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Journées de mai 1937 à Barcelone : quand la contre-révolution a triomphé en Espagne, conduite par le parti stalinien
jeudi 23 mars 2023, par
Journées de mai 1937 à Barcelone : quand la contre-révolution a triomphé en Espagne, conduite par le parti stalinien
Extraits de Leçons d’une défaite, promesse de victoire, par Grandizo Munis, livre publié en 1948 au Mexique, traduit en français en 2007 :
1. La révolution de juillet 1936
Ce fut en Catalogne que le mouvement révolutionnaire pénétra le plus le tissu social. Et ce pour deux raisons fondamentales. C’était la région où le prolétariat industriel était le plus dense, et l’organisation dominante la CNT. Le PCE et le PSOE étaient presque complètement bannis de la région. Le Parti socialiste unifié de Catalogne3, affilié au stalinisme, futur nerf de la contre-révolution quelques mois plus tard, se constitua après le 19 juillet 1936, en récupérant toutes les scories sociales imaginables, du boutiquier cupide au fils à papa fascisant, du spéculateur à l’arriviste nageant en eaux troubles. Mis à part la CNT, seul le POUM avait une influence notable. Dans ces circonstances, la formidable impulsion révolutionnaire des masses ne se heurta qu’à l’incapacité de l’anarchisme et du centrisme à coordonner le surgissement spontané de nouvelles institutions sociales.
Se sentant vaincu en même temps que les généraux, L’État bourgeois se rendit sans conditions au prolétariat victorieux. Mais les principaux représentants de ce prolétariat étaient, à ce moment-là, les anarchistes, et ces anarchistes (après un siècle de harangues antiétatiques !) laissèrent survivre l’État bourgeois. Ils donnèrent au prisonnier du 19 juillet la sursis nécessaire pour qu’il puisse s’attaquer aux conquêtes de cette journée. Voici comment l’un des protagonistes, éminent leader de la CNT et conseiller économique dans le Comité central des milices rapporte les événements :
« Une fois le putsch militaire en Catalogne liquidé, le président de la Generalitat, Luis Companys, nous convoqua à une réunion afin de connaître nos propositions. Nous arrivons au siège du Gouvernement catalan, les armes Ia main, sans avoir dormi depuis plusieurs jours, pas rasés, donnant, par notre aspect, réalité à la légende qui s’était tissée à notre propos. Pâles, certains membres du gouvernement de la région autonome tremblèrent durant tout le temps que dura l’entrevue, à laquelle Ascaso n’assista pas. Le palais du gouvernement fut envahi par l’escorte de combattants qui nous accompagnait. Companys nous félicita pour la victoire obtenue. Nous pouvions agir seuls, déclarer la Generalitat caduque et instituer à sa place un véritable pouvoir populaire ; mais nous ne croyions pas à la dictature quand elle s’exerçait contre nous et n’en voulions pas non plus pour l’exercer aux dépens des autres. La Generalitat resterait à sa place, avec le président Companys à sa tête et les forces populaires s’organiseraient en milices pour continuer la lutte pour la libération de l’Espagne. C’est ainsi qu’est né le Comité central des milices antifascistes de Catalogne, dans lequel nous laissâmes entrer toutes les fractions politiques libérales et ouvrières. »
(D.A. de Santillán, Porque perdimos la guerra, Ediciones Iman, Buenos Aires, p. 53)
La pensée critique reste stupéfaite devant de telles monstruosités, commises avec autant de légèreté et rapportées avec autant de désinvolture ; elles ne peuvent que susciter des paroles blessantes. Devant certains actes et paroles, il est en effet humiliant de raisonner sans avoir laissé, auparavant, libre cours à l’injure. Ceux qui n’y sont pas sensibles sont des êtres froids et incapables de comprendre quoi que ce soit. Que dire de personnes qui, ayant la possibilité de le faire, se refusèrent à instituer le « véritable pouvoir du peuple » ? En nous exprimant avec modération, nous dirons que le sort du peuple leur était moins cher que leurs relations avec les représentants de la bourgeoisie type Companys ; qu’une chose était l’allure effrayante de ceux qui ne s’étaient pas rasés depuis plusieurs jours et une autre la conduite de la révolution ; que les « membres du gouvernement de la région autonome » avaient en réalité moins de raisons de trembler et de pâlir que l’escorte de combattants qui accompagnait Santillàn et les autres chefs cénétistes ; nous dirons, dans le meilleur des cas, que les idées anarchistes sur l’accomplissement pratique de la révolution étaient suffisamment erronées pour permettre à ses représentants de maintenir debout l’État capitaliste - l’ennemi principal de la révolution - tout en croyant faire montre de la plus grande magnanimité. Qui étaient « ces autres » aux dépens desquels les dirigeants anarchistes ne voulaient pas exercer la dictature ? Ce récit ne laisse place à aucun doute : les représentants de l’État capitaliste, l’État lui-même. L’évolution postérieure des événements allait le confirmer au prix du sang du prolétariat, versé par cet État, rénové et régi par les staliniens et les socialistes grâce à la collaboration des anarchistes. (...)
2. Les journées de mai 1937
Ce n’est pas la détermination qui manqua aux travailleurs insurgés pour s’emparer du triangle gouvernemental, pas plus qu’ils ne furent freinés par les tirs de l’adversaire ; ce qui les arrêta, ce fut la direction de la CNT elle-même, à laquelle appartenait l’immense majorité des insurgés. Bien que la conduite de la direction anarchiste leur ait déjà inspiré de sérieux soupçons, ils avaient encore confiance dans le syndicat anarchiste. C’était leur organisation ; avec elle et pour elle ils avaient lutté pendant bien des années. Il était naturel, évident même, vu l’absence d’une autre organisation assez forte pour prendre la direction du mouvement, que les ouvriers qui étreignaient d’un cercle étroit de barricades la Generalitat attendissent un mot de la CNT. Qui pouvait penser que la CNT refuserait de se mettre à leur tête, de désarmer définitivement l’ennemi et d’empêcher de nouveaux pièges réactionnaires ?
La CNT prit la parole, mais pas comme l’attendaient les ouvriers, pour se placer à leur tête ; elle se plaça derrière la barricade élevée par les sbires de la Generalitat et prit position en sa faveur. Depuis le 3 mai, les dirigeants barcelonais s’étaient efforcés de contenir le torrent insurrectionnel. Le 4, les cénétistes García Oliver et federica Montseny, ministres du gouvernement Largo Caballero, arrivèrent de Valence, accompagnés par un représentant de l’UGT, Hernandez Zancajo, dans le but d’user de leur influence commune pour faire lever le siège ouvrier autour des édifices du pouvoir capitaliste. Immédiatement, ils se pendirent à la radio pour condamner l’action des ouvriers et ordonner : “Alto al fuego ! (Cessez le feu)”. García Oliver, en particulier, exalté par ses responsabilités vis-à-vis du pouvoir capitaliste, encourageait sur les ondes les gardes d’assaut. Longuement, la voix de García Oliver martela les oreilles des ouvriers qui se trouvaient sur les barricades : “Cessez le feu ! Fraternisez avec les gardes d’assaut !”
Ce même jour, le 4, ce tract était distribué sur les barricades :
CNT-FAI
“Déposez les armes ; embrassez-vous comme des frères ! Nous obtiendrons la victoire si nous sommes unis, la défaite si nous luttons entre nous. Pensez-y bien. Nous vous tendons les bras ; faites de même et tout s’arrêtera. Qu’entre nous règne la concorde”.
tandis qu’à la radio, la CNT faisait cette déclaration :
“Que le gouvernement de la Generalitat procède à l’épuration en son sein des éléments qui ont fait un mauvais travail et donné de mauvais conseils”, en la faisant suivre d’un nouvel appel à déposer les armes.
Les ouvriers n’en croyaient ni leurs yeux ni leurs oreilles. La CNT dont ils espéraient tout, de l’autre côté de la barricade ! Comme le dirait Marx, au moment de prendre les cieux d’assaut, le ciel leur tombait sur la tête. Assurément jamais, au cours d’une révolution, les insurgés n’ont éprouvé déception plus inattendue et plus brutale. Ce moment décidait du sort de la révolution et de la guerre, capitalisme ou socialisme, esclavage ou liberté, triomphe de Franco grâce aux bons offices staliniens et réformistes ou victoire du prolétariat. Et même du sort de l’Europe, condamnée à la catastrophe de la guerre impérialiste ou sauvée de ce destin par la révolution internationale. (...)
Robert Louzon, un honnête syndicaliste français qui ne peut être suspecté que de partialité vis-à-vis de la CNT, écrivit dans une brochure intitulée La Contrarevolución en España :
“D’un côté, en effet, la supériorité militaire de la CNT apparut inégalée pendant ces journées et de l’autre le syndicat anarchiste refusa toujours de faire usage de cette supériorité pour garantir la victoire”.
(...) Le 4 mai, alors que la CNT avait décrété une trêve dans la lutte et qu’elle était en train de négocier à la Generalitat avec les chefs contre-révolutionnaires, des forces gouvernementales de la Guardia civil profitèrent de la trève “fraternelle” pour s’emparet d’une gare, la Estacion de Francia. Le lendemain, la CNT donna l’ordre de se retirer des barricades en déclarant : Ni vainqueurs ni vaincus, paix entre nous. Mais ce fut le jour où tombèrent le plus d’ouvriers. Pourtant, passés quelques moments d’hésitation bien naturels en entendant cet ordre, les ouvriers choisirent de désobéir. Quelques barricades abandonnées furent sur-le-champ réoccupées. Le divorce entre la direction et les masses ne pouvait être plus profond.
(...) L’indiscutable victoire militaire du prolétariat catalan, si elle s’était transformée en triomphe politique - ce que la CNT aurait pu obtenir facilement en prononçant ces cinq mots : “Prenez d’assaut la Generalitat !” - , aurait radicalement transformé la zone rouge.
3. La répression
(...) Dès que les ouvriers se retirèrent des barricades, on commença à payer le coût de la défaite politique de mai 1937 - et cela continue maintenant sous Franco. Des centaines de militants - parmi les meilleurs - furent assassinés dans les prisons staliniennes, les commissariats, et aux alentours de la ville. Les cadavres de tout un groupe de dirigeants des Jeunesses libertaires, un peu plus d’une vingtaine d’hommes, dont le plus connu était Alfredo Martinez, furent retrouvés au bord d’une route. Pour ne citer que les plus connus, Camillo Berneri et Francesco Barbieri, anarchistes, furent assassinés ; puis, peu après Andrès Nin (POUM), les trotskistes Erwin Wolf et Hans Danid Freund (”Moulin”) et tant d’autres dont il est impossible de rappeler les noms, sans parler des milliers d’emprisonnés. Plusieurs milliers de militants furent assassinés pendant la période de domination stalino-negriniste. (...) La section bolchevique-léniniste et les Amis de Durruti, les seules organisations à avoir soutenu fermement l’insurrection ouvrière, furent condamnés à l’illégalité par la violence même de la répression. Quelques semaines plus tard, tous les locaux du POUM furent fermés, sa presse interdite, son imprimerie saisie...
(...) Je mentionnerai ici deux événements qui illustrent la dépendance de la CNT envers la droite stalinienne. Au début de l’automne 1937, de nombreux gardes d’assaut, avec tout un arsenal de tanks, mitrailleuses et pièces d’artillerie, encerclèrent durant la nuit le comité de défense de la révolution, qui occupait les locaux de la congrégation des Scolopes sais par les travailleurs le 19 juillet 1936. Dans ces locaux s’étaient réfugiés de nombreux militants pourchassés, dont certains risquaient d’être assassinés par la Guépéou. Les occupants, qui disposaient d’armes et d’une position très solide, résistèrent à cette attaque. Le matin même, une grève de solidarité spontanée éclata dans plusieurs usines. Les assiégés s’adressèrent au comité national de la CNT, pour solliciter son appui et demander de lancer un mot d’ordre de grève générale. Le comité national du syndicat anarchiste refusa catégoriquement ; il ordonna aux assiégés de se rendre et aux travailleurs en grève de reprendre le travail ; et il contribua, avec la presse stalinienne et gouvernementale, à empêcher que toute la classe ouvrière apprenne ce qui se passait. Néanmoins, il n’était pas trop tard pour que les révolution reprenne des forces, surtout si elle bénéficiait du soutien d’une organisation aussi forte que la CNT.
Le second évènement se produisit plus tard, dans la prison Modelo de Barcelone. Suite à une provocation du SIM (la Guépéou espagnole), qui avait tenté d’enlever plusieurs détenus révolutionnaires, une bagarre éclata entre des milliers de prisonniers et les provocateurs qui, comme toujours, étaient venus armés jusqu’aux dents. En quelques minutes, les révolutionnaires s’emparèrent de la prison, démolirent les énormes grilles qui les séparaient de la rue, excepté la dernière d’entre elles, devant laquelle le SIM eut le temps d’installer plusieurs mitrailleuses. Il aurait suffi d’une manifestation ouvrière de soutien aux détenus pour que ceux-ci soient instantanément libérés. La CNT refusa également d’intervenir, bien que la majorité des détenus appartinssent à son organisation, à l’exception de quelques groupes du POUM et de trotskistes. Pire, la presse confédérale laissa la presse stalinienne affirmer, le lendemain, que les fascistes s’étaient soulevés dans la prison. »
28 mai 1937 : Le journal « La Batalla » du POUM et sa radio à Barcelone sont occupés militairement et fermés par le gouvernement républicain de Valence. La presse anarchiste est soumise à la censure. L’association des « Amis de Durruti » est interdite et ses locaux occupés militairement. La CNT ne lève pas le petit doigt pour rompre l’isolement du POUM et des trotskistes.
La Telefonica, principal centre téléphonique de Barcelone qui dominait sa place publique la plus affairée, avait été occupée par les troupes fascistes le 19 juillet, les gardes d’assaut envoyés par le gouvernement la leur ayant rendue. Les travailleurs de la CNT avaient perdu beaucoup des leurs pour le reconquérir. Ils ne tenaient que plus à le conserver.
Depuis le 19 juillet, le centre téléphonique avait été dirigé par un comité UGT-CNT, avec une délégation gouvernementale installée dans l’immeuble. L’équipe de travailleurs appartenait presque intégralement à la CNT, de même que les gardes armés qui défendaient le bâtiment contre les incursions fascistes.
Le contrôle de la Telefonica était une instance concrète de double pouvoir. La CNT était en mesure d’écouter les appels gouvernementaux. Tant qu’il serait possible aux travailleurs de contrôler les contacts téléphoniques des forces gouvernementales, le bloc bourgeois-stalinien ne serait jamais maître de la Catalogne.
Le lundi 3 mai, à 3 heures de l’après-midi, trois camions de gardes d’assaut sous le commandement personnel de Salas, commissaire à l’ordre public, membre du PSUC, arrivèrent à la Telefonica. Surpris, les gardes des étages inférieurs furent désarmés. Mais une mitrailleuse empêcha les gardes d’assaut d’occuper les étages supérieurs. Salas appela des gardes en renfort. Les dirigeants anarchistes lui demandèrent de quitter l’immeuble. Il refusa. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre aux usines et aux faubourgs ouvriers.
Deux heures après, à 17 heures, les travailleurs se précipitaient dans les centres locaux de la CNT-FAI et du POUM, s’armaient et dressaient des barricades. Depuis les cachots de la dictature de Rivera jusqu’à aujourd’hui, la CNT-FAI avait toujours organisé des comités de défense locaux, avec une tradition d’initiative locale. Ces comités de défense assurèrent la direction dans la semaine qui s’ouvrait, pour autant qu’il y en ait eu une. On ne tira presque pas la première nuit, car les travailleurs étaient incomparablement plus forts que les forces gouvernementales. Dans les faubourgs ouvriers, beaucoup de membres de la police gouvernementale, qui n’avaient pas assez d’estomac pour lutter, rendirent pacifiquement leurs armes. Loïs Orr, témoin, écrivit :
« Le matin suivant (mardi 4 mai), les travailleurs armés contrôlaient la plus grande partie de Barcelone. Les anarchistes tenaient le port tout entier, et avec lui la forteresse de Montjuich, qui domine la ville et le port de ses canons ; tous les faubourgs de la ville étaient entre leurs mains. Et les forces gouvernementales, à l’exception de quelques barricades isolées, étaient complètement débordées par le nombre et concentrées au centre de la ville, dans le quartier bourgeois, où elles pouvaient facilement être encerclées de tous côtés comme les rebelles le furent au 19 juillet 1936. »
Les récits de la CNT, du POUM et d’autres confirment cela. A Lerida, les gardes civils rendirent leurs armes aux travailleurs la nuit du lundi, de même qu’à Hostafranchs. Les militants du POUM et de la CNT s’emparèrent des quartiers généraux du PSUC et de l’Etat Catala à Tarragone et à Gerone en tant que « mesure préventive ». Ces premiers pas manifestes n’étaient qu’un début, car les masses catalanes s’étaient rangées, à une écrasante majorité, derrière les bannières de la CNT. La prise officielle de Barcelone, la constitution d’un gouvernement révolutionnaire auraient conduit, dans la nuit, au pouvoir ouvrier. Ni les dirigeants de la CNT ni le POUM ne contestent sérieusement que telle en aurait été l’issue. C’est pourquoi l’aile gauche de la CNT et du POUM, des sections de la Jeunesse libertaire, les Amis de Durruti et les bolcheviks-léninistes appelèrent à la prise du pouvoir par les travailleurs au travers du développement d’organes démocratiques de défense (soviets). Le 4 mai, les bolcheviks-léninistes publièrent le tract suivant, distribué sur les barricades :
« VIVE L’OFFENSIVE REVOLUTIONNAIRE ! Aucun compromis ! Désarmement de la Garde nationale républicaine et des gardes d’assaut réactionnaires. C’est le moment décisif. Plus tard il sera trop tard. Grève générale dans toutes les usines, sauf celles qui sont liées à la poursuite de la guerre, jusqu’à la démission du gouvernement réactionnaire. Seul le pouvoir ouvrier peut assurer la victoire.
Armement total de la classe ouvrière ! Vive l’unité d’action C.N.T.-F.A.I.-P.O.U.M. ! Vive le front révolutionnaire du prolétariat ! Comités de défense révolutionnaires dans les ateliers, les usines et les districts ! Section bolchevik-léniniste d’Espagne (pour la IV° Internationale). »
Les tracts des Amis de Durruti, qui appelaient à une " Junte révolutionnaire ", au complet désarmement des gardes d’assaut et de la Garde nationale républicaine, qui saluaient le POUM pour avoir rejoint les travailleurs sur les barricades apprécièrent la situation de la même manière que les bolcheviks-léninistes. En adhérant toutefois à la discipline de leurs organisations, et sans publier de propagande autonome, la gauche du POUM et de la CNT, la Jeunesse libertaire avaient la même perspective que les bolcheviks-léninistes.
Mai 1937 : Insurrection ouvrière spontanée à Barcelone contre la militarisation stalinienne des milices prolétariennes. Ce ne sont pas les dirigeants anarchiste, ce ne sont pas les dirigeants poumistes qui l’ont organisé, qui l’ont soutenu, qui lui ont donné des perspectives. Bien au contraire ! L’affrontement avec les forces bourgeoises et staliniennes est brutal et violent. L’intervention des ministres anarchistes Garcia Oliver et Federica Montseny consiste à inviter les insurgés à déposer leurs armes et proposent une conciliation alors qu’aucune conciliation n’est possible en pleine crise entre camp révolutionnaire et camp contre-révolutionnaire. Cela a comme résultat de désarçonner et déboussoler complètement le camp révolutionnaire principal de la révolution en Espagne, celui des prolétaires de Barcelone !!! Les dirigeants anarchistes ont proclamé un « cessez-le-feu » unilatéral : les forces bourgeoises et staliniennes n’ont pas cessé le feu contre le camp révolutionnaire ! C’est pourtant le camp prolétarien qui était le plus fort mais la direction CNT les a contraint à abandonner les barricades, sans même poser la moindre condition, sans obtenir de garanties et la ville a subi une occupation militaire imposée par le gouvernement de Valence. Comme une ville franquiste vaincue !!! L’insurrection de Barcelone est étouffée et cela marque la défaite définitive de la révolution face à la contre-révolution du camp républicain-socialiste stalinien, défaite marquée aussi par les coups portés immédiatement après contre les anarchistes et les poumistes. Immédiatement après l’occupation militaire de Barcelone, plusieurs centaines de militants anarchistes (dont Berneri et Barbieri) et poumistes (dont Landau) emprisonnés sont assassinés dans leurs prisons par les stalino-bourgeois. Les militants trotskistes, ceux de la section bolchevique-léniniste de Grandizo Munis, sont aussi frappés : Hans Freund, Erwin Wolf, Carrasco sont arrêtés puis assassinés par les staliniens. Munis s’échappe de justesse de sa prison stalinienne après un procès où il est accusé de crimes imaginaires à la manière des procès de Moscou. C’est le triomphe des staliniens et des républicains, contre le camp révolutionnaire, y compris contre la gauche socialiste, mais cela ne les renforce nullement dans le combat contre les fascistes.
Le mardi 4 mai au matin, les travailleurs armés des barricades qui recouvraient Barcelone se sentirent à nouveau, comme le 19 juillet, les maîtres de leur monde. Comme le 19 juillet, les éléments bourgeois et petits-bourgeois terrifiés se cachaient dans leurs maisons. Les syndicalistes dirigés par le P.S.U.C. restaient passifs. Seule, une fraction de la police, les gardes armés du P.S.U.C. et les voyous armés d’Estat Catala se tenaient sur les barricades gouvernementales qui se limitaient au centre de la ville, entourées par les travailleurs en armes. Le premier discours radiodiffusé de Companys, une déclaration selon laquelle la Generalidad n’était pas responsable de la provocation de la Telefonica, indique l’état de la situation. Chaque faubourg de la ville, sous la direction des comités de défense locaux aidés par les groupes du P.O.U.M., de la F.A.I. et de la Jeunesse libertaire, était fermement contrôlé par les travailleurs. Il n’y eut pour ainsi dire aucun coup de feu lundi soir tant la domination ouvrière était totale. Tout ce qui manquait aux travailleurs pour instaurer leur pouvoir, c’était la coordination et l’action commune sous la direction du centre... Au centre, la Casa C.N.T., les dirigeants interdirent toute action et ordonnèrent aux travailleurs de quitter les barricades [9] .
Les dirigeants de la C.N.T. ne s’intéressaient pas à l’organisation des masses armées. Ils étaient occupés par une négociation interminable avec le gouvernement. C’était un jeu qui convenait parfaitement à ce dernier : retenir les masses sans direction derrière les barricades, en les berçant de l’espoir que l’on trouverait une solution décente. La réunion au palais de la Generalidad traîna jusqu’à 6 heures du matin. Ainsi, les forces gouvernementales gagnèrent assez d’espace vital pour fortifier les bâtiments gouvernementaux, et, à l’instar des fascistes en juillet, elles occupèrent les tours de la cathédrale.
Le mardi matin à 11 heures, les dirigeants se rencontrèrent, non pour organiser la défense, mais pour élire un nouveau comité pour négocier avec le gouvernement. Alors Companys trouva un nouveau truc : Bien sur, nous pouvons en arriver à un accord à l’amiable, nous sommes tous des antifascistes, etc., etc., disaient Companys et le Premier ministre Taradellas. – Mais nous ne pouvons pas engager de négociations tant que les rues ne sont pas désertées par les hommes armés. Sur quoi le comité régional de la C.N.T. passa le mardi avec un micro, appelant les travailleurs à quitter les barricades. " Nous vous appelons à baisser vos armes. Pensez à notre grand but, commun à tous... L’unité avant tout. Déposez vos armes. Un seul mot d’ordre : Nous devons travailler à abattre le fascisme ! " Solidaridad obrera eut l’audace de paraître, avec, en page 8, la relation de l’attaque du lundi contre la Telefonica, sans mentionner l’édification des barricades, ne donnant d’autres directives que " restez calmes " afin de ne pas alarmer les miliciens du front auxquels parvenaient des centaines de milliers d’exemplaires du journal. A 5 heures, des délégations du Comité national de l’U.G.T. et de la C.N.T. arrivèrent de Valence et publièrent en commun un appel au " peuple :" pour qu’il dépose les armes. Vasquez, secrétaire national de la C.N.T., se joignit à Companys dans l’appel radiodiffusé. On passa la nuit en nouvelles négociations (le Gouvernement était toujours prêt à passer un accord incluant l’abandon des barricades par les travailleurs !) dont sortit un accord pour un cabinet provisoire de quatre membres, appartenant à la C.N.T., au P.S.U.C., à l’Union paysanne et à l’Esquerra. Les négociations furent ponctuées d’appels aux dirigeants de la C.N.T. qui avaient de l’autorité, les invitant à se rendre sur les points où les travailleurs menaient l’offensive. C’est ainsi qu’à Coll Blanch, il fallait persuader ceux-ci de ne pas occuper les casernes. Tandis que d’autres appels arrivaient – des quartiers généraux des ouvriers du cuir, de l’Union médicale, du centre local de la Jeunesse libertaire, qui demandait du renfort au Comité régional, parce que la police attaquait...
Mercredi : Ni les nombreux appels à la radio, ni l’appel commun de l’U.G.T.-C.N.T., ni l’établissement d’un nouveau cabinet n’avaient arraché les travailleurs aux barricades. Sur les barricades, les travailleurs anarchistes déchiraient Solidaridad obrera et brandissaient les poings et les fusils vers les radios quand Montseny – rappelée de toute urgence de Valence après l’échec de Vasquez et de Garcia Oliver – les exhortait à la dispersion. Les comités de défense locaux transmirent à la Casa C.N.T. que les travailleurs ne se rendraient pas sans conditions. Très bien, donnons-leur des conditions. La C.N.T. fit parvenir par radio les propositions qu’elle faisait au Gouvernement : que les hostilités cessent, que chaque parti reste sur ses positions, que la police et les civils qui combattaient aux côtés de la C.N.T. (sans en être membres) s’en retirent complètement, que les comités responsables soient avertis dès que le pacte est rompu quelque part, que l’on ne réponde pas aux coups de feu isolés, que les défenseurs des locaux syndicaux restent passifs et attendent d’autres informations. Le gouvernement annonça bientôt son accord avec la C.N.T. Et comment pourrait-il en être autrement ? Le seul objectif du gouvernement était de mettre fin au combat des masses, pour mieux briser leur résistance, définitivement. De surcroît, " l’accord " n’engageait en rien le gouvernement. Le contrôle de la Telefonica, le désarmement des masses n’étaient pas mentionnés – et ce, non par hasard. L’accord fut suivi dans la nuit d’ordres de reprise du travail venant des centres locaux de la C.N.T. et de l’U.G.T. (cette dernière, il faut s’en souvenir, étant contrôlée par les staliniens). " Les organisations et les partis antifascistes réunis en session au palais de la Generalidad ont résolu le conflit qui a créé cette situation anormale ", déclarait le manifeste commun. " Ces événements nous ont appris que nous devrons désormais établir des relations de cordialité et de camaraderie, dont nous avons beaucoup regretté l’absence ces derniers jours. "
Cependant, comme l’admettait Souchy, les barricades restèrent toutes en place dans la nuit de mercredi. Mais le jeudi matin, le P.O.U.M. ordonna à ses membres de quitter les barricades qui, pour la plupart, étaient encore sous le feu. Le mardi, le manifeste des Amis de Durruti, jusqu’alors assez froid avec le P.O.U.M., avait salué sa présence sur les barricades, présence qui démontrait qu’il s’agissait là d’une " force révolutionnaire ",. La Batalla du mardi était restée dans les limites de la théorie selon laquelle il ne devait pas y avoir de renversement insurrectionnel du gouvernement pendant la guerre civile, mais elle avait appelé à la défense des barricades, à la démission de Salas et Ayguadé, à l’abrogation des décrets de dissolution des patrouilles ouvrières. Si limité que fut ce programme, il contrastait tellement avec l’appel du Comité régional de la C.N.T. à déserter les barricades que le prestige du P.O.U.M. s’accrut très fort dans les masses anarchistes. Le P.O.U.M. avait là une occasion sans précédent de prendre la tête du mouvement.
Au lieu de cela, la direction du P.O.U.M. s’en remit une fois de plus à celle de la C.N.T. : elle ne fit pas de propositions publiques d’action commune avec la C.N.T., propositions qui auraient doté la rébellion embryonnaire d’un ensemble de revendications auxquelles devait accéder sa directive en toute une année, le P.O.U.M., d’une déférence servile à l’égard des dirigeants de la C.N.T., n’avait pas fait une seule proposition présentant un net caractère de front uni. Mais elle proposa une conférence en coulisses avec le Comité régional de la C.N.T.
Quelles que fussent les propositions du P.O.U.M., elles étaient rejetées – Vous n’êtes pas d’accord ? alors n’en parlons plus Et le matin suivant (5 mai) la Batalla n’eut pas un mot à dire sur les propositions que le P.O.U.M. fit à la C.N.T., sur le comportement timoré des dirigeants de la C.N.T., de leur refus d’organiser la défense, etc. [10] . Au lieu de cela : " le prolétariat de Barcelone a remporté une victoire partielle sur la contre-révolution ". Et 24 heures plus tard, " la provocation contre-révolutionnaire ayant été repoussée, il faut quitter la rue. Travailleurs, retournez aux usines " (la Batalla, 6 mai). Les masses avaient réclamé la victoire sur la contre-révolution. Les bureaucrates de la C.N.T. avaient refusé le combat. Les centristes du P.O.U.M. avaient ainsi lancé un pont sur le gouffre qui séparait les masses des bureaucrates, en assurant celles-ci que la victoire était d’ores et déjà acquise.
Le mercredi, les Amis de Durruti avaient couru au front, appelant les travailleurs de la C.N.T. à ne pas tenir compte des ordres de désertion de la Casa C.N.T. et à continuer la lutte pour le pouvoir ouvrier. Ils avaient chaleureusement accueilli la collaboration du P.O.U.M. Les masses restaient sur les barricades. Le P.O.U.M., qui comptait au moins 30 000 travailleurs en Catalogne, pouvait faire pencher la balance dans n’importe quel sens. Sa direction la poussa vers la capitulation.
Coup plus terrible encore contre les travailleurs en lutte le Comité régional de la C.N.T. dénonça à toute la presse y compris la presse stalinienne et bourgeoise – les Amis de Durruti comme des " agents provocateurs " (en français dans le texte) ; ce qui, naturellement, fut publié partout en première page le jeudi matin. La presse du P.O.U.M. ne défendit pas les anarchistes de l’aile gauche contre cette calomnie répugnante.
Le jeudi fut rempli d’exemples de " victoires " au nom desquelles le P.O.U.M. appela les travailleurs à quitter les barricades.
Au matin, on trouva le corps brisé de Camillo Berneri là où les gardes du P.S.U.C., qui avaient enlevé cet homme fragile chez lui, la nuit précédente, l’avaient abandonné. Berneri, chef spirituel de l’anarchisme italien depuis la mort de Malatesta, chef de la révolte d’Ancône en 1914, échappé des griffes de Mussolini, avait combattu les réformistes (les dirigeants de la C.N.T. compris) dans Guerra di Classe, son journal très influent. Il avait caractérisé la politique stalinienne en trois mots " cela pue Noske ". Il avait défié Moscou par des mots retentissants : " Ecrasée entre les Prussiens et Versailles, la Commune de Paris avait allumé un incendie qui enflamma le monde. Que le général Goded de Moscou s’en souvienne. "Il avait déclaré aux masses de la C.N.T. : " Le dilemme : guerre ou révolution n’a plus aucune signification. Le seul dilemme, c’est : la victoire sur Franco, grâce à la guerre révolutionnaire, ou la défaite. " Son identification des staliniens à Noske était terriblement juste. Les staliniens-démocrates ont assassiné Camillo Berneri comme Noske, le social-démocrate, avait enlevé et assassiné Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.
Honneur à notre camarade Camillo Berneri. Souvenons nous de lui avec l’amour que nous portons à Karl et à Rosa. En écrivant, camarades, je ne peux m’empêcher de pleurer, de pleurer Camillo Berneri. La liste de nos martyrs est aussi longue que la vie de la classe ouvrière. Heureux ceux qui tombent en combattant l’ennemi de classe, qui tombent en pleine lutte au milieu de leurs camarades. Il est bien plus terrible de mourir seul du poignard de ceux qui se disent socialistes ou communistes, comme Karl et Rosa, comme nos camarades qui meurent dans les chambres d’exécution de l’exil sibérien. Le supplice de Camillo Berneri fut spécial. Il mourut entre les mains de " marxistes-léninistes staliniens ", tandis que ses amis les plus proches, Montseny, Garcia Oliver, Peiro, Vasquez, abandonnaient le prolétariat de Barcelone à ses bourreaux. Le jeudi 6 mai 1937. Gardons ce jour en mémoire.
Les dirigeants anarchistes et gouvernementaux étaient allés à Lerida le mercredi pour arrêter une force spéciale de 500 membres du P.O.U.M. et de la C.N.T. qui se hâtaient depuis Hucsca, pourvus d’artillerie légère. Les représentants de Valence et de la Generalidad avaient promis que si les troupes ouvrières n’avançaient pas, le gouvernement ne tenterait pas d’envoyer des troupes supplémentaires à Barcelone. Les troupes ouvrières s’étaient arrêtées, grâce à cette promesse et aux exhortations des dirigeants anarchistes. Cependant, le jeudi, on reçut des appels téléphoniques de militants de la C.N.T. des villes qui sont sur la route de Valence à Barcelone : " 5 000 gardes d’assaut sont en route. Devons-nous les arrêter ? " demandèrent les travailleurs de la C.N.T. Leurs Dirigeants leur ordonnèrent de laisser passer les gardes, ne dirent rien aux troupes ouvrières qui attendaient à Lerida, et turent la nouvelle de la venue des gardes.
Le jeudi à 3 heures, la Casa C.N.T. ordonna à ses gardes d’évacuer la Telefonica. Le gouvernement et la C.N.T. avaient passé un accord : chaque partie devait retirer ses forces armées. Dès que les gardes de la C.N.T. furent partis, la police occupa le bâtiment tout entier, et fit entrer des partisans du gouvernement pour accomplir le travail technique exécuté auparavant par des travailleurs de la C.N.T. La C.N.T. s’en plaignit au gouvernement qui n’avait pas tenu sa promesse. La Generalidad répondit : On ne peut pas revenir sur le " fait accompli " (en français dans le texte). Souchy, le porte-parole de la C.N.T., admit que " si les travailleurs des districts extérieurs avaient été immédiatement informés du cours des événements, ils auraient certainement insisté pour que des mesures plus fermes soient prises, et seraient retournés à l’attaque ". Ainsi, les dirigeants anarchistes ultra-démocratiques avaient tout simplement censuré les nouvelles !
Sous les ordres de la Casa C.N.T., les employés du téléphone avaient transmis tous les appels pendant les combats révolutionnaires ou contre-révolutionnaires. Alors que, dès que le gouvernement eut pris la place, les locaux de la C.N.T. et de la F.A.I. furent coupés du centre.
Dans les rues que les travailleurs devaient emprunter pour retourner au travail, la police et les gardes du P.S.U.C. fouillaient les passants, déchiraient les cartes de la C.N.T. et arrêtaient ses militants.
A 4 heures, la gare principale de Barcelone, qui était aux mains de la C.N.T. depuis le 19 juillet, fut attaquée par le P.S.U.C. et les gardes d’assaut, avec des mitrailleuses et des grenades. Les faibles forces de la C.N.T. qui la gardaient tentèrent de téléphoner pour obtenir du renfort... A 4 heures, le général Pozas se présenta lui-même au ministère de la Défense de la Catalogne (dont le ministre appartenait à la C.N.T.) et informa poliment les camarades ministres que le poste du ministère catalan de la Défense n’existait plus, et que les armées catalanes constituaient désormais la IVe brigade de l’armée espagnole dont Pozas était le chef. Le cabinet de Valence avait pris cette décision sous l’autorité de décrets militaires demandant un commandement unifié, signés par les ministres de la C.N.T. Bien entendu, la C.N.T. remit le contrôle à Pozas.
Des nouvelles terribles arrivaient de Tarragone. Une imposante force de police était arrivée le mercredi matin et avait occupé le central téléphonique. Ce sur quoi, la C.N.T. avait appelé à l’inévitable conférence. Tandis que les négociations se déroulaient, les républicains et les staliniens s’armaient. Le jour suivant, ils prirent d’assaut le quartier général de la Jeunesse libertaire. Là-dessus, la C.N.T. demanda une nouvelle conférence, où on l’informa que la Generalidad avait envoyé des instructions explicites pour détruire les organisations anarchistes si elles refusaient de rendre les armes. (Il faut se rappeler que ces instructions provenaient d’un gouvernement qui comptait des ministres anarchistes.) Les représentants de la C.N.T. consentirent à rendre leurs armes, si le gouvernement libérait tous ceux qui avaient été arrêtés, remplaçait la police et les gardes du P.S.U.C. par l’armée régulière, et garantissait l’immunité pour les membres et les locaux de la C.N.T
Bien entendu, le capitaine Barbeta, délégué du gouvernement, accepta. La C.N.T. déposa les armes et, pendant la nuit, les gardes d’assaut occupèrent ses locaux et tuèrent nombre d’anarchistes, dont Pedro Rua, l’écrivain uruguayen, venu combattre le fascisme, et qui était devenu commandant des milices. La Casa C.N.T. remarqua que c’était " renier la parole d’honneur donnée la soirée précédente par les autorités ". Pas un mot de tout cela ne fut rapporté aux masses de Barcelone, bien que la Casa C.N.T.-F.A.I. ait été très tôt au courant des événements [11].
Jeudi, à 18 heures, la nouvelle parvint à la Casa C.N.T. les premiers détachements de Valence,
1 500 gardes d’assaut, étaient arrivés à Tortosa, en route pour Barcelone. La Casa C.N.T. avait dit de ne pas s’y opposer, tout était arrangé, etc. Les gardes d’assaut occupèrent tous les locaux de la C.N.T.-F.A.I. et de la Jeunesse libertaire de Tortosa, arrêtèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, et en conduisirent certains, menottes aux mains, vers les prisons de Barcelone.
On remarquera que seuls ont soutenu le soulèvement de Barcelone de mai 1937 les « Amis de Durruti » et les trotskistes (bolcheviks-léninistes) et pas le POUM ni la CNT !!! Garcia Oliver, dirigeant des ministres anarchistes, a lancé tous ses appels au calme par la radio et ses témoignages d’amitié aux gardes d’assaut qui écrasaient les révolutionnaires ! Incroyable mais vrai !
Le 15 mai 1937, le gouvernement Caballero refuse d’aggraver la répression sanglante contre les travailleurs et les révolutionnaires et il chute sous la pression des staliniens.
Le gouvernement que l’on a appelé « Negrin-Staline » est mis en place. Immédiatement après, s’enclenche une offensive contre toutes les conquêtes sociales et organisationnelles de la révolution prolétarienne dans le camp républicain. C’est le gouvernement sous lequel va œuvrer directement la police du Guépéou avec ses tortionnaires et ses assassin… UGT et CNT sont exclus du nouveau gouvernement… Dirigeants comme simples militants du POUM et de la CNT sont arrêtés et assassinés. Berneri est assassiné. Orwell parvient à échapper aux staliniens.
16 juin 1937 : Le POUM est mis hors-la-loi. Ses leaders sont arrêtés sous des prétextes bidons. Pas de réaction de solidarité des dirigeants anarchistes !
21 juin 1937 : Andrès Nin, dirigeant du POUM, est assassiné par les staliniens dans sa prison de Alcala de Henares, suite à des tortures violentes. Les staliniens font courir le bruit que Nin a rejoint Hitler ou Franco, ou bien qu’il s’est planqué en France !!!!
28 juillet 1937 : Leur profil bas, leurs tentatives de conciliation ne sauvent pas la place des dirigeants anarchistes au sein du pouvoir. Ils n’ont pas compris que la dualité de pouvoir étant tombée, leur présence n’est plus nécessaire à l’Etat bourgeois qui reprend entièrement la main et se débarrasse d’eux !!! Les dirigeants anarchistes sont même exclus du gouvernement catalan alors que ce dernier n’existait pas du tout sans leur soutien !!!
10 août 1937 : Les staliniens qui se cachaient derrière le slogan « la guerre d’abord », mènent la guerre pour récupérer la zone anarchiste de l’Aragon ! Le Conseil de Défense de l’Aragon, qui était dirigé essentiellement par les anarchistes, ceux-ci ayant conquis de haute lutte cette région contre les fascistes, est dissous par les forces stalino-bourgeoises, les comités révolutionnaires y sont supprimés, les collectivités paysannes sont désorganisées. Les troupes staliniennes de Lister suppriment la collectivisation des terres au nom de « la guerre d’abord ». Les réunions politiques sont interdites par le camp stalino-bourgeois en Catalogne. Si les forces stalino-bourgeoises conquièrent les territoires anarchistes, ils sont sans cesse défaits par les forces franquistes ou se défont eux-mêmes !!! La guerre d’abord, qu’ils disaient ! Le gouvernement Negrin rétablit le culte catholique dans toute la zone républicaine !
Septembre 1937 : Toute critique de l’URSS stalinienne est interdite dans la presse de la zone républicaine.
Octobre 1938 : Condamnation des dirigeants du POUM dans un procès connu comme « procès de Moscou à Barcelone »… Absence de réaction de la direction anarchiste !!!
Et les dirigeants anarchistes cautionnent tout jusqu’au dernier moment, toutes les trahisons de la révolution, y compris toutes les trahisons de la guerre contre Franco. Ils participent jusqu’au bout au Conseil National de Défense du général Miaja qui dirige le pouvoir républicain le 5 mars 1939 après la chute de Negrin !!!
Extrait de Révolution et contre-révolution en Espagne (1936-1938) de Felix Morrow :
C.N.T-F.A.I : la Confédération nationale du travail et la Fédération anarchiste ibérique
Les disciples de Baronnie avaient en Espagne des racines plus anciennes que les marxistes. La direction de la C.N.T. était anarchiste par tradition. Le flot de la révolution d’Octobre avait un court moment submergé la C.N.T. Elle avait envoyé un délégué au congrès du Komintern en 1921, les anarchistes avaient eu alors recours à un travail de fraction organisé et en avaient repris la direction. Dès lors, tout en continuant à gratifier les partis politiques de leurs épithètes coutumières, les anarchistes espagnols gardèrent le contrôle de la C.N.T. par le biais de l’appareil du parti hautement centralisé qu’était la F.A.I.
Persécutée férocement par Alphonse XIII et Primo de Rivera – au point qu’elle dut, à un moment donné, se dissoudre véritablement – la C.N.T. détenait depuis 1931 une majorité incontestée dans les centres industriels de Catalogne, et dirigeait ailleurs des mouvements importants. Après le début de la guerre civile, elle était sans aucun doute plus forte que l’U.G.T (dont certaines des sections les plus importantes se trouvaient en territoire fasciste).
Dans l’histoire de la classe ouvrière, l’anarchisme n’avait pas encore été confronté à une épreuve de grande échelle. Maintenant qu’il dirigeait de larges masses, il allait devoir accomplir une tâche significative.
En bonne logique, l’anarchisme avait refusé de distinguer l’Etat bourgeois de l’Etat ouvrier. Même du temps de Lénine et Trotsky, il dénonça l’Union soviétique comme un régime d’exploiteurs. C’est précisément cette incapacité à distinguer l’Etat bourgeois de l’Etat ouvrier qui avait déjà conduit la C.N.T., lors de la lune de miel de la révolution de 1931, à des erreurs opportunistes du même type que celles que commettent toujours les réformistes – qui à leur manière ne font pas, eux non plus, de distinction entre Etat bourgeois et Etat ouvrier. Intoxiquée par les " vapeurs de la révolution ", la C.N.T. avait salué avec bienveillance la république bourgeoise : " Sous un régime de liberté, une révolution sans effusion de sang est beaucoup plus concevable et facile que sous la monarchie. " (Solidaridad obrera, 25 avril 1931.) En octobre 1934, elle fit volte face vers l’autre extrême, également erroné, en refusant de se joindre aux républicains et aux socialistes dans la lutte armée contre Gil Robles (à l’exception de l’organisation régionale – et c’est tout à son honneur – des Asturies).
Aujourd’hui, dans les vapeurs beaucoup plus puissantes de la " révolution du 19 juillet ", qui avait provisoirement brouillé les frontières séparant la bourgeoisie du prolétariat, 1e refus traditionnel des anarchistes de distinguer l’Etat ouvrier de l’Etat bourgeois les conduisit lentement, mais sûrement, vers les ministères d’un Etat bourgeois.
Apparemment, les enseignements erronés de l’anarchisme sur la nature de l’Etat auraient dû les conduire logiquement à refuser toute espèce de participation au gouvernement. Toutefois, dirigeant déjà l’industrie catalane et les milices, les anarchistes se trouvaient dans la position intenable de devoir faire des objections à la coordination administrative et à la centralisation indispensable du travail qu’ils avaient commencé. Ils durent abandonner leur anti-étatisme " en soi ". Mais leur incapacité à distinguer l’Etat ouvrier de l’Etat bourgeois demeurait, ce qui était suffisant pour les conduire au désastre final.
En effet, la collaboration de classe se dissimule au cœur de la philosophie anarchiste. Pendant les périodes de reflux, la haine anarchiste de l’oppression capitaliste la cache. Mais dans une période révolutionnaire de double pouvoir, elle doit remonter en surface. Car alors le capitalisme offre en souriant de participer à la construction du monde nouveau. Et les anarchistes, opposés à "toutes les dictatures", y compris celle du prolétariat, se contenteront de demander au capitaliste de se défaire de son apparence de capitaliste – à quoi il consentira naturellement, pour mieux préparer l’écrasement des travailleurs.
Il existe un second principe fondamental de l’anarchisme qui va dans le même sens. Depuis Baronnie, les anarchistes ont accusé les marxistes de surestimer l’importance du pouvoir d’Etat, en quoi ils ont vu le reflet du souci d’intellectuels petit-bourgeois d’occuper des postes administratifs lucratifs. L’anarchisme appelle les travailleurs à tourner l’Etat, et à rechercher dans le contrôle des usines la source réelle du pouvoir. Les ultimes sources du pouvoir (les relations de propriété) étant assurées, le pouvoir d’Etat s’effondrera pour n’être jamais remplacé. Ainsi, les anarchistes espagnols ne comprirent pas que c’était simplement l’écroulement du pouvoir d’Etat et la défection de l’armée ralliée à Franco qui leur avait permis de prendre les usines, et que si l’on laissait à Companys et à ses alliés la possibilité de reconstruire l’Etat bourgeois, ils auraient tôt fait de les reprendre aux travailleurs. Intoxiqués par leur contrôle des usines et des milices, les anarchistes crurent que le capitalisme avait déjà disparu en Catalogne. Ils parlaient de " nouvelle économie sociale ", et Companys n’était que trop désireux de tenir le même langage dont, à leur différence, il n’était pas dupe…
C’est seulement le 23 février 1937 que fut adopté un décret global sur les industries, signé par Juan Peiro, le ministre anarchiste de l’Industrie. Il ne donnait aucune garantie aux ouvriers quant au futur régime de l’industrie, et établissait l’intervention stricte du gouvernement. Dans les termes de ce décret, le " contrôle ouvrier " n’était guère plus qu’une convention collectives comme il en existe par exemple dans les ateliers qui traitent avec le Syndicat des ouvriers du vêtement réunis en Amérique – c’est-à-dire qu’il n’avait plus rien à voir avec un véritable contrôle ouvrier.
Caballero avait accusé le cabinet Giral de construire une armée en dehors des milices ouvrières et de reconstruire la vieille Garde civile (la grosse " colonne Caballero " du front de Madrid avait appelé, dans son journal non censuré, à la résistance directe aux propositions de Giral). Maintenant, Caballero mettait son prestige au service des plans de Giral. Les décrets de conscription gardèrent leur forme traditionnelle, ne faisant aucune place aux comités de soldats. Ceci signifiait la renaissance de l’armée bourgeoise, le pouvoir suprême entre les mains d’une caste militaire.
La liberté pour le Maroc ? Des délégations d’Arabes et de Maures réclamaient un décret au gouvernement qui ne fit pas un geste. Le redoutable Abd El Krim, exilé par la France, demanda à Caballero d’intervenir auprès de Blum, afin qu’il soit autorisé à retourner au Maroc pour diriger une insurrection contre Franco. Caballero ne demanda rien, et Blum n’accepta pas. Réveiller le Maroc espagnol aurait mis en danger la domination impérialiste dans toute l’Afrique.
Ainsi, Caballero et ses alliés staliniens se fermèrent totalement aux méthodes révolutionnaires de lutte contre le fascisme. Leur récompense vint en temps utile, fin octobre : Staline leur envoya quelques fournitures de guerre. D’autres fournitures arrivèrent les mois suivants, surtout après les grandes défaites, après l’encerclement de Madrid, après la chute de Malaga, celle de Bilbao. Assez pour sauver les loyalistes sur le moment, mais pas suffisamment pour leur permettre de mener une offensive réellement soutenue, qui aurait pu conduire à l’effondrement total de Franco.
Quelle logique politique se cachait derrière cette aide militaire dispensée au compte-gouttes ? Si les ressources limitées de la Russie soviétique étaient en cause, cela n’explique toujours pas, par exemple, pourquoi tous les avions destinés à l’Espagne n’y avaient pas été envoyés au même moment pour mener une lutte décisive. L’explication du compte-gouttes n’est pas technique, mais politique. On donnait assez pour empêcher une défaite prématurée des loyalistes et par conséquent l’effondrement du prestige soviétique dans la classe ouvrière internationale. Et ceci rejoignait, au fond, la politique anglo-française, qui ne voulait pas d’une victoire immédiate de Franco. Mais on ne donnait pas assez pour faciliter une issue victorieuse, qui aurait pu donner le jour – une fois disparu le spectre de Franco – à une Espagne soviétique.
Tel était le programme du " gouvernement révolutionnaire provisoire " de Caballero. L’entrée de ministres de la C.N.T. dans ce gouvernement, le 4 novembre 1936, n’y ajouta ou n’y retrancha rien. Les " grandes démocraties " avaient eu le loisir de se rassurer sur la " responsabilité des anarchistes " en observant la C.N.T. dans le gouvernement de Catalogne formé le 26 septembre. Il existait un problème gênant – celui du Conseil de défense de l’Aragon, dominé par les anarchistes, qui contrôlait le territoire arraché aux fascistes sur le front de l’Aragon par les milices catalanes et qui jouissait d’une réputation effrayante de corps ultra-révolutionnaire. On eut quelques garanties sur l’Aragon en donnant quatre sièges au cabinet de la C.N.T. En conséquence, le 31 octobre, le Conseil de l’Aragon rencontra Caballero.
"L’objet de notre visite, déclara le président du Conseil, Joaquin Ascaso, est d’offrir nos respects au chef du gouvernement et de l’assurer de notre attachement au gouvernement du peuple. Nous sommes prêts à toutes ses lois, et nous demandons en retour au ministre toute l’aide dont nous avons besoin. Le Conseil de l’Aragon est formé de membres du Front populaire, de telle sorte que toutes les forces qui soutiennent le gouvernement y soient représentées. " " Les entrevues avec le président Azaña, le président Companys, et Largo Caballero, ajoutait une déclaration de la Generalidad le 4 novembre, ont détruit tous les soupçons sur le caractère extrémiste, isolé par rapport aux autres organes gouvernementaux de la République et opposé au gouvernement de Catalogne, du gouvernement constitué (en Aragon). "
Ce jour-là, les anarchistes entrèrent dans le cabinet de Caballero…
N’est-il pas évident que le programme économique de la Generalidad ne faisait que reprendre quelques-uns des acquis des travailleurs eux-mêmes, en les combinant avec toute une série de mesures politiques et économiques qui éventuellement les balayerait ? C’est cependant pour cela, et pour un siège au cabinet, que le P.O.U.M. vendit sa chance de diriger la révolution espagnole. En acceptant globalement le programme du gouvernement, la C.N.T. révéla la banqueroute complète de l’anarchisme comme voie vers la révolution sociale… Après les journées de mai, la Generalidad nia la légalité des décrets de collectivisation de l’industrie.
Après la chute du gouvernement Caballero, Juan Peiro déclara naïvement que la C.N.T. avait obtenu l’assurance que le programme modéré du gouvernement n’était destiné qu’à l’usage de l’étrangers…
« La bourgeoisie internationale refusait d’accéder à nos exigences (en armes). L’heure était tragique : nous devions créer l’impression que les maîtres n’étaient pas les comités révolutionnaires, mais le gouvernement légal. Sans cela nous n’aurions rien obtenu du tout. […] Nous devions nous adapter aux circonstances inexorables du moment, c’est-à-dire accepter la collaboration gouvernementale. » (Garcia Oliver, ex-ministre de la Justice, discours à Paris publié par le journal anarchiste l’Espagne et le monde, 2 juillet 1937.)
« L’Espagne offre à toutes les nations libérales et démocratiques du inonde l’occasion d’entreprendre une puissante offensive contre les forces fascistes, et si cela implique la guerre, elles devront l’accepter avant qu’il ne soit trop lard. Elles ne doivent pas attendre que le fascisme ait perfectionné sa machine de guerre. » (Commissariat à la propagande de la Generalidad, édition officielle anglaise, n’ 107, 8 décembre 1936.)
Federica Montseny (dirigeante éminente de la C.N.T.) : « Je crois qu’un peuple aussi intelligent [l’Angleterre] comprendra que l’instauration d’un Etat fasciste au sud de la France [...] irait directement à rencontre de ses intérêts. Le sort du monde aussi bien que l’issue de la guerre dépendent de l’Angleterre. » (Ibid., n’ 108, 10 décembre 1936)
(…) Le bloc stalinien bourgeois, comprit en effet, à l’inverse des anarchistes, que l’écrasement des milices et de la police ouvrières, le désarmement des travailleurs de l’arrière constituaient la condition préalable à la destruction des conquêtes économiques de la classe ouvrière. Mais la force seule n’y suffirait pas il faudrait la combiner avec la propagande.
Pour faciliter le succès de sa propre propagande, le bloc bourgeois-réformiste recourut, par le biais du gouvernement, à la censure systématique de la presse et de la radio C.N.T.-F.A.I.-P.O.U.M.
Le P.O.U.M. en fut la principale victime…
La Junte de défense de Madrid, contrôlée par les staliniens, suspendit définitivement l’hebdomadaire P.O.U.M. La même autorité suspendit El Combatiente rojo, quotidien de la milice du P.O.U.M., et confisqua ses presses le 10 février. Peu après, elle suspendit la station de radio du P.O.U.M., qui fut définitivement fermée en avril. La Junte refusa aussi l’autorisation de publier La Antorcha à l’organisation de jeunesse du P.O.U.M. (Jeunesse communiste ibérique), l’interdiction officielle déclarant cyniquement " la J.C.I. n’a pas besoin de presse ". Juventud roja, journal de la jeunesse du P.O.U.M. à Valencia, fut soumis en mars à une sévère censure politique. Le seul organe du P.O.U.M. auquel on ne toucha pas fut El communista de Valence, hebdomadaire de son aile droite, semi-stalinienne et farouchement anti-trotskyste…
Cette rapide description de la mise hors la loi par le gouvernement des activités du P.O.U.M. avant mai réfute de manière définitive la thèse stalinienne selon laquelle le P.O.U.M. fut persécuté pour sa participation aux événements de Mai.
Ce sont les cabinets où siégeaient les ministres de la C.N.T. qui exercèrent la censure contre le P.O.U.M. Seule la Jeunesse anarchiste, Juventud libertaria, protesta publiquement. Mais la presse de la C.N.T. fut également harcelée systématiquement. Y a-t-il dans l’histoire un autre exemple de ministres d’un cabinet livrant leur propre presse à la répression ? (…)
Dans les premiers mois qui suivirent le 19 juillet, les tâches de police étaient presque entièrement assumées par les patrouilles ouvrières en Catalogne, et les " milices de l’arrière " à Madrid et à Valence. Mais on laissa échapper l’occasion de dissoudre définitivement la police bourgeoise.
Sous Caballero, la Garde civile fut rebaptisée Garde nationale républicaine. Ce qu’il en restait et les Gardes d’assaut furent progressivement retirés du front. Ceux qui s’étaient ralliés à Franco furent largement remplacés par des hommes nouveaux. Le pas le plus extraordinaire dans la résurrection de la police bourgeoise fut franchi sous le ministère de Negrin : les carabiniers, forces douanières jusqu’alors faibles, se multiplièrent comme des champignons, pour former une garde prétorienne de 40 000 hommes fortement armés. (…)
Le 1er mars, un décret de la Generalidad unifia toute la police en un seul corps contrôlé par l’Etat, dont les membres choisis à l’ancienneté n’avaient pas le droit d’appartenir à un syndicat ou à un parti. C’était l’abolition des patrouilles ouvrières et l’exclusion de leurs membres de la police unifiée. Les ministres C.N.T. votèrent apparemment ce décret. Mais les protestations véhémentes des masses les conduisirent à se joindre au P.O.U.M. pour déclarer qu’ils refusaient de s’y soumettre. Le 15 mars cependant, le ministre de l’ordre public Jaime Ayguade tenta sans succès de supprimer par la force les patrouilles ouvrières des districts entourant Barcelone. Ce fut l’une des questions qui conduisirent à la dissolution du cabinet catalan le 27 mars. Mais la réunion du nouveau cabinet auquel participaient à nouveau des ministres de la C.N.T. le 16 avril n’apporta aucun changement. Ayguade continua ses tentatives de désarmer les patrouilles, tandis que les ministres de la C.N.T. siégeaient au gouvernement, leurs journaux se contentant de mettre les travailleurs en garde contre les provocations…
Le 17 décembre 1936, la Pravda, organe personnel de Staline, déclarait : "Pour ce qui est de la Catalogne, l’épuration des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a commencé. Elle sera menée avec la même énergie qu’en U.R.S.S."
Le mécontentement était énorme, dans les rangs de la C.N.T. et de la F.A.I. en particulier. Il suintait au travers de centaines d’articles et de lettres dans la presse anarchiste. Bien que les ministres anarchistes de Valence ou de la Generalidad aient voté les décrets gouvernementaux ou s’y soient soumis sans protester publiquement, leur presse n’osait pas défendre directement la politique gouvernementale. La pression des travailleurs de la C.N.T. sur leur direction s’accrut en même temps que la répression gouvernementale.
Le 27 mars, les ministres de la C.N.T. sortirent du gouvernement de la Catalogne. La crise ministérielle qui s’ensuivit dura trois semaines entières. " Nous ne pouvons pas sacrifier la révolution à l’unité ", déclara la presse de la C.N.T. "Pas d’autres concessions au réformisme. L’unité a été maintenue jusqu’ici sur la base de nos concessions. Nous ne pouvons pas reculer davantage."
Ce que la direction de la C.N.T. proposait précisément alors demeurait toutefois un mystère. Companys discrédita définitivement leur attitude dans un sommaire du cours ministériel depuis décembre, en montrant que les ministres de la C.N.T. avaient tout voté, le désarmement des travailleurs, les décrets de mobilisation et de réorganisation de l’armée, la dissolution des patrouilles ouvrières, etc….
" Arrêtez cette plaisanterie et revenez travailler ", disait Companys. Et de fait, à la fin de la première semaine, les ministres de la C.N.T. étaient prêts à revenir. Toutefois, les staliniens exigèrent alors une capitulation de plus : les organisations qui fournissaient des ministres devraient signer une déclaration commune s’engageant à réaliser une série de tâches définies. Les ministres de la C.N.T. protestèrent, disant que la déclaration ministérielle d’usage après la constitution du nouveau cabinet suffirait. La proposition stalinienne aurait laissé les ministres de la C.N.T. absolument démunis à l’égard des masses. Ainsi, la crise ministérielle se poursuivit durant deux semaines.
Un petit aparté s’ensuivit, qui ne conduisit à rien de plus qu’à une division ministérielle du travail qui liait plus fortement que jamais les dirigeants de la C.N.T. à la Generalidad. Companys assura la C.N.T. qu’il était d’accord avec elle, non avec les staliniens, et il offrit ses services afin de les " contraindre " à renoncer à leur requête.
Au même moment, le premier ministre Taradellas, lieutenant de Companys, défendit l’administration de la guerre (dirigée par la C.N.T.) contre une attaque de Treball, l’organe du P.S.U.C., qu’il qualifia " de calomnies totalement arbitraires ". Pour ces petits services, la C.N.T. accorda à Companys son soutien politique inconditionnel d’une façon abjecte :
"Nous déclarons publiquement que la C.N.T. est au côté de Luis Companys, président de la Generalidad, auquel nous avons accordé tout ce qui était nécessaire pour faciliter la solution de la crise politique. Nous sommes – sans servilité aucune – procédé incompatible avec la morale de notre mouvement révolutionnaire, au côté du président qui sait qu’il peut compter sur notre respect le plus profond et sur notre soutien sincère." (Solidaridad obrera, le 15 avril 1937.)
Companys, bien entendu, persuada habilement les staliniens de renoncer à leur demande de pacte, et le 16 avril, la crise ministérielle était " résolue ". Comme son prédécesseur, le nouveau cabinet donna la majorité à la bourgeoisie et aux staliniens, et ne différa en rien, naturellement, du précédent.
Les masses de la C.N.T. ne pouvaient pas être aussi "flexibles". Elles avaient une tradition héroïque de lutte à mort contre le capitalisme. La reconstruction de l’Etat bourgeois se faisait sur leur dos, de façon de plus en plus insistante. L’inflation et la manipulation incontrôlées des prix par les hommes d’affaires " intermédiaires " entre la paysannerie et les masses urbaines provoquaient maintenant une hausse des prix vertigineuse. Dans cette période, la hausse des prix servait de " leitmotiv " à toute activité. La presse était pleine de cette question. La condition des masses devenait plus intolérable de jour en jour, et les dirigeants de la C.N.T. ne leur indiquaient aucun moyen de s’en sortir.
Plusieurs voix s’élevaient maintenant pour un retour à l’apolitisme traditionnel de la C.N.T. :
" Plus de gouvernements ! " Les journaux locaux de la C.N.T. brisèrent la discipline et reprirent ce refrain. Ceci était l’expression d’un désespoir irréfléchi.
L’apparition des " Amis de Durruti " fut bien plus significative. Au nom du dirigeant martyr, un mouvement surgit, qui avait compris la nécessité de la vie politique, mais rejetait la collaboration avec la bourgeoisie et les réformistes. Les Amis de Durruti s’étaient organisés pour arracher la direction à la bureaucratie de la C.N.T. Dans les derniers jours d’avril, ils recouvrirent Barcelone de leurs slogans, en rupture ouverte avec la direction de la C.N.T. Ces mots d’ordre comprenaient les points essentiels d’un programme révolutionnaire : tout le pouvoir à la classe ouvrière, et des organismes démocratiques d’ouvriers, de paysans et des combattants en tant qu’expression du pouvoir ouvrier.
Les Amis de Durruti constituèrent un ferment profond dans le mouvement libertaire. Le premier avril, un manifeste de la Jeunesse libertaire de Catalogne (Ruta, 1er avril 1937) avait dénoncé " la Jeunesse socialiste unifiée (stalinienne) qui fut la première à aider à faire remonter la cote d’Azafia tombée si bas dans les premiers jours de la révolution, quand il avait tenté de fuir le pays – et fait appel à la Jeunesse catholique unifiée et même à des sympathisants fascistes. Le manifeste stigmatisait le bloc bourgeois stalinien qui " soutenait ouvertement toutes les intentions d’encerclement de la révolution espagnole des gouvernements anglais et français ". Il dénonçait avec véhémence les attaques de la contre-révolution contre les maisons d’édition et la station de radio du P.O.U.M. à Madrid. 11 notait :
"On refuse des armes au front de l’Aragon parce qu’il est vraiment révolutionnaire, de manière à pouvoir ensuite traîner dans la boue les colonnes qui opèrent sur ce front ; le gouvernement central boycotte l’économie catalane pour nous contraindre à renoncer à nos conquêtes révolutionnaires. On envoie les fils du peuple au front, mais on garde les forces en uniforme à l’arrière, à des fins contre-révolutionnaires ; ils ont gagné du terrain pour une dictature – non pas prolétarienne – mais bourgeoise."
Différenciant clairement la Jeunesse anarchiste des ministres de la C.N.T., le manifeste concluait :
"Nous sommes fermement décidés à ne pas porter la responsabilité des crimes et des trahisons dont la classe ouvrière devient la victime. [... ] Nous sommes prêts, s’il le faut, à revenir à la lutte clandestine contre les traîtres, contre les tyrans et contre les misérables marchands de la politique."
Un éditorial du même numéro de Ruta déclarait :
"Que certains camarades ne viennent pas vers nous avec des mots d’apaisement. Nous ne renoncerons pas à notre lutte. Les automobiles officielles et la vie sédentaire de la bureaucratie ne nous éblouissent pas."
Ceci venait de l’organisation officielle de la jeunesse anarchiste !
Un regroupement ne se fait ni en un jour ni en un mois. La C.N.T. avait une longue tradition, et le mécontentement de sa base n’évoluerait que lentement vers une lutte organisée pour une nouvelle direction et un nouveau programme. C’était d’autant plus vrai qu’il n’y avait pas de parti révolutionnaire pour encourager un tel processus…
Un courant authentiquement révolutionnaire se cristallisait-il autour des Amis de Durruti et de la Jeunesse libertaire…
Rappelons quelques mots de Durruti sur le plan de l’Aragon, quand il conduisait les milices mal armées vers la seule percée substantielle de toute la guerre civile. Il n’était pas un théoricien, mais un homme d’action, un dirigeant de masse. Ces phrases n’en expriment que de façon plus significative le point de vue révolutionnaire des travailleurs conscients. Les dirigeants de la C.N.T. ont enterré ces paroles plus profondément qu’ils n’ont enterré Durruti ! Rappelons-les :
Interview de Durruti par Pierre Van Paasen, le Star de Torroilto, septembre 1936 :
Van Paasen : « La question est pour nous d’écraser le fascisme une bonne fois pour toutes. Oui, et en dépit du gouvernement. « Aucun gouvernement au monde ne combat le fascisme à mort. Quand la bourgeoisie voit que le pouvoir échappe à ses griffes, elle a recours au fascisme pour se maintenir. Le gouvernement libéral de l’Espagne aurait pu réduire les fascistes à l’impuissance depuis longtemps. Au lieu de cela, il a temporisé, fait des compromis et traîné. Aujourd’hui même, il y a dans ce gouvernement des hommes qui veulent traiter avec les rebelles. On ne sait jamais - il rit -le présent gouvernement aura peut-être encore besoin de ces forces rebelles pour écraser le mouvement ouvrier [... ] « Nous savons ce que nous voulons. Pour nous, qu’il existe une Union soviétique quelque part dans le monde pour la paix et la tranquillité de laquelle Staline a sacrifié les travailleurs d’Allemagne et de Chine à la barbarie fasciste ne veut rien dire. Nous voulons la révolution ici en Espagne, maintenant, pas après la prochaine guerre européenne, peut-être. Nous donnons plus de tracas à Hitler et Mussolini aujourd’hui avec notre révolution que toute l’armée rouge de Russie. Nous montrons aux classes ouvrières italienne et allemande comment s’occuper du fascisme. « Je n’attends d’aide pour une révolution libertaire d’aucun mouvement au monde. Il se peut que les intérêts conflictuels des différents impérialismes auront quelque influence sur notre lutte. C’est parfaitement possible. Franco fait de son mieux pour tirer l’Europe dans le conflit. Il n’hésitera pas à pousser l’Allemagne contre nous. Mais nous n’attendons aucune aide, pas même, en dernière analyse, celle de notre propre gouvernement. »« Vous siégerez au sommet d’un tas de ruines, si vous êtes victorieux ».
Durruti lui répondit :
« Nous avons toujours vécu dans des taudis, dans des trous de murs. Nous saurons comment nous arranger pendant un montent. Car, vous ne devez pas l’oublier, nous pouvons aussi construire. C’est nous qui avons construit ces palais et ces villes, ici en Espagne, en Amérique, et partout ailleurs. Nous, les travailleurs, nous en construirons d’autres pour les remplacer. Et de meilleurs. Nous ne sommes pas le moins du monde effrayés par les ruines. Nous allons hériter de la terre. Il n’y a pas le moindre doute à ce sujet. La bourgeoisie peut détruire et ruiner son propre monde avant de quitter la scène de l’histoire. Nous portons un monde nouveau ici, dans nos cœurs. Ce monde grandit en cette minute même. »
Les journées de mai 1937 à Barcelone