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Les premières révoltes contre le colonialisme français au Vietnam

vendredi 5 novembre 2021, par Robert Paris

Les barbares coupeurs de têtes sont l’armée française et les colonisateurs français !!!

Les premières révoltes contre le colonialisme français au Vietnam

Les apports bienfaiteurs de la civilisation coloniale française en Indochine

Dans la mémoire des Français, la violence militaire, au Viêt Nam, est celle de la guerre d’Indochine. On a oublié la violence de la conquête, celle de la première guerre du Viêt Nam, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, d’abord en Cochinchine dès la prise de Tourane en 1858, mais surtout au Tonkin, entre 1882 et 1896. Le docteur Jules Harmand, délégué du Tonkin en 1883, résume le mot d’ordre de la conquête française : “ moyen barbare, mais efficace ! ” (cité dans Barnhart, 1999, p. 1041). Les combats au Tonkin ouvrent indiscutablement une longue période de sauvagerie. Cette guerre qui nous est bien connue grâce aux travaux de Charles Fourniau, mobilise, au milieu des années 1880, un corps expéditionnaire de 30 000 soldats venus de France et de 6500 tirailleurs tonkinois qui avec la rotation nécessaire des hommes mobilise 100 000 hommes (Fourniau, p. 20). Le corps expéditionnaire, s’organise en colonnes qui sèment la terreur. Les pratiques guerrières de ces colonnes nous sont bien connues par les journaux de marche et les témoignages de certains combattants : après avoir levé des coolies sous menace de mort, les troupes coloniales réquisitionnent les vivres et le bétail, incendient les villages, exécutent sommairement prisonniers et civils. C’est le règne de la « baïonnétade », dans la langue des militaires. Lors de la prise de la citadelle de Hanoï en 1882, Jules Petitjean Roget témoigne : “ mes soldats ont fait un massacre épouvantable à la baïonnette ”, passant en moins d’une minute une soixantaine de combattants à l’arme blanche. C’est aussi une guerre sans pitié, les prisonniers, fréquemment blessés, sont immédiatement exécutés (J. Petitjean Roget, op. cit.).

La prise de Hué, les 4 et 5 Juillet 1885, fait 11 morts français et 1500 morts viêtnamiens dont un grand nombre de civils. La brutalité des chiffres souligne la supériorité technique des troupes coloniales, disposant d’une artillerie de longue portée et de fusils à chargement ventral et rapide. Mais ce n’est pas toujours le cas. Si les soldats de la citadelle de Hanoï se battent avec des fusils à pierre ou même à mèche, ils disposent de plus de deux cents très bons canons. La prise de Son Tây en 1883 voit les forces françaises affronter des troupes chinoises notamment, armées de fusils à répétition, de carabines anglaises et américaines, disposant de canons. Mais là aussi, comme lors de la prise de Hanoï, l’utilisation en tir tendu de ces canons les rend inefficaces (J. Petitjean Roget, op. cit.). Autre trait d’inégalité des forces en présence, l’artillerie défensive des Viêtnamiens, à faible rayon d’action, ne fait pas le poids devant les grosses pièces de marine. Pierre Loti relate en ces termes, dans le Figaro du 28 septembre 1883, le bombardement des forts qui gardent la rivière de Hué, le 19 août de la même année : “ Pas de roulis aujourd’hui ; les pièces de l’escadre, parfaitement pointées, portent toutes en plein sur les batteries annamites, qui doivent être écrasées. À chacun de nos coups, on voit voler des tourbillons de sable et de pierres. Leur feu ne tient pas dix minutes. Au bout d’une demi-heure, nous cessons aussi le nôtre, la terre ne répond plus ”.

Une fois le Viêt Nam « pacifié », c’est encore à l’armée qu’on fait appel, en cas de désordres graves. En 1909, la tentative d’empoisonnement de la garnison de Hanoï conduit les tribunaux à prononcer des centaines de décapitation. Surtout, en 1930-31, la répression militaire des mouvements nationalistes débouche fréquemment sur des massacres. Ainsi, en septembre 1930, dans le centre du Viêt Nam, les aviateurs, autorisés par une circulaire du Résident supérieur de l’Annam à bombarder sans sommation tout attroupement, incendient les villages « coupables », faisant plusieurs milliers de morts : “ Un des aviateurs, revenu après quelques jours au dessus du théâtre de ses exploits disait : « Cela puait tellement que là haut même j’en était malade » ” (Viollis, p. 106). De même, en décembre 1930, près de la ville de Quang-Nai, au sud de Hué, une réunion nocturne de 7 à 800 indigènes, est mitraillée. Les tirs à bout portant font 130 morts (Viollis, p. 69). La Légion étrangère, dans la province centrale du Nghe Tinh, s’est particulièrement illustrée dans l’horreur, certains légionnaires se vantant d’avoir décapité à la scie leurs prisonniers (Le Petit Populaire du Tonkin, 15 mars 1931, cité dans Barnhart, p. 876).

À partir de 1945, les troupes françaises chargées de la « pacification » agissent avec la même barbarie aveugle. Ngo Van cite le témoignage de l’ethnologue Jeanne Cuisinier qui, en 1945, entend un lieutenant de la Légion étrangère raconter en ces termes son dernier engagement : “ Nous avons eu des pertes, mais nous avons bien répondu, et nous avons fait du dégât. Sur six kilomètres de profondeur, il ne reste rien ; des canards jusqu’au buffles, en passant par les femmes et les enfants, nous avons tout nettoyé ” (Ngo Van, 1995, p. 362). Un an après, le 23 Novembre 1946, le bombardement de Haiphong fait probablement 6000 morts, pour l’essentiel des civils.

Si la violence militaire ponctue la présence française en Indochine, la violence policière s’exerce quant à elle quotidiennement. Dans les prisons, alors que les condamnés de droit commun, escrocs, voleurs et assassins, français et indiens, sont convenablement traités, il n’en est pas de même pour les prisonniers politiques viêtnamiens, entre autres à Hanoï : “ ils sont environ 1500 dans des locaux destinés à abriter 500 détenus, entassés dans des salles empuanties par des tinettes, insuffisamment éclairées et aérées ; aucun droit à la cantine, point de visites, point de lecture ; ce n’est qu’en cas de maladies graves et souvent quand il est trop tard que les politiques indigènes ont droit à l’infirmerie ” (Viollis, p. 18). La palme de l’ignominie peut être attribuée au célèbre bagne de Poulo Condor. Le commandant Tesseyre, ex-directeur de Poulo Condor, en 1946, déclare devant la commission interministérielle d’enquête sur les responsabilités en Indochine : “ Il y avait 5000 bagnards [sous Decoux, 1940-1945]. Le mois de mon arrivée, il y a eu 172 décès, un peu plus que la moyenne d’une année d’autrefois … Un médecin indochinois … m’a déclaré qu’il lui était arrivé, au matin, 5 cadavres au bagne politique ” (cité par Ngo Van, 1995, p. 477).

Pratique courante et corroborée par d’innombrables témoignages, celle de la torture : tortures classiques, privation d’eau et de nourriture, coups de rotin sur les chevilles et la plante des pieds, tenailles appliquées aux tempes ; torture plus raffinées inventées par la Sûreté de Cholon : introduction de coton que l’on brûle ensuite dans des plaies faites avec des lames de rasoir, introduction dans le canal urinaire d’un fil de fer en tire-bouchon que l’on retire brusquement ; enfin, toute une gamme de tortures à l’électricité, pratiquées journellement en 1931, par le commissariat de Binh Dong, à Cholon (Viollis, p. 21). Les femmes sont également soumises à la torture, notamment les jeunes filles : “ De jeunes congaïes de seize à dix-huit ans sont amenées de nuit à la délégation : viols, pendaison par les orteils, flagellation sur les cuisses et la plante des pieds, introduction de nids de fourmis rouges dans les parties intimes, leurs bras et leurs jambes attachées, jusqu’à ce qu’elles avouent faire partie d’un groupement communiste ” (Viollis, p. 22).

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Alors que se déroule le soulèvement cambodgien, les Français sont toujours confrontés, au Vietnam, à l’insurrection Cần Vương. En Annam, la révolte est générale dès 1885, et les partisans de l’empereur déchu Hàm Nghi et du régent Tôn Thất Thuyết tiennent des provinces au Nord. Jusqu’en 1888, les Français et leurs supplétifs vietnamiens ne parviennent qu’à empêcher la concentration des guérillas. Mais, malgré les difficultés que rencontrent les colonisateurs, ils peuvent compter sur le soutien des populations chrétiennes qui sont victimes de massacres commis par les insurgés. Le mouvement est affaibli par le départ de Tôn Thất Thuyết pour la Chine en 1887, puis par la capture de Hàm Nghi en novembre 1888 (l’ex-empereur est alors déporté en Algérie). L’insurrection, toujours menée au nom du souverain captif, continue cependant sous la direction de chefs comme Tống Duy Tân, Phan Đình Phùng, et plus tard Hoàng Hoa Thám dit le Đề Thám. Ce n’est qu’à partir de 1891 que la « pacification » commence à remporter de réels succès en Annam et au Tonkin.

Au fil des années, le Cần Vương décline et finit par s’éteindre, victime de la supériorité technologique des Européens, de sa propre absence d’unité, et d’un manque de réel projet politique. L’insurrection se limite en effet à défendre la légitimité du pouvoir impérial, alors même que les Nguyễn ne font plus l’unanimité, et que les Français parviennent progressivement à gagner le soutien du mandarinat. Le retrait des Chinois dès 1885, puis le rapprochement franco-chinois au moment de la guerre sino-japonaise de 1894, privent les insurgés de ravitaillement et de points de repli. La défection de la cour impériale, qui se range aux côtés des Français, achève d’enlever au mouvement Cần Vương toute perspective politique. Ce ralliement de la cour, qui souhaite maintenir coûte que coûte la dynastie, aboutit également sur le long terme à discréditer la monarchie confucéenne, en rompant le lien entre l’empereur — qui semble, aux yeux de la population, avoir perdu le mandat céleste — et la nation vietnamienne.

La dernière campagne militaire contre les insurgés vietnamiens a lieu en 1895-1896, après quoi les Français sont réellement maîtres du terrain.

Jusqu’en 1887, deux pouvoirs français coexistent dans la péninsule indochinoise : celui du gouverneur de la Cochinchine, subordonné au département des colonies et qui a par ailleurs autorité sur le protectorat du Cambodge, et celui du résident supérieur d’Annam-Tonkin, subordonné au ministère des Affaires étrangères. En outre, la Cochinchine, passée à un gouvernement civil en 1879, dispose depuis 1880 d’un Conseil colonial, élu par les Français vivant sur place — qui sont à l’époque environ deux mille colons, négociants, hommes d’affaires et fonctionnaires divers — et par un collège indigène restreint. Les porte-parole du Conseil colonial défendent l’autonomie budgétaire et douanière de la colonie, et font obstacle aux projets de centralisation. La nécessité de soumettre l’Indochine à l’autorité directe du gouvernement, indispensable pour arbitrer entre les intérêts, aboutit cependant à la naissance de l’Union indochinoise, créée par les décrets des 17 et 20 octobre 1887. Cette nouvelle entité, placée sous l’autorité d’un gouverneur général, est rattachée par un nouveau décret du 21 avril 1891 à l’administration des colonies, alors fief des « opportunistes »

Fin 1911, le renouveau de l’agitation politique en Indochine et les informations relatives à l’« hostilité sourde » des indigènes conduisent le gouvernement de Joseph Caillaux à nommer le député radical Albert Sarraut au poste de gouverneur général.

L’empereur Thành Thái monte sur le trône d’Annam en 1889, après la mort prématurée de Đồng Khánh. S’étant révélé une personnalité peu maniable, il est taxé de folie puis contraint en 1907 à l’abdication et à l’exil. Son fils Duy Tân, âgé de sept ans, lui succède. En 1916, Duy Tân, encore adolescent, s’échappe du palais impérial pour rejoindre les insurgés qui continuent de s’opposer aux Français. Capturé, il est contraint à l’exil comme son père. Avec l’assentiment des Français, les dignitaires de la cour choisissent alors pour lui succéder Khải Định, un fils de Đồng Khánh.

Parallèlement, les Français mettent progressivement sur pied un appareil militaire et sécuritaire garantissant leur mainmise sur l’Indochine. La police, la gendarmerie et la justice françaises implantent leurs services dans la colonie. Les tribunaux indigènes sont doublés par des tribunaux français ; à partir de 1896, des juridictions d’exception, les commissions criminelles, sont instituées pour juger les atteintes à la sécurité des protectorats. De nombreuses prisons sont créées, dont la plus célèbre est le bagne de Poulo Condor, ouvert dès 1862 et où sont détenus au fil des décennies de nombreux opposants à la colonisation.

La brutalité des conditions de détention fut reconnue par les autorités coloniales. Le commandant Tisseyre, qui dirigea le bagne durant la Seconde Guerre mondiale, témoigne : « Il y avait 5 000 bagnards. On les laissait mourir (…). Le mois de mon arrivée, 172 décès ; c’étaient des locaux pour 25 ou 30 détenus ; j’en ai trouvé 110, 120, 130. Un médecin indochinois m’a raconté qu’il lui était arrivé de trouver un matin sept cadavres au bagne des politiques. »

Différents régiments de tirailleurs indochinois sont formés rapidement. Les premières compagnies de tirailleurs cochinchinois sont organisées par le colonel Reybaud dès 1879 et entrainées par le capitaine Théophile Pennequin. Ces hommes furent envoyés au Tonkin en 1881 et contribuèrent à former les premiers régiments de tirailleurs tonkinois qui furent utilisé lors de l’expédition du Tonkin et dans les campagnes de « pacification »

Après l’échec du mouvement Cần vương et le déclin du principe de mandat céleste, le nationalisme vietnamien s’imprègne des idées et du vocabulaire modernes : les notions de patriotisme et d’État national font leur apparition dans la langue vietnamienne. C’est dans la génération des intellectuels ayant vécu l’insurrection contre les Français qu’apparaissent les personnalités qui portent, au début du XXe siècle, les idées indépendantistes. Phan Bội Châu, issu d’une famille de lettrés, refuse ainsi le poste qui lui était destiné pour se consacrer à la lutte patriotique ; en 1905, il s’exile au Japon, pays qui suscite alors les espoirs des nationalistes asiatiques, et noue des contacts avec des mouvements révolutionnaires comme le Tongmenghui chinois de Sun Yat-sen. Installé à Taïwan — alors possession japonaise — Phan Bội Châu y est rejoint par un membre de la famille impériale vietnamienne, le prince Cường Để. Ce dernier, qui revendique dès lors le trône, apporte aux indépendantistes la légitimité monarchique. En 1906, les deux hommes créent le Việt Nam Duy Tân Hội (Société pour un nouveau Vietnam). Phan Bội Châu publie ensuite des pamphlets contre la domination française, parmi lesquels Lettre d’outre-mer écrite avec du sang qui connaît à l’époque un grand retentissement.

En Indochine même, les idées nationalistes profitent de l’essor de la presse pour s’exprimer, notamment dans le journal Luc Tinh Tan Van, que dirige Gilbert Chiếu. Une autre figure du nationalisme annamite, Phan Châu Trinh, anime un courant indépendantiste qui se méfie du militarisme japonais comme du traditionalisme confucéen, et prône au contraire la modernisation du Vietnam ; si Phan Bội Châu compte sur l’aide du Japon pour libérer le pays, Phan Châu Trinh est opposé à la violence et veut faire surgir le progrès et la démocratie au sein de la société colonisée, en nouant des alliances avec les éléments libéraux de la colonisation. Il contribue, par ailleurs, à remettre en usage, pour désigner le pays, le nom ancien de Vietnam plutôt que celui d’Annam utilisé par les Chinois puis par les Français.

La déposition par les Français de l’empereur Thành Thái, en 1907, donne aux nationalistes l’occasion d’agir. L’année suivante, une série de mouvements insurrectionnels éclatent au Centre-Annam, à Hanoï et en Cochinchine. C’est au Tonkin, où le chef rebelle Hoàng Hoa Thám reprend lui aussi les armes, que la situation est la plus sérieuse. Le 27 juin 1908, les cuisiniers indigènes tentent d’empoisonner la garnison de Hanoï afin de permettre à Hoàng Hoa Thám de prendre la ville. Le complot est éventé, mais provoque un vent de panique : la police multiplie les arrestations de lettrés et de suspects, parmi lesquels Phan Châu Trinh. Cường Để et Phan Bội Châu sont condamnés à mort par contumace. L’université de Hanoï, que le gouverneur avait ouverte un an plus tôt, est fermée et ne rouvre qu’en 1917. Les insurrections sont finalement écrasées, et les Français obtiennent du Japon qu’il expulse Phan Bội Châu et Cường Để, qui doivent se réfugier en Chine. Quelques années plus tard, la révolution chinoise de 1911 incite les leaders nationalistes à reprendre leurs activités : ils créent une nouvelle organisation, la Việt Nam Quang Phục Hội (Association pour la restauration du Vietnam) ainsi qu’un gouvernement en exil présidé par Cường Để.

Pendant plus de trois ans, des attaques sporadiques et des attentats ont lieu en Indochine, principalement au Tonkin. Hoàng Hoa Thám continue la lutte jusqu’à son assassinat en février 1913. Le gouverneur général Albert Sarraut, nommé pour réformer l’Indochine et qui avait annoncé son intention d’améliorer le sort des indigènes, échappe en avril 1913 à un attentat à la bombe. Les idées nationalistes gagnent jusqu’au jeune empereur annamite Duy Tân qui, en 1916, s’enfuit du palais pour tenter de rejoindre des insurgés. Repris, il est détrôné et exilé.

Fin août 1917, une insurrection éclate à Thái Nguyên, bourgade située à 70 kilomètres au nord de Hanoï et où se trouve un pénitencier. Bien que la politique y joue un rôle, l’élément déclencheur semble cependant avoir été le comportement des officiers locaux. Ce sont en effet les brimades et les mauvais traitements qui poussent les soldats indigènes à se soulever ; incités à la révolte par des détenus politiques, ils tuent leurs supérieurs français et libèrent les prisonniers. Environ 300 insurgés tiennent la ville pendant cinq jours, jusqu’à l’intervention des troupes. La rébellion est écrasée, mais des groupes de mutins continuent cependant à agir dans la province jusqu’en janvier 1918.

Dans les années 1920, une génération de nationalistes annamites cesse le combat. Phan Bội Châu est arrêté en 1925 dans la concession française de Shanghai ; condamné à mort, il est gracié par le gouverneur Varenne et assigné à résidence à Hué. Il finit par se faire l’apôtre de la collaboration franco-annamite. Phan Châu Trinh, après des années de prison puis d’exil en France, est autorisé à rentrer en Indochine en 1925 mais, malade, il meurt l’année suivante.

Dans le même temps, cependant, les discours de Sarraut sur la collaboration franco-annamite, ainsi que les principes wilsoniens sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, éveillent un espoir au sein de la société civile vietnamienne, qui attend de la France qu’elle accorde au Vietnam un statut conforme aux souhaits de ses nouvelles classes supérieures. Les élites indigènes expriment désormais leurs doléances par le biais de partis politiques : en 1923, l’ingénieur agronome et patron de presse Bùi Quang Chiêu fonde le Parti constitutionnaliste, une formation nationaliste et légaliste influencée par les idées de Phan Châu Trinh. Expression de la bourgeoisie cochinchinoise, ce parti réclame pour les Annamites davantage de libertés et une place dans la direction du pays. Le théoricien politique Phạm Quỳnh, inspiré de Barrès et Maurras, prône un renouvellement des institutions annamites et une association loyale avec la France : ses idées, bien que modérées, éveillent la méfiance des colons qui le considèrent comme un dangereux nationaliste. L’empereur Khải Định, dont les idées sont proches de celles de Phạm Quỳnh, voyage en Métropole en 1922 ; mais cette visite — la première en France d’un souverain annamite — s’avère totalement improductive sur le plan politique.

C’est dans ce contexte d’impasse de la collaboration franco-annamite que se développe en Indochine une nouvelle intelligentsia. En 1923, Nguyễn An Ninh, jeune licencié en droit, fait sensation en prononçant une conférence dans laquelle il dénonce radicalement à la fois la colonisation et les traditions confucéennes. De nombreux journaux apparaissent, comme La Cloche fêlée publié par Nguyễn An Ninh, devenu le maître à penser des nouveaux intellectuels vietnamiens. Des idées nouvelles comme le pacifisme ou le féminisme obtiennent un grand succès. Rapidement, la jeunesse instruite indigène se radicalise. La victoire du Cartel des gauches en Métropole suscite des espoirs, mais les réformes du socialiste Varenne, nommé gouverneur général en 1925, sont jugées trop timides. Phạm Quỳnh n’obtient pas l’autorisation de former un parti politique. L’arrestation de Phan Bội Châu en 1925, celle de Nguyễn An Ninh en mars 1926, puis les obsèques de Phan Châu Trinh le mois suivant, provoquent des heurts entre les jeunes intellectuels et les autorités coloniales. Un mouvement de boycott des écoles est lancé : fin mai, plus d’un millier d’élèves sont renvoyés de leurs établissements. Grèves et incidents se multiplient dans les établissements scolaires durant les trois années qui suivent.

Parallèlement, un premier noyau communiste apparaît dans les milieux politiques annamites, en premier lieu parmi les expatriés en France. Nguyễn Sinh Cung — le futur Hô Chi Minh —, fils d’un mandarin révoqué par les Français, fréquente en Métropole le groupe animé par Phan Châu Trinh. Comme d’autres Annamites, il adhère ensuite à la SFIO et à la franc-maçonnerie. En 1920, lors du congrès de Tours, il fait une intervention remarquée en faveur de l’adhésion à l’Internationale communiste (Komintern). Adoptant à l’époque le pseudonyme de Nguyễn Ái Quốce, il part en 1924 pour l’Asie afin d’y travailler à plein temps pour le Komintern.

Encore très minoritaire, la mouvance communiste annamite gagne progressivement en importance à partir de 1925. En Indochine même, l’engagement communiste est perçu comme une « protestation patriotique ». En Métropole, un noyau d’expatriés — qui attire des ouvriers, des tirailleurs ou des étudiants — se forme en 1926 autour du Việt Nam Độc lập Đảng (Parti pour l’indépendance du Vietnam) animé par Nguyễn Thế Truyền. Installé à Canton avec les agents du Komintern chargés à l’époque d’encadrer le Parti communiste chinois, Nguyễn Ái Quốc fonde avec d’autres militants un premier groupe communiste, le Thanh Nien, qui diffuse un bulletin en Indochine. Entre 1925 et 1929, le Thanh Nien accueille en Chine environ 300 Annamites, qui suivent une formation politique et repartent ensuite en Indochine pour y animer des cellules clandestines.

Le communisme gagne rapidement en puissance auprès de la jeunesse instruite ; il répond à la fois à une demande des jeunes intellectuelles en fournissant une idéologie adaptée au combat anti-colonial, tout en paraissant apporter une solution à la misère ouvrière et paysanne. Il apparaît également comme une réforme éthique, en greffant les valeurs de l’idéologie soviétique à celles de la morale confucéenne. Un mouvement dit de « prolétarisation » est lancé, qui voit des jeunes intellectuels s’engager comme travailleurs dans les plantations d’hévéas, les usines et les mines, pour se rapprocher des milieux populaires et y créer des cellules. À partir de 1928, les militants annamites réclament la fondation d’un vrai parti communiste.

La mouvance communiste vietnamienne est très vite parcourue de divisions : dans le courant de 1929, les militants présents en Métropole scissionnent entre un groupe pro-stalinien et une tendance trotskiste animée notamment par Tạ Thu Thâu. En Indochine, la ligne défendue par Nguyễn Ái Quốc — qui prône une synthèse entre nationalisme et communisme — est provisoirement mise en minorité, au profit d’une tendance plus conforme à la ligne « classe contre classe » du Komintern. En juin 1929, le groupe du Thanh Nien à Hanoï fonde, sous l’impulsion de Ngô Gia Tự, un Parti communiste indochinois. Le Thanh Nien se disloque et la mouvance communiste indochinoise se trouve alors divisée en trois groupes, dont aucun n’a encore l’aval officiel du Komintern.

Entre-temps, en Indochine, les jeunes militants nationalistes se tournent bientôt vers l’action illégale : ils créent de nouveaux journaux — vite interdits — diffusent des tracts et des manifestes à l’idéologie encore floue, forment des sociétés secrètes. En novembre 1927, un groupe de jeunes Tonkinois, menés par Nguyễn Thái Học, fonde le Việt Nam Quốc Dân Đảng (VNQDD) ou « Parti nationaliste vietnamien », un mouvement inspiré du Kuomintang chinois dont le nom a simplement été traduit en vietnamien. Très dynamique malgré la surveillance de la Sûreté générale, le VNQDD recrute rapidement des centaines de membres parmi les intellectuels, les travailleurs ou les femmes, et passe bientôt à l’action violente. Il est en outre, à l’époque, le seul groupe indépendantiste à échapper à l’attraction communiste.

En février 1929, le VNQDD assassine à Hanoï Alfred Bazin, directeur de l’Office général de la main-d’œuvre et, à ce titre, symbole de l’exploitation coloniale. Dans les mois qui suivent, les autorités multiplient les arrestations dans les milieux nationalistes. Le VNQDD, sérieusement menacé, décide alors de jouer son va-tout en organisant un véritable soulèvement. Dans la nuit du 10 au 11 février 1930, deux compagnies du 4e régiment de tirailleurs tonkinois, aidés par des agitateurs civils, se mutinent à Yên Bái, tuant plusieurs officiers français. Simultanément, des bombes sont lancées à Hanoï sur des commissariats, des casernes et le bâtiment de la Sûreté, tandis que plusieurs autres tentatives d’insurrection ont lieu. Mais la révolte du 4e tonkinois, qui devait lancer un soulèvement général, ne s’étend pas. La mutinerie est rapidement écrasée, et le VNQDD décimé par la répression. Nguyễn Thái Học, capturé fin février, est exécuté avec douze de ses camarades, et de nombreux militants sont envoyés au bagne de Poulo Condor. L’affaire de Yên Bái marque beaucoup l’opinion dans la colonie, prise au dépourvu par cette insurrection alors que l’Indochine semblait stabilisée.

Dans le même temps, la mutinerie de Yên Bái donne également aux communistes l’occasion de passer à l’action. Alors que l’échec de l’insurrection a décapité la mouvance indépendantiste non communiste, Nguyễn Ái Quốc juge le moment propice pour rassembler autour de lui les nationalistes annamites. En février 1930, il fonde à Hong Kong le Parti communiste vietnamien. Il reçoit cette fois l’aval du Komintern qui, souhaitant que le mouvement puisse séduire l’ensemble des peuples de l’Indochine, lui impose à la fin de l’année de rebaptiser son mouvement Parti communiste indochinois (PCI). Les membres de cette nouvelle organisation sont cependant presque tous des Vietnamiens.

Dès le début de février, quelques jours avant Yên Bái, des militants communistes commencent à pousser à la grève les coolies d’une plantation. Ce n’est que le début d’une série de vastes mouvements sociaux, notamment dans le Nord de l’Annam et en Cochinchine, alors que l’économie indochinoise commence à décliner dangereusement. C’est dans la région de Nghệ An, province déshéritée — dont est par ailleurs originaire Nguyễn Ái Quốc — qui connaît alors une situation difficile du fait de mauvaises récoltes, que les communistes trouvent le terreau le plus propice. Le PCI mobilise les masses déshérités pour réclamer du riz aux autorités. Le 1er mai, le mouvement compte ses premiers morts quand plusieurs grévistes sont tués à Vinh par la Garde indigène ; agitations, manifestations et marches de paysans se succèdent pendant tout l’été.

Apparemment sans décision préalable du Comité central du PCI — qui s’est transféré entre-temps de Hong Kong à Haïphong — les responsables communistes de l’Annam commencent à organiser des Soviets ruraux : les conseils de notables sont dispersés et les rizières communales réparties entre les pauvres. Plus d’une vingtaine de Soviets (traduit en vietnamien par Xo Viet) sont organisés entre l’automne 1930 et le début de 1931. La répression de l’appareil colonial est bientôt enclenchée : les Soviets de Nghệ-Tĩnh sont dispersés, plusieurs milliers de personnes sont tuées et environ 10 000 emprisonnées. La plupart des membres du Comité central du PCI sont arrêtés, et condamnés à mort ou à des peines d’emprisonnement. De nombreux militants, comme les futurs dirigeants nord-vietnamiens Phạm Văn Đồng, Lê Đức Thọ et Lê Duẩn, sont envoyés à Poulo Condor ou dans d’autres prisons. Nguyễn Ái Quốc lui-même est arrêté à Hong Kong en juin 1931 par la police britannique. Le mouvement communiste indochinois semble alors démantelé.

Après son échec de 1930, l’appareil du VNQDD est exilé en Chine où, éclaté en plusieurs tendances rivales, il survit grâce au soutien du Kuomintang. Les caodaïstes et les partisans du prince Cường Để comptent, quant à eux, sur le soutien du Japon217. Le mouvement communiste, au contraire, reconstitue ses forces en Indochine. Les militants trotskistes annamites se montrent très dynamiques : Tạ Thu Thâu et d’autres intellectuels créent en, avril 1933, l’hebdomadaire La Lutte et le groupe homonyme, tout en formant un « front unique pour l’action ouvrière » avec les restes du Parti communiste indochinois. Entre 1933 et 1935, six trotskistes parviennent à se faire élire au conseil municipal de Saïgon. Entre-temps, les cellules clandestines du PCI se reforment progressivement, grâce au soutien décisif du Komintern qui renvoie notamment en Indochine une vingtaine de cadres formés à Moscou. Nguyễn Ái Quốc, après sa libération par les Britanniques, passe plusieurs années en URSS éloigné des activités du parti, avant d’être renvoyé en Chine à la fin de la décennie. La résilience des communistes face à la répression de l’appareil colonial leur permet de prendre un ascendant décisif dans les rangs indépendantistes et au sein de l’intelligentsia locale.

La victoire du Front populaire lors des élections de 1936 suscite en Indochine un immense espoir, notamment avec la nomination du socialiste Marius Moutet — ancien avocat de Phan Châu Trinh et opposant à la répression après Yên Bái — au poste de ministre des colonies. Le chef du gouvernement, Léon Blum, s’est lui aussi opposé aux excès de la répression coloniale. Dès lors, les Indochinois voient dans l’arrivée au pouvoir du Front populaire la possibilité, non pas de l’indépendance, mais du transfert en Indochine de la démocratie politique et de la législation sociale françaises. Le Parti communiste indochinois adopte pour sa part la consigne de front populaire du Komintern et s’allie avec les nationalistes de droite, la gauche française, les trotskistes et une partie des constitutionnalistes. Les trotskistes de La Lutte lancent, dès la fin du mois de mai, une campagne en faveur de la réunion d’un « Congrès indochinois ». Si le mouvement échoue à prendre son envol en Annam et au Tonkin, l’agitation est très forte en Cochinchine. Inquiet, le Gouvernement général obtient le 9 septembre de Marius Moutet qu’il interdise le Congrès. Mais, entre-temps, dès le mois de juin, un vaste mouvement de grèves — motivé notamment par la flambée des prix avec la reprise économique de 1936, alors que les travailleurs ont subi plusieurs années de baisses de salaires — s’est déclenché en Indochine, en impliquant la quasi-totalité du salariat vietnamien et chinois : entre juin 1936 et août 1937, plus de 300 mouvements de grève sont recensés, mobilisant entre 500 000 et 1 000 000 de travailleurs. Les grèves ouvrières ont un immense retentissement dans les campagnes : les plantations sont également paralysées, et les paysans se mobilisent contre les taxes.

Le Parti communiste indochinois bénéficie des mesures de libéralisation : si le mouvement communiste demeure interdit dans les protectorats, il parvient à constituer des groupes légaux en Cochinchine, où il utilise le paravent d’un Front démocratique indochinois dirigé par Phạm Văn Đồng et Võ Nguyên Giáp. L’alliance entre communistes et trotskistes vietnamiens est cependant rompue dès juin 1937, laissant place à une guerre idéologique féroce entre les deux courants. Alors que les communistes continuent de renforcer leur influence, les nouvelles tentatives de réforme ne remportent aucun succès. En 1938, l’empereur Bảo Đại voyage en Métropole où il tente d’obtenir davantage d’autonomie politique pour les protectorats, et le retour du Tonkin sous l’égide effective du gouvernement de l’Annam. Mais Georges Mandel, successeur de Moutet au ministère des Colonies, l’en dissuade : du fait des risques de guerre en Europe, une réforme du système colonial semble moins que jamais à l’ordre du jour. Bảo Đại, déçu, se résigne à son rôle de souverain d’apparat et consacre désormais l’essentiel de son temps à ses loisirs.

Le décret du 26 septembre 1939, pris à la suite du pacte germano-soviétique, interdit à nouveau toutes les organisations communistes et trotskistes, en Métropole comme dans les colonies. Des centaines d’arrestations sont effectuées en Indochine. Le Parti communiste indochinois est une nouvelle fois réduit à la clandestinité, de même que les autres organisations nationalistes, mais il maintient son influence sur l’« Indochine souterraine » opposée à l’appareil colonial. Alors que presque tous les dirigeants trotskistes vietnamiens ont été emprisonnés entre l’automne 1939 et janvier 1940, le Parti communiste conserve suffisamment de cadres en liberté pour que son appareil clandestin continue de fonctionner. Phạm Văn Đồng et Võ Nguyên Giáp, notamment, parviennent à s’échapper et rejoignent ensuite Nguyễn Ái Quốc en Chine.

La véritable révolution d’août 1945 qui n’est pas celle de Hô Chi Minh

Trotskystes et staliniens au Vietnam

En souvenir de la révolution et des révolutionnaires vietnamiens

Qui a assassiné le militant et dirigeant révolutionnaire trotskiste Ta Thu Tâu ? C’est le Vietminh du contre-révolutionnaire stalinien Ho Chi Minh !

Surpris par la nouvelle de la capitulation japonaise, Hô Chi Minh comprend qu’il ne peut plus attendre et seulement négocier avec les Français et qu’il doit prendre le pouvoir s’il ne veut pas le laisser au prolétariat. Le 13 août 1945, le Việt Minh crée un Comité national d’insurrection et décide du soulèvement général. Trois jours plus tard, Hô Chi Minh est élu président d’un Comité de libération nationale, sorte de gouvernement provisoire. Le 17 août, alors que les autorités vietnamiennes de Hanoï sont en plein désarroi, les agents du Việt Minh infiltrent les manifestations populaires. Leurs partisans, ramenés en masse depuis les villages, envahissent les rues de la capitale. Au soir du 19, ils contrôlent les bâtiments publics.

Des comités révolutionnaires sont formés dans toutes les villes du Tonkin. Les Blancs et les métis, cibles de la vindicte populaire, doivent se barricader chez eux. En Cochinchine, l’emprise des communistes est moins forte, du fait de la présence d’autres mouvements nationalistes qui leur font concurrence.

19 août 1945 : Apparition de comités du peuple dans la région sud Vietnam

21 aoüt 1945 : Constitution de centaines de comités de la jeunesse d’avant-garde

Le même jour, le plus grand quartier ouvrier de Saïgon (Phu-Huan) élit son comité du peuple qui se proclame nouveau pouvoir central. Les paysans liquident les anciens serviteurs des gouvernements français et japonais. Ils investissent les bureaux et tribunaux de l’administration locale. Constitution de tribunaux du peuple qui jugent les grands propriétaires et les anciens fonctionnaires. Les comités du peuple, d’août à septembre, confisquent les biens des riches et partagent les terres. Manifestation de 300.000 personnes dont 30.000 derrière la bannière trotskyste de la LCI.

23 août 1945 : Pour contrer la vague révolutionnaire, le Front National Unifié se dissous et adhère au Viet Minh tenu par les staliniens, seule force capable de contrer la révolution sociale.

25 août 1945 : Abdication de Bao Daï. Formation par les staliniens du « Comité exécutif provisoire du sud Vietnam » qui vise à éviter le vide du pouvoir en occupant tous les postes administratifs et en maintenant en place la police : sept staliniens sur neuf ministres et Ho Chi Minh à la présidence. Grandiose manifestation à Saïgon pour l’indépendance.

Le Việt Minh réalise cependant le 25 août, à Saïgon, une grande manifestation tenant lieu de démonstration de force, et proclame le jour même un Comité exécutif provisoire du Nam Bộ, à majorité communiste. À l’exception de quelques accrochages en Annam, et d’une bataille dans la province de Thái Nguyên où leur garnison a refusé de se rendre, les Japonais n’opposent pas de vraie résistance au Việt Minh, et font même preuve d’une neutralité bienveillante, se réjouissant plutôt de laisser l’Indochine dans une situation impossible pour les colonisateurs français303,298. Ils ne se montrent d’ailleurs guère pressés de libérer leurs prisonniers et pendant plusieurs semaines les militaires français, pourtant théoriquement vainqueurs de la guerre, demeurent maintenus en détention par les « vaincus » japonais.

26 août 1945 : Entrée des troupes chinoises au nord du Vietnam. Première assemblée des comités du peuple.

27 août 1945 : Déclaration du stalinien Nguyen Van Tao, ministre l’Intérieur, contre les trotskystes : « Seront sévèrement punis et impitoyablement frappés tous ceux qui auront poussé les paysans à s’emparer des propriétés foncières. (…) Nous n’avons pas encore fait la révolution communiste qui apportera la solution au problème agraire. Ce gouvernement n’est qu’un gouvernement démocratique, c’est pourquoi il ne lui appartient pas de réaliser une telle tâche. Notre gouvernement, je le répète, est un gouvernement démocratique bourgeois, bien que les communistes soient actuellement au pouvoir. » Le Việt Minh crée également un « Comité d’assassinat d’assaut », en grande partie recruté dans les rangs de la pègre, qui pratique intimidations et assassinats.

28 août 1945 : Déclenchement d’une vaste campagne de calomnies contre les trotskystes accusés de semer le désordre et de provoquer des troubles.
Le 29 août, Hô Chi Minh, arrivé quelques jours plus tôt à Hanoï, forme un gouvernement provisoire, dont il détient la présidence et le portefeuille des affaires étrangères. Võ Nguyên Giáp détient l’Intérieur et Phạm Văn Đồng les Finances, tandis que l’ex-empereur Bảo Đại — devenu le « citoyen Vĩnh Thụy » — est nommé conseiller politique. Le 2 septembre, par un discours à la tonalité nationaliste et nullement marxiste — et à la rédaction duquel Patti a d’ailleurs participé — Hô Chi Minh proclame l’indépendance de la « république démocratique du Viêt Nam ».

La situation est particulièrement tendue en Cochinchine, où s’installe un climat de haine antocoloniale. Des incidents, auxquels contribuent des Bình Xuyên, des trotskistes ou des groupes nationalistes, éclatent à Saïgon dès l’après-midi du 2 septembre : cinq Français — dont un prêtre — sont tués, plusieurs autres blessés et de nombreuses maisons européennes pillées par des émeutiers. Des Français, des métis et des Vietnamiens « collaborateurs » continuent d’être attaqués dans les semaines qui suivent : des dizaines de cadavres sont retrouvés dans les rues de la ville. Jean Cédile s’efforce de négocier avec le Việt Minh, qui doit de son côté compter avec les Hòa Hảo, les caodaïstes et les trotskistes vietnamiens, lesquels s’opposent à sa mainmise sur la colonie et veulent leur part du pouvoir. Huỳnh Phú Sổ, chef des Hòa Hảo, devient membre du Comité exécutif provisoire du Nam Bộ, mais les heurts entre factions vietnamiennes continuent de se multiplier. Les trotskistes, notamment, sont traqués par le Việt Minh, qui entreprend d’éliminer physiquement une partie de ses rivaux : Bùi Quang Chiêu, fondateur du Parti constitutionnaliste, l’ancien conseiller impérial Phạm Quỳnh et le leader trotskiste Tạ Thu Thâu sont assassinés.

Pour rassurer l’ensemble de ses interlocuteurs, le Việt Minh entreprend alors de camoufler son identité communiste : du 8 au 10 novembre, le Parti communiste indochinois tient à Hanoï un congrès, au terme duquel il annonce son auto-dissolution. Cette manœuvre, cependant, ne convainc guère, d’autant plus que le Parti continue d’exister officieusement. Les nationalistes du VNQDD et du Đồng minh Hội contestent par ailleurs de plus en plus fortement le pouvoir du Việt Minh, et exigent de participer au gouvernement.

Le général Leclerc ordonne alors aux troupes françaises de faire route vers le Tonkin pour débarquer à Haïphong. Hô Chi Minh, après avoir écrit plusieurs fois à Truman dans l’espoir d’obtenir le soutien des États-Unis, doit reconnaître que la situation lui impose de faire des concessions. Il accepte alors de conclure un accord avec les Français, et remanie dans le même temps son gouvernement pour y inclure les nationalistes de droite. Le 6 mars 1946, le jour même de l’arrivée des Français à Haïphong, les « accords Hô-Sainteny » sont signés : le Vietnam y est reconnu par la France comme « un État libre (...) faisant partie de la Fédération indochinoise et de l’Union française », tandis que le gouvernement vietnamien accepte le retour des troupes françaises. Le texte, dont le mot « indépendance » est absent, prévoit cependant des négociations pour définir le statut futur de l’Indochine, de même qu’un référendum sur la réunification des trois pays vietnamiens. Les deux parties, ayant fait chacune des concessions importantes, peuvent alors espérer éviter le conflit ouvert. Leclerc peut, le 18 mars, faire son entrée dans Hanoï — ce qu’il présente dans la « dernière étape de la libération » — et rencontrer Hô Chi Minh le jour même.

1er septembre 1945 : Déclaration de Tran Van Giau affirmant que l’indépendance n’est pas le produit de la lutte mais des « négociations avec nos alliés » et qui menacent quiconque prétend combattre les armes à la main les « forces alliées » : « Ceux qui incitent le peuple à l’armement seront considérés comme des saboteurs et des provocateurs, ennemis de l’indépendance nationale. Nos libertés démocratiques seront octroyées et garanties par les Alliés démocratiques. »

2 septembre 1945 : Manifestation organisée par le gouvernement et les staliniens pour « accueillir les Alliés » qui débarquent à Saïgon. La manifestation se déroule dans le calme mais des coups de feu sont tirés contre les manifestants en marge du cortège. La colère des Vietnamiens explose. La population explose de colère contre le retour des colonialistes. Le climat change. Des Français sont pris à partie et assassinés. Les staliniens accusent les trotskystes de la responsabilité des troubles.
7 septembre 1945 : A Hanoï, Tran Van Giau décrète le désarmement des organisations non-gouvernementales, dont les comités populaires qui préparaient une insurrection armée contre le retour des troupes alliées au Vietnam. Le nouveau pouvoir stalinien se prépare à « accueillir nos alliés. »

11 novembre 1945 : autodissolution du Parti Communiste « pour placer les intérêts de la patrie au dessus de ceux des classes. »

Le 18 mars 1946, le président Ho Chi Minh reçoit, à la résidence du gouverneur, le général Leclerc, en présence du commissaire de la République du Tonkin, Jean Sainteny. C’est pour trinquer à la soi-disant victoire d’un Vietnam indépendant. En fait, ils trinquent à l’assassinat des comités de travailleurs révolutionnaires des grandes villes. Ce n’est pas un combattant contre l’impérialisme qui négocie mais un postulant au poste de gouverneur nommé par l’impérialisme.

En l’absence de Hô Chi Minh, le gouvernement de Hanoï est supervisé par Võ Nguyên Giáp. Ce dernier se prépare à l’éventualité d’un conflit : les effectifs de l’Armée populaire vietnamienne, les troupes régulières du Việt Minh, passent pendant l’été 1946 de 30 000 à 60 000 hommes. Parallèlement, à la faveur du retrait des Chinois, le Việt Minh lance en juin-juillet une offensive contre ses rivaux du Việt Nam Quốc Dân Đảng et du Đồng minh Hội, qu’il élimine politiquement ou physiquement.

La conférence de Fontainebleau se termine sur un échec : après avoir réclamé le 10 septembre un référendum sur la Cochinchine, Phạm Văn Đồng et les autres délégués Việt Minh quittent les lieux avant même que l’Assemblée nationale n’adopte les articles de la Constitution relatifs au statut de l’Union française. Hô Chi Minh prolonge néanmoins son séjour et, le 14 septembre, signe avec Moutet un modus vivendi aux termes flous, qui convient cependant de cesser les actes de violence et prévoit de nouvelles négociations en janvier 1947. Il revient ensuite en Indochine fin octobre, après une absence de près de cinq mois, retrouvant un pays que ses partisans ont fermement pris en main. Débarrassé des nationalistes non communistes, Hô a désormais tous les pouvoirs à Hanoï, et l’assemblée qui se réunit en novembre ne compte plus que des partisans du Việt Minh.

Lire aussi :

Mouvement Cần vương 1885 :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_C%E1%BA%A7n_v%C6%B0%C6%A1ng

Mutinerie de Yên Bái :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mutinerie_de_Y%C3%AAn_B%C3%A1i

L’impérialisme français en Indochine à la "Libération" :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article465

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