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Quatre textes sur une revendication traditionnelle du mouvement ouvrier enterrée à tort par l’extrême-gauche électorale (LO de N. Arthaud et NPA de P. Poutou) : l’abolition des impôts indirects (TICPE, TVA).

dimanche 31 octobre 2021, par Alex

Le but de ce texte est de proposer de lire et discuter quatre (vieux) textes du mouvement ouvrier (voir ci-dessous) qui sont d’une actualité brulante.

La hausse générale des prix, dont ceux de l’essence, du gaz et de l’électricité a forcé le gouvernement, face à la menace d’un nouveau mouvement des Gilets jaunes, et bien sûr pour essayer d’acheter des votes pour les prochaines élections, à prendre une mesure de soutien au « pouvoir d’achat » des plus démunis : une aumône de 100 euros pour Noel.

Mais parmi les mesures naturelles, simples, justes et efficaces qui auraient pu être prises, la suppression de toutes les taxes sur l’essence et de la TVA sur tous les produits de consommation, est un remède que le gouvernement, comme tous les doctes économistes, repoussent. Ca coute trop cher disent-ils, reconnaissant au passage que ce sont les plus pauvres qui par la TVA financent l’Etat de la bourgeoisie.

On est étonné que l’extrême-gauche qui se réclame (plus ou moins) du marxisme soit en accord avec le gouvernement sur ce point : LO, le NPA, évoquent rapidement une baisse de la TVA, mais invitent les travailleurs à se concentrer sur « l’augmentation des salaires et pensions »., voir cette affiche électorale de LO, qui ne demande pas la suppression des impôts indirects :

Par cet abandon d’un des points fondamentaux des programmes ouvriers de la IIème internationale, ces organisations montrent qu’elles se placent sur le terrain du syndicalisme le plus étroit, et invitent la classe ouvrière à s’isoler politiquement.

Les textes suivants sont d’actualité. Les arguments qu’ils contiennent, portés par le mouvement ouvrier, permettraient à la classe ouvrière de faire le lien avec les Gilets jaunes, et de prendre la tête du mouvement contre la vie chère.

Les militants ouvriers montreraient aux GJ non pas que le GJ sont réactionnaires car « étrangers » au mouvement ouvrier (langage de la CGT repris par LO et le NPA, ouvertement ou hypocritement selon les occasions), mais que le mouvement ouvrier est un allié puissant dans la lutte contre la vie chère, le leader potentiel de cette guerre économique et politique.

On remarquera que c’est notamment dans un texte adressé aux paysans pauvres que Lénine détaille la revendication d’abolition des impôts indirects, et qu’il le fait en parallèle avec la question de la dissolution des armées permanentes.

Cette volonté de Lénine de s’allier avec la petite-bourgeoisie révolutionnaire, c’est l’ABC du programme révolutionnaire du prolétariat, rappelé par Trotsky :

Pour que la crise sociale puisse déboucher sur la révolution prolétarienne, il est indispensable, en dehors des autres conditions, que les classes petites bourgeoises basculent de façon décisive du côté du prolétariat. Cela permet au prolétariat de prendre la tête de la nation, et de la diriger.

(Trotsky, 1930)

La droite bourgeoise qui n’arrête pas de dénoncer le « trop d’impôts » se fait toute petite en cette occasion de supprimer la TVA. C’est le moment pour les révolutionnaires de montrer à la petite bourgeoisie que son vrai allié contre la vie chère est le prolétariat, pas la droite ou l’extrême-droite, c’est-à-dire la grande bourgeoisie.

Le NPA avec P. Poutou aurait l’occasion aujourd’hui, vu ses démêlés avec la police, de mettre en avant ce même type d’argument double, d’appeler à des manifs de soutien à Poutou, aux victimes de violences policières, contre Darmanin ... et contre la vie chère, pour la suppression de la TVA et la dissolution des armées permanentes et de la police. Mais le NPA s’en tient à l’électoralisme sur ces deux questions. Ces perspectives paraissent trop radicales ? Les textes suivant servaient de propagande quotidienne lorsqu’ils furent écrit, ils ne l’ont pas été dans le feu d’une révolution...

P. LAFARGUE – J. GUESDE (1880)  : LE PROGRAMME DU PARTI OUVRIER, SES CONSIDÉRANTS & SES ARTICLES

Art. 12. – a) Abolition de tous les impôts indirects et transformation des impôts directs en un impôt progressif sur les revenus dépassant 3.000 francs.

b) Suppression de l’héritage en ligne collatérale et de tout héritage en ligne directe dépassant 20.000 francs.

a) Les impôts, dans la société bourgeoise, sont les charges dont doit s’acquitter tout citoyen envers l’État, pour que celui-ci puisse lui garantir sa personne et sa propriété. Les impôts peuvent se distinguer en impôt personnel ou impôt du sang, que satisfait le citoyen par le service militaire, et en impôt impersonnel qu’il satisfait par l’abandon d’une partie par ses revenus.

Pour que les impôts fussent établis sur une assiette équitable, chaque citoyen devrait être soldat et abandonner à l’État une partie de ses revenus progressivement proportionnelle à leur quantité : si celui qui possède 100 francs abandonne 10 francs, celui qui possède 1.000 francs devrait abandonner 300 francs, et celui qui possède un million devrait abandonner 400.000 francs. Les impôts indirects prélevés sur les objets de consommation (pain, viande, vêtements, etc,) empêchent toute distribution équitable de l’impôt. Par exemple l’ouvrier qui mange par jour une livre de pain paie deux fois plus d’impôt que le capitaliste qui n’en consomme qu’une demi-livre ; cependant l’impôt indirect prélevé sur la livre de pain de l’ouvrier, l’État l’emploie à lui garantir la jouissance de son salaire quotidien de 4, 5, 10 fr., tandis que l’impôt prélevé sur la demi-livre de pain du capitaliste, l’État l’emploie à lui garantir la jouissance des revenus quotidiens de ses millions, qui se chiffrent à 50.000 francs, 100.000 fr. ou plus. L’impôt indirect est un moyen jésuitique de plumer l’ouvrier sans le faire crier, de le faire subvenir sans qu’il s’en doute, aux dépenses qu’occasionnent l’armée, la police, la magistrature, le sénat, la présidence, etc. qui, ne protégeant pas la propriété de l’ouvrier, puisqu’elle n’existe pas, se consacrent exclusivement a la défense des biens de la bourgeoisie.

La bourgeoisie d’avant 1789, concourant pour sa bonne part aux dépenses nécessitées pour la protection des biens de la noblesse, réclamait l’abolition des impôts indirects ; devenue classe régnante, elle les maintient parce qu’ils lui permettent de se décharger, sur la classe ouvrière, d’une grande partie des dépenses qu’exige la conservation de ses biens. L’impôt sur les vins à Paris donnera une idée de la répartition des impôts indirects entre les différentes classes. L’enquête de 1877 sur la proportion de la consommation des vins à Paris arrive aux résultats suivants : vins ordinaires 85 %, vins dits bourgeois 10 % ; vins de luxe à peine 5 % ; par conséquent les vins ordinaires, les seuls que boivent les ouvriers et les petits bourgeois, acquittent cinq fois et demie plus de droits que les vins bourgeois et de luxe, bus par les riches. En 1881 l’impôt sur les vins avait produit 65 millions 572 mille francs ; si la proportion de 1877 n’a pas varié sensiblement, ce qui est probable, les ouvriers et les petits bourgeois ont payé, par les vins qu’ils ont consommés, 55 millions 736 mille francs, tandis que les riches n’ont payé pour leurs vins que 9 millions 836 mille francs.

Les impôts indirects favorisent si scandaleusement les riches, qu’ils ne peuvent que les trouver les meilleurs du monde et que repousser d’enthousiasme l’impôt progressif qui les obligerait à satisfaire aux charges de l’État dans la proportion de leurs revenus et par conséquent dans la proportion du service que leur rend l’État en les garantissant.

La classe productive est le dieu créateur de tout ce qui existe ; elle produit et ce qu’elle consomme et ce que gaspillent l’État et les capitalistes. Plus les producteurs réduiront la part que prélèvent sur leur travail l’État et les capitalistes, et plus grande sera celle qu’ils auront à consommer. L’abolition des impôts indirects empêchera l’État de partager avec les ouvriers le misérable salaire que leur laisse la rapacité patronale ; l’impôt progressif, au contraire, forcera l’État à partager avec les prostituées, les valets et les chiens des capitalistes les revenus qu’ils dérobent aux salariés. L’abolition des impôts indirects et l’établissement de l’impôt progressif réduiraient sûrement le prix des vivres ; s’ils tombaient aux prix qu’ils sont en Angleterre, les salariés français pourraient manger plus de viande et boire un coup de plus. La transformation des impôts, en permettant aux salariés de mieux se nourrir, avancera plus la révolution que tous les discours anarchistes avalés d’affilée.

A propos du budget ( Lénine, 1902. Oeuvres - tome 5)

Le fait que « notre budget est surtout basé sur le système des contributions indirectes » est considéré comme un avantage par Witte [ministre des finances russe 1892-1903] , qui répète les arguments rebattus de la bourgeoisie sur la possibilité « de proportionner la consommation des objets imposés au degré de prospérité publique. ».

Mais en réalité, comme on sait, les contributions indirectes qui portent sur les objets de première nécessité, sont très injustes. Elles pèsent de tout leur poids sur les pauvres, créant un privilège pour les riches. Plus un homme est pauvre, plus grande est la part de son revenu qu’il abandonne à l’Etat au titre des contributions indirectes. La masse des gens pauvres et de médiocre aisance forme les 9/10 de toute la population, consomme les 9/10 de tous les produits imposés et paie les 9/10 de tous les impôts indirects, tandis que de tout le revenu national elle ne reçoit que 2 ou 3/10.

Aux paysans pauvres (Lénine, 1906. Oeuvres - tome 6)

Le militarisme est nécessaire pour piller les autres peuples. Loin de s’en porter mieux, le peuple subit encore plus lourdement le joug des impôts. Le remplacement de l’armée permanente par l’armement de tout le peuple apporterait un soulagement considérable aux ouvriers et aux paysans.

Le même soulagement considérable leur serait apporté par la suppression des impôts indirects, que veulent obtenir les social-démocrates. On appelle impôts indirects des impôts qui ne sont pas prélevés directement sur la terre ou sur l’exploitation, mais qui sont payés par le peuple indirectement, sous forme d’une augmentation du prix des marchandises.

Le gouvernement frappe d’un impôt le sucre, la vodka, le pétrole, les allumettes et toute sorte d’autres objets de consommation ; cet impôt est payé à l’Etat par le marchand ou le fabricant, mais ceux-ci, bien sûr, ne le payent pas avec leur argent, mais avec celui des acheteurs.

Le prix de la vodka, du sucre, du pétrole, des allumettes est augmenté, et chaque acheteur d’une bouteille de vodka ou d’une livre de sucre paye non seulement le prix de la marchandise, mais aussi l’impôt dont elle est frappée.

Par exemple, si vous payez, disons, 14 kopecks pour une livre de sucre, 4 copecks (environ) constituent l’impôt : le producteur de sucre a déjà payé cet impôt au Trésor, et il prélève maintenant la somme qu’il a payée sur chaque acheteur. Ainsi, les impôts indirects, ce sont des impôts sur les objets de consommation, des impôts qu’ acquitte l’acheteur en payant plus cher les marchandises. On dit parfois que les impôts indirects sont les plus justes : celui qui achète tant paye tant. Mais cela n’est pas vrai. Les impôts indirects sont les impôts les plus injustes, parce qu’il est beaucoup plus dur au pauvre qu’au riche de les payer.

Le riche a un revenu dix fois, ou même cent fois plus élevée que l’ouvrier ou le paysan. Mais le riche a-t-il besoin de cent fois plus de sucre ? A-t-il besoin de 10 fois plus de vodka ou d’allumettes ? Ou de 10 fois plus de pétrole ? Non, évidemment.

Une famille riche achète deux fois, ou au maximum trois fois plus de pétrole, de vodka, de sucre qu’une famille pauvre. cela signifie donc que le riche paye sous forme d’impôt une plus petite part de son revenu que le pauvre.

Supposons que le revenu d’un paysan pauvre soit de 200 roubles par an ; supposons qu’il achète pour 60 roubles de marchandises frappées d’une taxe et dont, par suite, le prix est augmenté (le sucre, les allumettes, le pétrole sont frappés d’une accise, c’est-à-dire que le fabricant paye la taxe avant la sortie de la marchandise sur le marché ; sur la vodka produite par l’Etat, le Trésor élève directement le prix ; pour les indiennes, le fer et d’autres marchandises, le prix est augmenté par le fait que les marchandises étrangères à bon marché ne peuvent entrer en Russie sans une taxe douanière élevée). Sur ces soixante roubles, vingt roubles constitueront l’impôt. Cela signifie que sur chaque rouble de son revenu le pauvre donnera 10 kopecks sous forme d’impôts indirects (sans compter les impôts directs, les indemnités de rachat, les redevances, les contributions foncières, celles du au zemstvo, à l’administration cantonale, au mir).

Un paysan riche par contre aura mille roubles de revenus ; il achètera pour 150 roubles de marchandises frappées d’une taxe ; sur ces 150 roubles, il paiera 50 roubles d’impôts. Autrement dit, sur chaque rouble de son revenu, le riche ne donnera que 5 kopecks sous forme d’impôts indirects.

Plus un homme est riche, plus petite est la part de son revenu qu’il paye en impôts indirects. C’est pourquoi les impôts indirects sont les plus injustes. Les impôts indirects, ce sont des impôts sur les pauvres. Les paysans et les ouvriers constituent ensemble les 9/10èmes de la population et ils paient 8 ou 9/10èmes des impôts indirects. Quant à l’ensemble des revenus, les paysans et les ouvriers n’en touchent certainement pas plus des 4/10èmes !

Voilà pourquoi les social-démocrates réclament la suppression des impôts indirects et l’institution d’un impôt progressif sur le revenu et sur les successions. Cela signifie que plus le revenu sera élevé, plus l’impôt sera élevé.

Que celui qui a 1000 roubles de revenus paye un copeck par rouble, celui qui a 2000 roubles de revenus deux copecks par rouble, etc. Les plus petits revenus (par exemple les revenus inférieurs à 40O roubles) ne paieront rien du tout. Quant aux plus riches, ils paieront les plus gros impôts. Un tel impôt sur le revenu, ou plus précisément l’impôt progressif sur le revenu, serait plus juste que les impôts indirects. C’est pourquoi les social-démocrates veulent obtenir la suppression des impôts indirects et l’institution d’un impôt progressif sur le revenu. Mais il est évident que tous les possédants, toute la bourgeoisie, n’en veulent pas et s’y opposent. Seule une union solide de la paysannerie pauvre et des ouvriers des villes peut arracher cette amélioration à la bourgeoisie.

Le capitalisme et les impôts (Lénine, 1913. Oeuvres - Tome 19)

Dans la revue Novy Economist [Le nouvel économiste] que publient M. P. Migouline avec la participation d’octobristes et e cadets réunis [les partis bourgeois libéraux sous le Tsar], nous trouvons une note intéressante concernant l’impôt sur le revenu aux Etats-Unis (...)

Nous voyons que les ouvriers paient en impôts indirects 7 copecks par rouble, et les capitalistes un tiers de copeck. Les ouvriers paient proportionnellement 20 fois plus que les capitalistes. Telle est la « règle » (une règle bien déréglée) que le système des impôts indirects crée inévitablement dans tous les pays capitalistes.

Si les capitalistes payaient un pourcentage de leur revenu identique à celui que paient les ouvriers, ce n’est pas 19 mais 385 millions de dollars d’impôts qui devraient être perçus sur les capitalistes. (...)

Nous voyons donc que la revendication des social-démocrates : suppression complète de tous les impôts indirects, remplacés par un impôt progressif sur le revenu qui soit une réalité et non une amusette, est pleinement réalisable. Une telle mesure, sans toucher aux fondements du capitalisme, apporterait un soulagement immense et immédiat aux 9/10èmes de la population ; en outre, elle donnerait une impulsion gigantesque au développement des forces productives de la société, puisque le marché intérieur se trouverait élargi, et l’Etat débarrassé des contraintes absurdes imposées à la vie économique pour la perception des impôts indirects.

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