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P. Poutou (NPA) sur les pas de Léon Jouhaux, très complaisant envers l’impérialisme français ?

jeudi 23 décembre 2021, par Alex

La récente annonce des vente d’armes aux dictatures d’Arabie (Emirats arabes unis, Arabie Séoudite), a donné lieu a des indignations de la part d’humanistes bourgeois qui regrettent que « la France », vende des armes à des dictatures qui en feront un mauvais usage.

L’hypocrisie vient bien sûr avant tout du candidat du parti écologiste aux élections présidentielles Y. Jadot :

La France nous fait honte quand elle arme des régimes autoritaires qui méprisent les droits humains et dont la richesse s’est bâtie sur les énergies fossiles.
La France rayonnera quand sa politique étrangère sera exemplaire dans la lutte pour la liberté et la justice climatique.

Jadot oublie que Pascal Canfin de son parti EELV a participé de 2012 à 2014 à cette politique des salles guerres qu’il fait semblant de condamner :

François Hollande (Parti socialiste) élu à la présidence de la République, Cécile Duflot a été nommée dans le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault au poste de ministre du Logement ; Pascal Canfin l’a rejointe dans le second gouvernement, au poste de ministre délégué au Développement auprès du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.

Wikipedia

Bon, que la gauche mente concernant l’impérialisme français, ça n’a rien d’étonnant car comme disait Blanqui : « la réaction fait son travail. »

Mais que la réaction de P. Poutou soit quasiment la même que celle du serviteur loyal de l’impérialisme français qu’est le parti EELV est choquant. Citons l’intervention de P. Poutou sur France Info le 3/12 :

Ça nous scandalise", a réagi Philippe Poutou, porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et candidat à la présidentielle, après la signature d’un contrat de 17 milliards d’euros entre les Emirats arabes et la France pour l’achat de 80 avions de combat Rafale au groupe Dassault et 12 hélicoptères Caracal.

"On sait que la France vend des armes à des dictatures comme l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Egypte et qu’elles se servent de ces armes pour tirer sur leurs peuples, dénonce Philippe Poutou. On trouve ça dégueulasse. Ce qui est dingue c’est de faire des affaires sur des engins de mort."

"Ce qui est dingue c’est qu’ils s’en vantent, déplore Philippe Poutou. Ils sont fiers de ça. Nous on pense qu’il y a vraiment autre chose à faire." Cette vente est à "l’image d’une société profondément cynique et violente. On pense qu’il faut interdire les armes", insiste Philippe Poutou.

Le fait que Poutou s’en tienne à un pacifisme naïf condamné depuis longtemps par les marxistes révolutionnaires n’est pas le pire. Les propos de Poutou trouveraient leur place dans un tract syndical modéré mais qui réagit à juste titre à l’actualité politique.

Mais la formule

On sait que la France vend des armes à des dictatures comme l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Egypte et qu’elles se servent de ces armes pour tirer sur leurs peuples

est très gênante si l’on se place du point de vue des idées révolutionnaires, car elle est sans en avoir l’air celle du discours politique et médiatique répété constamment par la propagande bourgeoise. En ne dénonçant pas la nature dictatoriale bourgeoise du régime de la France, Poutou sous-entend que la France est de nature différente, dans le sens où ce serait une démocratie face à des "dictatures". Comme si les armes devenaient des outils pour des massacres uniquement lorsqu’elles tombent entre les mains des "dictatures" comme l’Arabie Séoudite et les Emirats arabes unis (EAU).

« La France », son gouvernement bourgeois impérialiste n’ont-ils pas plus de sang ouvrier sur les mains que l’Arabie Séoudite et les Emirats arabes unis ? N’est-ce pas l’armée française qui est envoyée en Guadeloupe en ce moment même ? Les guerres menées par l’Arabie Séoudite et les Emirats arabes unis ne sont-elles pas des guerres, au service de, en coopération complète avec, les USA, la GB et la France, avec leurs objectifs avant tout impérialistes (les Emirats n’ont par exemple aucun intérêt direct au Yémen) ? Le gouvernement français n’a-t-il pas délibérément envoyé des armes en Syrie pour les remettre aux mains de « terroristes », sans avoir besoin d’intermédiaires ? Et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 avec ses livraisons d’armes françaises ?

Philippe Poutou se garde bien de le dire, et donne donc des illusions dans la démocratie bourgeoise de notre pays. Encore une occasion perdue pour la propagande révolutionnaires dans les élections.

Certes, Poutou est le porte-parole de l’anticapitalisme, une bouillie réactionnaire qui n’est pas le communisme, alors pourquoi se plaindre ? Car il est regrettable que des militants qui se prétendent encore communistes fassent l’apologie de la candidature de Poutou, donnant une caution révolutionnaire au NPA : par exemple « Philippe Poutou : un ouvrier pour mettre les travailleurs au cœur de la Présidentielle » titrait la Fraction l’Etincelle du NPA dans sa revue convergence.

Dans cet article de la Fraction, Poutou n’est présenté ni comme communiste ou anarchiste, ni même comme révolutionnaire ! Cela a le mérite de l’honnêteté. Mais cela a pour conséquence d’obliger la Fraction à agiter en permanence comme un leurre, un substitut au programme au programme révolutionnaire : une référence hyperbolique à l’« ouvrier », comme N. Arthaud le fait avec son slogan permanent du « camp des travailleurs » : ne pas se dire ouvrier, communiste et révolutionnaire, mais simplement ouvrier, ouvrier et encore ouvrier a pour but de tromper les lecteurs ou électeurs (ou leurs militants ?) avec un bas niveau de conscience politique, pour qui le militantisme « ouvrier » peut rappeler vaguement le Parti communiste ou les syndicats, et peut être synonyme de lutte des classes et révolution.

Mais admettons ! Faisons semblant de croire qu’être ouvrier crée un lien direct avec les idéologies révolutionnaires, oublions que le classique manifeste des 60 en faveur des « candidatures ouvrières » (plus d’un siècle avant celles de LO et du NPA !) fut rédigé par H. Tollain, un ouvrier qui devint un serviteur de la bourgeoisie, ce qui n’enlève pas sa valeur à son manifeste. Oublions que Lénine a démontré que le mouvement ouvrier laissé à lui-même restera bourgeois. Suivant les promesses de la Fraction, les propos de Poutou mentionnent-ils les travailleurs d’ici ou des EAU ? Absolument pas ! Poutou ne fait que des comparaisons entre des Etats, des nations, voire des civilisations, celles d’ici et celles d’Arabie.

¨Pourquoi Poutou ne s’adresse-t-il donc pas aux travailleurs de là-bas : aux travailleurs intellectuels arabes de l’enseignement , indo-pakistanais surexploités du bâtiment qui sont mort en construisant le Louvre d’Abu-Dhabi à deux pas de la Sorbonne, aux femmes des Philippines nounous-esclaves salariées des riches locaux, aux jeunes femmes d’Asie du sud-est condamnées à la prostitution masquée à Abu-Dhabi, quasi-ouverte à Dubaï ?

Si les ouvriers prennent le pouvoir ici, ils n’hésiteront pas à envoyer des armes « françaises » aux travailleurs d’Arabie qui voudront établir le pouvoir des travailleurs là-bas. Dans des sociétés divisées en classes, dans un monde divisé entre nations des pays impérialistes qui oppriment, et nations opprimées, les exportations d’armes ne sont pas« immorales » en soi, tout dépend au pouvoir de quelle classe elles profitent. Mais proposer aux travailleurs de prendre le pouvoir, de mettre en place leur dictature, c’est être communiste. Poutou
ne l’est pas, il est normal qu’il n’ait comme programme pour les ouvriers que l’indignation larmoyante de l’impuissance. La lutte n’a pas lieu entre des dictatures et es démocraties, mais entre les exploiteurs et les exploités.

Donc pourquoi Poutou ne s’adresse-t-il pas aux travailleurs de là-bas ? Tout simplement car ce que la Fraction l’Etincelle fait semblant d’oublier, c’est qu’être ouvrier sans être communiste, c’est forcément avoir un programme bourgeois.

En témoigne Léon Jouhaux, ouvrier ex-anarchiste dirigeant de la CGT dans l’union sacrée, qui fût rappelé à l’ordre par Trotsky dans le texte suivant, alors qu’il dénonçait un régime étranger ami des « dictatures », sans dénoncer son propre impérialisme, à l’image de Poutou.

Léon Trotsky : Jouhaux et Toledano

(30 janvier 1939)

L’inimitable Léon Jouhaux a envoyé un télégramme à l’inimitable Lombardo Toledano. Sa dépêche pose une question menaçante : est-il vrai que le gouvernement du Mexique se prépare à céder des concessions pétrolières au Japon et à d’autres pays fascistes ? Ce serait un renforcement de la puissance militaire des fascistes et mènerait à des catastrophes internationales ; cela signifierait des villes pacifiques en flammes, un grand nombre de victimes, etc. Sur le ton d’un écolier pris en faute, [Lombardo] Toledano a répondu : « Non, non, le Mexique ne cédera jamais de telles concessions. » Très récemment, [Lombardo] Toledano s’écriait : « Non, le Mexique ne donnera jamais son pétrole aux fascistes. L’Angleterre ne peut pas survivre sans le pétrole mexicain, etc. » Ces messieurs croient qu’ils peuvent résoudre des problèmes économiques vitaux avec des déclarations creuses ! Si [Lombardo] Toledano avait juste un petit peu, disons, pas de sentiment révolutionnaire, mais de sentiment de dignité nationale (et les citoyens d’un pays opprimé devraient avoir une certaine dignité nationale), il aurait répondu à Jouhaux par la pointe de sa botte.

Jouhaux est un agent direct de l’impérialisme français et britannique. La France, à la suite de la Grande-Bretagne, boycotte le pétrole mexicain pour soutenir les actionnaires impérialistes contre un pays semi-colonial. La France et l’Angleterre utilisent leurs forces aériennes pour réprimer les mouvements de libération dans leurs colonies. Comment, dans ces conditions, Jouhaux ose-t-il ouvrir la bouche ?

La lutte contre les atrocités fascistes et impérialistes en général, surtout la lutte contre le bombardement de villes pacifiques, ne peut être et ne sera conduite que par des ouvriers et paysans honorables qui n’ont pris aucune part à des actes criminels, directement ou indirectement. Mais Jouhaux — un chien au bout de la laisse impérialiste — comment ose-t-il se présenter en mentor du Mexique et en gardien de la morale ? C’est parce qu’il sait à qui il a affaire. Il ne traite pas [Lombardo] Toledano en représentant des masses ouvrières d’un pays opprimé, mais en agent du « Front populaire » français (hélas, décédé), c’est-à-dire en agent à disposition de l’impérialisme « démocratique ». Et Jouhaux ne se trompe pas.

[Source Léon Trotsky, Œuvres 20, janvier 1939 à mars 1939. Institut Léon Trotsky, Paris 1985, pp. 92-93,

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