’est-ce qui n’est pas concevable pour un penseur à l’imagination puissante ? « A notre avis, le capitalisme est concevable même sans expansion ». A notre avis, l’évolution moderne est également concevable sans la découverte de l’Amérique et de la voie maritime pour l’Inde. En y réfléchissant, l’histoire humaine est également concevable sans capi­talistes. (Finalement, le système solaire est concevable sans le globe ter­restre]. La philosophie allemande est peut-être concevable sans le pédan­tisme métaphysique. Une seule chose paraît proprement inconcevable que dans la phase de l’impérialisme, un marxisme officiel aussi « théori­cien » ait pu dans son rôle d’avant-garde spirituelle du mouvement ouvrier, conduire à d’autres voies qu’à ce fiasco misérable de la social-démocratie que nous constatons aujourd’hui au cours de la guerre mondiale » (52). Rosa Luxemburg ne pouvait tirer que des conclusions théo­riques de la « faillite de la social-démocratie » lorsqu’elle écrivit cela. Ce sont de toutes autres conclusions, des conclusions pratiques, que devaient en tirer les classes dominantes des deux monarchies. Ainsi par exemple le ministre de l’Intérieur, le Comte Toggenburg, qui résuma les expé­riences acquises lors de la grève de Janvier de la manière suivante, dans un ordre transmis aux autorités de la police le 28 janvier 1918 : « D’abord, il faut agir sur les ouvriers et rétablir le calme par l’intermédiaire des représentants du parti social-démocrate. Là où les extrémistes ont le dessus, où des revendications irréalisables sont avancées, il s’agit de rom­pre les négociations, d’en informer les dirigeants, et de procéder à la reprise du travail forcée ». Et ailleurs encore : « Lors de grèves, il s’agira dans un premier temps de tenter une négociation à l’amiable par l’inter­médiaire des dirigeants ouvriers, puisque ceux-ci s’efforcent eux-mêmes de terminer la grève, pour se protéger contre les éléments radicalisés. Jus­qu’à présent, le rétablissement de l’ordre a été obtenu de cette manière presque partout » (53).

V - LA REVOLUTION DEVOYEE

Voilà pour ce qui est de la direction social-démocrate de l’époque. Qu’en est-il de la masse ouvrière ?

La décision d’arrêter la grève, lisons-nous dans Bauer, « rencontra une résistance farouche de la part des masses pénétrées de passion révo­lutionnaire. On la combattait au cours de gigantesques assemblées tumul­tueuses. Dans la plupart des usines, on ne reprit le travail que le mardi, dans beaucoup d’autres le mercredi seulement, voire le jeudi ». (Au lieu du lundi, comme le souhaitait la direction !).

Savoir terminer une grève

De nombreux témoignages de l’époque montrent qu’O. Bauer n’exagère absolument pas. Ainsi par exemple un rapport de police daté du 20 janvier 1918 où il est dit : « Dans l’arrondissement d’Ottakring, l’arrêt de la grève doit, selon des informations confidentielles, être définitivement fixé pour le 22 janvier, lors de nouvelles discussions convoquées pour le 21 janvier sur la reprise du travail. Cependant, dans quelques assemblées, on éleva de vives protestations contre les décisions prises, on qualifia les délégués de « traîtres », on les appela « délégués impériaux et royaux ». Ainsi, notamment, dans l’assemblée du Lahner’s Saal, 18, Michaeler­strasse, qui réunissait environ 600 personnes... On prit position encore plus violemment contre la décision des délégués lors d’une assemblée au foyer des travailleurs à Favoriten. Dans cette assemblée de plusieurs mil­liers d’ouvriers, notamment d’ouvriers des arsenaux, c’est à peine si on laissa les orateurs — dont le député Pôlzer qui défendait le point de vue officiel du parti — placer un mot. On les traita de « traîtres » et de « voleurs », et on justifia la nécessité de poursuivre la grève par le fait qu’il ne fallait pas abandonner les camarades hongrois entrés en grève » (54).

L’Arbeiter-Zeitung de l’époque montre le revers de la médaille. Certes, elle aussi devait faire état des assemblées tumultueuses où de nom­breux orateurs de l’opposition avaient pris la parole. Mais, à en croire l’Arbeiter-Zeitung, il s’agissait seulement d’« étudiants », ou de « jeunes personnes ne faisant partie ni de l’organisation, ni de la classe ouvrière », et qui en outre se caractérisaient souvent par des nez un peu busqués (la direction du parti joua même la carte antisémite !) (55). En consé­quence, là où c’était possible, « les délégués [...] les expulsèrent très rapi­dement du local, avant qu’ils n’aient pu achever leurs menées malheu­reuses » (56). La direction du parti se défendait comme elle le pouvait.

Trahi et vendu

C’est que tout son pouvoir, politique et organisationnel, toute son influence étaient en jeu. Les mots d’ordre de la Révolution d’Octobre 1917 exercèrent un formidable pouvoir d’attraction, et il y avait en Autriche un groupe de « socialistes révolutionnaires » dirigé par le futur fondateur du Parti communiste d’Autriche, Franz Koritschoner (57), groupe qui propageait ces mots d’ordre parmi les masses. L’un des nombreux appels qu’il distribua, qui porte le titre caractéristique « trahi et vendu », montre comment il le fit. On y lit : « Le combat pour imposer la paix générale immédiate, combat que le prolétariat de la Basse-Autriche a commencé de façon si magnifique et auquel les ouvriers des autres pays de l’empire se sont ralliés, a été TRAHI honteusement par la direction du parti et par un prétendu « conseil ouvrier », au profit du gouvernement de l’Etat de classe capitaliste. En réponse aux revendications des travailleurs, le gouvernement n’a rien eu à offrir que des promesses en l’air, des mots de consolation futiles et des phrases creuses. Les dirigeants qui se disent « sociaux- démocrates » n’ont rien eu de mieux à faire qu’à ramener les ouvriers sous le joug de l’oppression capitaliste. Il est évident aujourd’hui pour tout ouvrier conscient que cette lutte a déplu dès le commencement aux instances du parti, qui l’ont freinée dès le début en excluant du mou­vement les secteurs de la classe ouvrière les plus décisifs, à savoir les cheminots, les ouvriers du gaz et de l’électricité. Et, au lieu de faire pro­gresser le mouvement à l’exemple de nos frères russes, au lieu de consti­tuer un véritable conseil ouvrier qui s’emparerait de tout le pouvoir, ces commis du gouvernement ont ouvert aussitôt des négociations avec ce dernier, et ont battu en retraite avant que le vrai combat ne se soit engagé ».

« Travailleurs et travailleuses ! poursuit l’appel, si nous voulons nous libérer de l’exploitation capitaliste, de l’asservissement de l’Etat mili­tariste, si nous ne voulons pas la guerre éternelle, mais une société de paix, nous devons nous libérer en premier lieu de ces gens qui nous tra­hissent et nous vendent à chaque occasion, qui livrent nos intérêts au capitalistes et à l’Etat ! Si nous voulons briser les chaînes de la tyrannie, nous devons tout d’abord écarter les gens qui veulent nous mettre dans de nouvelles chaînes. Au diable la discipline et l’obéissance aveugle ! A bas les bavardages sur la responsabilité et la cohésion ! Que chacun ait la conscience de la solidarité !

Il ne faut plus rien attendre des « représentants ouvriers » actuels ! Unissons-nous en groupes de lutte locaux ! Que ces comités discutent des questions à l’ordre du jour, qu’ils se coordonnent avec les camarades des autres groupes, afin qu’en naisse une nouvelle organisation de lutte et d’émancipation !

Ce n’est pas le dernier combat ! Préparons-nous à de nouvelles luttes, qu’il faudra mener sur des bases tout à fait différentes. Il n’y a qu’un seul mot d’ordre pour vous : LA REVOLUTION SOCIALISTE.

Les Socialistes révolutionnaires de Vienne (58). »

On le voit : les Socialistes révolutionnaires ne se trompaient pas sur le rôle véritable joué par la direction social-démocrate, même s’ils sous-estimaient l’immense difficulté des tâches qui les attendaient. Il est bien vrai que ce qui avait été autrefois vertu — l’organisation et la discipline exemplaires de la classe ouvrière autrichienne — lui fut à ce moment fatal. Il est également vrai que la direction du parti a abusé du désir d’unité et de cohésion. Néanmoins, il était tout à fait faux de ne pas voir qu’il ne s’agissait pas tout simplement de jeter par-dessus bord les orga­nisations ouvrières politiques et syndicales construites au travers de dizaines d’années de lutte, mais qu’il fallait les conquérir par un travail opiniâtre. Cette « maladie infantile » des Socialistes révolutionnaires per­mit à la direction du parti d’avoir beau jeu et de regagner la confiance des masses ouvrières, ébranlée par son attitude pendant la grève de janvier, et de les maintenir sous son influence. Ceci d’autant plus qu’après les évé­nements de Janvier, la majorité du parti, obéissant à la nécessité du moment, céda la direction à la « gauche » regroupée autout d’O. Bauer (et plus tard autour de Fr. Adler également). Celle-ci réussit à conjurer le danger d’une nouvelle radicalisation des ouvriers par une habile combi­naison de pratique réformiste et de phraséologie révolutionnaire. (Exem­ple qui illustre l’importance capitale qui revient, dans des périodes histo­riques critiques, à des personnalités dirigeantes, et qui montre comment celles-ci peuvent largement influer sur l’évolution de la situation dans un sens positif ou négatif).

VI - LES CONSEQUENCES HISTORIQUES DE LA FAILLITE DES DIRECTIONS SOCIAL-DEMOCRATES

Nous pouvons conclure à présent nos réflexions sur la grève de Jan­vier. Nous avons déjà mentionné le fait que juste quinze jours après l’écla­tement de la grève générale autrichienne, l’Allemagne de Guillaume II fut également saisie par une puissante vague de grèves, qui se prolongea pen­dant plusieurs jours et conduisit même à la publication du décret « d’état de siège renforcé », et à des morts à Berlin. Nous n’avons pas l’intention de décrire le cours de ce mouvement. Il suffit de constater qu’il a été lui aussi transformé en défaite par les deux partis sociaux-démocrates d’Alle­magne (59), grâce aux confusions qui régnaient dans la tête des « chefs révolutionnaires » dirigeant la grève (60).

L’isolement de la Russie soviétique

En résumé, on peut dire, à propos de la vague de grèves révolu­tionnaires déclenchées en Autriche et en Allemagne par les pourparlers de paix de Brest-Litovsk, que dans les deux pays la décision dépendait de la social-démocratie. Dans la situation politique intérieure et exté­rieure exacerbée de l’époque, il n’y avait que deux possibilités : la révo­lution et le renversement des deux monarchies, ou leur sauvegarde tem­poraire aux dépens de la Russie soviétique, hors d’état de se défendre militairement. La social-démocratie des deux pays choisit la seconde. La voie des armées allemande et autrichienne vers l’Est était alors ouverte (61).

Il est aisé de mesurer l’immense déception que cette attitude des partis ouvriers des puissances centrales a été pour les bolcheviks russes. Le 5 février 1918 encore, le Conseil des ouvriers et des soldats de Petro­grad s’adresse aux conseils ouvriers de Berlin et de Vienne dans un appel où on peut lire entre autres :

« Frères d’armes ! par les grèves, les manifestations et la constitution de conseils d’ouvriers et de soldats, vous avez démontré que la classe ouvrière d’Autriche et d’Allemagne ne permettra pas aux bourreaux et aux usurpateurs d’imposer une paix annexionniste honteuse à la Répu­blique socialiste des soviets [...]. Le sort des pourparlers ne sera pas réglé à Brest-Litovsk, mais dans les rues de Berlin et à Vienne, et dans d’autres villes autrichiennes et allemandes. Il sera réglé dans les conseils ouvriers de Berlin et de Vienne.

Frères ! nous croyons fermement que vous allez entreprendre tout ce qui est en votre pouvoir pour que les pourparlers de paix, ouverts entre le Gouvernement ouvrier et paysan russe et le gouvernement Kühl­mann, se terminent par des pourparlers entre le Gouvernement ouvrier et paysan russe et le gouvernement allemand de Liebknecht ».

Cet appel signé de Zinoviev reflète les immenses espoirs que les bol­chéviks ont alors placés dans le mouvement révolutionnaire du prolétariat allemand et autrichien. Bientôt cependant, après l’échec définitif de la grève générale et l’avance des troupes allemandes vers l’Est, ces espoirs durent céder la place à la plus amère déception. On peut mesurer la pro­fondeur de cette déception en lisant la déclaration que fit Trotsky le 22 février 1918, c’est-à-dire quatre jours après le début de l’avance alle­mande :

« De notre part, peut-on lire, nous avons fait tout ce que nous avons pu. Nous refusions de signer le traité de paix, et par là même nous invi­tions la classe ouvrière allemande à nous soutenir immédiatement. Mais le prolétariat allemand, induit en erreur et endormi par les dirigeants de son parti, se révéla trop faible et trop peu résolu encore pour nous appor­ter ce soutien. C’est pourquoi il nous contraint à faire une ultime tentative pour sauvegarder la paix pour notre pays — dans les conditions qui résul­tent du rapport de forces actuel.... C’est sans doute une humiliation, mais ni plus ni moins que les humiliations que doivent subir les grévistes lorsqu’ils sont forcés d’accepter les conditions des capitalistes » (62).

Ce sentiment d’amertume et de déception se manifeste cependant le plus clairement dans un tract distribué en mars 1918 par la « Ligue Spar­tacus » (Spartakusbund), et qui porte le titre significatif : « le soldat allemand bourreau de la liberté ». Nous y lisons :

« Un territoire deux fois plus grand que toute l’Allemagne a été arraché par la violence à la Révolution Russe. La Courlande, la Livonie, l’Estonie et la Lithuanie, ainsi que la malheureuse Pologne, sont à pré­sent annexées sans aucun scrupule. En Ukraine, la soldatesque allemande se conduit comme dans une colonie africaine. Les troupes allemandes entrent en Finlande... Ainsi l’Allemagne est-elle aujourd’hui devenue le gendarme de la réaction capitaliste dans toute l’Europe, et le prolétaire allemand en uniforme le bourreau de la liberté et du. socialisme ! Où va-t-on encore l’envoyer pour rétablir « l’ordre » ? Que les ouvriers socia­listes de Norvège, de Suède, de Suisse et de Hollande prennent garde ! Qu’ils ne se rebiffent surtout pas contre la guerre et la réaction, et surtout qu’ils n’organisent ni grèves générales ni révolutions ! Car les prolétaires allemands leur passeront peut-être demain sur le corps, sur ordre de l’im­périalisme allemand, pour rétablir « l’ordre » comme ils le font déjà aujourd’hui en Russie. Tout cela peut encore se produire. Pourquoi pas ? Après tout, ce que nous venons de vivre ?

Le monde est aujourd’hui sans dessus dessous. En 1848, des hordes de moujiks asservis envahirent, sur ordre du Tsar, l’Europe occidentale pour étrangler la révolution bourgeoise. Aujourd’hui, 70 ans après, des prolétaires sociaux-démocrates et des militants syndicaux allemands mar­chent sur l’Est et le Nord pour étrangler la révolution socialiste. Aucune classe dans l’histoire mondiale n’a connu de tragédie aussi terrible, n’a fait preuve d’ignominie aussi profonde, et ne s’est imposée humiliation aussi infâme ! » (63).

A quel point ces phrases doivent nous paraître d’une actualité inquié­tante et honteuse, à nous qui avons connu l’invasion hitlérienne de l’Est !...

Les détours de la révolution mondiale

Les grandes époques exigent de grands hommes. Malheur à elles si elles ne rencontrent que « d’excellentes médiocrités » qui, n’étant nulle­ment à la hauteur des tâches qui leur incombent, jouent à cache-cache avec l’Histoire et cherchent à s’en sortir par divers tours de passe-passe et compromis. Alors se dessine ce tableau fait d’incapacités, de duplicités et de mystifications dont l’observateur ne sait à présent s’il doit rire ou pleurer.

Ce qui importe véritablement, c’est de comprendre 1e sens historique des événements. Car la non-adéquation d’une tâche historique aux forces humaines disponibles peut signifier deux choses : ou bien que la tâche était historiquement prématurée, ou bien que l’Histoire a dû choisir des détours pour assurer sa réalisation.

Aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, il ne peut guère y avoir de doute qu’il s’agissait seulement d’un détour historique. En effet, les pro­cessus révolutionnaires engendrés par les deux guerres mondiales, et qui à présent s’emparent de continents entiers, ne connaîtront plus de répit. Quelles que soient les voies détournées qu’ils doivent emprunter, ils confir­ment uniquement, en dernière analyse, que le vieil ordre économique capitaliste est historiquement dépassé, et qu’il doit céder la place à de nouvelles formes de production. Sans doute, l’époque de sa relève se pro­longera-t-elle sur plusieurs décennies, et révélera-t-elle de nombreux stades transitoires et formes intermédiaires qui, pour les dirigeants de la révolution d’Octobre, étaient absolument inconcevables. En ce sens, l’iso­lement imposé à la révolution russe après la Première Guerre mondiale s’est révélé être historiquement fatal, et les peuples ont encore aujourd’hui à en souffrir. Ainsi les masses laborieuses de l’Union soviétique qui ont osé lancer le premier assaut ont dû payer un prix terriblement élevé pour l’industrialisation de leur pays, réalisée dans les conditions les plus difficiles qui se puissent concevoir : au bout d’une dizaine d’années déjà, elles avaient été dépossédées des derniers restes de leur pouvoir, et avaient été assujetties à l’arbitraire d’une domination bureaucratique et totalitaire dont elles ne se sont pas encore libérées. Et le peuple alle­mand ? A lui aussi, le refus, en 1918, du message de paix et d’amitié de la révolution russe fut fatal. Il devint rapidement la victime de la tyrannie hitlérienne et dut se voir imposer pour la deuxième fois « le rôle de bour­reau de la liberté en Europe ». Vraiment, « l’histoire universelle est le tribunal universel. » .

Notes

1. En conséquence de ce point de vue extrêmement clair et stipulé dans les accords [entre l’Allemagne et l’Autriche, RR], ni M. Kühlman ni le Comte Czernin n’ont demandé d’annexions directes lors des pourparlers avec la Russie. « Leur plan vise à parvenir, à l’aide du mot d’ordre du gouvernement russe le droit à l’auto-détermination des peuples russes, à l’annexion [Anschluss] de ces derniers aux deux Etats impériaux. Les représentants de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne furent pendant tout ce temps entièrement d’accord sur le fait qu’il s’agirait de chercher, sur cette base, à extorquer le plus possible à la Russie. (Czernin, à l’ambassadeur d’Autriche à Berlin, Hohenlohe, le 2 janvier 1918, annexe. P.A.I. 1053, fol. 66-8. Les sigles P.A.I. et M.D.I. désignent des codes des archives autrichiennes.).

2. Cette illumination subite n’empêcha cependant pas l’Empereur Charles de s’adonner à ces « rêveries polonaises » jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’à l’effondrement définitif de la monarchie.

3. Cité dans Gratz-Schüller, p. 139-40.

4. P.A.I. 1078, I.L., fol. 15-6.

5. P.A.I., 1077, 2.L., fol. 21-2.

6. P.A.I., 1081, 2.L., fol. 28.

7. P.A.I., 1080, de Bade, fol. 12.

8. P.A.I., 818, fol. 142-52.

9. Cf la manière spirituelle et ironique avec laquelle Trotsky caractérise la direction social-démocrate de Vienne dans "Ma vie".

10. Die ôsterreichische Revolution, [la révolution autrichienne], 1923 ; sauf mention contraire, toutes les citations ultérieures d’O. Bauer sont empruntées à cet ouvrage.

11. Au ministère de la Guerre.

12. P.A.I., 1081, 2.L. Fol. 156-7.

13. « Dans l’intérêt de toute la population, poursuit la déclaration, nous invi­tons instamment les travailleurs de toutes les industries alimentaires, les mineurs, les travailleurs des chemins de fer, des tramways et autres entreprises de transport, les travailleurs du gaz et de l’électricité, à NE PAS arrêter le travail [...]. Pour éviter des victimes inutiles, nous demandons avec insistance aux travailleurs et aux travailleuses de maintenir le calme et l’ordre et d’éviter tous les affrontements dans la rue [...]. »

14. P.A.I. 1078, 4.L. Fol. 67.

15. « L’impression produite par les désordres de Vienne est encore plus importante que je ne le pensais, et a un effet catastrophique. Les ukrainiens ne négocient plus, ils dictent ! » (Czernin, lm Weltkriege, [dans la Guerre mondiale], p. 326).

16. Pour caractériser la personne même du Comte pacifique, il suffit de lire son télégramme en provenance de Brest [Litovsk] daté du 7-2-1918 : « Demande rapport télégraphique immédiat pour savoir si et comment la mutinerie de Cataro a été punie, et si les meneurs, comme je l’espère [souligné par moi, RR] ont été exécutés ». (P.A.I., 1077, 3.L., fol. 138)

17. Voir le télégramme du Comte Czernin au Comte Demblin daté du 18-1-1918 : « Votre -/- est priée d’informer sa Majesté que le Baron Müller m’a fait savoir que le gouvernement autrichien continue, en dépit d’engagements contraires pris vis-à-vis de moi, à publier des nouvelles relatives aux désordres. Votre -/- est priée de dire à sa Majesté que je ne serais pas à même, en cas de maintien de ce principe, de poursuivre ici les pourparlers, et que je me verrai contraint de demander mon rappel immédiat. Les alliés •partagent mon point de vue, selon lequel cette façon d’agir du gouvernement autrichien a toutes chances de tout compromettre ici au dernier moment, puisque l’espoir de voir la Révolution se faire chez nous rend les Russes absolument inflexibles. Votre -/- est priée de dire cela à sa Majesté, qui est probablement fatiguée et irritée, sous une forme qui ne la trouble pas inutilement, mais de ne rien changer quant au contenu méritoire, de ne rien taire à sa Majesté, et de souligner que je me ferais scrupule de cacher la moindre chose à sa Majesté quant à la situation. Votre -/- est priée, selon l’issue de votre démarche, de se mettre aussitôt d’accord avec le Président du Conseil et de m’aviser instamment du résultat des deux démarches. — Czernin. » P.A.I. 1077, 2.L., fol. 163.

18. P.A.I. 1081, 2.L., fol. 68.

19. P.A.I. 1077, 2.L., fol. 182.

20. P.A.I., 1077, 2.L., fol. 182.

21. cf. A. Rosenberg, Die Entstehung der Deutschen Republik 1871-1918 [la genèse de la république allemande...] : « Le gouvernement autrichien mit fin à la grève en exprimant son accord complet avec le programme de paix des travailleurs, et en leur promettant tout ce qu’ils voulaient, même sur le plan de la politique intérieure ».

22. Mitteilungen an die Arbeiter [Informations ouvrières] N° 2, du 20/1/1918 : K. Seitz déclara dans la même réunion : « Nous, qui avons négocié, nous considérons que la déclaration peut suffire [...]. L’intérêt des propositions gou­vernementale réside [...] dans le fait que le gouvernement a engagé sa parole devant les élus désignés par la masse qu’il mettra tout en oeuvre pour parvenir à la paix. Les travailleurs ont montré leur puissance. Nous pensons que la réponse peut être considérée comme satisfaisante, et qu’elle représente une garantie de paix sérieuse [...]. Nous avons pu obtenir la garantie que toutes les forces qui travaillent dans cet Etat - de l’ouvrier au ministre se mettent au service de la paix ». Ibid

23. Le Comte Demblin écrivit à Brest [Litovsk] : « Prière d’informer M. le Ministre de ce qui suit : [...] Sa Majesté lui fait savoir, en attendant, que le gouvernement et les dirigeants ouvriers ont convenu que le Président du Conseil leur ferait une déclaration rassurante sur la question de la paix, en échange de quoi ils s’engageraient à stopper le mouvement. Suivant la proposition des dirigeants ouvriers, cette déclaration devrait être faite au nom de Votre Excellence, et aurait la teneur suivante : [...] (suit le premier point, cité ci-dessus par nous, de la « déclaration ») P.A.I., 1077, 2.L., fol. 186-8.

24. Voici la modification apportée par Czernin : « par une Assemblée Constituante élue sur une base large ».

25. Cf. l’instruction de Czernin adressée à Meray pour Brest-Litovsk et datée du 14/12/1917, relative aux pourparlers de paix avec les Russes : « Nos points principaux y seraient les suivants : 1) avoir la certitude militaire que la paix est effectivement acquise 2) recevoir des vivres et des matières premières de la Russie ; 3) avoir la possibilité de maintenir encore, dans un premier temps, la Pologne sous notre contrôle militaire, afin de pouvoir parvenir à l’annexer [Anschluss] plus tard à la monarchie. Peut être faudrait-il maintenir un cordon militaire sur la ligne du front actuel pour être quelque peu à même de nous protéger contre la révolution ». P.A.I. 1052, fol. 76-7.

26. P.A.I., 1077, ibid.

27. Ce n’est pas pour rien que les grands propriétaires fonciers polonais accablèrent Vienne de demandes pressantes de ne surtout pas retirer les troupes autrichiennes du royaume de Pologne.

28. Les éditoriaux de l’Arbeiter-Zeitung des 5 et 6 Janvier 1918 attestent que, sur ce point, le texte proposé par la direction du parti est tout à fait conforme à ses propres conceptions. Dans le premier article, on lit : « Ce qui importe assu­rément aux Russes, c’est avant tout deux choses : premièrement que l’ensemble de la population des trois pays [la Pologne, la Lithuanie, et la Courlande — RR] soit réellement appelée à la décision ; deuxièmement, que cette décision ne soit infuencée [...] par aucune intervention des autorités allemandes [qu’en est-il des autorités autrichiennes ?]. Il ne serait pas inconcevable de fournir des garanties suffisantes aux Russes même si l’on ne peut se résoudre au retrait immédiat des troupes ». Dans le second article, écrit par V. Adler, nous lisons : « Si les Polonais veulent choisir en toute liberté l’empereur d’Autriche comme Roi de Pologne [!] afin d’obtenir en retour [sic ! RR] l’incorporation des parties polonaises de la Galicie dans l’État polonais, on pourrait s’en accomoder, puisque cela ne consti­tuerait aucun obstacle à la paix avec la Russie [...]. »

29. Six semaines plus tard, l’Arbeiter-Zeitung se plaignit amèrement : « Que ne s’était-il pas passé depuis, sans que le Comte Czernin n’ait montré ou manifesté d’une manière ou d’une autre la « sincérité » dont il se vantait [...]. Où est donc cette Paix dans l’Entente mutuelle, cette paix qui devait instaurer un nouvel ordre mondial ? [...] Dieu sait que nous ne disons pas cela pour railler le Comte Czernin, nous serions bien contents si ses idées s’étaient imposées, et si sa politique était devenue déterminante ». (Arbeiter-Zeitung, 31-3-1918).

30. Le Comte Czernin y inséra : « les représentants élus du peuple », « puisque la loi ne connaît pas les représentants de partis ». P.A.I. 1077, 2.L. Fol. 185-6.

31. Renner à l’adresse des délégués du Conseil ouvrier de Wiener-Neustadt, le 21-1-1918 : « Etant donnés les rapports de forces parlementaires actuels, le parti ne peut prétendre pour lui tout seul au droit de participer aux pourparlers de paix à Brest-Litovsk. Y admettre tous les partis, cela compromettrait [cepen­dant, RR] les pourparlers plus que cela ne les favoriserait ». (Arbeiter-Zeitung, le 23-1-1918). Que l’on puisse parfois user aussi de moyens extra-parlementaires dépassait apparemment l’horizon de M. Renner.

32. Arbeiter-Zeitung, les 13 et 17 janvier 1918.

33. Arbeiter-Zeitung, 1-1-1918. L’Arbeiter-Zeitung y ajoute : « Le Foreign Office à Londres et la Maison Blanche à Washington » [Où sont donc passées Berlin et Vienne ?] « commencent à se douter qu’il est déjà question de toute autre chose que d’une démocratie bourgeoise de façade [...]. »

34. Le Comte Czernin passa pudiquement sous silence les « prétentions e bien connues également de l’Autriche. Cf. son télégramme à Charles du 24-12-1917 : « Au Comte Demblin pour Sa Majesté. Il devient de plus en plus manifeste que l’Allemagne, en cas de paix séparée avec la Russie, tirera l’énorme bénéfice de toute la Lithuannie et toute la Courlande. 11- est tout à fait inadmissible que, dans ce cas, S[a] M[ajesté] n’obtienne rien, et qu’elle ait été réduite à combattre trois années de suite à seule fin de permettre à l’Allemagne d’arracher des conquêtes. Aussi S.M. devra-t-elle obtenir la Pologne pour se trouver sur un pied d’égalité [...]. (souligné dans l’original) P.A.I. 1078 2.L. Fol. 258-63.

35. P.A.I. 1077, 1.L., fol. 83.

36. V. Adler fut parfaitement sincère. Il admirait et révérait le Comte « pacifique » sans se douter que celui-ci en dépit de la pagaille dans laquelle se trou­vait la monarchie, guetta jusqu’au dernier moment de nouvelles acquisitions territoriales, soit aux dépens de la Russie, soit aux dépens de la Roumanie.

37. V. Adler eut donc toujours l’espoir que les Polonais — en maquignonnant la Galicie — choisiraient l’empereur Charles comme roi de Pologne.

38. Cf. les passages suivants de lettres de V. Adler adressées à K. Kautsky et datées respectivement du 26-11-1914 et du 1-2-1915 : « l’idolâtrie de la rec­titude, ce qu’elle [la gauche, RR] appelle les « principes » [...] » ; « des attentats contre le parti [...]), commis au nom des « principes ». « V. Adler, Briefwechsel mit A. Bebel und K. Kautsky.

39. Les commissions parlementaires des deux Etats de l’Empire.

40. P.A.I., 818, fol. 142-152.

41. Cité d’après Isaac Deutscher, Le prophète armé, Trotsky : 1879-1921, t. 1.

42. Cf. Archives de guerre, AOK, op. Abtlg, 675 ex 1918, dossier : « Renforts sur les arrières (cartes d’état-major, Janvier, Octobre), carte 1 : renforts au 31-1-1918 ». Nous voyons par cette carte que « l’armée en campagne » a mis « à la disposition » des autorités viennoises jusqu’au 31-1-1918 sept bataillons, à savoir un bat. du RI 93 (des tchèques et des allemands) un bat. du RI 37, (des hongrois), deux bat. du RI 44 (des hongrois) et trois bat. du régiment des fusiliers 15 (des tchèques et des allemands). En tout, environ 4 500 hommes.

43. MDI, N° 2396 ex 1918. Cf. le rapport consacré à l’éventualité d’une nouvelle grève générale, présenté par l’attaché de presse du Ministère des Affaires Etrangères, Von Praznovszky, le 29-1-1918 : « Au cours de la conversation privée [avec Seidler, RR] qui s’en suivit, je vins à parler du rapport présenté sur l’évolution défavorable de la grève et je confiai au Président du Conseil combien il serait souhaitable que la position déjà très délicate de V[otre] E[xcellence] à Brest­Litovsk ne soit pas rendue encore plus difficile par des nouvelles alarmantes en provenance de l’arrière. Le président du Conseil se saisit aussitôt de la question, et me pria de faire savoir à V.E. qu’il avait demandé aussi bien à Sa Majesté qu’au Ministre de la guerre de concentrer des troupes à Vienne et aux alentours, afin que l’on pût au besoin intervenir énergiquement contre les grévistes. C’est la raison pour laquelle une attitude de faiblesse, comme lors de la première grève, ne sera plus nécessaire. Le président du Conseil semblait très optimiste, étant donné la concentration des troupes déjà effectuée — chose qui, à mon humble avis, ne paraît pas tout à fait justifiée dans le lourd climat actuel ». P.A.I. 320.

44. « Camarades », s’écria Jos Strasser, un allemand des Sudètes d’extrême gauche révolutionnaire, en raillant en 1918 les austro-marxistes viennois - « cama­rades, la révolution sociale longtemps annoncée ne peut avoir lieu, ne voyez vous pas en effet l’agent de police, là-bas au coin de la rue ? ! ».

45. Il serait utile, à cet endroit, de renvoyer à un parallèle russe presque contemporain. Lorsque les bolcheviks préparèrent l’insurrection d’Octobre, Zinoviev et Kamenev avertirent leurs camarades « qu’au moment présent surtout, il serait des plus nuisible de sous-estimer les forces de l’adversaire [...1. Les forces de l’ennemi sont plus grandes qu’il ne semble. C’est Petrograd qui décidera de l’issue de la lutte ; or, à Petrograd, les ennemis du parti prolétarien ont accumulé des forces considérables : cinq mille junkers très bien armés, parfaitement organisés, désirant ardemment (en vertu de leurs positions de classe) et sachant se battre ; ensuite, l’état-major les détachements de choc, les cosaques, une fraction considé­rable de la garnison, puis une très grande partie de l’artillerie, disposée en éventail autour de Petrograd. En outre [...] nos adversaires tenteront presque certainement de ramener des troupes du front ». Il faut cependant préciser, à l’honneur de Zinoviev et Kamenev, que les « junkers, bataillons de choc et cosaques » étaient effectivement sur place, et non pas seulement dans l’imagination surchauffée des deux dirigeants du parti... Néanmoins, Zinoviev et Kamenev commirent une erreur grave, car « non vérifiées dans l’insurrection, ces forces seraient apparues beaucoup plus menaçantes qu’elles ne l’étaient [plus tard RR] en réalité. Voilà la leçon qu’il faut incruster profondément dans la conscience de chaque révolutionnaire ! ». Trotsky, Les leçons d’Octobre.

46. Nous pensons notamment à Bolchevisme et Social-démocratie. d’O. Bauer (1920), où celui-ci cherche à démontrer l’impossibilité d’une Révolution sociale en Europe centrale. Les arguments dont il se sert pour ce faire sont tellement embarrassée qu’il est tout à fait pénible de polémiquer contre eux. D’abord, commence O. Bauer, l’Autriche est un pays bien petit, et les alliés nous écraseraient certainement en l’espace d’une semaine. — Mais personne ne pense à faire une révolution autrichienne isolée ; il s’agit plutôt de la révolution en Europe centrale, c’est-à-dire avant tout de la Révolution allemande dans son ensemble ; — Bien d’accord, soupire O. Bauer, mais avez-vous considéré toutes les difficultés d’une entreprise aussi insensée ? En Russie, les paysans et les intellectuels avaient un état d’esprit révolutionnaire, tandis qu’en Allemagne et chez nous, ils sont franchement contre-révolutionnaires ! — Nous ne l’ignorons pas non plus — rétorque l’adversaire imaginaire de la dicussion à O. Bauer — Mais la classe ouvrière allemande n’est-elle pas aussi incomparablement plus nombreuse, plus organisée, plus formée etc. que celle de la Russie ? — C’est vrai, répond Bauer, mais avez-vous également pensé aux Anglais et aux Français ? Qu’arrivera-t-il, si ceux-ci ne sont pas avec nous, mais se retournent contre nous ? Encore que cela ne serve à rien non plus, en fait. Car une révolution européenne nous couperait de toutes les importations d’Outre-mer, et l’Europe ne peut survivre une semaine sans les matières premières d’Outre-mer ! (Ce qui n’a pas empêché la social-démocratie d’apporter son soutien à la guerre mondiale, qui a complètement paralysé la « division internationale du travail » à laquelle Bauer attache une si grande importance ; mais ce qui est fait est fait, à quoi bon se reprocher d’anciens pêchés ?). En y regardant de près nous devons nous rendre à l’évidence que nous ne pouvons nous permettre aucune révolution socialiste en Europe, que nous devons, pour la faire, attendre les américains... ! Car, « sans coton américain, sans cuivre américain, sans laine australienne. sans caoutchouc africain, l’Europe occidentale et centrale ne pourra travailler ». Cosa perdura... (on peut vérifier tout cela au § 11 de l’ouvrage d’O. Bauer. Nous nous sommes seulement permis de réduire l’argumentation tortueuse et tourmentée de Bauer à son véritable contenu).

47. On apprend, en revanche, dans l’Arbeiter-Zeitung du 2-2-1918 qu’au congrès régional du parti social-démocrate de la Basse-Autriche, Kirchleder de Göslabruck s’opposa à la direction du parti dans les termes suivants : « On craint une saignée, mais cela est-il autre chose ? Il demande ensuite s’il est vrai, comme l’affirme le député Tomaschek, que l’on ait repoussé le soutien offert par les tchèques. (Cris : ce n’est pas vrai du tout !) » Cf. le rapport suivant du haut commandement de l’armée : « Evolution de la grève au 20-1-1918 : comm. milit., section Vienne, Brünn inclus : état de la grève inchangé. — Région Mähr. Ostrau : six mines en grève. On s’attend à grève générale pour lundi. — Prague : plusieurs assemblées aujourd’hui. Pilsen : arrivée aujourd’hui de délégués de Vienne avec ordres de la part de l’organisation centrale. — Prague et Pilsen : on s’attend à grève générale (Archives militaires, AOK, op. Abt, 1918, K. 654, informations de grèves). Les tchèques semblent donc bien avoir offert leur soutien.

48. Arbeiter-Zeitung, le 23-1-1918. — La note suivante, rédigée par le chef de cabinet au Ministère des Affaires Etrangères, Wiesner, montre où menait alors la haine des tchèques nourrie par la direction du parti social-démocrate : « Note confidentielle. — 9 juin 1917. Le député Seitz m’a fait savoir aujourd’hui par téléphone qu’il tenait à attirer l’attention sur le fait que l’affirmation des socialistes nationalistes tchèques [le parti de Benesch, RR] selon laquelle ils participeraient à la Conférence socialiste internationale de Stockholm, n’était pas conforme à la vérité. Selon lui, ils n’y seraient pas admis, ce qu’ils n’étaient pas sans ignorer. Aussi pouvait-on se demander ce qu’ils cherchaient réellement à faire à l’étranger. [Souligné dans l’original]. Il se sentait, poursuivit-il, dans l’obligation de nous en informer, sans vouloir par ce biais influer sur notre décision [concernant l’autori­sation des passeports, RR]. On put entrevoir que Seitz voulait dire que ces gens noueraient à l’étranger des relations de haute trahison, et qu’ils ne voulaient que nous duper ». P.A.I., 958, « Les délégués tchèques à Stockholm », fol. 7.

49. Arbeiter-Zeitung, le 25-1-1918.

50. « Le Lt Bauer a passé le dernier mois de sa captivité seulement assigné à résidence à Petrograd, par l’entremise des membres du Conseil des ouvriers et des soldats qu’il connaissait ». (Déposition d’O. Bauer lui-même, extraite de son rapport sur la situation russe fait aux autorités militaires au poste 7 de contrôle de Sassnitz.) — P.A.I. 1042, Baden, le 4-10-1917, n° 23 289.

51. Voir l’article de Bauer. « Würzburg und Wien » (in der Kampf. [le combat], nov.-déc. 1917), dans lequel Bauer se plaint de « la tendance typiquement autrichienne à ne pas faire apparaître les contradictions, mais au contraire à les dissimuler », et où nous lisons au sujet de la social-démocratie autrichienne : « Ici, où dès avant la guerre, la conception réformiste de la lutte des classes avait dominé le parti, la politique de Scheidemann trouva un terrain encore plus favorable que dans la classe ouvrière du Reich, qui avait une formation marxiste beaucoup plus solide. Le « jour de la Nation Allemande » ne fut nullement salué avec autant de jubilation qu’en Autriche, précisément. Et plus loin : « Il était triste de voir le vieux Adler prendre, pour la première fois depuis plus de trois ans, la parole au parlement et de le voir exhorter avec douceur et sagesse les Tchèques à renoncer, de grâce, à leur souveraineté nationale ! Comme si la fonction de la social-démocratie était de protéger la structure historique de l’État contre les forces révolutionnaires nationales et de recommander une sage modération aux peuples qui en venaient à s’insurger contre l’appareil historique d’Etat ». Cf. la lettre de V. Adler du 14-11-1917, adressée à K. Kautsky : « Toutes les choses sont bien plus faciles maintenant que Otto [Bauer — RR] est ici. Bien entendu, il est encore un peu bolchévik et il devra se réadapter à l’an­cien milieu. » V. Adler, Briefwechsel mit A. Bebel und K. Kautsky.

52. R. Luxemburg, L’accumulation du Capital : critique des critiques ou : Ce que les épigones ont fait de la théorie marxiste.

53. M.D.I. N° 2396, ex 1918.

54. Rapport de la préfecture de police de Vienne, Z. 52356/ K (Archives administratives).

55. Cf. la communication suivante, parue dans l’Arbeiter-Zeiung du 22-1-1918 : « Landstrasse. L’assemblée prit par moments un cours très tumultueux [...]. M. Rudolf Grossmann (Damus), connu comme anarchiste, avait pénétré dans l’assem­blée accompagné de tous ses partisans, recrutés parmi les étudiants et des réfugiés juifs polonais. L’assemblée admit que non moins de six de ces messieurs prennent la parole, et ils déclenchèrent évidemment une véritable campagne contre le parti et ses délégués [...].Bien entendu, [1, ces réfugiés juifs polonais se prononcèrent tous contre la reprise du travail. »

56. Mitteilungen an die Arbeiter [Informations ouvrières], n° 2 (20-1-1918. —Cf. Arbeiter-Zeitung du 22-1-1918 : Währing : ... Un service d’ordre veilla à ce que des éléments non qualifiés ne puissent plus venir troubler l’assemblée comme lors de la réunion de Samedi, et que la volonté des travailleurs organisés pût s’exprimer. »

57. On connaît la fin tragique de Franz Koritschoner. En 1940, il fut livré à la Gestapo par le NKVD, et mourut dans la prison de la Gestapo de Vienne.

58. Verw. Arch. M.D.I., 22 im Gen., Nr 2075 ex 1918.

59. Cf. Richard Müller, Vom Kaiserreich zur Republik (De l’Empire à la République) 1924.

60. Là encore, on peut le prouver de manière irrécusable par le matériel d’archives officiel allemand. Nous nous limitons ici à reproduire trois brèves notes que nous empruntons à la série de dossiers « Arbeitseinstellungen in Deutschland vom Februar 1905 bis 4. Februar 1918 » [Arrêts de travail en Allemagne de ...], t. IV et V (Archives du Ministère des Affaires Etrangères). Ainsi, dès le 1-2-1918 (début de la grève générale) le Ministère des Affaires Etrangères télégraphia à la délégation allemande à Brest-Litovsk : « Le haut com­mandement informe confidentiellement que la rédaction du Vorwärts s’est ravisée, qu’elle a fait une déclaration des plus lénifiantes, selon laquelle elle souhaitait tout faire pour que le calme et l’ordre fussent rétablis. De plus, la direction s’est offerte sua sponte à soumettre tous les articles se réfèrant à la grève à la censure préalable [...] » (N° 437). Le 2-2-1918, d’autre part, la délégation prussienne à Munich rapporte le fait suivant, sur la session du parlement bavarois du 31-1- : « Ce qui apparut en particulier, ce fut la reconnaissance de M. Von Dandl [président du conseil de Bavière, RR] vis-à-vis des sociaux-démocrates, pour avoir pris en main la direction du mouvement et l’avoir ainsi conduit dans des eaux paisibles [...] ». Et enfin, on lit dans un document du Ministère des Affaires Etrangères daté du 8-2-1918 : « Selon une communication confidentielle de M. Südekum, [car le bien connu Südekum opérait dans le bureau de la fraction des socialistes majoritaires en tant qu’agent secret au service des Affaires Etrangères, espionnant ses propres camarades de parti, RR], la dernière séance de la fraction social-démocrate s’est très bien déroulée : on était unanime pour condamner la grève [...] ». (AA 546).

61. « Une fois la crise de la grève générale surmontée, le haut comman­dement de l’armée put rétablir l’ordre tel qu’il l’entendait d’abord à l’Est. Le général Ludendorff se mit à pratiquer une politique napoléonienne à l’Est, qui étendrait le pouvoir de l’Allemagne jusqu’en Finlande et au Caucase. » (A. Rosenberg, Die Entstehung der Deutschen Republik 1871-1918 [la genèse de la république allemande...]). Le lecteur ne s’étonnera guère d’apprendre qu’O. Bauer, ces jours-là, rejeta la faute de l’avance allemande vers l’Est sur... les bolcheviks ! Dans son article « Die Bolchewiki und wir » [les bolcheviks et nous] (in Der Kampf, mars 1918), nous lisons à ce propos : « Il serait injuste de rendre les bolcheviks seuls responsables de la désorga­nisation de l’armée russe. Cette désorganisation s’explique plutôt par le bas niveau culturel de la masse des soldats, fatiguée de la guerre, analphabète et dominée par les instincts les plus primitifs, incapable de comprendre la nécessité de la défense du pays et de la Révolution contre l’ennemi extérieur, et de rem­placer la vieille discipline mécanique brisée par la discipline volontaire et démo­cratique d’une armée révolutionnaire. Il est cependant vrai que les bolcheviks, par la méthode de leur agitation contre la guerre et contre le corps d’officiers contre-révolutionnaires, excitèrent les instincts les plus primitifs des soldats et favorisèrent la décomposition de l’armée. Ils ont ainsi contribué à désarmer la Russie et à renforcer le pouvoir de l’impérialisme allemand en Europe ». Il est certain que la social-démocratie autrichienne ne s’est jamais rendue coupable de la désagrégation de la discipline à l’armée. Ce qui lui importait, c’était de ne pas « exciter » les « instincts » des soldats, mais de les dompter. Aussi pouvait-on lire encore dans l’Arbeiter-Zeitung du 28 mars 1918 lorsqu’elle se rappela, sous l’impression de la grande offensive allemande en France de Mars 1918, le « Jour de la nation allemande », et qu’elle sombra dans une ivresse patriotique : « Que de grandeur humaine, que de force morale dans ce triomphe sur ses propres instincts ! Que de capacité dans l’homme simple à soumettre l’aspiration à la vie et au bonheur à la volonté morale, au commandement du devoir ! » (article intitulé : « grandeur humaine »).

62. P.A.I., 1053, fol. 338-41.

63. Richard Müller, Vom Kaiserreich zur Republik (De l’Empire à la République) 1924. Cf. aussi l’appel, reproduit par Müller, adressé par la XIIe armée Russe aux soldats allemands : « L’histoire clamera plus tard que le prolétariat allemand a marché contre ses frères Russes, et qu’il a sacrifié la solidarité internationale ». On peut lire des réflexions analogues dans l’écrit posthume de Rosa Luxemburg "La Révolution Russe" : « On peut comprendre tout ce qui se passe en Russie ; c’est une chaîne inévitable de causes et d’effets qui a pour point de départ et clef de voûte, la carence du prolétariat allemand et l’occupation de la Russie par l’impérialisme allemand. [...] Les socialistes gouver­nementaux allemands peuvent bien proclamer haut et fort que la domination des bolcheviks en Russie n’est qu’une caricature de la dictature du prolétariat. Si ce fut ou si c’est le cas, c’est uniquement parce qu’elle fut le produit de l’attitude du prolétariat allemand, elle-même caricature de la lutte de classe socialiste. Nous sommes tous soumis à la loi de l’histoire et l’on ne peut introduire l’ordre socia­liste qu’à l’échelle internationale. Les bolchéviks ont montré qu’ils pouvaient faire tout ce qu’un parti vraiment révolutionnaire est capable d’accomplir dans les limites des possibilités historiques. Qu’ils ne cherchent pas à faire des miracles ! Car une révolution prolétarienne exemplaire et parfaite dans un pays isolé, épuisé par la guerre mondiale, écrasé par l’impérialisme, trahi par le proléta­riat international serait un miracle. »

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